LO, le NPA, les anticapitalistes et révolutionnaires face à leurs responsabilité
Le
NPA, cette année, était invité à un débat à la fête de Lutte
ouvrière. Nouveauté puisque l’an dernier LO n’avait pas jugé
possible de débattre avec un parti « ni communiste ni
trotskyste ». Bien que, semble-t-il, le jugement porté par
LO sur le NPA ne se soit pas amélioré, bien au contraire,
nous étions invités. A débattre, c’est beaucoup dire puisque
de toute évidence il s’agissait de faire une parodie de
procès du NPA accusé non seulement d’avoir « une
orientation électoraliste et réformiste », mais pire,
comme le verdict en est tombé à la fin, de vouloir
construire consciemment un parti réformiste, l’alliance avec
le PS… Nous n’avons même pas les circonstances atténuantes.
Pourquoi
nous avoir alors invités à débattre puisque la direction de
LO n’avait nullement l’intention de…débattre. Parce que,
malgré tout, il lui est difficile de nous ignorer et de
rompre avec la tradition qui veut que la fête de LO soit un
cadre de discussion et d’échange.
Nous
souhaitons pour notre part établir des relations
démocratiques avec les camarades de LO comme avec tous les
courants et militants qui se réclament du mouvement ouvrier,
y compris d’ailleurs réformistes.
Nous
avons voulu débattre et nous voulons continuer de débattre
parce que quelles que soient les divergences, quelles que
soient les erreurs et faiblesses du NPA, quelles que soient
les limites de LO nous sommes confrontés aux mêmes
responsabilités.
Cette
discussion doit éviter les caricatures, les raccourcis, ses
enjeux sont de taille. L’évolution de la crise et ses
conséquences obligent l’ensemble du mouvement
révolutionnaire à un bilan critique pour discuter des moyens
de faire face aux échéances importantes qui s’approchent.
Nous voulons débattre avec les militants de LO pour essayer
de dégager les convergences qui pourraient nous permettre
d’agir ensemble, de peser ensemble dans les luttes tant
sociales que politiques.
Divergences
et responsabilités communes
Il
y a des divergences entre LO et le NPA, c’est une évidence.
Il y a aussi des désaccords et discussions au sein du NPA
sur certains aspects de la politique mise en œuvre ses six
derniers mois ou sur nos perspectives. Mais avoir des
divergences même importantes ne veut pas dire la rupture de
solidarité, et a fortiori une politique d’hostilité
déclarée. L’attitude de LO est en fait le reflet de sa
propre faiblesse, des limites de sa propre direction et de
ses craintes, une faiblesse qui l’empêche de débattre et
l’enferme dans le protectionnisme politique.
LO
formule des critiques sur les régionales dont bien des
aspects sont partagés par des militants du NPA, mais ces
critiques ne débouchent sur rien puisque LO ne milite que
vis-à-vis de ses propres militants et sympathisants, que
vis-à-vis d’elle même sans chercher à influencer les autres
forces, militants y compris antilibéraux, ou les militants
du NPA, pour peser ensemble, exercer notre influence sur les
autres forces politiques, leurs militants, les travailleurs
qu’elles influencent.
Sans
doute la direction de LO craint-elle les relations
démocratiques qu’une telle politique impliquerait, de
prendre le risque d’être influencée à son tour mais on ne
peut construire un parti sans faire de la politique
vis-à-vis des autres organisations du mouvement ouvrier, y
compris réformistes et antilibérales, y compris vis-à-vis
des appareils bureaucratiques des confédérations syndicales.
Souvent
le radicalisme des critiques peut masquer la démoralisation
et la passivité. Pour notre part, nous ne craignions aucune
discussion, aucune confrontation et nous voudrions croire
que d’autres discussions pourront avoir lieu pour explorer
ce qu’ensemble nous pourrions faire pour répondre à nos
responsabilités.
Des
objectifs fondamentaux qui nous réunissent
Les
effets de tribune à usage interne ne peuvent effacer les
faits politiques. LO et le NPA partagent fondamentalement
les mêmes objectifs. Nous refusons que les travailleurs
fassent les frais de la crise, nous militons pour un
mouvement d’ensemble afin de changer le rapport de force,
faire payer patrons et financiers, imposer les exigences du
monde du travail. Cet objectif ce combine avec celui de
construire un parti pour la transformation révolutionnaire
de la société, instrument pour les luttes aujourd’hui, pour
la lutte pour le pouvoir démocratique demain, parce que nous
savons que la politique des directions syndicales paralyse
les mobilisations et qu’il ne peut y avoir de réponse à la
crise si l’on craint la remise en cause de la propriété
privée capitaliste.
