L’égalité homme-femme au coeur de la démocratie et des luttes d’émancipation
Depuis deux semaines, le NPA est
l’objet d’une virulente et hypocrite campagne suite à
l’annonce de la présentation par les camarades du Vaucluse
sur les listes régionales PACA d’une jeune femme voilée. A
partir d’une exception, tous les partis institutionnels, la
droite en tête, échafaudent raisonnements, polémiques,
accusations, se disputant la place du meilleur défenseur des
droits des femmes et de la laïcité. Par delà l’outrance des
propos, la comédie de tous ces tartuffes posant au champion
de l’égalité entre les sexes est pour le moins ridicule et
surtout cynique. Mais, que ce soient des militants du NPA et
la confusion des réponses apportées qui leur en donnent
l’occasion suscite une légitime incompréhension, voire de la
désapprobation au sein même du NPA et bien au-delà. Comment
peut-on laisser penser que féminisme et port du voile, un
signe d’oppression des femmes, puissent aller de pair ?
Comment concilier internationalisme et un geste qui se
désolidarise, de fait, du combat mené par les femmes et tout
le mouvement ouvrier et démocratique contre l’emprise des
religieux qui imposent aux femmes le port du voile ? Comment
invoquer la laïcité pour justifier ce choix alors que
celle-ci vise à définir les rapports entre Etat et religion
et non la politique d’un parti anticapitaliste, et surtout
qu’elle fait de la religion une affaire privée ?
Faut-il le préciser, ces questions
ne remettent nullement en cause la sincérité personnelle de
Ilhem Moussaïd, de son
engagement. Nous n’étions pas de celles et ceux qui
voulaient que le NPA retire sa candidature, cédant ainsi à
une campagne de la bourgeoisie. Mais la solidarité de
parti ne saurait faire accepter la mise devant le fait
accompli, elle exige bien au contraire le débat pour faire
vivre la démocratie.
Croire que présenter une militante
portant le voile puisse constituer une réponse à la campagne
de diversion raciste et xénophobe, anti-immigrés, de la
droite relève de l’aveuglement. Une telle réponse se place,
qu’elle le veuille ou non, sur le même terrain que celui
qu’a choisi l’adversaire. Cela nous met en position de
faiblesse et en contradiction avec nous-mêmes, oblige chacun
à être pour ou contre sans débat. C’est tout au plus un
geste de protestation mais ce geste ne va pas dans le sens
de la lutte collective pour construire l’unité des classes
populaires. C’est bien cela qu’il s’agit pour nous de
discuter pour essayer de définir une attitude, une politique
avec l’ensemble du parti, plus largement avec l’ensemble du
mouvement social et de ses militants quelles que soient leur
origine, leur histoire politique, les traditions du milieu
dont ils sont issus… Ce texte voudrait contribuer à cette
discussion nécessaire et indispensable même si nous sommes
de celles et ceux qui regrettent qu’elle s’engage dans de
bien mauvaises conditions.
Sortir
des simplifications et des confusions
Il est bien difficile de se
retrouver dans un débat instrumentalisé par la droite et qui
part dans tous les sens. La première chose est de préciser
ce dont nous discutons nous et au nom de quoi nous en
discutons. La
possibilité d’une personne ayant des croyances religieuses
de rejoindre notre parti ? D’une femme portant le voile ? Ou
sur la possibilité d’être candidate ou candidat ? S’agit-il
de l’attitude du parti vis-à-vis de la religion ? De
l’attitude de l’Etat vis-à-vis des religions ? De la
laïcité ? De la place particulière de l’Islam ? C’est bien à
l’ensemble de ces questions qu’il s’agit de répondre,
vis-à-vis desquelles il nous faut tenter de définir une
démarche, une politique commune, préciser nos analyses.
Et, bien évidemment, nous ne
discutons pas du point de vue de la République et de ses
prétendus principes mais de celui de l’unité du monde du
travail et des luttes d’émancipation. L’hostilité de toutes
les forces dites républicaines contre nous obéit à une
certaine logique. Nous ne sommes pas républicains, mais
démocrates et révolutionnaires, nous avons toujours combattu
cette république coloniale et impérialiste. Nous discutons
du point de vue d’un parti internationaliste. Il est clair
que cette discussion se situe sur un autre terrain que celui
de Marie-George Buffet ou de Jean-Luc Mélenchon qui
discutent au nom de la république. Dans les nombreux
paradoxes qui traversent le débat en cours, il est
symptomatique de la confusion ambiante de voir des camarades
farouches partisans de l’unité à tout prix et, parfois, à
n’importe quel prix avec le Front de gauche se faire
aujourd’hui les tout aussi farouches défenseurs de la
candidature d’Ilhem. Paradoxe qui renvoie à la faiblesse du
NPA, sa difficulté à agir avec cohérence en parti affirmant
sa propre personnalité.
