« Darwin, l'Homme qui tua Dieu »,
titrait récemment, à l'occasion de l'année Darwin, la revue
américaine Science [1]. L'année 2009
est en effet l'année du bicentenaire de la naissance de
Charles Darwin et surtout celle des 150 ans de la parution
de son principal ouvrage « L’origine des espèces par le
moyen de la sélection naturelle ». Ces deux
anniversaires sont l’occasion de nombreux débats polémiques
qui montrent toute l’actualité de la théorie de Darwin qui
est l’objet d’attaques réactionnaires permanentes. Le fait
même de l’évolution est toujours régulièrement nié par les
créationnistes, mais même parmi ceux qui l’acceptent, la
conception philosophique matérialiste de Darwin est
régulièrement attaquée.
Nous
reviendrons dans les prochains numéros de Débat
Révolutionnaire sur différents aspects de cette théorie de
l’évolution de Darwin, et sur les débats qu’elle suscite,
ses implications et son apport au marxisme. Il nous semble
en effet important de se saisir de l’occasion pour mener la
bataille d'idées pour le matérialisme face à la montée des
idéologies réactionnaires autant il est vrai que le marxisme
ne prétend à rien d’autre que de s’emparer des progrès les
plus avancés de la science pour poursuivre son œuvre
démocratique et révolutionnaire.
Les
déclarations récentes du pape Benoît XVI et de quelques
évêques sur le préservatif et le SIDA s’inscrivent dans ce
retour des idées les plus rétrogrades qui n'hésitent pas à
nier des connaissances scientifiques les plus élémentaires
au nom de la morale religieuse. C’est dans ce contexte qu’il
faut aussi placer le discours de Sarkozy au Palais de Latran
à Rome en décembre 2007. Après avoir multiplié les
références aux « racines chrétiennes de la France »,
« fille aînée de l’Eglise », il a finalement donné
une explication très politique de ce retour de la morale et
du religieux : « (...) la République a intérêt à ce qu’il
existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions
religieuses. (…) parce qu’une morale dépourvue de liens
avec la transcendance est davantage exposée aux
contingences historiques et finalement à la facilité. »
Les
classes dirigeantes, pour justifier leur domination sociale,
ont toujours cherché à promouvoir la morale religieuse la
plus rétrograde, celle qui en appelle au respect de Dieu, de
l’ordre établi, donc du pouvoir des riches et des puissants.
Au moment où leur société s’enfonce dans une crise globale
financière, économique, sociale, écologique, où leur pouvoir
y perd en légitimité, il n’est pas étonnant d’assister à une
offensive inquiétante de ces idéologies religieuses. Toutes
les idées porteuses de liberté, de contestation,
d'émancipation, et donc la connaissance scientifique dans ce
qu'elle a de plus fondamental, sont combattues par ce retour
d’idéologies qui voudraient imposer une morale archaïque à
toute la société. Cette offensive passe par une attaque
contre la philosophie matérialiste, c’est-à-dire celle sur
laquelle repose toute démarche scientifique conséquente. La
méthode matérialiste est à la base de la connaissance
objective, scientifique du monde, de la compréhension des
lois naturelles comme des lois historiques et donc elle
donne aux hommes les moyens d’agir pour modifier leur sort.
C’est pour cela que la défense d’une méthode matérialiste
est à la base même de notre programme pour une
transformation révolutionnaire de la société.
Le matérialisme, la méthode
scientifique pour comprendre le monde et son
évolution...
La théorie de
l'évolution des êtres vivants à laquelle Charles Darwin a
donné une base scientifique est aujourd’hui reconnue comme
le cadre fondamental pour comprendre le monde vivant. Depuis
150 ans, tous les progrès de la science dans le domaine des
sciences de la vie et de la Terre, sont venus enrichir,
compléter et donc confirmer cette théorie de l'évolution.
Dans sa forme modernisée, la théorie de l’évolution intègre
l’ensemble des données de la géologie et des mouvements du
globe, les découvertes de nombreux fossiles, le
développement de la biologie cellulaire et des mécanismes de
l'hérédité, l'étude du développement embryonnaire, de
l’anatomie comparée… et de bien d’autres données qui
n’existaient pas encore à l’époque de Darwin. C’est une
théorie qui rend compte de l’état présent du monde vivant,
qui explique sa très grande diversité et sa profonde unité
en les enracinant dans l’histoire même de la vie.