Ces
objectifs sont liés, se combinent et déterminent l’ensemble
de notre travail militant, nos tâches. Et cela dans un
contexte radicalement nouveau du fait même justement de
l’évolution du monde et de la crise globale qui se développe
en conséquence de la mondialisation financière, libérale et
impérialiste.
Elle
modifie de fond en comble la donne. Elle est bien plus
qu’une nouvelle crise réplique de crises passées, elle
marque une étape importante, un réel basculement du monde
dans une période d’instabilité sociale et politique qui
débouchera sur des processus révolutionnaires.
Les
rythmes vont nécessairement s’accélérer. Les Etats sont au
cœur de la tourmente, ce qui donne au débat sur l’issue à la
crise une dimension politique, la question du pouvoir est
directement posée. La possibilité que la gauche libérale
revienne aux affaires à l’occasion des échéances de 2012
donne un contenu très concret au débat dont la politique des
socialistes grecs définit le cadre.
Les
éléments de crise sociale et politique
Nous
rentrons dans une période d’instabilité, de déséquilibre et
de rupture qui va provoquer une rapide politisation dans la
jeunesse et le monde du travail. L’avenir même de la société
est en jeu.
C’est
bien pourquoi on est quelque peu surpris quand Lutte
ouvrière, dans le dernier numéro de sa revue Lutte de
classe, dans un article sur la crise de la droite et
sa défaite aux régionales, annonce un « un retour vers la
situation antérieure ». Etrange façon de regarder
l’avenir, d’essayer d’anticiper les évolutions en cours que
de pronostiquer un retour au passé ! Curieux symptôme d’une
pensée craintive de l’avenir qui cherche à se rassurer !
Dans
le même registre, le texte sur la situation intérieure du
dernier congrès de LO dénonce « la guerre que le patronat
et le gouvernement mènent contre les travailleurs »
pour aussitôt préciser « cette guerre n’est pas nouvelle ».
Certes, mais il y a des seuils qui changent complètement la
donne même pour les esprits qui cherchent désespérément à se
rassurer sur la stabilité du monde ! Crise de la droite,
retour de l’extrême droite, possible retour de la gauche,
forte abstention, crise se combinent pour créer les éléments
d’un crise sociale et politique. La question n’est pas de
faire des pronostics sur ses rythmes mais de nous y
préparer, d’y préparer les travailleurs.
Nous
y préparer, c’est d’abord discuter nos réponses face à la
crise. L’on ne peut se contenter comme dans le dernier
numéro de la Lutte de classe de dire que « mettre
fin à l’organisation capitaliste de l’économie devient une
nécessité vitale ». C’est certes juste mais quelque
peu général et abstrait. Il nous faut discuter des moyens de
réaliser cet objectif, qui ne peut se faire par un simple
saut dans l’histoire, passera par des étapes, un processus
dont nous ne connaissons pas encore les prémices mais dont
dès maintenant nous devons définir la première étape, la
conquête de la démocratie par les travailleurs.
Actualiser
la démarche transitoire, n’est-ce pas cela la signification
de la référence au trotskisme ?
Il
est juste de défendre, de populariser dans les élections les
exigences des travailleurs pour ne pas faire les frais de la
crise que provoque la politique des classes capitalistes, il
est juste d’affirmer la nécessité d’exproprier les
expropriateurs mais toute la question est de faire le pont
entre les deux, c'est-à-dire de poser la question du
pouvoir. Partir des besoins immédiats du monde du travail
pour faire le lien avec la nécessité d’en finir avec la
domination du capital financier, annuler la dette, produire
pour satisfaire les besoins humains ce qui pose la question
de la prise du pouvoir par les travailleurs pour imposer
leur contrôle sur la marche de la société. Etre
révolutionnaire, c’est poser la question du pouvoir même si
les conditions n’en sont pas mûres, non sous la forme
générale de la destruction du capitalisme mais bien sous la
forme du pouvoir politique.
L’occasion
manquée de 1995 à 2007
Ensuite
nous préparer à la période qui commence, anticiper l’avenir
pour le construire, en être les acteurs, passe,
paradoxalement peut-être, par un retour en arrière, un bilan
critique du mouvement révolutionnaire. Essayer d’apprendre
de notre propre passé.
Ce
bilan impose un premier constat : l’extrême gauche n’a pas
su capitaliser la sympathie qu’elle a rencontrée entre 1995
et 2007, elle n’a pas su surmonter ses divisions pour jeter
les bases d’un rassemblement ouvrier et populaire,
anticapitaliste et révolutionnaire.
