Intégrer la question de l'écologie dans le programme socialiste
La question de l’écologie
suscite de nombreux débats parmi tous ceux qui militent
pour un projet de transformation révolutionnaire de la
société.
S’il semble acquis pour tous
que l’ampleur de la crise écologique en fait une question
centrale, s’il est clair qu’il n’est plus possible de
faire de l’écologie un supplément d’âme d’un programme
socialiste… la discussion reste ouverte et nécessaire sur
comment intégrer, en opposition à l’écologie moralisatrice
des partis institutionnels, la critique écologique dans ce
qu’elle à de plus subversif, à notre combat
anticapitaliste, à notre perspective socialiste.
Pour certains camarades la
nécessité de prendre en compte les conséquences de la
crise écologique devrait conduire à une intégration de
l'écologie politique au programme socialiste, en
rejoignant le courant « écosocialiste ». C’est ce qui a
été défendu au congrès de fondation du NPA dans le débat
autour du mot même d’écosocialisme.
Le débat ne porte pas sur le
fait de savoir s’il faut ou pas intégrer les données de
l’écologie à notre critique du capitalisme. Rajouter le
préfixe « éco » signifie rejoindre un courant politique,
l’écosocialisme, qui a sa propre existence et qui se
définit pour reprendre une formulation de Michael Löwy
comme « un
courant de pensée et d'action écologique qui fait siens
les acquis fondamentaux du marxisme - tout en le
débarrassant de ses scories productivistes. »
Cela pose deux problèmes, d’une
part le problème de définir ce qu’est réellement
l’écologie politique en tant que courant et son apport et,
d’autre part, le problème que certains camarades semblent
confondre le bilan du socialisme réel, des régimes
staliniens, des régimes nationalistes prétendument
socialistes avec la critique marxiste du capitalisme.
« Ecosocialisme »,
actualisation du marxisme ou concession à l’écologie
politique radicale ?
L’expression « écologie
politique » a toujours été volontairement confuse.
Utiliser le nom de ce qui est avant tout une science pour
désigner un courant politique a toujours permis aux courants
se revendiquant uniquement de l’écologie politique de
prétendre se situer au-dessus des clivages politiques
traditionnels et de ne pas se situer sur le terrain de la
lutte des classes et de la critique du capitalisme. La
grande majorité de ces courants et partis, souvent très
institutionnels, acceptent globalement le cadre du
capitalisme et n’ont d'autres perspectives que de s’en
remettre aux bons vouloirs des dirigeants et de leurs
administrations. Cela revient au final à s’aligner sur un « capitalisme
vert » dont tous
les gouvernements se font maintenant les champions.
Le
courant écosocialiste est né, en réaction à cette écologie
institutionnelle et bien pensante, de la volonté de lier le
combat écologique et le combat social, démarche sur laquelle
on ne peut que se retrouver. Mais quand ces camarades
discutent de réactualiser notre projet d’émancipation en
introduisant « à part égale » l’apport des courants
écologiques et du celui du marxisme, ils introduisent en
réalité beaucoup de confusion politique. Car plus qu’une
actualisation du marxisme, cela revient avant tout à faire
des concessions aux courants radicaux de l’écologie
politique qui, aussi radicaux soient-ils, se situent
pourtant sur un autre terrain social que celui de la lutte
des classes. Le débat le plus ouvert est certes nécessaire
avec tous les courants en rupture avec cette société et ses
institutions, mais il nous faut le mener jusqu’au bout, sans
concessions, pour dégager ce qui peut nous rassembler.
Les textes et manifestes
écosocialistes en restent trop souvent à une analyse
superficielle du capitalisme parce qu’ils restent
prisonniers de la critique du seul productivisme que font
les courants défenseurs de la décroissance. La
« déclaration écosocialiste de Belem » définit ainsi le
capitalisme : « Son
seul moteur est l’impératif de profit et le besoin d’une
croissance sans fin ».
Cela introduit une confusion entre la course au profit
c’est-à-dire l’accumulation sans fin de capital, et la
croissance économique qui reposerait sur un productivisme
à combattre, or ce n’est pas la même chose.
Les courants de l’écologie
radicale critiquent le productivisme sur la base d’une
condamnation « éthique » de la société de consommation, et
ne se situent donc pas sur le même plan que la critique
marxiste du capitalisme et de ses contradictions. Si,
comme le proposent les camarades de l'écosocialisme, il
faut lier la crise écologique au capitalisme, alors il
faut l’intégrer à l’analyse des contradictions
fondamentales du capitalisme.
La
crise écologique conséquence de la fuite en avant du
capitalisme face à ses contradictions fondamentales
Ne voir que le caractère
productiviste du capitalisme pour expliquer la crise
écologique est extrêmement réducteur. Le productivisme est
un des aspects du capitalisme, mais tout comme
l’organisation méticuleuse de la pénurie, la destruction
des forces productives à d’autres moments ou en d’autres
lieux car ce qui importe, pour les capitalistes, c’est
l’accumulation de capital et pas forcément une croissance
économique reposant sur une production sans fin.
