Contre les prédateurs de la finance et les Etats, refuser de payer la dette
"C'est une fusée de protection à deux étages que nous venons de lancer" se vantait la ministre Lagarde après la décision prise, dans la soirée de dimanche, par l'Union européenne, la BCE et le FMI d'un "Fonds d'assistance financière" de 750 milliards d'euros destiné à "sauver" l'économie européenne.
Ce
plan, élaboré dans l'urgence, est sensé répondre à une
semaine d'aggravation brutale de la crise des déficits :
chute continue de l'ensemble des Bourses mondiales,
redoublement des attaques spéculatives contre la dette
grecque, portugaise, espagnole, chute de l'Euro, menace
d'une nouvelle crise du crédit...
Il
consiste en un fonds communautaire de 60 milliards d'euros,
"mobilisable à très court terme afin de venir en aide à
un pays en difficulté", auquel s'ajoute une garantie
de 440 milliards d'euros de la part des Etats membres de la
zone euro et de quelques autres pays comme la Suède et la
Pologne, "afin de constituer une nouvelle entité capable
de lever des fonds sur les marchés financiers pour ensuite
acheter de la dette publique de pays fragilisés." Le
FMI, pour sa part, interviendra à hauteur de 250 milliards
d'euros, dans les mêmes conditions.
Le
plan s'accompagne d'une décision présentée comme historique
de la BCE : elle pourra désormais racheter de la dette
publique et privée sur les "marchés secondaires" pour
venir au secours de titres qui feraient l'objet d'attaques
spéculatives mettant en danger l'ensemble du système...
Les
gouvernements, relayés par toute une partie de la presse et
d'économistes aux ordres, nous ont présenté leur plan comme
un acte de guerre contre les "marchés"... Pour Lagarde, " Le
pavé qu'on jette, c'est 500 milliards, avis aux marchés ! ".
"Pavé" que les "marchés" ont pris pour ce qu'il est : une
garantie donnée aux spéculateurs que les Etats européens ne
les laisseront pas tomber en cas de faillite de certains
d'entre eux. Le signal a été bien compris : lundi, dans
toutes les Bourses, c'était l'"euphorie", les hausses
atteignaient des records, l'Euro remontait, les taux de la
dette grecque étaient divisés par deux...
Mais
personne ne peut être dupe de la mise en scène. Sous les
oripeaux dont elle voudrait se déguiser, c'est un pas de
plus dans la mise en œuvre de la même politique de soutien
aux banques qui prévaut depuis le début de la crise en 2007,
et qui s'accompagne, comme toujours, de son symétrique,
l'accélération brutale des plans d'austérité contre les
travailleurs et les populations, présentés comme un autre
moyen de "rassurer les marché", en réduisant les déficits
publics. L'accord passé dimanche soir prévenait : toute
l'Union européenne doit s'engager à "prendre les mesures
nécessaires pour accélérer l'assainissement et assurer la
viabilité des finances publiques"... Moins d'une
semaine plus tard, l'annonce de nouvelles mesures de rigueur
au Portugal, en Espagne, et bien ailleurs, font la une !
L'expérience
de ces dernières années a pourtant largement établi que
cette politique conduit inexorablement à une aggravation de
la récession et prépare de nouveaux effondrements financiers
et boursiers. Mais Merkel, Sarkozy, Strauss-Khan et leurs
amis, en fidèles représentants des intérêts du monde de la
finance, n'ont pas d'autre politique à mettre en œuvre que
cette fuite en avant aveugle qui conduit toute la société
dans le mur.
La
seule perspective qui offre une issue à la crise, c'est
celle qui est portée par les travailleurs et la population
grecque, qui s'opposent frontalement, par la grève générale,
par les manifestations massives, à la logique destructrice
que cherchent à leur imposer les classes dirigeantes
européennes. "Une guerre longue a commencé" affirmait
une participante aux manifestations de mercredi. Cette
guerre, c'est celle que doivent mener les travailleurs, les
classes populaires européennes pour la défense de leurs
propres intérêts, pour mettre un coup d'arrêt aux attaques.
Une guerre qui conduit nécessairement à poser la question du
pouvoir, de qui contrôle cette société.
Le mythe des "marchés"…
On
nous parle des marchés comme s'il s'agissait d'entités
surnaturelles, aux comportements mystérieux et
imprévisibles, capables de se comporter comme des prédateurs
sans pitié un jour, et le lendemain comme des victimes se
réfugiant sous le giron de ces mêmes Etats qu'ils ont
attaqués la veille... Alors, pour les calmer, il n'y aurait
pas d'autre solution que de les "rassurer", en les gavant de
milliards que l'on n'aurait pas d'autre choix que de prendre
dans les poches des classes populaires...
