Après les régionales et le 23 mars, formuler une politique pour les travailleurs
La
journée interprofessionnelle du 23 mars pour la défense des
retraites, pour les salaires et contre les licenciements et
les suppressions d’emplois, a été un relatif succès avec
800 000 manifestants selon la CGT. En cela, elle a confirmé la
volonté de se battre de nombreux travailleurs face à la
politique du gouvernement et du patronat, comme l’a montré, en
pleine campagne électorale, la grève des salariés de Total
Dunkerque. Dans les cortèges, la question des salaires étaient
très présente, à l’image des salariés de Fralib à Marseille,
filiale d’Unilever, qui en étaient à leur 3ème
semaine de grève pour des augmentations. Dans bien des
entreprises du privé, où les Négociations Annuelles
Obligatoires ont lieu en ce moment, des salariés n’acceptent
plus le discours des patrons sur la crise pour justifier les
salaires au rabais, d’autant que beaucoup de ces entreprises
ont fait des bénéfices en 2009.
Mais,
de la même façon que ces mouvements se mènent entreprise par
entreprise sans une politique pour les faire converger, la
journée du 23 mars est apparue pour beaucoup sans perspective,
sans direction pour mener l’indispensable affrontement avec le
pouvoir. Ce qui explique sans doute qu’elle ait regroupé trois
fois moins de monde que celle du 19 mars 2009, pour affirmer
le refus de payer leur crise.
Au
niveau des directions syndicales, aucune suite n’était
annoncée et il aura fallu attendre le 30 mars pour qu’elles se
rencontrent et décident… « d’interpeller » Sarkozy le
20 avril par un courrier commun pour réclamer un nouveau « sommet
social » ! Une « interpellation » où les
directions syndicales n’annoncent même pas ce qu’elles
veulent ! Et tout ça pour en arriver à un « grand 1er
mai revendicatif », en se calant sur la volonté de la
CFDT qui ne voulait même pas d’une initiative au mois d’avril.
Alors
que bien des militants et des travailleurs réclament une
politique offensive, se souvenant des journées sans lendemain
de l’année dernière, les directions des grandes confédérations
les renvoient à construire la suite « dans les entreprises »…
Sans formuler de plan de bataille ni de politique d’ensemble
pour faire céder le gouvernement dans la rue, en commençant
par exiger les 37,5 annuités pour tous maximum pour garantir
une retraite à taux plein.
Quant
à FO, qui dit vouloir « en découdre avec le gouvernement »
et qui a préféré faire cavalier seul, elle n’avance pas
d’autres revendications… si ce n’est défendre ses intérêts
d’appareil. Seuls Solidaires et des syndicats d’entreprise,
des UL, mettaient en avant les 37,5 annuités comme
revendication capable de fédérer une lutte d’ensemble.
Refusant
d’appeler à un 3ème tour social, au moment où
Sarkozy est affaibli après les élections régionales, les
directions syndicales continuent de s’inscrire dans le « dialogue
social » avec le gouvernement. Intégrés dans le Conseil
d’orientation des retraites, la CFDT et la CGT se sont
scandalisées qu’il reprenne les hypothèses du Medef du
relèvement de la durée de cotisation à 45 ans et du départ à
la retraite à 65 ans, comme si le but même du COR n’était pas
de servir les intérêts du patronat. Malys de la CFDT déplore
que le Medef « instrumentalise à des fins politiques un
Conseil qui est un lieu d'études sérieux, pas une arène
d'affrontements »… façon d’espérer un nouveau « diagnostic
partagé » sur les retraites comme en 2003. N’osant pas
affirmer les exigences du monde du travail et les voies et les
moyens de les imposer, les directions des grandes
confédérations syndicales se retrouvent dominées par les
préjugés libéraux.
En
ce sens, la journée du 23 mars et la question de ses suites
renvoient à la situation politique générale et aux
conséquences des élections régionales. La question de donner
une perspective politique au mécontentement, une politique
pour permettre au monde du travail de reprendre l’initiative
sur son terrain est posée. Quelle politique face à la crise,
quelles exigences pour le monde du travail, quel programme
pour les luttes ?
