Crise d’identité du NPA ou la démocratie révolutionnaire à l’œuvre ?
L’enjeu
du conseil politique national du NPA qui s’est tenu le
week-end dernier était d’importance puisqu’il s’agissait de
dégager les enseignements des discussions en vue des
élections régionales avec les antilibéraux ainsi que de la
consultation qui venait de se dérouler en son sein. La tâche
était difficile puisque cette dernière n’avait pas permis
qu'émerge une opinion majoritaire. Aussitôt, certains
commentateurs parlent de crise d’identité, de signal
d’alarme, de « turbulence »… Certes personne ne contestera
que le fait que la majorité soit bien peu majoritaire
constitue d’une certaine façon une crise. Mais faut-il
encore s’entendre sur le sens du moment. S’il s’agit d’un
moment d’évolution, de transformation au cours du processus
que nous avons initié, oui, mais c’est une bonne chose, une
nécessité même.
Confrontés
à des choix tactiques, aux pressions des partenaires
antilibéraux avec lesquels nous avons engagé les
discussions, à une situation sociale et politique difficile,
les camarades du NPA discutent, s’interrogent, quoi de plus
normal pour celles et ceux qui ont eu l’audace de s’engager
ensemble dans un processus inédit pour tenter de répondre à
la faillite de la gauche politique et syndicale. C’est même
un signe de bonne santé. Et quoi d’étonnant que dans un
jeune parti les camarades se divisent sans que, pour autant,
cela renvoie à des divergences cristallisées. Quoi
d’étonnant aussi que la position majoritaire soit contestée
alors que les discussions unitaires ont abouti à une rupture
au niveau national ou à des ruptures annoncées dans la
plupart des régions. La position A qui assumait cette
rupture était difficile à porter, il y a une certaine
logique dans le fait qu’elle ait cristallisé les déceptions
voire les désillusions. Même si cela ne suffit certes pas à
expliquer cette contestation qui renvoie aussi à ses propres
ambiguïtés, hésitations, faiblesses, nous y reviendrons.
Mais la discussion engagée au sein du NPA, loin de
l’affaiblir, est nécessaire pour qu’ensemble nous
construisions une plus grande cohérence. Notre cohésion
politique ne se construit pas par en haut, dans une logique
d’appareil, mais par en bas dans une logique démocratique et
révolutionnaire.
Un acquis démocratique
Ce
premier moment de débat national autour de différentes
positions est en soi un pas en avant. De la démarche
consensuelle qui a prévalu depuis la fondation du parti nous
sommes passés à la confrontation des points de vue, de la
compréhension que les uns et les autres nous pouvions avoir
du processus et des choix auxquels il est confronté. Moment
décisif pour forger notre unité, nous approprier
collectivement le NPA, à condition de ne pas discuter des
résultats en simples termes de majorité-minorité mais en
termes de discussion démocratique entre révolutionnaires.
En
effet, la consultation que nous avons organisée n'a rien à
voir avec un simple vote tel que le PS ou d'autres le font,
elle est bien un débat, la mise en œuvre d'une démocratie
révolutionnaire. Loin de l'état d'esprit des batailles
parlementaires, notre démocratie est respectueuse des
différentes positions, permet à chacun de mieux s'approprier
la réalité du débat, son contenu, la situation du parti
lui-même. Elle laisse la place aux évolutions.
Des points d'appui pour
rassembler le parti
Le
premier, faut-il le souligner, est cet acquis démocratique.
Pour avancer, dépasser nos propres contradictions, il
fallait que les points de vue se formulent, s'expriment dans
une démarche ouverte sans esprit fractionnel.
Les
votes contradictoires ne renvoient pas nécessairement à des
divergences de fond. La consultation portait sur une
question de tactique électorale, il ne s’agit pas de
surinterpréter les désaccords. On ne peut que regretter les
mises en scène dramatisant les enjeux de la discussion comme
si telle positionpouvait être responsable de toutes nos
difficultés et telle autre ouvrir la porte du succès !
Ensuite,
et le dernier Conseil politique national en atteste,
l'éclatement du parti en trois positions dont aucune n'a une
réelle majorité n'exprime qu'une part de la réalité.
Derrière cet éclatement il y a des préoccupations communes,
des orientations politiques proches et des points d'appui
pour réunir la grande majorité des camarades. C’est ce qui a
permis que se dégage sur les points essentiels, dont le
contenu de notre campagne, une large majorité au dernier
CPN. C’est ce qui maintenant devrait nous permettre de nous
rassembler pour mener campagne.
