Baffe pour Sarkozy, désaveu des partis institutionnels, retour de la gauche libérale… Construire une perspective politique pour les luttes
La gifle annoncée pour la
droite a bien eu lieu lors de ce 1er tour des
élections régionales. Avec 26 % des voix elle fait le score le
plus faible de la Vème république alors que plus
d’un électeur sur deux s’est abstenu. Sarkozy et Fillon
peuvent répéter qu’il n’y a « pas de vote sanction au vu
de l’abstention »… Mais il est clair que l’immense
majorité de la population a rejeté la politique de la droite
qui défend les intérêts des plus riches en subventionnant la
finance à fonds perdus tout en s’en prenant aux services
publics, aux retraites, aux chômeurs, etc. Le populisme de
Sarkozy, destiné à masquer la réalité de sa politique, se
retourne aujourd’hui contre la droite.
Pour éviter cet échec, le
gouvernement a tenté la même politique qu’aux présidentielles,
cherchant à récupérer les voix et l’espace de l’extrême droite
avec le débat sur « l’identité nationale ». Mais sa
politique, destinée à flatter les préjugés les plus
réactionnaires, s’est retournée contre elle. En ce sens, la
remontée du FN est à la fois le fruit de la crise et des idées
chauvines et racistes dont la droite a voulu faire son
terreau, vote sanction aussi d’une partie de l’électorat de
droite contre Sarkozy. Conséquence de cette pression, le
gouvernement multiplie les appels aux électeurs du FN à voter
utile contre le PS au 2nd tour et surenchérit dans
le sécuritaire.
L’affaiblissement de Sarkozy
ouvre la porte aux ambitions rivales qui se sont vite fait
entendre. Rachida Dati y est allé de son couplet contre la
politique « d’ouverture ». Boutin réclame un retour aux
« valeurs de la droite décomplexée », comme lors de la
campagne des présidentielles avec « la liquidation de Mai
68 ». De Charette dénonce « le retour de la machine
à perdre » et appelle les centristes à se rassembler
hors de l'UMP. Juppé en profite même pour se placer en
déclarant qu’une « réflexion s'impose désormais sur le
rythme des réformes, la méthode selon laquelle elles sont
lancées et préparées, la concertation qui les accompagne, la
façon dont elles peuvent être mieux comprises et acceptées
par une opinion que la crise déboussole »… Lui qui, « droit
dans ses bottes », avait dû céder lors des grèves de
1995 !
Et c’est bien cela leur pire
crainte, celle des luttes sociales et de la révolte contre le
système qu’ils servent. Du coup, Sarkozy pose à celui que rien
ne fera changer : « élections régionales, conséquences
régionales »… si ce n’est en promettant une « pause »
juste avant les prochaines présidentielles ! Dans le même
registre, Lagarde affirme : « Je
ne vais pas me laisser ébranler par le taux d'abstention
ou tel ou tel qui crie victoire. Cela me laisse
indifférente ».
Mais les déclarations n’y changent rien, la droite est
affaiblie au moment où elle prévoit de lancer l’offensive
contre les retraites, dans la droite ligne de la politique
des gouvernements de droite et de gauche en Europe.
Tractations
autour du PS… pour préparer 2012
Du côté du PS, dès l’annonce
des résultats, Aubry a appelé au « rassemblement de la
gauche » pour constituer ses majorités dans les
exécutifs des régions. Immédiatement, les tractations ont
démarré avec Europe Ecologie et le Front de Gauche, sans grand
débat politique si ce n’est l’âpre négociation des positions
sur les listes…
Europe Ecologie attendait
jusque-là de voir les rapports de force pour négocier sa
position, à l’image de Cohn-Bendit qui déclarait à un meeting
aux côtés de l’ex-ministre de Balladur Corinne Lepage : « J'entends dire mes
camarades Verts qu'ils ont des valeurs de gauche. Mais
qu'est-ce que c'est la gauche ? Le communisme ? Le
stalinisme ? Le colonialisme de Jules Ferry ? Nous
rassemblons sur un projet écolo ».
Mais dès l’annonce des résultats, Duflot répondait présent à
l’appel d’Aubry en annonçant la couleur contre toute
« tentation hégémonique » du PS.
C’est le grand ralliement.
Ceux qui faisaient mine de critiquer le Parti socialiste et sa
politique social-libérale oublient leurs critiques d’hier.
Pour Mélenchon, « La route de l'alliance pourrie de la
gauche avec le centre, nous l'avons coupée victorieusement »…
Il n’y aurait donc plus de problème avec la politique du PS ?
Comme si l’effondrement électoral de Bayrou avait changé en
quoi que ce soit le bilan de la politique social-libérale
menée par le PS depuis des années.
