Chronique d'un bouleversement
Fin
de semaine dernière, les ministres des finances des 20 pays
les plus riches se sont retrouvés une nouvelle fois. Il
s'agissait de préparer le prochain sommet du G20 qui doit se
tenir à Toronto les 26 et 27 juin. Refrain de rigueur, il y
a été question, bien sûr, de "ramener la confiance sur
les marchés"... Pour cela, pas de scoop dans le
communiqué final : "Les pays confrontés à de graves défis
budgétaires doivent accélérer le rythme de la
consolidation. Nous saluons les récentes déclarations de
certains pays sur la réduction de leurs déficits en 2010
et le renforcement de leurs cadres budgétaires et de leurs
institutions"...
Dans
le droit fil politique de cette déclaration, Sarkozy et
Merkel annonçaient dimanche soir la mise en route du "plan
européen" concocté le 9 mai dernier, censé "rassurer"
les marchés, offrant des centaines milliards aux banques et
donnant un nouveau tour de vis brutal aux travailleurs.
Mais
dès lundi, les Bourses plongeaient de nouveau. Les marchés
obligataires, "rassurés", réagissaient en toute logique par
de nouvelles attaques contre les pays fragilisés par la
dette. La Hongrie entrait à son tour dans le club des pays
menacés de faillite... Merkel, qui devait rencontrer Sarkozy
lundi soir pour discuter d'une nouvelle stratégie européenne
contre la crise, lui a posé un lapin pour aller présenter
aux députés le plan de rigueur qu'elle compte faire
ingurgiter à la population allemande...
Comme
pour mieux illustrer les raisons de l'impuissance des
dirigeants politiques à contrôler un tant soit peu
l'évolution de la crise, le nouveau procès de G. Kerviel
vient de s'ouvrir mardi. La Société Générale veut faire
payer à son ancien trader le fait de lui avoir fait perdre,
dans le cadre de son activité quotidienne, 4,9 milliards
d'euros... Autre procès qui fait la une, celui de Jean-Marie
Messier, ex-PDG de Vivendi-Universal, accusé d'avoir, au
début des années 2000, conduit le groupe au bord de la
ruine, "d'avoir dissimulé la catastrophe en présentant
sous un jour favorable les chiffres de la société, d'avoir
manipulé le cours de l'action et tenté de se faire
octroyer un "parachute doré" de 20,5 millions d'euros"... Ces
procès, ce sont ceux d'un système totalement soumis à la
spéculation et dont la folie s'étale au grand jour.
Pendant
ce temps, dans le Golfe du Mexique, la catastrophe
écologique continue. Cela n'empêche pas son responsable, la
compagnie pétrolière BP, de promettre à ses actionnaires
d'assurer leurs dividendes, dont le total pourrait atteindre
dix milliards et demi de dollars...
L'actualité
de la semaine reflète, en concentré, la crise globale dans
laquelle les classes capitalistesenfoncent la société.
Discuter des moyens d’en sortir, c’est revenir sur
l’histoire de ces trois dernières années où le monde a connu
un profond et irréversible basculement vers la régression
économique, sociale, politique. Nous voudrions y revenir à
travers les principaux articles de Débat militant,
puis de Débat révolutionnaire qui ont jalonné cette
période. Plus que la continuité de nos analyses, c’est la
continuité des luttes de classes que nous voudrions
illustrer, en considérant la crise comme « un moment de
la lutte de classes »pour mieux saisir les moyens de
rompre la spirale destructrice…
Chaque
passage en italique constitue un hyperlien, cliquez dessus
pour accéder à l’article correspondant… il est également
possible de télécharger la version pdf de l'ensemble de la
compilation, grace au lien situé à la fin de cet article.
En
aout 2007, la
crise commence avec l’éclatement de la bulle spéculative du
crédit immobilier américain. C'était la première
manifestation d'un phénomène bien plus global, aboutissement
de la dernière phase de la mondialisation, d'une spéculation
sans limite sur la dette privée. Le secteur du crédit
immobilier des Etats-Unis s'est effondré le premier, mais
tous les secteurs de l’économie étaient atteints de la même
maladie. C'étaient les premiers pas
d'une crise financière globalisée... Les
titres de dette qui avaient jusque-là constitué une manne
pour les spéculateurs et qui s'étaient disséminés, au gré
des jeux spéculatifs, dans l'ensemble du système financier,
sont brutalement devenus "toxiques". Premières responsables
de cette situation, les banques étaient menacées de perdre
leur mise... La panique a saisi les marchés financiers,
entraînant l'effondrement des Bourses. La crainte, pour
chaque banque, que ses partenaires ne soient menacées de
faillite du fait de la possession de titres toxiques a
déclenché une crise généralisée du crédit...