Nous
verrons ce qui sortira au final des discussions au niveau
des régions mais les positions, cohérentes et logiques -il
faut le souligner- du PC ruinent la position qui s’acharnait
à croire que tout était encore possible. Il est évident que
quelles que soient les concessions que nous aurions pu
faire, le PC ne voulait pas d'un accord avec nous. Sauf bien
sûr de venir sur ses positions, constituer des listes
autonomes pour mieux aboutir à des majorités de gestion de
toute la gauche. Autant rejoindre le Front de gauche et
liquider le NPA ! Quant à faire un geste de plus pour faire
une démonstration, il n'y en avait pas besoin, le PC
assumait pleinement et la rupture et ses raisons politiques.
A nous aussi de l'assumer.
Et
surtout la vraie discussion est de savoir quelle
démonstration nous voulons faire ? Que nous sommes les plus
unitaires ou les raisons fondamentales de la rupture ?
Dans
le premier cas, nous sommes dans une logique d'unité pour
l'unité, qui nous conduirait de compromis en compromis à
être prêts à participer à des listes n'ayant d'autre
ambition que de constituer pour le deuxième tour et après
des majorité de gestion de toute la gauche.
Or
c'est bien là la cause fondamentale de la rupture avec le
Front de gauche, nous voulons, nous, l'unité dans la clarté
pour exprimer et répondre aux besoins des travailleurs,
porter les luttes et mobilisations. Et le fond de la
discussion est bien là.
Tout
le monde est d'accord sur la justesse de la politique qui
cherche à combiner défense de la politique de parti et
démarche unitaire. La difficulté est l'articulation des deux
dans une politique pratique concrète. Il n'y en a pas de
mode d’emploi qui résoudrait par avance la difficulté.
Une expérience qui exige des
clarifications
Cette
difficulté s'est traduite par une certaine confusion qui a
déstabilisé le parti. Certains regrettent que l'unité ait
échoué, d'autres que le parti n'ait pas assez assumé sa
personnalité, cela renvoie à un désarroi bien plus qu'à des
divergences formalisées. Les hésitations de la majorité de
la direction ont semé le doute. Aller de l'avant suppose de
dépasser les raisonnements politiques qui sont à l'origine
de nos faiblesses.
Déjà,
lors de la campagne des européennes nous avions connu la
même faiblesse, oscillant entre un certain gauchisme prenant
au premier degré le lien entre campagne électorale et
luttes, grève générale, au moment où le mouvement
connaissait un recul, et une timidité pour répondre avec
suffisamment de clarté politique à la démagogie unitaire du
PG. Elle nous avait gênés pour mener une campagne
s’adressant largement aux classes populaires, à toutes
celles et ceux qui sont écœurés par les jeux politiciens et
se réfugient dans l’abstention.
Nous
avons à nouveau cédé aux mêmes défauts. Et cela dès fin juin
avec la rencontre avec le PG et la déclaration commune qui
en est sortie. Au lieu de nous limiter à une déclaration
prenant acte de la rencontre et de nos convergences face à
la crise, nous avons accepté de laisser entendre qu'un
accord était en route. Cette déclaration pouvait de plus
être comprise comme un désaveu de notre campagne européenne.
Chacun
se souvient de la suite. Mélenchon annonçant à la radio un
accord pour les régionales et la stupeur des camarades, le
désarroi, voire la révolte.
A
la rentrée, après l’université d’été, la direction s’est
ressaisie pour engager les discussions unitaires sur des
bases correctes ce qui a abouti à la déclaration commune du
28 septembre. Mais nos faiblesses nous ont rattrapés après
que le PC ait adopté et lancé son offre politique qui
définissait clairement son objectif : aboutir à des
majorités de gestion de toute la gauche dans la continuité
des majorités sortantes. A partir du moment où le Front de
gauche se ralliait à cette position, il n’y avait plus
d’accord possible, il fallait en prendre acte et faire la
démonstration large et publique de la divergence qui rendait
un accord impossible.
Au
lieu de cela, comme une majorité de la direction le
souhaitait, nous avons négocié non sur le fond mais sur les
formules, cherchant un compromis impossible qui rendait
confuse, voire incompréhensible notre propre démarche.
La
difficulté à choisir entre unité pour l'unité et l'unité
pour aider aux luttes et aux mobilisations s'est manifestée
dans notre difficulté à porter le débat sur la place
publique si ce n'est grâce à Olivier Besancenot, au point
que la presse a pu souligner un décalage entre ses
déclarations et une certaine confusion de la direction. Elle
s'est aussi manifestée dans notre difficulté à aider
l'ensemble des comités à s'emparer du débat, à faire
pression sur nos partenaires. Nous n'avons pas assez conçu
l'unité comme une bataille politique publique fonction du
rapport de force mais plutôt comme une négociation où il
s'agissait de trouver la bonne formule tout en jouant des
contradictions de nos partenaires.