Bien
sûr, bien des points dans cette extraordinaire histoire de
l'apparition, du développement, de l'évolution des êtres
vivants sur notre Terre depuis 4,6 milliards d'années
restent à éclaircir. Les scientifiques travaillent encore à
étudier les étapes qui ont conduit à l'émergence de la vie à
partir du monde minéral. De même, des grandes étapes de
l’évolution des animaux, ses mécanismes, restent à préciser
ou à élucider comme celle de ces mammifères qui ont donné la
lignée des primates, des singes, et parmi eux les
différentes espèces humaines jusqu’à notre espèce actuelle.
Et
ce n'est finalement que tout récemment que l'on prend
vraiment conscience des implications écologiques de cette
longue histoire des êtres vivants qui nous obligent à penser
la Terre en incluant tous les être vivants, humains compris,
en relation étroite avec leur environnement, comme un tout
reposant sur des équilibres dynamiques en perpétuelle
évolution.
Il
y a donc encore bien de nouvelles découvertes à faire, mais
elles se feront dans le cadre même du développement de la
théorie de l’évolution car comme le résumait en une formule
un biologiste américain : « Rien en biologie n’a de sens,
si ce n’est à la lumière de l’évolution »[2].
… mais qui est toujours
remis en cause par les Églises
Malgré
cette reconnaissance du monde scientifique, Darwin et sa
théorie sont encore l'objet de nombreuses attaques ouvertes
ou plus masquées.
Depuis
plusieurs années on assiste à une offensive régulière des
créationnistes et autres courants intégristes de toutes les
religions qui voudraient ramener toute connaissance à la
seule lecture fidèle du Coran, de la Bible, ou de la Torah.
Aux États-Unis les fondamentalistes veulent que le récit de
la création soit enseigné comme une théorie scientifique.
Mais en Europe aussi les intégristes sont à l’offensive.
Ainsi, en 2007, un livre financé par un intégriste,
millionnaire Turc, l’Atlas de la création, érigeant
la théorie de l’évolution comme le mal absolu, a été envoyé
gratuitement dans un grand nombre d’établissements
scolaires.
De
son côté ce n’est qu’en 1996 que l'Église catholique
« officielle », par l’intermédiaire de Jean-Paul II, a
déclaré que l’évolution ne devait plus être considérée comme
« une simple hypothèse », tout en mettant en garde
contre « les théories de l’évolution qui, en fonction des
philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme
émergeant des forces de la matière vivante ». Tout
récemment en mars 2009, elle a organisé à Rome un colloque:
« L’évolution biologique : faits et théorie. Une
évaluation critique, 150 ans l'origine des espèces »,
à l’occasion duquel un certain Mgr Gianfranco Ravasi a
déclaré : « Il n'existe aucune incompatibilité entre la
théorie de l'évolution et le message de la Bible ou la
théologie ». Ses compétences scientifiques doivent
être du même ordre que celle de l’évêque d’Orléans qui,
emboîtant le pas au Pape, déclarait que le virus du SIDA
peut traverser un préservatif !
Même
si elle ne peut pas s'empêcher de faire étalage de son
caractère profondément réactionnaire, l'Église est bien
obligée de s'adapter au progrès de la connaissance
scientifique du monde. Depuis longtemps déjà, elle a dû
régulièrement mettre de l'eau dans son vin de messe. Ainsi
elle a déjà du finir par reconnaître que, aux XVI° et XVII°
siècles, Copernic puis Galilée (officiellement réhabilité
en… 1992 !) avaient bien eu raison de dire que la Terre
tourne autour du Soleil alors que l'Église imposait alors le
dogme, fidèle à la Bible, que la Terre est le centre de
l'Univers.
Depuis
150 ans, elle a aussi dû reconnaître, même si c'est du bout
des lèvres, qu'il y a bien une évolution des êtres vivants,
mais cela a toujours été en cherchant à réintroduire Dieu
comme chef d'orchestre. De leur côté, une partie des
fondamentalistes créationnistes, dans leur offensive contre
Darwin, ont fini par admettre eux aussi l’évolution mais...
en tant qu'œuvre de Dieu. L’évolution serait pour eux
orientée, guidée par une main invisible dont le seul but
aurait été d'arriver à l'Homme.... c’est ce qu’ils appellent
le « dessein intelligent » qui n’est qu’une façon de
cacher derrière un discours pseudo-scientifique le mythe
d’une création divine et de refaire des hommes l’œuvre d’un
Dieu auquel il faudrait se soumettre. Le dessein intelligent
prétend être une théorie scientifique mais ne fait
qu'utiliser un vocabulaire scientifique pour mieux faire
passer le même vieux fatras biblique.