Les
gouvernements y ont répondu en injectant des milliers de
milliards dans les circuits financiers. Cet argent a surtout
servi à éviter la ruine des grandes banques en faisant
prendre en charge les faux-frais de leur cupidité par les
contribuables. Des réponses de classe en droite ligne de la
politique qui avait conduit à la crise et qui posent, face à la crise
mondialisée de la civilisation du profit,
l'urgence sociale et démocratique.
Renflouée
par l'argent public, soutenue par la politique des
dirigeants aux ordres, la spéculation a pu reprendre de plus
belle...
Début
2008, ce sont
les secteurs de l'énergie et des matières premières, dont
celles du secteur agricole, qui sont devenues la cible de
cette spéculation, conduisant une trentaine de pays pauvres
à la famine, aux émeutes de la faim. Pour faire face à la
mondialisation de la crise, le nécessaire
regroupement politique des travailleurs
s'impose comme la seule issue possible.
La
crainte de la contestation sociale tout comme les
conséquences économiques de la hausse des prix de l'énergie
et des matières premières a gagné les dirigeants politiques.
Tous prétendent alors vouloir "réguler", "moraliser"
le capitalisme... Ils montrent surtout leur impuissance face
à une situation qui les dépasse : spéculation, surprofits,
inégalités... vers la catastrophe annoncée...
Ce
que confirment, en
septembre 2008,
les faillites retentissantes de grandes banques, dont
Lehman-Brothers aux Etats-Unis. Loin d'éloigner les risques
de crise, les milliards n'ont fait que retarder l'échéance.
La chute n'en est que plus rude, et c'est la panique financière et
boursière, récession, crise globalisée de
la mondialisation.
Mais
qu'à cela ne tienne : des centaines de milliards sont de
nouveau distribués par les Etats. Les discours encensent ce
nouvel "interventionnisme" des Etats. Serait-ce le "socialisme
à Wall-Street" ?... Mais la crise n'a pas sonné la fin
du libéralisme, elle a simplement accentué la main mise du
capitalisme financier sur les Etats, l'évolution vers un libéralisme d'Etat !
Nouveaux cadeaux aux grand patronat industriel et financier,
nouveaux coups contre les travailleurs, c'est ce queSarkozy
appelle le retour vers "les sources éthiques du vrai
capitalisme"... Le "retour du politique", c'est
l'étatisme de Sarkozy, ou
l'union de la banque et de l'Etat contre les
travailleurs et les peuples.
Une
nouvelle fois, gavé d'argent public, le monde de la finance
reprend ses jeux de casino. Les grandes entreprises
industrielles (construction, automobile) bénéficient elles
aussi des milliards de l'Etat (commandes, prime à la casse).
Cette "relance" ne pouvait être, bien évidemment, qu'une
relance des profits. Elle accumulait de nouvelles
difficultés financières, économiques, mais aussi
sociales... La solution ne peut venir que de l'intervention
des classes populaires, autour de leurs propres exigences :
la relance, c'est la
nationalisation des banques, le contrôle des
travailleurs, la hausse des salaires, le partage du
travail...
L'année
2009 commençait
avec les manifestations massives du 29 janvier en France,
aux cris de "Aux riches de payer leur crise". Se
tenait aussi le congrès du NPA, au moment
où tout peut basculer...
Les
milliards de cadeaux des Etats se sont traduits en 2009 par
une croissance quasi continue des Bourses, une année
d'annonces scandaleuses de résultats des grands groupes, du
CAC40, des dividendes distribués aux actionnaires, des bonus
et autres pactoles distribués aux plus riches. Le tout
ponctué de grandes messes et autres G20, occasion pour les
dirigeants politique des plus grandes puissances de mettre
en scène leurs discours sur la "régulation". Mais ils nous
jouent en vain "la
comédie de Londres" : la "régulation" ne peut venir
que des travailleurs et des populations.
