Donner des perspectives au mécontentement
La
manifestation de la Fonction publique du 21 janvier témoigne
de la colère qui se développe face aux suppressions
d’emplois et plus généralement face à la politique du
gouvernement qui veut faire payer la facture de la crise à
l’ensemble de la population.
Dans la Fonction publique, les
manifestants ont voulu dénoncer leur ras-le-bol face aux
mauvais coups qui se multiplient : 100 000 emplois supprimés
dans la fonction publique d’Etat depuis 2007, 16 000
suppressions de postes dans l’Education nationale pour 2010
(après 13 500 en 2009 et 11 200 en 2008), 3 600 suppressions
à la SNCF d’après les syndicats,… la liste s’allonge.
Cette politique de suppressions
d’emplois est aggravée par les différentes contre-réformes
du gouvernement : RGPP, loi sur la mobilité passée cet été,
mise en application de la loi Bachelot dans la santé, Loi
Chatel dans l’Education, etc. Les objectifs du gouvernement
sont clairs, faire des coupes claires dans les services
publics et les budgets sociaux.
Avec
100 000 manifestants, la journée de grève a été suivie. Mais
celle-ci reste sans perspectives concrètes, sans politique
pour que ce mécontentement puisse faire tâche d’huile, ce
qui a pesé sur l’ampleur de la mobilisation.
Après
le cycle de luttes de l’année 2009 et le refus des
directions syndicales de s’affronter au pouvoir, le
sentiment de gâchis face aux réelles possibilités d’inverser
le rapport de force pèse sur les salariés. Mais la révolte
face à la politique des classes dominantes est loin de
s’atténuer. Les luttes dans le privé face aux licenciements
ou contre la répression patronale continuent, comme la
manifestation de soutien lors du passage au tribunal des
« Conti », les grèves à Philips, Freescale, etc. La presse
patronale elle-même s’inquiète de voir se redévelopper des
luttes sur les salaires, comme à la RATP, à Sanofi ou à
Total. Un organisme de DRH de grandes entreprises prévoit
même « des
négociations salariales périlleuses ».
Mais
pour peser, encore faut-il que le mécontentement qui
s’accumule puisse se retrouver dans une politique capable
d’unifier, de donner confiance dans les possibilités de la
lutte, dans la légitimité de s’en prendre au capitalisme.
Le gouvernement orchestre la
campagne sur la maîtrise des déficits
Après la crainte d’une contestation
sociale d’ampleur en 2009, Fillon a entamé la nouvelle année
avec un autre refrain : la croissance sera plus forte que
prévue, nous sortons de la crise, « le
temps des efforts budgétaires »est
venu. Et ses fameux efforts, ce sont les suppressions de
postes dans la fonction publique, mais aussi les
retraites, la santé, etc.
Une
véritable campagne s’engage sur le thème des déficits.
Sarkozy s’apprête même à organiser le 28 janvier une « conférence
des déficits publics » avec le Parlement, les
collectivités locales et les organismes sociaux dans le but
de « faire pression sur tous les acteurs de la dépense »
comme le dit Woerth.
Mais c’est
la propre politique du gouvernement qui a creusé la dette
publique lorsqu’il
mettait sur la table 360 milliards pour les banques : 320
milliards de liquidités qu’elles pouvaient emprunter à des
taux réduits pour spéculer à nouveau et 40 milliards de
subventions directes ! A l’époque, Lagarde déclarait même :
« Il n’y aura pas de coût pour l’Etat, mais un bénéfice »…
Au contraire, la dette
publique a battu des records en 2009 : rien qu’au 3ème
trimestre, elle a progressé de près de 30 milliards.
Dans le même temps, les
bourses affichaient des progressions spectaculaires : plus
22,32 % pour le CAC 40 en 2009. Les grandes entreprises de
l’automobile, comme Renault et Peugeot, profitant des
subventions tout en licenciant ou en supprimant des
emplois, ont vu bondir leurs actions de près de 95 % !
A propos du
scandale des bonus, Lagarde dit qu’elle « attend des
banques de la mesure et de la modération »... Les
traders employés à Paris s'apprêtent à toucher près d’un
milliard d'euros de primes en mars, soit l'équivalent de ce
que touchent 62 000 personnes payées au smic pendant un an !
Cette campagne sur les déficits a
un premier but évident, celui de préparer le terrain aux
attaques sur les retraites.
Sarkozy et le gouvernement se
veulent prudents sur le contenu de la contre-réforme qu’ils
veulent imposer, au moins jusqu’aux élections régionales.
Mais l’objectif est clair, comme l’a dit Darcos devant le
Sénat : « Dans un
pays dont l'espérance de vie s'accroît d'un trimestre
chaque année, nous n'avons d'autre solution que de
travailler plus longtemps ».