Le point de départ de la discussion
porte bien sur notre projet commun, ce qui nous réunit et
donc ce que signifie militer ou sympathiser avec le NPA, le
représenter. La première question n’est pas de savoir qui on
accepte ou pas mais bien ce à quoi adhèrent celles et ceux
qui nous rejoignent. Et c’est bien parce que le fait qu’une
camarade portant le foulard islamique soit candidate est
compris comme une remise en cause de ce qui nous réunit
qu’elle pose problème. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui
que ce soit mais de définir notre compréhension commune de
ce qui nous réunit.
Nous sommes réunis par un projet
qui prend appui sur un certain nombre d’idées qui ont un
contenu universel. Ces idées définissent le contenu même du
mot socialisme en tant que perspective pour l’ensemble de
l’humanité. Elles plongent leurs racines dans l’histoire des
sociétés, des faits économiques, des luttes d’émancipation,
dans l’histoire des idées elles mêmes, des connaissances
scientifiques. Nous ne sommes certes pas positivistes,
scientistes au sens où nous ne croyons pas que la science
échappe au rapport de classe ni que ses seuls progrès et
leur application puissent suffire à transformer le monde et
à libérer l’Homme. Mais nous sommes convaincus que ces
progrès conditionnent les possibilités de transformation
révolutionnaire, d’émancipation humaine. Ils permettent à
l’humanité et en particulier aux classes exploitées de
s’unir par delà les frontières tout en élargissant l’accès à
la culture, à la compréhension de l’histoire et du monde. Le
progrès des connaissances est le fondement même de la
démocratie et de la liberté, du moins si le monde du
travail, qui en crée les conditions matérielles, peut se les
approprier alors qu’aujourd’hui le capital les accapare à
ses seuls fins parasitaires, réactionnaires, les amputant de
leur dimension contestatrice.
Parmi ces progrès, il en est un, la
théorie de l’évolution, qui considère que tous les
phénomènes sont le produit d’une histoire et n’ont d’autres
explications que cette histoire sans autre intervention
extérieure non objective. Dieu est une hypothèse dont nous
n’avons pas besoin. Cette théorie est un des progrès
fondamentaux de la pensée. Le marxisme en est une des
branches appliquées aux sciences sociales et aux luttes
d’émancipation comme le Darwinisme l’est dans le domaine de
l’évolution du monde vivant. De ce point de vue, le
socialisme n’est pas une idéologie, un choix moral, mais
bien une théorie qui s’inscrit dans une conception
scientifique globale, la théorie de l’évolution.
La bourgeoisie tout en étant
obligée d’accepter celle-ci cherche en permanence à la
remettre en cause - voir le combat acharné des
réactionnaires aux USA pour imposer l’enseignement des
conceptions créationnistes. Et bien évidemment nous ne
sommes pas neutres mais nous militons pour contribuer à une
élévation de la conscience collective, l’appropriation d’une
conception matérialiste nécessaire à l’émancipation
humaine.
Défense
du matérialisme militant et idéalisme religieux
Nous nous définissons comme athées,
comme matérialistes au sens philosophique du terme. Nous
pensons que les religions ont, comme tout, une histoire,
qu’elles sont le produit de l’histoire de l’humanité,
qu’elles ont pu contribuer au progrès qui s’est forgé sa
route à travers des sociétés de classe, d’oppression,
qu’elles ont la plupart du temps justifiées. Dieu ou les
Dieux sont une invention de l’esprit humain qui s’en
libérera quand l’homme aura transformé ses conditions
d’existence au point de les maîtriser et de vivre en
harmonie avec les siens et avec la nature sans avoir besoin
ni des contraintes morales ni de la promesse du paradis…
Mais notre attitude est celle d’un
parti démocratique convaincu que sa seule force est la
conscience des opprimés dont il n’est rien d’autre que
l’expression organisée et militante. Nous voulons convaincre
par la discussion, l’éducation, à travers les luttes pour le
bien-être et les droits démocratiques des classes opprimées.
Nous défendons, popularisons nos conceptions, nous fondons
nos analyses et perspectives sur elles mais nous ne pensons
pas convaincre par des mesures d’autorité ou
administratives. Ceci dit, nous combattons le pouvoir
matériel des Eglises et différents clergés qui sont là pour
embrigader les masses et défendre l’ordre établi. Contre les
Etats théocratiques comme Israël ou l’Iran mais aussi quand
cela se fait à l’ombre d’un Etat dit laïc. L’articulation
entre ces trois composantes – attitude démocratique
vis-à-vis des masses, défense de nos conceptions, lutte
contre la force matérielle des religions et des Etats- est
une question politique qui n’a pas de réponse toute faite
mais s’écrit à travers la lutte.