Fric
à gogo d'un côté, récession et chômage de l'autre... tandis
que les affaires reprenaient pour les vautours de la
finance, la crise de "l'économie réelle", elle, ne cessait
de s'aggraver, jetant des centaines et des centaines de
salariés au chômage, alimentant la récession. Cela
n'empêchait pas les gouvernements de nous expliquer que
puisque la finance allait bien, tout allait s'arranger,
qu'il suffisait de prendre son mal en patience. Du bluff : l'embellie
boursière, la reprise, ne sont que
les mirages d'un capitalisme sans amarre.
La réalité de leur "sortie de crise", c'est le mirage de la reprise ou
comment la politique des classes dominantes alimente
leur crise.
L'été
2009 s'annonçait
comme l'"été
financier" qui prépare la tempête...Les
dirigeants des 20 pays les plus puissants du monde se
réunissent de nouveau fin septembre pour annoncer, derrière la
farce du G20, l'offensive des classes dominantes...
A nouveau, ce sont les discours sur la reprise, sur la
nécessaire moralisation du capitalisme, sa régulation... Un
rideau de fumée destiné à envelopper de nouvelles attaques
contre les populations. Mais le mensonge sur la sortie de
crise n’a pas tardé à faire long feu.
Fin
octobre 2009,
alors que les résultats des multinationales confirmaient une
reprise importante des profits, l'accumulation des déficits
publics commence à tracasser les milieux dirigeants,
inquiets d'une
fièvre financière qui annonce une probable rechute.
Inquiétude justifiée...
Début
décembre 2009,
premier coup de semonce de la crise des déficits publics qui
s'annonce, l'Emirat de Dubaï annonçait ses difficultés à
payer les intérêts de ses dettes. On entre dans un nouvel épisode d'une crise
chronique.
Début
2010, la Grèce,
l'Espagne, le Portugal, dont la dette a été creusée par les
milliards dilapidés en soutien à la finance et la diminution
des ressources publiques consécutive à la récession, sont
touchés à leur tour. Tous ces pays, et bien d'autres, sont
victimes de ces mêmes banques qui ont empoché les milliards
de « soutien » des Etats, et qui spéculent
maintenant sur la dette publique qu’ils ont contribué à
creuser et dont ils se nourrissent, entraînant leurs
débiteurs vers la faillite. La dette publique, c'est le
tribut payé par l'humanité à la finance.
Un phénomène qui dépasse largement la Grèce, symptôme d'une
Europe malade de la dette et de la spéculation
financière.
La
crise de la dette privée de 2007 s'est transformée en crise
de la dette publique, menace d'un nouvel effondrement
financier généralisé, mais aussi nouvelle étape dans
l'offensive des classes dominantes contre les peuples, pour
leur faire payer la crise. C'est le tournant grec,
un pas de plus dans la crise. Une urgence s'impose : mettre fin à la main mise des
rentiers et des spéculateurs sur les fonds publics.
Ça n'est bien entendu pas la
perspective choisie par les dirigeants européens, confrontés
à une crise qui se répercute sur l'ensemble de l'Union
européenne et sa monnaie, l'euro... Le plan européen
concocté le 9 mai par Sarkozy-Merkel, poussés par Obama et
soutenus par le patron de la BCE Trichet et du FMI
Strauss-Khan, est un nouveau cadeau de 750 milliards au
monde de la finance. 250 milliards seront fournis par le
FMI, 500 milliards seront empruntés par les Etats aux
banques pour racheter à ces mêmes banques les "titres
toxiques" qu'elles ont accumulé en spéculant sur la dette de
ces mêmes Etats... C'est une nouvelle fuite en avant dans
la spirale de l'endettement. Elle s’accompagne, sous
prétexte de "réduire les déficits" et "de rassurer
les marchés", de plans d’austérité d'une violence sans
précédent pour faire payer la crise aux travailleurs et aux
couches populaires, un pas de plus dans la guerre pour les
profits que mène l'aristocratie financière contre la classe
ouvrière du monde entier.
Les
travailleurs grecs et espagnols ont déjà dit massivement,
dans la rue, leur détermination à ne pas payer pour les
"voleurs", portant l'exigence qui s'impose : contre les prédateurs de la
finance et les Etats, refuser de payer la dette...