Dans ce concert de soutien à la
politique de Sarkozy, les voix ne manquent pas comme celle
de Minc : « Nos déficits sont aussi sociaux et concernent
les retraites et la santé. Il faut jouer sur le niveau des
pensions, sur leur indexation et sur la durée de
cotisation (…) La réforme des retraites sera aussi un
signe de sérieux adressé au monde entier ».
Le PS vient même d’apporter son
soutien par l’intervention publique d’Aubry qui se rallie au
passage aux 61 ou 62 ans.
… avec le soutien du PS
Sitôt les
mots lâchés, les formules de ralliement se sont mises à
fuser au sein du PS : Valls
veut un « pacte national », Montebourg un « compromis
national » et Rocard, auteur du livre blanc sur les
retraites de 1990, a salué le « courage » d’Aubry en
soulignant qu’elle « lève un obstacle »… à la
politique de Sarkozy. Fillon s’est d’ailleurs empressé de se
« réjouir » de ce florilège de consensus derrière sa
politique.
Aspirés par
leurs soifs du pouvoir, tous postulent à jouer leur rôle de
défenseurs du système capitaliste et des intérêts des
classes dominantes. Ce faisant, ils apportent leur soutien à
Sarkozy au moment même où il se trouve en difficulté, avec
la taxe carbone retoquée et le débat sur l’identité
nationale qui se retourne contre lui.
Alors que
tous les ralliements se voient au grand jour, donner une
perspective au mécontentement est une tâche
politique essentielle, d’autant que sur le terrain social,
les directions syndicales restent dans leur rôle de « partenaires
sociaux ».
Les directions syndicales
engluées dans la politique de Sarkozy
Comme en témoigne la manifestation
du 21 janvier, le mécontentement est bien présent. Mais il
reste sans perspective immédiate devant le refus des
directions syndicales de mettre en œuvre une politique de
réelles convergences des luttes, en commençant déjà par
rompre la politique du « dialogue social » avec Sarkozy.
C’est justement sur cette politique
qu’il compte pour faire passer sa contre-réforme des
retraites sans affrontement majeur avec les salariés. Lors
de ses vœux aux organisations syndicales, résumés dans un
article du Monde par « continuer ensemble », il leur
a dit ce qu’il attend d’elles : « Notre
pays ne s'est pas déchiré parce que nous avons agi vite,
ensemble, avec un sens aigu des responsabilités qui sont
les nôtres ».
Chérèque a
d’ailleurs rapidement fait son offre de service, en
s’appuyant sur les déclarations d’Aubry : «
l'évolution du discours du Parti socialiste est
intéressante. Un consensus sur les retraites serait
intelligent. La France n'a pas besoin d'un conflit d'un
autre temps sur ce sujet ».
Quant aux
autres organisations syndicales, si elles n’ont pas soutenu
le discours d’Aubry, elles acceptent de s’insérer dans le
calendrier de Sarkozy et son « agenda social » qui
commencera dès le 15 février sur les retraites. Mais côté
revendications, elles se refusent à formuler la légitimité
du retour aux 37,5 annuités pour tous, public et privé,
départ à 60 ans avec 75 % du salaire en mettant en
accusation la politique du gouvernement qui crée le déficit
en subventionnant à fonds perdus.
Conséquence
de leur refus de l’affrontement avec le pouvoir en 2009, les
capitulations des directions syndicales se poursuivent. Au
lieu d’être offensives et de dénoncer la politique de
Sarkozy et de ses soutiens de tout bord, elles sont dominées
sur le terrain politique, sans volonté d’exprimer la révolte
des travailleurs face à la situation.
Faire
de la politique, offrir une perspective au
mécontentement
Face
à la brutalité des attaques, une fraction nombreuse de la
jeunesse, des travailleurs, est à la recherche d’une
politique pour se battre. Cela se voit dans des grèves, dans
les manifestations où des équipes militantes se battent pour
qu’elles soient des succès, pour créer des convergences et
des liens militants, etc. Mais offrir une perspective au
mécontentement est avant tout une tâche qui a lieu sur le
terrain politique. Les luttes ne peuvent se libérer du poids
des capitulations qu’en contestant consciemment la politique
des classes dominantes.
Notre
tâche dans une telle situation est de légitimer la révolte
face au cynisme du pouvoir, qui veut faire payer la
population pour maintenir le parasitisme d’une poignée de
privilégiés. Il nous faut donner l’envie de faire de la
politique, dans les luttes, dans les élections, pour rompre
tous les diagnostics partagés et renforcer la conscience de
classe.
C’est
sur ce terrain que nous pouvons défendre des revendications,
un programme au service des intérêts des travailleurs, des
jeunes, pour eux et par eux, afin qu’ils puissent s’en
saisir pour mener leurs propres luttes.
Laurent
Delage