Un "été financier" qui prépare la tempête
« Eté financier, hiver pour l’emploi » titre l’éditorial de La Tribune du 16 juillet. De fait, alors que les plans sociaux continuent leurs ravages, suscitant la révolte de salariés qui n’hésitent pas à menacer de faire sauter leur usine, à séquestrer les patrons ou à brûler des machines, dans le domaine financier, les « bonnes nouvelles » se succèdent.
D’une
façon générale, selon les
Echos, on
assiste à un « net
redressement de la trésorerie des entreprises ». Plus particulièrement,
Continental « profite
des effets » des
plans de licenciements qui ont jeté à la rue 16 000
salariés et « renoue
avec les profits » ;
pour l’équipementier automobile Faurécia, dont les
effectifs sont passés de 70 400 à 57 600 en un an, le
« pic
de la crise est passé »
et il se sent « encouragé
à poursuivre ses efforts »,
autrement dit à préparer de nouveaux plans de
licenciement… Aux États-unis, ce sont les banques,
telles Goldman Sachs, JP Morgan ou AIG, sauvées il y a à
peine quelques mois de la faillite à coups de milliards
de dollars par l’Etat, qui affichent aujourd’hui des
résultats insolents et distribuent primes et bonus par
millions…
Les
affaires semblent donc reprendre, les Bourses
continuent, avec des hauts et des bas, leur « reprise »
depuis plusieurs semaines. A cela s’ajoute le « signe de
reprise » que constituerait l’annonce par l’Insee, ce
début de semaine, d’une « hausse
inespérée » de
l’indice de la consommation des ménages au mois de juin.
C’est un bluff d’autant plus flagrant que cette
« hausse » porte essentiellement sur des équipements
électroménagers et l’habillement, dont c’est la période
de soldes, et que l’indice ne prend pas en compte les
denrées alimentaires… Qu’importe. Tout cela suffit à
diverses instances économiques pour y voir le signe que
le plus bas de la crise est passé et que la « sortie »
est en vue.
Il
y a bien entendu le problème du chômage, dont les
statistiques officielles ne peuvent pas faire moins que
de prévoir qu’il n’est pas près de régresser… La
ministre des finances, Lagarde, vient d’ailleurs
d’annoncer qu’il allait continuer à augmenter encore
pendant de nombreux mois. Mais, nous explique-t-on,
après une crise, c’est normal, c’est d’abord la finance
qui repart, puis, bien plus lentement, l’activité
économique et donc l’emploi. Il faut savoir être
patient…
Leur
« sortie de crise » : récession chronique, chômage de
masse, spirale spéculative…
Ils
le disent sans fard, sortir de la crise, pour les
patrons des grands groupes financiers et industriels,
c’est retrouver une rentabilité de leurs investissements
productifs qui soit conforme à leurs objectifs. Et cela,
en ajustant les capacités de production à un marché
solvable qui ne cesse… de baisser du fait de l’extension
du chômage, de la baisse des revenus et du durcissement
du crédit. Autrement dit en fermant des usines, en
licenciant les travailleurs par milliers.
La
première des conséquences d’une telle politique, si elle
permet de « redresser
la trésorerie »
des entreprises et de restaurer les profits, du moins
dans un premier temps, est qu’elle aggrave les
conditions mêmes qui ont conduit à la baisse de
rentabilité. En jetant des milliers de travailleurs à la
rue ou en les soumettant au chômage partiel, elle baisse
d’autant les capacités du marché solvable à absorber les
produits fabriqués. Autrement dit on est dans un cercle
infernal : la recherche de « l’équilibre budgétaire » des entreprises,
c’est-à-dire de la restauration des taux de profit par
« l’ajustement » des capacités de production au marché
solvable, génère de fait une nouvelle diminution de ce
dernier qui va de nouveau aggraver la concurrence,
pousser les prix à la baisse, et donc les profits…
De
plus, les profits réalisés produisent des capitaux qui
cherchent à s’investir pour générer de nouveaux profits…
Mais, dans cette situation de récession chronique, ils
ne trouvent pas d’autre terrain d’investissement que
celui de la spéculation, accumulant de nouveaux « titres
toxiques », préparant de nouveaux effondrements
financiers.
Certains
groupes font actuellement appel à de nouveaux capitaux,
en Bourse ou sous forme d’emprunts obligataires. Mais
ces capitaux frais ne serviront pas à créer de nouveaux
moyens de production, de nouveaux emplois. Ils sont,
pour l’essentiel, destinés à financer des rachats, des
restructurations, autrement dit à éliminer des
concurrents en les absorbant. Loin d’être le signe de
nouvelles embauches, ces grandes manœuvres seront très
probablement pour la plupart suivies de
restructurations, de nouveaux licenciements, au nom d’« économies
d’échelle ».
Voilà
ce que nous prépare la politique des gouvernements et
des classes dominantes… Une phase de stagnation, voire
de récession chronique, avec un chômage de masse sans
précédent, tandis que les profits continueront à
s’accumuler dans de nouvelles bulles spéculatives,
préparant de nouvelles crises financières.
Comme
le résume dans sa conclusion l’éditorial de La
Tribune déjà
cité, « la
finance n'a de cesse que de revenir au « monde
d'avant », suivant en cela sa pente, qui est celle de la
nature humaine (sic) ».