Il est très fréquent que soit
invoqué le principe de laïcité pour justifier la neutralité
à l’égard des religions. Il y a là une confusion. La laïcité
régit les rapports entre l’Etat et les religions. Cette idée
était au coeur de la lutte contre l’influence de l’église
sur l’Etat presque un siècle après la révolution de 89. Elle
a abouti à la loi de 1905 qui est un compromis favorable à
la bourgeoisie contre le socialisme. A partir de cette
lutte, l’idée de laïcité a pris plusieurs contenus. Sarkozy
se réclame d’une laïcité ouverte c'est-à-dire où l’Etat
marche la main dans la main avec les religions et tout
particulièrement avec la religion dominante, l’église
catholique ! Pour nous, elle signifie une totale
indépendance de l’Etat vis-à-vis des religions, libres, dans
le même temps, d’exister par leurs propres moyens sans aide
ni subventions à partir des fonds publics.
Le principe vaut pour les rapports
de l’Etat et de la société civile, il ne vaut pas au sein du
parti qui est une libre association de femmes et d’hommes
unis par un même projet, une même philosophie, le socialisme et le communisme.
Le raisonnement qui efface cette différence, revient à
effacer nos délimitations, ce qui fonde la nécessité d’un
parti des travailleurs pour se contenter de défendre un
point de vue général, un principe, hors du combat politique
réel.
Notre parti est une libre
association de personnes qui partagent la même philosophie
matérialiste. Ceci dit notre matérialisme est militant et
démocratique et notre parti ne rejette pas celles et ceux
qui partagent notre programme sans pour autant s’être
approprié une philosophie matérialiste et qui conservent des
croyances religieuses. Cela à partir du moment où ils
connaissent et acceptent notre point de vue et où ils ne se
livrent pas à un prosélytisme religieux. Et c’est quand même
un sophisme étrange que d’invoquer la laïcité pour justifier
de présenter une candidate portant le voile.
Croyances
religieuses et luttes d’émancipation
La
question de savoir si des personnes ayant des croyances
religieuse peuvent militer dans notre parti ne se pose pas
dans les mêmes termes selon le contexte social et historique
ou n’a pas la même importance. Elle ne se pose pas dans les
mêmes termes aujourd’hui que dans la Russie du début du
siècle dernier ou en France, pays de la révolution de 89, et
au Pakistan par exemple. Ceci dit, à partir du moment où
nous acceptons que des croyants puissent nous rejoindre en
toute connaissance de nos propres conceptions matérialistes,
il est difficile de codifier jusqu’où peuvent ou pas
s’exprimer leurs croyances, port du voile, de la kipa ou de
la croix… Notre démarche vise à convaincre, entraîner,
associer à notre combat émancipateur et non à nous aligner
sur des préjugés. C’est bien cela qu’il s’agit d’apprécier
plutôt que de formaliser un problème qui ne peut être que
très marginal dans un pays comme la France. C’est vrai aussi
pour le port du voile qui reste marginal y compris dans les
populations d’origine maghrébine.
Ce dernier prend une signification
particulière du fait qu’il est un symbole de l’oppression
des femmes, de soumission contraire aux idées du féminisme.
Mais si une femme qui connaît notre philosophie, qui sait que nous considérons le
voile comme un symbole d’oppression, que nous soutenons, ici
et dans le monde, la luttes des femmes et de tous les
démocrates contre les religieux qui veulent l’imposer,
souhaite militer avec nous, nous ne la rejetons pas. C’est à
elle d’assumer ses contradictions. Certes, le port du voile
n’est pas le seul symbole d’oppression des femmes. Il y en a
des « laïcs » qui les rabaissent au rang d’objet sexuel ou
consacrent, même civilement, la propriété de l’homme sur
elles. Nous n’y sommes pas plus indifférents mais cela ne
veut pas dire que nous tirons un trait d’égalité entre tout
dans une même condamnation morale qui, au final,
banaliserait… le voile !
Une femme portant le voile
peut-elle représenter notre parti, être candidate ? La
question se pose en termes politiques. Quand nous discutons
pour choisir une ou un candidat ou porte-parole nous voulons
choisir qui est le plus à même de nous représenter, de
porter le message collectif, les idées que nous voulons
faire passer. Le port du voile, symbole d’oppression, rend
cela impossible. Il ne s’agit pas d’une discrimination mais
d’un choix politique. Et militer pour, comme l’ont fait et
le font un certain nombre de camarades est un choix qui
rentre en contradiction avec ce qui nous réunit. Il revient,
volontairement ou non, à faire un geste public et politique
vis-à-vis des milieux religieux, s’oppose de fait au
féminisme, à notre philosophie. Il vise à faire d’un cas
d’exception un geste politique qui ne peut être perçu et a
été perçu comme un geste contraire aux luttes féministes.