L'Église
est pour le moins ambigüe face à cette nouvelle offensive
des fondamentalistes, puisqu’en 2006 lors d’une rencontre de
théologiens autour de Benoît XVI, un cardinal autrichien a
déclaré que le
darwinisme
et le « dessein intelligent » n’étaient pas
incompatibles. L'Église est d’autant plus sensible à cette
« pseudo-théorie » du dessein intelligent que, si elle a
bien dû reconnaître le fait même de l’évolution, elle ne
peut accepter le contenu le plus révolutionnaire de la
pensée de Darwin : le matérialisme.
Une théorie scientifique
aux implications philosophiques profondes
La
théorie scientifique de l'évolution développée par Darwin
reste indigeste pour les Églises et leurs défenseurs parce
qu'elle a de profondes conséquences sur le plan
philosophique et remet en cause les bases même des
religions.
La
théorie de Darwin n'est pas la première des théories de
l'évolution, mais elle est la première a proposer une
explication scientifique, un mécanisme objectif pour cette
évolution. Cela a révolutionné les sciences de la nature en
faisant de la théorie de l'évolution la base de la biologie
scientifique moderne. C’est dans les faits eux-mêmes, leur
association, leur développement qu’il faut chercher
l’explication de l’évolution du monde vivant et non dans une
force qui lui serait extérieure.
Darwin
a montré comment la vie se développait, se diversifiait, en
s'adaptant à un environnement lui-même en perpétuelle
évolution et que pour cela il n'y avait pas besoin d'aller
chercher une cause extérieure au monde vivant lui-même. Pas
de « dessein intelligent », aucune main de Dieu,
aucune intervention divine ou extérieure à la nature.
L’évolution, pour Darwin, est régie par un mécanisme
« aveugle » au sens où il n'est pas la réalisation d'un plan
préétabli...
C'est
une théorie matérialiste de l'évolution du monde vivant,
comme de l'émergence en son sein des sociétés humaines.
Le
matérialisme de la théorie de Darwin sape les fondements de
la croyance religieuse, comme il bouscule plus largement
toutes les idéologies qui voient dans l'Homme un être à
part, à côté voire au-dessus, du monde naturel. Cela ouvre
la possibilité pour l’Homme de mieux se comprendre et, donc,
d’agir consciemment sur son propre destin.
Copernic
et Galilée avaient montré que l'Homme n'habitait pas le
centre de l'univers, Darwin a complété cette révolution des
idées en montrant qu'il n'est pas un être à part, mais une
espèce partie intégrante d'un monde vivant produit de toute
une évolution, de toute une histoire qui n’est écrite nulle
part à l’avance mais s’écrit en marchant ! Ni chef-d’œuvre
d'une création divine, ni même point d'orgue d'une évolution
dont il serait l'aboutissement, conscient de sa pleine
intégration au monde naturel, il ne reste plus à l'Homme
qu’à se donner les moyens de prendre en main sa propre
histoire !
Et
c’est bien sa portée émancipatrice que combattent les
religieux et idéalistes dans la théorie de Darwin, ce
matérialisme militant, au sens d’une philosophie, d’une
méthode permettant aux hommes d’agir pour prendre leur
destin en main.
En
effet, les classes dominantes ont toujours eu besoin de
prôner le respect d'un ordre moral comme base du respect de
l'ordre établi. Quand l’intérêt collectif et social ne peut
pas être invoqué comme base de l'organisation sociale, parce
que la crise du système et ses conséquences révèle la
faillite des pouvoirs en place, il ne reste plus pour
justifier le pouvoir parasite d’une minorité que
l'invocation de Dieu, avec l'aide des Églises et de leurs
morales rétrogrades. Au-delà des fioritures « humanistes »
dont elle aimerait se parer, la morale religieuse n’a
d’autre sens que de justifier les pouvoirs en place dans le
ciel comme sur Terre et d’essayer d’en inspirer la crainte à
défaut du respect.
C’est
dans le cadre de cette montée des idées réactionnaires, que
le combat pour la défense de la théorie de l’évolution de
Darwin et de la méthode matérialiste prend toute son
importance. La lutte pour l’émancipation nécessite de
comprendre notre place dans la nature, la façon dont le
monde vivant a changé, la façon aussi dont les hommes ont
transformé la nature, construit des sociétés, fait
l’histoire, pour comprendre comment, aujourd’hui, ils
peuvent changer la société et changer leur vie.
Les
opprimés ont besoin de la méthode matérialiste qui seule
peut donner cette compréhension des enjeux et des conditions
objectives du combat, pour pouvoir agir consciemment,
conquérir la liberté.
[1]- Repris dans Courrier International
n°94 – février 2009
[2]- Théodosius Dobzhansky, “Diversité
génétique et égalité humaine”, 1973.