L’avenir du syndicalisme, un syndicalisme de lutte de classe
Wall Street vient de franchir
un nouveau sommet annuel, tout comme les sociétés financières
en France, dont le chiffre d’affaires a progressé de près de
15 % sur le dernier trimestre. « Les banquiers pavoisent »
titrait le Monde, car la spéculation repart à plein
régime, alimentée par les largesses des Etats.
Mais la crise, elle, se
renforce dans les principaux secteurs de l’industrie : d’après
l’INSEE, ce sont 400 000 emplois qui ont été détruits en un an
et demi ! La facture est lourde pour le monde du travail et le
gouvernement vient encore l’aggraver par les coupes sombres
dans les services publics, l’école, la santé… Pour donner de
l’autre main encore plus de cadeaux au patronat comme la
suppression de la Taxe professionnelle.
Face à une telle situation,
préparer une riposte d’ensemble, un affrontement face aux
classes dominantes qui font payer leur crise à toute la
population, est une urgence criante. Mais les directions des
grandes confédérations syndicales restent passives, sans la
moindre initiative qui puisse aider à faire converger la
révolte et les luttes.
La dernière rencontre
intersyndicale fin octobre a abouti à… un courrier aux
parlementaires ! La question de la mobilisation contre la
privatisation de la poste n’a même pas été abordée, alors
qu’une grève est appelée le 24 novembre à la Poste, tout comme
dans l’Education nationale contre les suppressions de postes.
Tout cela renvoie au gâchis
des mobilisations de cette année : des millions de salariés
dans les rues le 29 janvier, 3 millions le 19 mars, en même
temps que des luttes radicales éclataient dans les premiers
secteurs frappés par la crise (sous-traitance automobile)… et
aucune initiative pour organiser concrètement la convergence
des luttes que beaucoup attendaient.
Cette question est en débat
dans toutes les organisations syndicales où se tirent les
bilans des mobilisations de cette année face à la crise et de
la dérobade des directions des grandes confédérations. Comment
construire un réel rapport de force vis-à-vis du patronat et
du gouvernement, c’est-à-dire comment préparer l’indispensable
affrontement avec le pouvoir ?
Le 49ème congrès de
la CGT qui va se tenir en décembre témoigne de ce
mécontentement qui remonte contre la politique de la
direction. Même si tout est fait pour verrouiller les débats,
les critiques se font entendre. Dans ce contexte, la
candidature de JP Delannoy, qui regroupe plusieurs oppositions
au sein de la CGT, a l’audace de poser ouvertement la question
d’une autre orientation à celle du syndicalisme
d’accompagnement des mauvais coups : celui de défendre une
politique de lutte de classe.
Thibault
lance lui-même le débat
Interpellé dans le Monde
sur cette candidature, Thibault répond : « la question
n'est pas de savoir si la CGT est ou n'est
pas anticapitaliste : la CGT combat
l'exploitation capitaliste. (…) Ce que veulent les
salariés, c'est un syndicat utile pour améliorer leur sort
ici et maintenant. Un syndicat composé d'une avant-garde
éclairée serait marginalisé par la grande majorité des
salariés et donc inefficace ».
Comme si l’anticapitalisme
était une question de posture idéologique abstraite et
dogmatique. Mais l’anticapitalisme est le produit même de la
lutte de classe que le patronat et le gouvernement mènent
consciemment pour sauver leurs profits et leurs actions en
bourse. Dans une telle situation, améliorer la situation
immédiate, concrète, de l’ensemble des salariés signifie la
construction d’un vrai rapport de force. C’est cela qu’ont
justement refusé les directions des grandes confédérations
syndicales en restant dans le cadre du « dialogue social »
de Sarkozy.
Et Thibault le revendique : « Parmi
les critiques, nous entendons que la négociation avec le
chef de l'Etat et le gouvernement serait par principe
impossible. Cela signifie-t-il qu'il faut attendre un
changement politique ou de société pour que les négociations
soient envisageables ? (…) Compromis ne veut pas
dire compromission. Il reflète un rapport de forces à un
moment donné ».
Mais de quelles « négociations »
s’agit-il, de quel rapport de force, quand les directions
syndicales participent à des « consultations » à froid
avec le pouvoir qui ne sont qu’un jeu de dupes ? Depuis des
années, ces soi-disant négociations n’ont servi qu’à entériner
les reculs voulus par le gouvernement sur le fond. Au lieu de
s’opposer clairement à ses contre-réformes, comme sur les
retraites, la santé, etc., les directions syndicales ont
participé à toutes sortes de « consultations » dont la seule
fonction était de démobiliser les salariés.
Le débat est bien celui de la
construction du rapport de force et des voies et des moyens
pour y parvenir. Dans le texte d’orientation pour le congrès,
le terme revient d’ailleurs plusieurs fois, mais avec une
lecture bien particulière : « la conquête des droits des
salariés, de la démocratie sociale de transformations
sociales nécessite la construction et le renforcement d’un
rapport de forces durable. C’est tout le sens des efforts
réalisés par la Cgt pour contribuer à la
constitution d’un front uni des organisations syndicales, à
tous les niveaux ». En clair, les journées éparpillées
et sans lendemain ne posent aucun problème, ce qu’il faut,
c’est l’unité de l’ensemble des syndicats sur la base la plus
consensuelle… Ce n’est sûrement pas cela qui fera reculer le
gouvernement ou le patronat.