C'est
une foutaise destinée à endormir le bon peuple. Les
détenteurs des titres de la dette des Etats sont des
institutions financières parfaitement identifiées, banques,
compagnies d'assurances, fonds de placements financiers
(hedge funds). Les investisseurs qui se partagent la dette
grecque, par exemple, sont pour 29 % grecs, 23 %
britanniques, 11 % français, 9 % allemands, 3 % américains.
Il s'agit, pour moitié, de fonds de placements et à 45 %, de
banques privées. En tête des banques françaises "les plus
exposées au risque de la dette grecque", selon la
formule de la presse : BNP Paribas (5 milliards d'euros),
Société Générale (4,8), Crédit Agricole (3,5)... Et si l'on
prend en compte les filiales grecques de ces dernières, le
Crédit Agricole bat tous les records, avec un total de 30
milliards d'euros...
Quant
au fonctionnement du marché de la dette, à ses objectifs,
ils sont parfaitement connus. En empruntant auprès
d'institutions financières privées l'argent nécessaire au
financement de leur fonctionnement, les Etats assurent aux
actionnaires de ces institutions, sous la forme des
intérêts, un flux continu et garanti de richesses qui
proviennent essentiellement des ressources des impôts.
Ces
emprunts se font sous forme d'émission par les Etats de
"titres de dette" qui représentent une part de la somme
totale empruntée. Ces titres sont vendus sur des marchés
financiers spéciaux et leurs détenteurs se partagent les
intérêts de la dette. Ces titres font eux-mêmes l'objet
d'échanges sur des marchés dits "secondaires", pour le
bonheur de spéculateurs, qui sont, comme on l'a vu, de
grandes institutions financières. D'autres "produits
financiers", tels des titres d'assurance contre les risques
de non solvabilité des créanciers, viennent s'y greffer,
alimentant la mécanique spéculative, l'opacité du système,
et contribuant à la dissémination de titres dont personne ne
peut savoir avec certitude quelle valeur réelle ils
représentent.
L'aspect
irrationnel du comportement des marchés, leur opacité,
l'euphorie, l'agressivité ou la panique qui peuvent les
agiter n'ont rien de surnaturel. Ils sont la conséquence
naturelle de la politique d'une aristocratie financière qui
ne se soumet qu'à une "loi", celle du profit immédiat.
"Crise systémique", la
faillite d'une politique de classe...
Sarkosy
présentait dimanche soir le plan européen comme une "réponse
systémique" à ce qu'il appellait une "crise systémique"...
Cette "crise systémique", c'est avant tout la faillite d'une
politique de classe dont l'essentiel consiste à organiser le
transfert d'une part toujours plus grande des richesses
produites par le travail, des poches des travailleurs vers
les coffres d'une minorité de parasites.
A
l'endettement public, qui constitue un élément central de ce
mécanisme, il faut ajouter une fiscalité particulièrement
inique, qui frappe proportionnellement bien plus les classes
populaires que les riches. En France, par exemple, en 2009,
les intérêts de la dette publique payés aux banques et aux
fonds de placement se sont élevés à 43 milliards d’euros
alors que les recettes de l'impôt sur les sociétés n'étaient
que de 35 milliards. Ceux qui prêtent de l'argent à l'Etat
et récupèrent les intérêts sont les mêmes qui bénéficient
d'exonérations et autres boucliers fiscaux... Enfin, s'ils
en profitent pour les accentuer, les Etats n'ont pas attendu
la crise pour mener des attaques en règle contre les
services publics, la protection sociale et de santé, la
législation du travail, les retraites, les emplois dans la
fonction publique...
Fuite
en avant de la dette publique, fiscalité inique, "économies
sur l'Etat" sont les facettes d'une même politique menée par
les gouvernements pour siphonner les richesses publiques
vers les banques. Une façon, pour la grande finance
internationale, de se soumettre les Etats, de privatiser les
ressources publiques.
Mais
c'est aussi un mécanisme pervers, qui conduit dans le mur.
Le
recul organisé des ressources globales de la population
réduit d'autant les ressources de l'Etat, tout comme elle
entretient une situation de récession économique chronique.
Cette diminution des ressources publiques alimente un
déficit chronique qui fait que seuls de nouveaux emprunts
peuvent permettre de payer les intérêts de la dette
existante... On est dans un cercle vicieux qui fait que la
dette grossit sans cesse. En France, elle est passée de 1200
à quelque 1500 milliards d'euros en 2007 une augmentation de
presque 30 %, due pour une bonne part aux milliards des
plans d'aide servis par Sarkozy aux banques et aux grandes
entreprises.