*******
Dépassés
par la situation, les gouvernements ne connaissent qu'un
remède : des milliers de milliards pris sur les fonds
publics pour les banquiers ; la régression sociale pour les
couches populaires, condamnées à payer la facture. Ces
mesures, l'expérience de trois ans de crise l'a clairement
montré, sont impuissantes à juguler la crise. Pire, elles
l'aggravent.
Mais
il n'y a rien d'étonnant à ce que, malgré cela, la grande
bourgeoisie financière et ses larbins politiques s'obstinent
dans une fuite en avant destructrice. Leur seule logique est
celle des profits, qu'elles qu'en soient les conséquences.
Ces profits, ils les extorquent aux classes laborieuses, par
tous les moyens. De ces richesses produites par le travail
humain, ils tirent les capitaux avec lesquels ils
spéculent... Et lorsque leur système s'enraye, conséquence
de leur guerre de classe, ils ne savent rien faire d'autre
qu'accentuer la pression sur la source véritable de leur
richesse, les exploités... Ne pas le faire serait admettre
la faillite de leur système. Et ce serait accepter les
conséquences de cette faillite : la fin de leur pouvoir sur
la société, la fin de leurs titres de propriété sur
l'ensemble des moyens de production et d'échange, la fin de
leur domination de classe.
Sortir
de la crise que connaît le capitalisme impose de remettre en
cause ce qui en fait le fondement même, la course au profit,
le contrôle de l’ensemble de l’économie par une poignée
d’aristocrates financiers. Cela ne peut-être le fait que des
exploités, de leurs luttes sociales et politiques pour
imposer leurs propres exigences.
Actuellement,
en Chine, de nombreux
salariés mènent des grèves dures pour les salaires. Ceux du
groupe Foxconn, qui fabrique du matériel électronique pour
des marques comme Apple, viennent d'arracher des
augmentations qui vont faire passer le salaire moyen de 900
yuans aujourd'hui à 2000 (245 euros) au mois d'octobre. La
grève continue dans les usines Honda et quelques autres,
avec des manifestations qui se heurtent aux forces de
répression. Mardi dernier, les travailleurs de la fonction
publique espagnole étaient en grève et dans la rue pour dire
leur refus du plan d'austérité que cherche à leur imposer le
gouvernement socialiste de Zapatero...
L'alternative
est là.
La
crise globale du capitalisme que nous vivons est
l'aboutissement de 30 ans d'expansion capitaliste,
c'est-à-dire de concentration croissante des richesses entre
les mains d’une minorité au détriment de la majorité. Elle
ouvre à son tour une nouvelle étape de cette mondialisation.
Le
capitalisme, tandis qu'il courrait vers la faillite,
préparait en même temps les éléments de son propre
dépassement : des millions et des millions de salariés
répartis sur l'ensemble de la planète, et soumis à la même
exploitation, exacerbée par la crise. Régression continue
pour les uns, milliards des Etats et "résultats" insolents
pour les autres, les inégalités sociales deviennent
insupportables et nourrissent la révolte populaire. Une
crise politique latente se développe qui touche bien au delà
des individus et des partis qui sont "aux affaires". Tous
les partis de gouvernement sont touchés, et à travers eux,
finalement, les institutions des Etats bourgeois eux-mêmes.
La question du pouvoir se pose directement à tous ceux qui
refusent de faire les frais de la crise. Le tournant que
nous sommes en train de vivre accentue l'urgence et la
nécessité, pour les classes populaires, de se regrouper
autour d'un plan contre la crise. Il en réunit aussi les
possibilités.
Ce
plan, c'est l'exigence de mettre fin à la régression
sociale, en imposant des salaires décents, l'interdiction
des licenciements, la répartition du travail entre tous, la
fin des attaques contre les retraites, la protection
sociale, les droits à la santé... C'est aussi l'exigence de
retirer aux financiers leurs moyens de nuire, en prenant le
contrôle du système financier. C'est enfin la nécessité de
décider nous-mêmes de notre vie, en mettant en place notre
pouvoir démocratique, un gouvernement des travailleurs et de
leurs organisations. C'est un plan vers le socialisme.
Daniel Minvielle