Débâcle
électorale de la droite
Première
conséquence de ces élections, la crise ouverte de la droite
s’étale au grand jour. Villepin, qui veut mettre à profit la
baffe de l’UMP et l’effondrement du Modem, annonce la création
d’un nouveau parti, « un rassemblement qui dépasse les
clivages politiques »… pour le positionner dans la
course de 2012. Les députés UMP, inquiets pour leurs postes,
critiquent publiquement la politique d’ouverture de Sarkozy,
le bouclier fiscal, la taxe carbone que le gouvernement vient
de retirer pour plaire au Medef. Comme s’emporte l’un d’entre
eux : « On a été faire du violon aux écolos, voyez le
résultat. Si on continue, ça finira par un 21 avril 2002 à
l'envers » !
Dans
ce climat, la lutte pour le pouvoir à droite est lancée, à
l’image de Juppé qui se dit déjà candidat en cas de primaires,
ou de Fillon, tellement acclamé par les députés de droite que
Sarkozy l’a privé d’intervention télévisée !
Alors
que les rivalités et les appétits s’affichent, Sarkozy a
décidé d’ouvrir le gouvernement… à droite pour tenter de
reprendre la main en intégrant des proches de Chirac ou de
Villepin. Pour reprendre le terrain perdu à droite, il relance
sa démagogie sécuritaire en déclarant le 24 mars à l’attention
de l’électorat du FN : « la sécurité est une priorité, il
n'y aura plus aucune concession ».
Quant
aux retraites, ses objectifs restent les mêmes, imposer un
recul majeur à l’ensemble du monde du travail : « Rien ne
serait pire que de changer de cap du tout au tout, en cédant
à l'agitation propre aux périodes électorales (…) Je ne
passerai pas en force. Le temps qu'il faut sera donné à la
discussion avec les partenaires sociaux. Mais je vous
promets que dans six mois, les mesures nécessaires seront
adoptées ».
Sarkozy
veut imposer sa contre-réforme des retraites coûte que coûte,
car elle s’inscrit dans la politique des Etats, dirigés par la
droite comme par la gauche, qui font payer la crise du système
capitaliste à l’ensemble de la population. Pour faire payer la
dette, qui s’est largement creusée au profit des banquiers et
financiers, il faut des coupes sombres dans les retraites,
l’assurance chômage, les budgets sociaux, les services
publics.
Mais,
alors que la droite sort affaiblie de ces élections, craignant
un mouvement de colère qui se généralise comme en Grèce, elle
compte sur la politique du « dialogue social » pour
imposer ses mauvais coups, ainsi que sur la collaboration de
la gauche libérale qui se refait une santé politique.
Le
PS et la gauche libérale candidate pour faire passer la
réforme des retraites
Sur
ce terrain, le PS confirme qu’il est candidat à une telle
politique. Déjà, Aubry s’était positionnée sur un report de
l’âge de la retraite à 61, 62 ans… pour se faire plus discrète
en pleine période électorale sur le sujet.
Mais
sitôt les élections passées et la course pour 2012 engagée,
les déclarations reprennent. Valls appelle à « un pacte
national » sur la réforme des retraites, « non
seulement avec les partenaires sociaux mais aussi
avec la majorité ». Hollande a également déclaré : « sans
doute faut-il allonger la durée des cotisations à mesure que
l'espérance de vie s'allonge », en rajoutant « on
peut très bien, tous les cinq ans, regarder ce qu'est
l'espérance de vie et la pénibilité pour les métiers et puis
on fixe des règles qui s'appliquent en fonction de la durée
de vie »… la retraite ne serait même plus un droit
fondamental pour les travailleurs !
Dans sa marche vers le
pouvoir, le PS compte jouer son rôle pour faire passer les
contre-réformes, faire la démonstration vis-à-vis de la
bourgeoisie qu’il est capable de défendre ses intérêts en
maintenant une certaine paix sociale. Valls le résume
clairement en expliquant pourquoi la gauche libérale
devrait aider Sarkozy : « Si certains
pensent que l'on remportera la présidentielle sur la seule
base de l'anti-sarkozysme, ils se trompent ».
La
gauche solidaire qui se met en place suite aux
régionales, où Europe Ecologie comme le Front de Gauche
collaborent à la gestion et aux exécutifs avec le PS, se situe
dans cette politique, c’est-à-dire dans celle de la gauche
libérale, celle du « oui » au TCE et des contre-réformes.