La crise écologique et
l'incapacité du capitalisme à y faire face sont la
conséquence de sa contradiction fondamentale décrite dès
l'origine par Marx : la contradiction entre une production
qui est sociale et donc potentiellement quasi-illimitée,
et une appropriation qui, restant privée, met cette
production au service d’un seul but : l’accumulation du
capital.
A cause de cela le capitalisme
n'est pas capable de soutenir un développement illimité de
la production ni de la croissance car il se heurte
régulièrement aux limites du marché. Il est toujours
rattrapé par ses contradictions internes qui ne peuvent
qu'éclater en de multiples crises : crise économique,
sociale, politique, écologique. Et même dans ses périodes
d'expansion, il s'est toujours développé en accentuant les
inégalités, en ne faisant que préparer les conditions de
nouvelles crises.
Du fait de cet amalgame entre
capitalisme et productivisme, les camarades du courant
écosocialiste en arrivent à la conclusion que la crise
écologique actuelle traduirait une nouvelle contradiction
entre le capitalisme, son productivisme et les limites
« naturelles » des ressources de la Terre. Une
contradiction finalement entre le capitalisme et la Terre,
contradiction que Marx aurait ignorée.
Plus
qu'une nouvelle contradiction, l'accentuation actuelle de la
crise écologique est la conséquence de la fuite en avant du
capitalisme pour surmonter sa contradiction fondamentale… La
conséquence de la mise en œuvre des solutions capitalistes
pour repousser les limites du marché et poursuivre
l'accumulation sans fin du capital. C'est cette fuite en
avant qui pousse le capital à tout transformer en
marchandises, des gènes au « droit de polluer », pour
trouver de nouvelles sphères d'investissement et ainsi
s'accaparer tout ce qui peut être source de profits. C’est
cette fuite en avant qui le rend incapable de réagir face au
cri d’alarme des scientifiques autrement qu’en y voyant de
nouvelles opportunités de valorisation du capital.
Avec la mondialisation, et la
mise en place d'un marché mondial sans barrières, sans
contraintes, le capitalisme a généralisé ses
contradictions à l'échelle de toute la planète, entraînant
une crise globalisée dont la crise écologique est une des
conséquences. La mondialisation, c'est la généralisation
du rapport d'exploitation capitaliste mais certainement
pas, comme certains anti-productivistes le croient, la
perspective d'une généralisation du mode de vie des pays
industrialisés à toute la population mondiale. Ce qui se
généralise, c’est l’explosion de toutes les formes
d’inégalités.
C’est en cela que le spectre du
productivisme, s’il n’est pas intégré à une analyse plus
poussée du capitalisme et de ses contradictions, ne permet
pas de réellement articuler le combat écologique et le
combat anticapitaliste… Or les camarades qui se
revendiquent de l’écosocialisme en viennent ainsi à se
dire tout autant anticapitalistes qu’anti-productivistes,
ce qui est avant tout un renoncement à pousser jusqu’au
bout l’analyse des contradictions du capitalisme.
Dans le débat nécessaire avec
les courants et les mouvements de l’écologie radicale,
comme les « objecteurs
de croissance »
qui se disent anti-productivistes et pour la décroissance,
il est tout à fait légitime de partir de leur critique
radicale d’un certain mode de vie qui est effectivement la
conséquence du productivisme engendré par l’anarchie
capitaliste. Mais ce que nous pouvons leur apporter dans
le débat c’est leur montrer la nécessité de pousser leurs
analyses jusqu’à la compréhension plus globale des
contradictions internes du capitalisme, qui en font n’ont
pas tant un mode de production productiviste mais surtout
un mode de production incontrôlable par la raison, car
incapable de la moindre planification sur le long terme.
La principale différence
d’approche que nous avons avec ces courants est qu’en ne
liant pas leur combat à une critique du capitalisme, ils
ne peuvent formuler d’autres solutions que celles passant
par une remise en cause des comportements individuels,
d’un certain mode de vie, avec au mieux la volonté de
vivre en marge de la société capitaliste. D’où leur
absence de volonté de rechercher comment articuler le
combat écologique et la lutte des classes, d’où l’absence
d’une remise en cause du capitalisme qui reste finalement
pour eux un horizon indépassable.
Et ce n’est pas aider à la
clarification de ce débat important que de faire semblant
que les deux approches soient complémentaires, qu’il
s’agirait d’être à la fois anticapitaliste et
anti-productiviste pour reprendre l’expression du camarade
Corcuff lors du deuxième Contre-Grenelle,
« Non au capitalisme vert »,
organisé par le journal La
Décroissance en
mai dernier à Lyon… en parlant même de la révolution
culturelle anti-productiviste que les anticapitalistes
devraient faire.