Le « rapport de
force durable » est mis à toutes les sauces pour
expliquer qu’il n’y aura rien sans « syndicalisation ».
Pour la direction confédérale, l’objectif, c’est le nombre de
syndiqués, les scores des prud’hommes, et le cadre de la loi
sur la représentativité qui comptent avant tout pour pouvoir
« négocier » des accords !
Mais le rapport de force, il
est avant tout social et politique. Il ne peut se construire
qu’au travers des luttes, en légitimant les exigences du monde
du travail et en s’en prenant à ceux qui parasitent l’ensemble
de l’économie. Le rapport de force qui est à construire, c’est
celui qui imposera l’interdiction des licenciements en
contestant le droit des patrons de faire ce qu’ils veulent ou
l’augmentation générale des salaires.
Mais pour cela, il faut
reprendre l’offensive en défendant largement les idées de la
contestation de l’ordre établi, de la lutte collective, de la
convergence, c’est-à-dire les idées de la lutte de classe à
l’inverse de la politique des directions des grandes
confédérations qui conduit à accompagner les mauvais coups.
Cela passe par l’affirmation
de revendications unifiantes, à partir des exigences et des
besoins de l’ensemble du monde du travail face à la crise : le
refus des suppressions d’emplois et l’interdiction des
licenciements, le partage du travail entre tous, un CDI pour
tous, pour lutter contre les ravages des destructions massives
d’emplois menées par les patrons et l’Etat. Pas de revenus
inférieurs à 1600€ net et augmentation de 300 € net des
salaires pour rattraper les pertes cumulées sur le pouvoir
d’achat depuis des années. Alors que le gouvernement prépare
ses mauvais coups sur les retraites, retour aux 37,5 annuités
pour tous, public et privé.
Construire
le rapport de force social, en rompant le dialogue
social, en donnant confiance dans la lutte
Comme le dit le texte d’appel
pour la candidature de JP Delannoy : « Pour gagner, il est
indispensable de construire le rapport de force nécessaire à
la convergence des luttes et à la concrétisation du « Tous
ensemble ! » dans la grève générale ».
La grève générale ne se
décrète pas artificiellement, bien évidemment. Mais avoir une
stratégie de construction d’un mouvement d’ensemble, une
réelle politique qui permette la coordination des entreprises
en lutte ainsi que la convergence au travers de journées
interprofessionnelles, est une urgence pour un mouvement
syndical qui veut combattre l’exploitation capitaliste.
Cette question si importante
est absente des textes d’orientation du congrès. Face à la
crise, il s’agit pour la direction, d’avancer des « propositions »,
comme le Nouveau statut du travail salarié qui évite la
question de l’indispensable lutte à mener contre les
licenciements aujourd’hui.
Sous les coups de la crise, un
renouveau syndical est en train de s’opérer, contestant
l’adaptation aux contre-réformes du gouvernement et affirmant
toute la légitimité des idées du syndicalisme de lutte de
classe.
La candidature de JP Delannoy
est un fait politique qui porte le débat publiquement au sein
de la CGT, comme en témoignent les articles de presse qui
interpellent Thibault sur la question. Tout cela révèle les
ruptures qui s’opèrent. Des militants en ont assez, veulent
une autre politique et le disent. Les militants
anticapitalistes et révolutionnaires sont partie prenante de
cette bataille qui n’est pas une question de personne mais une
question d’orientation. Cette orientation, c’est celle de la
convergence des luttes, qui se construit à la fois par en bas
et par la contestation consciente de la politique des
confédérations engluées dans l’impasse du dialogue social avec
le gouvernement.
Ce débat et cette question
d’un renouveau des idées de la lutte de classe se posent dans
l’ensemble du syndicalisme. Réunis mardi à une conférence de
presse, les dirigeants du G8 syndical ont donné leur vision de
l’avenir du syndicalisme. Pour la plupart d’entre eux, le
principal problème est la faiblesse des rangs syndicaux : trop
peu de syndiqués, trop peu de jeunes et une inquiétude
certaine sur les prochaines vagues de départs à la retraite.
« Nous sommes le pays de l’OCDE avec le plus faible taux de
syndicalisation » déplore la CGC, même si Thibault
rappelle que malgré cela, c’est en France qu’il y a eu les
plus fortes mobilisations cette année. Plus préoccupés par des
intérêts d’appareil, bouleversés avec la loi sur la
représentativité et les calculs de recomposition syndicale qui
commencent à se faire, les directions des grandes
confédérations avancent leur projet d’un syndicalisme encore
plus intégré à l’Etat et à cette société.
Mais l’offensive que mènent
les classes dominantes exige une toute autre perspective. La
lutte menée par le patronat et l’Etat est sans merci comme on
peut le voir aujourd’hui à PSA : après avoir touché 3
milliards de subventions publiques, après s’être félicitée de
meilleurs bénéfices que prévus (augmentation de la production
de 30 % par rapport au dernier trimestre 2008), la direction
de PSA annonce un plan de 6000 suppressions d’emplois et
licencie les salariés intérimaires !
Leur cynisme et leur rapacité
n’ont pas d’autre limite que les luttes des travailleurs.
L’avenir, c’est celui d’un syndicalisme combatif et
démocratique, contrôlé par les travailleurs eux-mêmes, osant
contester le droit des patrons à faire ce qu’ils veulent, le
pouvoir de la propriété privée capitaliste.
Laurent Delage