Alors
que la question des retraites devient majeure, Europe Ecologie
est plongé dans ses calculs pour le pouvoir et les postes. Au
moment de la déclaration d’Aubry sur les « 61 ou 62 ans »,
les Verts expliquaient déjà que le débat sur l'allongement de
la durée du travail au-delà de l’âge légal est « inéluctable »
car il ne faut « pas nier la réalité économique et
démographique »… Pas étonnant que Duflot ait refusé
l’invitation du NPA à une réunion sur les retraites en
déclarant : « Il faut qu'on propose quelque chose, ne pas
être juste dans le défensif ».
Le
Front de Gauche quant à lui se retrouve à la remorque de cette
politique, l’œil fixé également sur 2012 et les postes,
Mélenchon cherchant à obliger le PC à le soutenir pour les
futures présidentielles.
Dans
ces élections régionales, la rupture avec les partis
institutionnels s’est essentiellement traduite par
l’abstention. De fait, l’extrême-gauche n’est pas parvenue à
regrouper sur une politique s’adressant aux milieux
populaires, aux travailleurs, aux jeunes, qui aurait permis de
contrebalancer la pression politique libérale de droite et de
gauche.
Cette
bataille politique est indispensable aujourd’hui, pour
redonner confiance dans les possibilités de la lutte, pour
donner toute sa légitimité à la révolte toujours présente dans
le monde du travail, pour faire vivre un programme permettant
de réaliser la convergence des luttes face au gouvernement et
au patronat.
Une
bataille politique
Face
à l’offensive sur les retraites, il nous faut affirmer une
politique anticapitaliste, seule capable de répondre à ce
refus de payer leur crise. Cela signifie rompre avec les
préjugés libéraux et réformistes, qui paralysent les
travailleurs.
Il
n’y a pas de réponse institutionnelle à la crise du point de
vue des travailleurs. Vu l’ampleur des déficits, créés et
amplifiés par la spéculation sur la dette des Etats, il y a au
contraire urgence à imposer des mesures qui s’en prennent à la
propriété privée, à la Bourse, aux profits réalisés sur la
surexploitation des travailleurs.
Il
s’agit aujourd’hui de formuler un programme pour les luttes,
loin de tous les « diagnostics partagés », un programme
pour la convergence des luttes, pour le contrôle des
travailleurs sur la marche de la société.
Dans
cet objectif, la bataille politique passe par une politique de
front unique, dans lequel il nous faut mener le débat sur le
terrain de la lutte de classe et de l’indépendance des
travailleurs à l’égard de la gauche libérale. Il nous faut
décrire la politique des classes dominantes et de tous ceux
qui les servent telle qu’elle est. L’offensive sur les
retraites est souvent dénoncée comme un « choix de société »,
certes, mais c’est surtout un choix de classe, une offensive
de classe pour faire payer la crise de leur système.
L’initiative de l’appel Copernic peut de ce point de vue être
un point d’appui pour créer des cadres collectifs, tout en
gardant bien en vue que l’essentiel est la bataille politique
sur le fond, pour formuler des revendications offensives, un
programme, pouvant permettre la convergence des luttes.
Il
ne pourra y avoir de mouvement d’ensemble sans une politique
qui formule clairement les exigences du monde du travail face
à la situation. Il nous faut affirmer la légitimité du droit à
la retraite, l’abrogation de toutes les contre-réformes depuis
1993 qui conduisent à une baisse des pensions de près de 20 %
aujourd’hui, à commencer par les 37,5 annuités pour tous
maximum. Le déficit des caisses de retraites est le produit
même de la politique de « baisse du coût du travail »
des classes dominantes et des gouvernements successifs : 300 €
d’augmentation de salaires, pas un revenu inférieur à 1500 €
net et arrêt des exonérations patronales qui atteignent les 65
milliards par an ! La question des retraites est aussi le
produit des licenciements et des suppressions d’emplois
aggravés avec la crise : il faut interdire les
licenciements, partager le travail entre tous et imposer
l’embauche massive dans les services publics. Enfin, face à
l’ampleur de la dette publique, qui devient la source
principale de spéculation des marchés financiers, grâce au
fric mis à leur disposition par les Etats eux-mêmes, il faut
imposer des mesures démocratiques contre la dictature des
banques en les nationalisant sous le contrôle des salariés.
Lutter
pour les droits fondamentaux du monde du travail, enrayer la
régression sociale ne peut se faire sans oser contester le
pouvoir de la minorité qui spécule avec les intérêts de la
collectivité et le bien public.
Laurent Delage