Pourquoi ?
On ne peut pas se contenter de dire que les conditions
objectives n’étaient pas mûres. C’est qui, c’est quoi les
conditions objectives ? On ne peut se contenter de dire, les
autres trahissent, abandonnent le communisme, le trotskisme,
c’est le recul. Nous devons nous interroger sur les raisons
de cet échec.
On
est frappé quand on lit la Lutte de classe qui
analyse les résultats des élections régionales de ne voir
aucun élément d’analyse et d’explication de l’abstention.
Certains camarades au sein du NPA minimisent eux aussi la
portée de cette abstention massive dans la classe ouvrière
et la jeunesse.
Pourtant
elle est d’une certaine façon le reflet de notre échec. Non
pas directement, elle renvoie quant au fond à une
dépolitisation et à un sentiment d’impuissance face au de
jeu de dupes que représente la démocratie institutionnelle.
Mais l’importance de cette abstention au regard de nos
propres résultats démontre à quel point nous n’avons pas su
convaincre, ni LO ni le NPA, de l’utilité de voter pour
nous, alors qu’en 2002 l’extrême gauche dépassait 10 % des
voix.
Nous
ne sommes pas certes électoralistes, mais les élections
donnent une photographie de l’influence politique. L’extrême
gauche reste en marge et il n’est pas possible d’évacuer la
discussion sur les raisons de cette situation. Il y a là un
véritable problème qui exprime la difficulté qu’a l’extrême
gauche à passer d’une longue histoire d’opposants au
réformisme social-démocrate ou stalinien à une politique de
parti postulant à exprimer les intérêts des travailleurs, à
unir leurs luttes, à aider à leur convergence et posant la
question du pouvoir.
Nous
avons manqué une première occasion durant la période qui va
de 1995 à 2007 qui a vu le discrédit croissant de la gauche
plurielle, l’effondrement du PC qui a jalonné l’offensive de
la bourgeoisie à travers la mondialisation libérale et
impérialiste. Jusqu’au début de la grande crise actuelle qui
repose le problème en termes nouveaux.
Pour
avancer, la première chose est d’assumer cet échec, relatif
aux possibilités, certes mais réel. Ensuite, il faut
chercher des réponses militantes en essayant d’apprécier les
faiblesses de l’extrême gauche, dégager les leçons de cette
période de 15 ans.
Le
diagnostic part de l’analyse des politiques de la LCR et de
LO avant la crise et la fondation du NPA. Les
caractéristiques qui opposent les orientations des deux
organisations éclairent sur les causes essentielles de nos
difficultés à dépasser nos limites. On peut les résumer en
parlant d’une forme de suivisme de l’ancienne Ligue
vis-à-vis des réformistes, du PC, et de l’incapacité de la
direction de LO d’avoir une politique de parti disputant
leur influence aux réformistes à travers une politique de
front unique qui ne se cantonne pas à la dénonciation.
Ces
deux défauts ont une origine, une explication de fond liées
à l’histoire du mouvement révolutionnaire qui est resté trop
longtemps marginalisé par rapport à la classe ouvrière du
fait de la domination du Parti communiste et de la
bureaucratie de la CGT qui lui était liée.
L’enjeu
de la bataille actuelle est de dépasser ces limites. C’est à
la fois nécessaire face à l’évolution de la crise du
capitalisme et possible de par l’effondrement du vieux parti
issu du stalinisme.
Le
projet du NPA ou la nécessité de regrouper les
anticapitalistes
C’est
ce défi que nous avons voulu relever en lançant le processus
de fondation du NPA. D’une certaine façon notre projet se
situe dans la continuité de l’appel d’Arlette en 95 à la
construction d’un parti des travailleurs, ou plutôt d’une
autre façon, dans des conditions radicalement différentes.
Au
lieu de rester prisonniers d’une façon de concevoir le parti
par en haut nous avons engagé un processus par en bas. Nous
n’avons pas voulu nous contenter d’un appel, nous avons
engagé un processus qui n’en est qu’à sa première étape.
Notre premier congrès précisera, définira mieux les
contours, les perspectives, les divergences à la lumière de
ses 18 premiers mois. Il s’agit de constituer le NPA en
parti des luttes de classes et de nous donner, au mieux les
moyens de faire aux conséquences politiques du développement
de la crise.