Dans les déclarations, « l’unité »
vient justifier les ralliements à l’image de Mélenchon qui
déclare : « La
gauche unie a été préférée à la gauche solitaire »…
pour répondre au NPA.
Du côté du PC, l’heure est aux
gros titres de l’Huma pour vanter les accords passés pour
gérer les régions avec le PS : « la gauche fait bloc pour
amplifier la victoire » ! Mais Buffet s’inquiète des
prétentions d’Europe Ecologie en réclamant « que chaque
partenaire ait sa juste place »…
Le fond de cette agitation,
c’est la lutte pour les places et… la préparation de 2012.
Comme le dit Bartolone : « Durant
ces deux jours de négociations, je
n'ai jamais autant entendu nos partenaires évoquer aussi
ouvertement 2012 et la nécessité de se rassembler, de
montrer qu'entre nous, cela allait bien ».
Cette « gauche diverse »
se prépare pour 2012, avec l’objectif d’aller gérer les
intérêts des classes dominantes et avec de nouveaux rapports
de force. Comme le commente un historien
du PS : « La gauche plurielle, c'était un axe PS-PCF
ouvert aux écologistes ; nous venons de passer à un axe
PS-écologistes ouvert au Front de gauche ». Pas plus à
gauche, mais plus libérale, loin des préoccupations du monde
du travail vis-à-vis duquel cette gauche n’a pris aucun
engagement de quelque nature que ce soit. Tout au plus de
l’indignation et de la compassion ! Et si, bien évidemment,
nous souhaitons la défaite de Sarkozy et de ses amis, nous
savons que nous n’avons rien à attendre de cette gauche
libérale, la gauche du oui au TCE et du traité de Lisbonne.
L’abstention,
le désaveu des partis institutionnels
Toute cette agitation a lieu
alors qu’un des faits marquants de ces élections est le record
d’abstention de 53,6 % : 16 points de plus qu’en 2004. Et, il
semble d’ores et déjà certain qu’elle sera amplifiée au second
tour… Particulièrement forte dans les quartiers populaire et
parmi la jeunesse, celle-ci est le reflet même du profond
décalage entre les préoccupations du monde du travail et cette
campagne centrée sur quelques « affaires » qui n’a jamais
abordé la question des réponses à la crise. Et pour cause, sur
ce terrain, les politiques menées par le gouvernement de
droite ou par les régions de gauche sont sinon identiques du
moins complémentaires, en particulier quand il s’agit de
subventionner à fonds perdus le patronat.
L’abstention exprime ce
désaveu des partis institutionnels, responsables dans les
institutions qu’ils dirigent, devant les classes dominantes et
les patrons.
En s’exprimant de cette façon,
même si la droite sort défaite du 1er tour et très
certainement du 2nd, le monde du travail n’a pas su
ou pu prendre l’offensive sur le terrain politique, pour
affirmer ses exigences, son programme. Les forces
anticapitalistes en portent une part de responsabilité alors
que ces élections offraient pour elles la possibilité de
porter ces exigences, de défendre les intérêts politiques des
travailleurs pour préparer les luttes, tracer une perspective
alors que les directions syndicales restent engluées dans la
politique du dialogue social avec Sarkozy.
Tirer
les leçons de la campagne pour reprendre l’offensive
C’est bien cette politique que
nous voulions porter dans les élections. Lors du CPN de
septembre, la résolution sur les régionales précisait ces
objectifs : « Ceci implique de travailler au regroupement
de ceux qui ne se soumettent pas au capitalisme, défendre un
programme d’urgence afin de faire payer leurs crises aux
classes dirigeantes dans la perspective d’une confrontation
générale avec le patronat et le pouvoir ».
C’est dans le cadre de cette
orientation que nous avions formulé notre politique unitaire.
Il ne s’agissait pas de construire l’unité sur le terrain des
antilibéraux, dont la politique consiste à vouloir modifier
les rapports de force au sein de la gauche pour ensuite gérer
ensemble dans le cadre des institutions. Il s’agissait au
contraire de proposer à toutes les forces antilibérales et
anticapitalistes de se regrouper pour faire valoir les
exigences du monde du travail dans la perspective de la
convergence des luttes. L’indépendance vis-à-vis des
institutions régionales et des exécutifs tenus par le PS
découlait du programme même que nous voulions porter : un
programme pour les luttes du monde du travail, qui affirme sur
le terrain politique la légitimité de la lutte pour
l’interdiction des licenciements, pour les augmentations de
salaires, pour la défense des services publics, les retraites,
etc.
Mais nous n’avons pas su mener
cette politique avec suffisamment de force et de clarté. Alors
que nous avions pris l’initiative sur la question unitaire,
nous n’avons pas pu faire la démonstration politique des
raisons de la rupture : à savoir que le PC et le PG tournaient
le dos à leur propre programme pour se préparer à négocier des
places dans les exécutifs. Ce qui vient de se dérouler cette
semaine. Nous avons par trop subi la pression de l’unité pour
l’unité sans avoir la force d’imposer la discussion sur le
programme et les orientations.