La
crise écologique, révélateur de l’impasse du capitalisme
et de la nécessité d’une planification démocratique et
socialiste
Le
caractère subversif, radical, de la critique écologique est
que, poussée jusqu’au bout, elle oblige à penser dans sa
globalité le rapport entre la société humaine et son
environnement, la Terre, elle oblige à poser la question des
fondements même de toute l’organisation sociale… C’est une
question centrale qui permet de développer nos analyses sur
l’impasse du système capitaliste, de montrer la nécessité de
dépasser ce mode de production incapable d’être le cadre
d’une gestion rationnelle et démocratique à l’échelle de la
planète. A partir des données les plus modernes de la
science écologique, cela permet d’argumenter sur le fait que
le capitalisme s’oppose à toute forme de planification et
donc s’oppose à la prise en compte des recommandations des
experts du climat, fussent-ils mis en place par les
gouvernements et décorés du prix Nobel. Cela permet de faire
la démonstration de l’incurie des classes dirigeantes, de
leur étroitesse et de leur égoïsme de classe que révèlent
leurs solutions étriquées et « rentables » face aux
problèmes soulevés par la communauté scientifique et tous
les mouvements écologiques.
Mais
cela implique de ne pas s’excuser d’être socialiste et donc
écologique, cela implique de ne pas faire de concession aux
courants peut-être radicaux mais qui n’intègrent pas leur
critique écologique à une vision plus globale du combat pour
l’émancipation. Intégrer la question écologique à notre
programme implique, non pas de venir sur le terrain
anti-productiviste de l’écologie politique radicale, mais
bien plutôt de revenir à l’analyse des contradictions
fondamentales du capitalisme et à leurs conséquences. Cela
passe par actualiser le marxisme, en le débarrassant de
toutes ses caricatures staliniennes, social-démocrates, ou
maoïstes, de régimes qui ont été effectivement
productivistes jusqu’à la caricature, pour retrouver toute
la radicalité de la critique de fond du capitalisme, celle
faite par Marx dès le XIXème siècle.
Intégrer la question écologique
à l’anticapitalisme implique de dépasser l’analyse
simpliste et caricaturale que le capitalisme repose sur
une croissance sans fin, sur un mode de vie qui se
généralise à toute la planète… qui conduit certains à
inventer une « nouvelle contradiction » entre le Capital
et la Nature. L’accumulation sans fin du capital, qui est
le véritable moteur de son expansion, entraîne tout autant
productivisme et gaspillage que crise et pénurie… Car
c’est un mode de production qui fonctionne en aveugle, sur
le très court terme.
Ainsi posée, la critique
écologique peut s’intégrer à notre agitation quotidienne
car elle permet de faire le lien entre les luttes sociales
pour la défense des conditions de vie et de travail et les
luttes contre la dégradation de l’environnement.
Il
s’agit, dans ce cadre, d’ouvrir le débat sur nos réponses
c’est-à-dire des réponses qui se situent du point de vue du
monde du travail, face aux multiples aspects que prend
aujourd’hui la crise écologique. Ces réponses restent à
discuter mais, fondamentalement, elles ne peuvent que
reposer sur des solutions collectives, sociales, qui
impliquent une prise de contrôle démocratique des grands
secteurs de l’économie… ce qui les oppose à toutes les
prétendues solutions qui, ne se plaçant qu’au niveau des
comportements individuels, reviennent à culpabiliser les
plus pauvres, tout en masquant les véritables
responsabilités sociales. C’est la déclinaison de notre
slogan « nos
vies valent plus que leur profit ! »,
opposer les intérêts du monde du travail, dont la défense
de son environnement de vie, à ceux d’une minorité de
financiers et de spéculateurs.
Face à la crise climatique, la
mise en œuvre des recommandations des scientifiques
implique une réappropriation collective, une prise de
contrôle démocratique de secteurs clés comme ceux du
transport et de l’énergie, la remise en cause de la
propriété privée qui est à la base de la logique du profit
à court terme.
Nos réponses face à la crise
écologique redonnent ainsi toute son actualité à l’idée
d’une planification socialiste et démocratique… car c’est
le seul cadre dans lequel peuvent être mises en œuvre à
l’échelle planétaire les solutions que les scientifiques
proposent pour réduire l’impact des activités humaines sur
notre environnement.
Intégrer la question
écologique implique de retrouver dans la critique marxiste
du capitalisme ce qu’elle a de plus fondamental, de plus
philosophique : la critique de l’aliénation et de la
perversion des rapports entre l’Homme et la Nature.
C’est cela qui permettra de
redonner aux idées socialistes tout leur contenu de
contestation globale du système. Pousser la critique
radicale du mode de production capitaliste jusqu’au bout
implique d’y intégrer les causes de la crise écologique
comme conséquences des contradictions du capitalisme
mondialisé et nos réponses à cette crise qui passent par
la remise en cause de la propriété privée des grands
moyens de production et par leur réappropriation
collective, base d’une planification démocratique de
l’économie.
Le programme socialiste ainsi
actualisé se définit comme une réponse globale à la crise
du capitalisme, y compris la crise écologique, qui
implique une transformation révolutionnaire de la société.
Bruno
Bajou