Mais,
poursuit-il, « les
mois prochains pourraient bien contrecarrer ce projet :
si la concomitance des bonus à sept ou huit chiffres et
des files de chômeurs au moins aussi fournies en zéros
se prolonge, ce sera difficilement supportable sur le
plan politique. »
Préparer
notre propre « sortie de crise »
De
fait, face à une situation d’autant plus révoltante
qu’elle s’affiche avec plus de cynisme, l’indignation et
la colère montent et s’expriment de plus en plus
fortement.
Aux
États-unis, les annonces des résultats des banques et du
montant des primes et des bonus distribués en dépit des
« promesses » d’Obama ont créé une véritable
contestation. Une grande partie de la population prend
conscience qu’elle a été victime de ce que certains
journalistes appellent « le
hold-up du siècle ».
Un hold-up commis par les banques, avec la complicité de
l’État, dans la poche des contribuables.
Cela
contribue, avec d’autres déceptions, à écorner l’image
d’Obama dont la cote de popularité baisse pour la
première fois depuis son élection. Il a bien fait
semblant, en les invitant à la Maison Blanche, de
convaincre les patrons de JP Morgan et de Goldman &
Sachs de se montrer raisonnables dans les distributions
de bonus, mais ces derniers ont certainement su lui
rappeler, au cas fort improbable où il l’aurait oublié,
qu’ils font ce qu’ils veulent de « leur » argent… Dans
un commentaire paru dans la presse, Obama a dû se
contenter de constater que l’on « n'a
pas l'impression que les gens de Wall street aient le
moindre remord »…
Un piteux aveu public de son impuissance, ou, plus
exactement, de sa soumission aux véritables maîtres de
l’Amérique.
En France, ce sont les
salariés de New Fabris, de Nortell, de SKF, de Michelin,
des papeteries Malaucène, la liste s’allonge tous les
jours, qui ont décidé, pour se faire entendre et peser sur
l’obtention des primes de licenciement qu’ils exigent,
d’utiliser les grands moyens en menaçant de faire sauter
leur entreprise, en séquestrant leur patron ou encore en
brûlant des machines… Le climat général dans lequel se
déroulent ces actions fait que certains salariés ont déjà
obtenu gain de cause, et que par ailleurs l’État n’ose pas
faire intervenir ses flics. Non pas tant par crainte des
explosions des bonbonnes de gaz, mais bien par peur de
déclencher le « tous ensemble » dont les manifestations du
29 janvier et du 19 mars avaient été l’annonce, et qui
n’avait été évité que parce que les grandes confédérations
syndicales avaient tout fait pour l’empêcher.
Illustration
de cette crainte, un article des Echos du 20 juillet, intitulé « La
radicalisation des conflits sociaux inquiète la majorité », donne un petit aperçu des
états d’âmes des élus UMP face à l’évolution de la
situation politique. Faisant référence à ce qu’ils
appellent le « chantage
à la bonbonne de gaz »,
certains y voient « les
prémices » d'une
crise sociale « véritable », presque « insurrectionnelle ». Une situation qui ne peut
qu’empirer car « ça
fera forcément tache d'huile. Dans une famille, quand on
donne une part de gâteau supplémentaire à un enfant qui
hurle plus fort que les autres, ça incite les autres à
faire pareil »
(on appréciera l’image, les ouvriers sont décidément de
grands enfants…). Cette situation inquiète d’autant plus
ce petit monde que, disent-ils, « on
a l'impression que les syndicats ne contrôlent plus des
salariés dont l'angoisse est au summum »…
Cette
impuissance, que regrettent les députés de l’UMP, des
grandes confédérations syndicales à contrôler les
actions des salariés - parmi lesquels les militants
syndicaux du rang sont des plus actifs - illustre
parfaitement la coupure qui s’est approfondie entre les
sommets d’organisations syndicales paralysées par leur
politique de « dialogue social » et le monde du travail,
soumis directement aux conséquences dramatiques de la
guerre de classe que mènent patrons et gouvernement.
Les salariés en butte aux
licenciements ont compris qu’il n’y avait rien à
attendre de la part de ces organisations. Ils prennent
directement la défense de leurs intérêts en main,
s’organisent, sans attendre, avec leurs propres
méthodes. Certains, comme ceux de Chaffoteaux et Maury,
se préparent à occuper leur usine tout l’été, pour
empêcher le patron de transférer les machines…
L’indignation, la colère, la
révolte ne suffisent certes pas à ouvrir en tant que
telles la perspective d’une véritable « sortie de
crise », du point de vue des
intérêts de la population. Elles en constituent pourtant
un des éléments essentiels.
Car le problème est posé, dès
aujourd’hui, concrètement, à tous les militants du monde
du travail, à tous les salariés qui ne renoncent pas à
se battre, de faire que ces luttes isolées, radicales,
sûres de leur bon droit face à la sacro-sainte propriété
privée, débouchent sur un grand mouvement d’ensemble,
pour interdire les licenciements, exiger le partage du
travail entre tous ; faire que les profits et les bonus
scandaleux tirés de la surexploitation des salariés leur
reviennent, sous forme d’augmentation significative des
salaires.
Daniel
Minvielle