Le
fond du désaccord avec nos camarades de LO est que leur
raisonnements et conceptions n’ont pas suivi, accompagné les
évolutions sociales et politiques. « Nous ne construirons
pas le parti par la méthode du un plus un, plus. Mais dans
des circonstances favorables, le parti peut se construire
très vite, « à la vitesse de la lumière » disait Trotsky,
pour peu qu’existe un noyau cohérent de militants
compétents. C’est ce noyau qu’il nous faut construire » écrivait
la direction de LO à l’occasion de son dernier congrès.
Trotsky est appelé au secours d’un raisonnement qui lui est
pour le moins étranger. Je ne sais pas si la prestation de
nos deux interlocuteurs lors du débat de la fête de LO
faisait partie d’un test d’évaluation de compétence, mais il
est clair que la construction d’un parti révolutionnaire
dans la période de tourmentes qui commence exigera d’autres
capacités, d’autres qualités : la capacité démocratique,
l’esprit critique, la capacité à entendre, à prendre en
compte les raisonnements des autres, le courage de savoir
être minoritaire, de défendre un point de vue, d’entraîner
les autres, de leur faire partager idées et enthousiasme…
Cela
veut dire en particulier avoir une politique de parti
vis-à-vis des autres forces. Cela veut dire un
fonctionnement interne ouvert, être capable de prendre le
risque de s’ouvrir à d’autres militants, à d’autres forces,
être en mesure de discuter des moyens de développer une
politique de Front unique ce qui fait partie de nos
références communes.
Nos
divergences sont-elles surmontables ?
De
toute évidence dans ses relations avec le NPA la direction
de LO a plus le souci de cliver que de rechercher les
convergences, ou simplement de discuter pour convaincre.
Cette attitude a une logique qui la conduit à dénoncer nos
« objectifs réformistes » puis notre prétendue
volonté de construire un parti réformiste, de rechercher
l’alliance avec le PS… Tout ça est ridicule et démontre en
retour que le volontarisme moraliste de LO peut se retourner
contre ses acteurs mêmes. L’enfer est pavé de bonnes
intentions dit l’adage populaire, les bonnes intentions
révolutionnaires de LO, elles, pavent la route d’un
sectarisme hors de propos, d’une agressivité à laquelle même
Nathalie Arthaud, dans ses apparitions publiques, n’arrive
pas à échapper.
Le
propre des réformistes n’est-il pas d’opposer les luttes
sociales et les luttes politiques ? Une des principales
divergences entre nous est justement là. LO, dans les faits,
se contente d’une agitation économiste sans jamais
réellement poser la question du pouvoir politique des
travailleurs. Nous voulons donner aux luttes toute leur
dimension politique en posant la question du pouvoir. LO se
contente de phrases incantatoires sur « la destruction du
capitalisme ».
C’est
bien là le saut qualitatif que l’extrême gauche a à faire :
devenir une véritable parti politique posant la question du
pouvoir en termes concrets.
Le
basculement que connaît le monde avec le développement de la
crise, la question de la dette et des déficits, le possible
retour de la gauche libérale aux affaires met la question du
pouvoir, quel gouvernement, pour quoi faire, au centre des
débats.
Poser
la question du pouvoir, sortir de l’incantation implique de
mener une politique de front unique vis-à-vis des autres
forces qui se revendiquent du mouvement ouvrier.
Faire
de la politique ne relève pas que de la simple accumulation
primitive, du recrutement un par un par le bouton de veste
ou faire la morale à tout le monde au nom d’une classe
ouvrière et d’un communisme mythique.
LO
s’est développée en prenant des initiatives, en discutant,
en polémiquant, en faisant de la politique au cœur du
mouvement réel. Aujourd’hui, ses militants ont des choix
importants à faire. Ou continuer sur la route prise au
lendemain de 1995 quand leur direction a abandonné la
perspective de construire un parti des travailleurs pour se
replier sur elle-même ou reprendre l’offensive, préparer les
luttes à venir en les armant d’une perspective politique.
La
crise du capitalisme ne laisse pas de place pour un nouveau
réformisme ni pour un économisme qui limiterait
l’intervention des travailleurs sur le seul terrain des
luttes sociales. Le NPA est un pari, ou plutôt un défi, pour
contribuer à ce que le mouvement révolutionnaire se
constitue en un véritable parti de masse. Rien n’est gagné,
notre prochain congrès sera décisif, mais nous avons toute
raison d’avoir confiance.
Nous
avons confiance parce que nous savons que celles et ceux qui
voudraient construire, aujourd’hui, à l’heure de la crise
globale du capitalisme mondialisé un véritable parti
réformiste n’auraient pas d’autre choix, pour être
conséquent, que de prendre le chemin… de la révolution…
Yvan
Lemaitre