Du coup, la campagne du NPA
n’a pas eu la cohérence nécessaire pour mobiliser autour
d’elle, attirer en particulier les nombreux salariés, jeunes,
qui ont manifesté leur colère par l’abstention. Ainsi, pour
illustrer, entre la liste d’Ile de France et celles du
Limousin ou du Languedoc Roussillon, il y a deux politiques,
deux orientations : une pour se servir des élections et des
institutions pour « donner l’écho le plus large possible
aux mobilisations et aider à leur convergence » ;
l’autre ambiguë vis-à-vis de ces institutions bourgeoises, de
fait compatible avec la politique du PC de recherche
d’alliance avec le PS.
La question de la candidate
voilée nous a également affaiblis, et pour une part
discrédités. Elle a donné du NPA l’image d’un parti qui se
désavouait lui-même bafouant ses propres engagements
féministes. Le parti s’est laissé mettre devant le fait
accompli d’une politique contraire à nos objectifs, celle d’un
parti qui lutte contre les discriminations et toutes les
oppressions, en particuliers celle des femmes. Notre combat
est celui de l’émancipation, pour que la classe des opprimés
prenne en main son propre destin et celui de la société.
Sinon au lieu d’agir pour
transformer les consciences, on s’adapte voire on capitule. On
peut s’adapter aux illusions antilibérales mais aussi aux
préjugés religieux, on abdique alors de mener notre politique
démocratique, révolutionnaire, socialiste. On subit la
pression du recul politique du mouvement ouvrier au moment
même où nos idées pourraient s’enraciner dans les entreprises
et les quartiers, parmi la jeunesse.
Face
à la gauche libérale, affirmer une politique et un
programme anticapitalistes
La situation qui s’ouvre est
marquée avant tout par l’approfondissement de la crise et
c’est dans ce contexte que la gauche est en route vers le
pouvoir.
La dette publique de la France
a explosé avec les 360 milliards mis à la disposition des
banquiers et les subventions à fonds perdus pour le patronat.
Elle atteint aujourd’hui un niveau record de près de 84 % du
PIB d’après les chiffres du budget. La situation n’est pas si
éloignée de la Grèce, où la dette représente 113 % du PIB et
qui subit aujourd’hui une spéculation effrénée. Sans
s’attaquer directement à ces marchés financiers, la logique de
la dette des Etats et de la spéculation qu’elle engendre est
partout la même, celle de faire payer le parasitisme de la
finance par des politiques d’austérité contre la population.
La « gauche solidaire » qui se
constitue aujourd’hui, risque de ressembler à celle de
Papandréou, de Zapatero, qui mènent une politique d’austérité
pour faire payer la spéculation sur les fonds publics à la
population. Il n’y a pas d’autre voie possible si l’on se plie
à l’économie de marché. Il est significatif qu’un des
possibles présidentiables du PS soit justement DSK, le patron
du FMI !
Face à la crise, il nous faut
affirmer un plan d’urgence, un réel programme pour les luttes
sociales et politiques.
Face aux dégâts de la crise,
il nous faut affirmer notre politique tout en continuant notre
politique unitaire pour unir le monde du travail sur le
terrain politique, social, etc. Mais cela signifie dégager les
leçons de nos faiblesses durant cette campagne qui s’achève
pour nos donner les moyens de disputer l’influence politique à
la gauche libérale. Nous n’avons pas à craindre l’unité, bien
au contraire, mais il faut en définir le contenu et les
perspectives.
La situation sociale et
politique pose aujourd’hui la question du gouvernement, du
pouvoir. Nous disons clairement que nous ne craignions pas de
mettre les mains dans le cambouis pour imposer l’interdiction
des licenciements, le partage du travail entre tous,
l’augmentation des salaires, le contrôle sur les prix, et
surtout le contrôle de la finance et de l’administration.
C’est là le seul programme s’appuyant sur les mobilisations
des travailleurs et sur leurs organisations qui puissent
apporter de réelles réponses à la crise provoquée par la
politique des classes dominantes.
La lutte indispensable pour ne
pas payer la crise des capitalistes pose, face à la
perspective d’un retour de la gauche aux affaires, la
nécessité de formuler une autre politique s’appuyant sur les
travailleurs, leurs mobilisations, leurs organisations pour
contrôler la finance comme l’administration. Une telle
politique implique une rupture au niveau de l’Etat, la lutte
pour un gouvernement qui ose s’en prendre aux intérêts des
capitalistes qui spéculent avec l’intérêt public pour les
empêcher de nuire.
Laurent
Delage