... qui persiste et
signe
Ce
plan européen concocté dimanche sous l'égide de
Merkel-Sarkozy et sous la pression d'Obama, ne présente en
aucune façon la moindre solution pour sortir de la spirale
infernale de l'endettement et de la régression sociale et
économique. Bien au contraire. Il s'agit, pour le "fonds
d'assistance financière", non pas de se substituer aux
marchés, mais de "lever des fonds sur les marchés
financiers pour acheter de la dette publique de pays
fragilisés".
Autrement
dit, les 500 milliards que l'Union européenne se prépare à
mettre en jeu pour "sauver" l'Europe de la crise des
déficits... contribueront à accentuer l'endettement des
Etats ! Pour la France, il s'agit d'une somme de 90
milliards qui viendront s'ajouter aux 120 milliards déjà
empruntés par l'Etat depuis le début de l'année...
Avec
cet argent, le fonds se prépare donc à "acheter de la
dette publique de pays fragilisés". Pour certains
journalistes, cela voudrait dire que le fonds pourrait
prêter directement de l'argent aux Etats, en leur achetant
directement les titres au moment de leur émission. Cela
permettrait effectivement, à défaut d'atténuer leur dette,
de mettre les "pays fragilisés" à l'abri de la
pression des spéculateurs. Mais il peut aussi "acheter de
la dette" sur les marchés secondaires... Ces marchés
secondaires, justement, dans lesquels s'échangent les titres
entre banques, entre spéculateurs. C'est sur ces marchés que
se trouvent les titres toxiques, risquant de perdre toute
valeur du fait des risques de faillite des "pays
fragilisés". En se préparant à intervenir sur ces
marchés, les dirigeants européens mettent en place un
dispositif destiné avant tout à racheter aux banques, aux
frais de l'Etat, des titres qu'elles ont accumulées dans
leur boulimie spéculative, qui finissent par perdre toute
valeur, et qui sont devenus impossibles à refourguer à une
autre spéculateur.
La
décision "historique" de la BCE de se donner le droit
d'acheter désormais de la dette publique et privée n'a pas
d'autre sens, puisque qu'elle a choisi de limiter son
intervention à ces mêmes marchés secondaires.
La
véritable fonction du "fonds d'assistance financière" est là
: non pas dans l'assistance aux "pays fragilisés",
mais dans le soutien, sur les fonds publics, d'institutions
financières menacées par les faillites qu'elles ont
elles-mêmes préparées.
La
"réponse systémique" de l'Union européenne de Merkel et
Sarkozy s'inscrit donc dans la droite ligne de la politique
menée par les principaux gouvernement, en 2008, pour faire
face à la crise financière déclenchée par l'effondrement de
la bulle de la dette privée. Elle est de même nature que le
plan de 700 milliards de dollars concocté alors par le
secrétaire d'Etat US aux finances, Paulson, pour débarrasser
les banques des titres toxiques qu'elles avaient accumulés,
en les rachetant sur les fonds publics. Et comme ce dernier,
elle ne peut que conduire à la récession, à de nouveaux
effondrements boursiers et financiers.
Quant
aux économies que prétendent réaliser les Etats grâce aux
plans d'austérité qu'ils sont en train d'imposer à leur
population, elles ont peu de chance d'aboutir à "accélérer
l’assainissement et assurer la viabilité des finances
publiques". Car même si elle y parvenait, même
partiellement, ce serait au prix d'une récession,
conséquence inévitable de la baisse globale du pouvoir
d'achat des populations du fait des plans d'austérité. Selon
les Echos, en Grèce, "la récession sera cette
année plus grave que prévu, avec une chute du PIB de 4%,
contre les 2 % annoncés encore il y a quelques jours."
Une récession aggravée qui aura bien entendu pour
conséquence une baisse de ressources fiscales, autrement dit
qui jouera contre "l'assainissement" des finances
publiques.
Il
est clair pour Sarkozy et Merkel, tout comme pour leur
compère socialiste et patron du FMI Strauss-Khan, que les
sacrifices imposés aux travailleurs grecs, portugais,
espagnols, mais aussi des autres pays européens, ne pourront
très probablement pas éviter la cessation de paiement de
certains pays, et qu'un réaménagement de leur dette est
inéluctable. C'est d'ailleurs à cette éventualité qu'ils se
sont préparés, en mettant en place, préventivement, un
"fonds d'assistance financière" qui épongera les pertes des
banques tout en leur permettant de continuer leurs affaires.
Ce
n'est pas l'espoir de résoudre le problème des déficits qui
pousse les dirigeants européens à mener leur offensive.
Confrontés à une crise politique sans précédent, à la
contestation sociale, à leur incapacité à faire face à la
faillite patente du système capitaliste, l'aristocratie
financière et ses larbins gouvernementaux n'ont pas d'autre
solution, à moins de renoncer, que d'affirmer leur
domination en accentuant toujours plus leur exploitation sur
les travailleurs et la population la plus pauvre.