Assumer notre personnalité, un
parti pour les luttes des travailleurs et de la jeunesse
Les
débats qui divisent aujourd’hui le NPA participent d’une
crise de croissance à travers laquelle le parti se regroupe,
mûrit, affirme sa personnalité, gagne en confiance, en
compétence. Nous avions à faire ensemble une nouvelle
expérience pour ensemble, dans des rapports démocratiques et
solidaires, en tirer les enseignements, avec esprit
critique, renforcer le parti.
C'est
aujourd'hui le défi que nous avons tous à relever en nous
engageant dans la campagne pour les régionales en lien et
continuité avec l'ensemble de notre activité, en particulier
notre intervention dans les entreprises, les quartiers,
notre travail de recrutement au sein de la jeunesse. Ce défi
ne relève pas que de la bonne volonté mais de notre capacité
à faire les bilans, à apprendre ensemble de chacune des
expériences.
La
question de comment se combine la construction du parti des
travailleurs et la question de l'unité est compliquée, elle
n'a pas de réponse toute faite. C'est une politique qui se
discute à chaque étape, se corrige, connaît des hauts et des
bas...
Il
s’agit de concevoir la démarche unitaire comme une politique
pour le parti, une politique pour les luttes, une politique
pour aider aux évolutions des consciences, à la
politisation.
Cela
n'épuise pas le débat. A chaque étape les deux pôles de la
contradiction sont à l'œuvre, exercent leur pression... Et
la rupture avec le Front de gauche pour les régionales
n'épuise pas non plus le débat. Notre orientation n'est pas
« caduque », elle garde toute sa pertinence. Un des
pièges que nous avons devant nous serait de faire l'opposé
des européennes. Alors que nous nous sommes alors de
trop justifiés, il serait erroné de trop attaquer. Le PC est
certes responsable de la rupture, mais pas coupable devant
le tribunal de l’unité ! Nous faisons de la politique, nous
regrettons que l'unité n'ait pas été possible mais cela
renvoie non pas à des attitudes morales, l’unité étant posée
comme un but en soi, mais à la politique, un désaccord de
fond. Cela veut dire que nous continuons à militer pour
l'unité chaque fois que c'est possible et utile tout en
menant publiquement le débat sur les obstacles à l'unité,
les raisons politiques de son échec : une trop grande
dépendance, plus grande vis à vis des institutions que
vis-à-vis de la défense des intérêts des travailleurs et des
classes populaires.
Les
désaccords qui se sont exprimés à travers la consultation
n'empêchent pas le parti de se retrouver, de se réunir pour
faire face à ses responsabilités. L'urgence est de commencer
la campagne des régionales pour défendre et populariser
notre politique, construire, recruter, éduquer à travers la
bataille politique dans laquelle, de fait, nous sommes tous
engagés. Une campagne pour l'unité des travailleurs, de
leurs organisations pour répondre aux attaques de la droite
et du patronat sur leur propre terrain, celui des luttes
sociales et politiques, celui de leur indépendance de
classe.
Une
nouvelle étape s’ouvre pour le processus du NPA. Après la
première étape de fondation et des premiers pas, la
confrontation avec les forces antilibérales a placé le parti
en position d’affirmer sa propre personnalité, de donner un
contenu concret, pratique, dynamique à l’idée du parti pour
les luttes, parti pour la transformation révolutionnaire de
la société. L'enjeu de la période est bien là, affirmer la
physionomie, la personnalité, le caractère du nouveau parti,
à la fois démocratique et révolutionnaire. Cette bataille se
mène dans l’arène politique la plus large contre la droite
et l’extrême droite, en poursuivant la confrontation
politique avec la gauche libérale mais aussi avec les forces
à la gauche du PS, le Front de gauche et ses satellites
comme avec Lutte ouvrière. Elle se mène aussi en poursuivant
le débat interne pour dégager ce qui nous réunit des
influences qui nous affaiblissent, pour faire vivre la
démocratie la plus large, une démocratie directe qui rompe
avec le fonctionnement des appareils, une démocratie vivante
capable d’associer et qui, pour cela, ne craint ni les
désaccords ni les confrontations, convaincue que ce n’est
que de ce bouillonnement militant, politique, intellectuel
que peut naître un nouveau parti.
Loin
de cristalliser les trois positions qui se sont dégagées à
travers la consultation, il nous faut au contraire relancer
le débat, l’approfondir à la lumière de l’expérience
collective qui déjà unit les militantes et les militants du
NPA.
Une
nouvelle étape commence et la campagne à venir nous
permettra de conquérir une plus grande autonomie politique
pour que le NPA devienne, collectivement, plus à même de
défendre sa propre politique tout en œuvrant à l'unité, en
toute clarté.
Isabelle Ufferte, Yvan
Lemaitre