C’est bien là l’erreur des camarades du Vaucluse, le
désaccord que nous avons avec eux et celles et ceux qui ont
contribué à mettre les militants du parti devant un fait
accompli.
Ceci dit, à aucun moment nous
n’avons demandé, pour notre part, le retrait d’Ilham de la
liste PACA. Ce qui est fait est fait et nous n’allions pas
céder à la pression de la campagne menée contre nous. Mais
ne pas céder ne signifie en aucun cas justifier et encore
moins accepter.
Quelle politique vis-à-vis des
quartiers populaires?
Le geste politique des camarades du
Vaucluse part, si nous comprenons bien, d’une double
préoccupation. D’abord faire un geste de réponse à la
politique et à la campagne discriminatoire, xénophobe et
raciste du pouvoir. Ensuite s’adresser aux milieux
populaires de religion musulmane pour leur dire que notre
combat est le leur. Nul besoin d’un tel geste pour s’opposer
au pouvoir et à la loi sur le voile ou celle sur la burqa,
bien au contraire même. Le geste des camarades affaiblit le
caractère démocratique de notre position, la caricature et
la dénature. Ensuite, les gestes que nous avons à faire
vis-à-vis de la population des quartiers s’adressent à
toutes et tous pour unir - et non diviser - par delà les
origines et les religions autour des exigences sociales et
démocratiques.
Notre intervention dans les
quartiers s’organise autour d’un programme d’urgence sociale
et démocratique. Il serait suicidaire de chercher des
raccourcis en faisant des compromis avec des religieux ou
avec la religion. Personne ne prétend vouloir le faire,
peut-être, mais le geste de présenter une candidate portant
le voile prend inévitablement ce sens là.
Dans notre travail nous avons une
attitude démocratique, nous ne stigmatisons et ne repoussons
aucun débat ni aucune alliance. Toutes les alliances sont
possibles mais comme toute alliance elles supposent que le
parti et ses militants restent libres de parler leur propre
voix, de défendre leurs propres idées, leur propre
programme. En abdiquer serait la voie la plus sûre vers
l’échec.
La
continuité démocratique du mouvement ouvrier
Ce serait plus qu’un terrible
paradoxe, une erreur grave, si les révolutionnaires
laissaient à la bourgeoisie la défense de certains acquis
démocratiques des luttes de classes que les réformistes lui
ont abandonnés, pour les pervertir et les retourner contre
une partie de la classe ouvrière elle-même. Car les acquis
démocratiques de ce pays sont bien nos acquis. Les droits
des travailleurs comme les droits des femmes ont été
arrachés par la mobilisation et la lutte contre les classes
dominantes, ils leur ont été imposés. Les compromis que la
bourgeoisie a réussi à négocier lui ont permis d’utiliser
ces droits à ses propres fins pour perpétuer sa domination
dans le cadre de la République bourgeoise. Chaque fois que
cela lui a été nécessaire, elle les a foulés aux pieds,
passés par les armes. Et chaque fois, ce sont les
travailleurs de toutes origines, les femmes, les jeunes qui
ont réussi à redonner vie à ces conquêtes. La bourgeoisie ne
les reprend à son compte que pour s’attacher les réformistes
adeptes de sa République ou pour les retourner contre une
fraction de la classe ouvrière.
Notre combat s’inscrit dans une
continuité démocratique et révolutionnaire, dans le contexte
nouveau de la mondialisation libérale et impérialiste. « Nous
voulons que le NPA fasse vivre le meilleur de l'héritage
de celles et ceux qui ont affronté le système depuis deux
siècles, celui de la lutte des classes, des traditions
socialistes, communistes, libertaires, révolutionnaires. »
est-il écrit dans les Principes fondateurs de notre parti.
Parmi le meilleur de cet héritage il y a la lutte contre
l’emprise des églises, pour l’égalité des sexes, la
propagande et le travail d’éducation pour une conception
matérialiste de l’histoire et de l’évolution du monde. Cette
tradition nous la faisons nôtre en ces temps de recul
politique et idéologique où la religion tend à redevenir la
seule valeur à prétention universelle des classes dominantes
confrontées à la faillite de leur propre système, de leur
propre politique.
Le défi du NPA, c’est de faire
revivre cette tradition au coeur de la nouvelle classe
ouvrière née de la mondialisation à travers le melting-pot
des luttes sociales et politiques.
Monica
Casanova, Yvan Lemaitre