Priorité à la
défense des travailleurs !
La
population grecque, en s'opposant massivement aux plans
d'austérité à répétition imposés par son gouvernement sous
la pression des dirigeants européen et des "spécialistes" du
FMI, montre la voie : refuser de se laisser intimider, ne
pas se laisser lanterner par leurs discours, affirmer que la
priorité est à la défense des travailleurs...
A
des degrés divers, les travailleurs et les classes
populaires de l'ensemble des pays européens sont mis à la
même enseigne, soumis aux mêmes attaques. La première
urgence, face à la brutalité de ces attaques, est de
s'opposer à la mise en œuvre des mesures des plans
d'austérité.
Cela
implique qu’ils apportent leur propre solution à la question
de l'endettement public. Divers mots d'ordre, révocation,
annulation, moratoire, sont discutés... Quoi qu'il en soit,
il s'agit de refuser immédiatement de continuer à payer pour
une dette dont il est de plus en plus clair qu'elle est un
gouffre sans fin, et qu'elle n'a pas d'autre fonction que
d'appauvrir la grande majorité au profit d'une poignée de
parasites.
Refuser de payer la dette ne suffit
pas, il faut aller plus loin. Nous citions, dans un article
précédent [1],
un extrait d'un texte du CADTM qui avançait l'idée d'un
audit : "Un audit citoyen de cette dette est nécessaire
pour décider de la légitimité ou non de celle-ci et pour
imposer, au cas fort probable d’une réponse négative, son
annulation pure et simple". Cette idée d'audit
ne peut, bien évidemment, se concevoir dans le sens où
l'entendent et le pratiquent les entreprises ou les
institutions, sous forme de la délégation d'une mission à
quelques spécialistes... tout en laissant le soin de régler
les problèmes identifiés à d'autres. L'"audit" qu'il nous
faut mener est d'une autre nature, radicalement différent.
Plus justement qu'un audit citoyen qui se
contenterait de faire un simple constat, il s'agit de mettre
en place un contrôle le plus large, le plus démocratique,
des travailleurs et de leurs organisations sur le
fonctionnement des finances publiques et des institutions
financières.
La
mise en place d'un tel contrôle peut sembler extrêmement
compliqué et utopique, mais cela n'est pas le cas. Car nos
"spécialistes" des dossiers financiers et fiscaux, nous les
avons : ce sont les travailleurs des banques et des services
fiscaux. Ils ont directement accès à l'ensemble de ces
dossiers, ce sont eux qui les traitent, quotidiennement.
Collectivement, ils ont entre leurs mains tous les secrets
de la finance... Et le travail qu’ils font aujourd'hui, sous
le sceau du "secret bancaire" et au profit des patrons de la
finance, ils peuvent le faire, quasiment du jour au
lendemain et sans bouleversement technique majeur, au profit
de la collectivité, et au grand jour.
Etablir
le contrôle démocratique des travailleurs sur la finance
n'est donc en rien un problème "technique". C'est un
problème politique, un objectif tout à fait réaliste que
doivent se donner tous ceux qui entendent trouver une issue
anticapitaliste à la situation.
Il
est bien évident qu'une telle incursion des travailleurs
dans le domaine de la finance remet directement en cause le
pouvoir sans limite qu'impose l'aristocratie financière à
l'ensemble de la société, par le biais des institutions
politiques en place et des hommes et femmes politiques qui
les servent. La lutte pour la défense des intérêts des
travailleurs est inséparable de la question du pouvoir.
La
tension qui traverse actuellement la situation politique, en
faisant de plus en plus clairement apparaître les clivages
de classe, met en évidence le rôle des partis
institutionnels, leur fidélité aveugle aux intérêts des
classes dominantes. En Grèce, en Espagne, au Portugal, ce
sont des gouvernements de gauche qui mènent l'offensive. En
France, si l'offensive est actuellement menée par Sarkozy,
le PS, dont Strauss-Khan est un des candidats potentiels
pour 2012, n'a pas d'autre programme, bien des travailleurs
le savent.
Tout
cela met en avant la nécessité, pour les travailleurs, de
trouver leur propre réponse à la question du pouvoir, un
gouvernement démocratique des travailleurs.
Une
telle politique implique de ne pas craindre de rompre avec
l'Europe de la BCE, l’Europe de la libre concurrence. Cette
rupture ne constitue pas, en elle même, une solution, pas
plus que les tentations protectionnistes, mais elle est un
passage obligé vers une autre politique, s'adressant à
l'ensemble des travailleurs européens, pour construire une
autre Europe, celle de la solidarité des travailleurs et des
peuples.
Daniel Minvielle
[1]
Débat
révolutionnaire n°26 - Mettre fin à la main mise des
rentiers et des spéculateurs sur les fonds publics