Un pas vers une lutte d'ensemble pour le retrait du projet de loi sur les retraites ?
Les
manifestations du 24 juin ont été un succès. Près de 2
millions de manifestants d'après la CGT, des cortèges nombreux
où se sont retrouvés des salariés du public et du privé, tout
cela témoigne de la révolte qui s'approfondit au sein du monde
du travail face à la politique du gouvernement.
Alors
que Sarkozy espérait avoir neutralisé les syndicats, tout en
multipliant les manœuvres de diversion, les salariés sont
descendus dans la rue pour dire leur colère et leur refus de
son projet de loi sur les retraites. Il devient clair pour
beaucoup de manifestants que le gouvernement veut faire des
retraites une bataille politique pour imposer un rapport de
force global contre l'ensemble des travailleurs. La question
des perspectives pour la lutte devient essentielle.
Jusque-là,
les directions syndicales ont tout fait depuis les mouvements
de l'année dernière pour éviter l'affrontement avec le
pouvoir, acceptant de jouer leur rôle dans la politique du
"dialogue social" qui se complète aujourd'hui de celle du PS
postulant au pouvoir en 2012. Mais l'offensive du gouvernement
et la maturation des consciences sur la crise, ses
conséquences en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Angleterre,
... créent une situation nouvelle pour bien des militants et
des travailleurs, cherchant une politique pour la lutte, son
extension, et faire reculer Sarkozy.
Les
propos de Fillon au lendemain du 24 prenant appui sur le fait
qu’aujourd’hui personne, ou presque, ne remettrait en cause
les réformes opérées depuis 93 pour justifier les nouvelles
attaques qu’il met en œuvre appellent une réponse : exiger non
seulement le retrait du projet, le maintien de la retraite à
60 ans à taux plein mais aussi le retour aux 37,5 annuités
pour tous maximum.
Pour
satisfaire les marchés financiers…
Le
16 juin, sans grande surprise malgré les effets médiatiques
pour tenter de faire croire que la "concertation" avec les
"partenaires sociaux" avait servi à quelque chose, Woerth a
annoncé le plan du gouvernement.
Principale
mesure, il veut imposer la fin de la retraite à 60 ans avec
passage de l’âge légal à 62 ans d'ici 2018 et recul de l'âge
pour l'obtention de la retraite à taux plein à 67 ans, ainsi
que l'allongement de la durée de cotisation à 41,5 annuités
d'ici 2020.
Il
annonce une augmentation des cotisations des fonctionnaires de
3 % d'ici 10 ans au nom de "l'égalité du public avec le
privé"... en passant sous la table le fait que les
fonctionnaires ne cotisent pas sur leurs primes pour la
retraite. Quant à la pénibilité, qui a tant fait discuter les
directions syndicales depuis 3 ans avec pas moins de 18
réunions avec le gouvernement, seuls les salariés ayant une
rente pour maladie professionnelle ou pour accident de travail
avec une incapacité égale ou supérieure à 20 % pourront partir
à 60 ans sans décote : soit seulement 10 000 travailleurs par
an, alors que 1,7 million de salariés sont exposés aujourd'hui
au port de charges lourdes ou à des produits toxiques.
Les
attaques sur l'âge de départ à le retraite devraient rapporter
près de 20 milliards, celles contre la Fonction publique près
de 4 milliards.
Quant
aux plus riches, que Sarkozy avait promis de mettre à
contribution, ils paieront + 1 % sur la dernière tranche
d'imposition, soit 230 millions... quand le bouclier fiscal
leur a fait gagner plus de 585 millions rien qu'en 2009 ! En
fait, 2 milliards sur les 3,7 de "recettes nouvelles"
viendront de l'annualisation du système de dégrèvements de
cotisations sociales sur les bas salaires qui va faire sortir
du dispositif des salariés touchant le 13ème mois.
Mais même là, le Medef parviendra sûrement à ce que le
gouvernement réaménage sa copie.
Pour justifier tous ces mauvais
coups, Woerth a utilisé le chantage de la catastrophe
démographique avec en prime sa morgue et les leçons de
morale en déclarant : "Vos enfants, vous ne pouvez pas
décemment les regarder dans la glace, si vous ne leur
dites pas que vous allez faire des efforts pour leur
éviter de payer de façon indue votre propre retraite"
!
Mais derrière ce chantage, le but
essentiel du gouvernement est de satisfaire les exigences
des marchés financiers. A L'Elysée, le pouvoir se vante de
faire "mieux que les Allemands", les yeux fixés sur
les écarts de taux d'intérêts entre la France et
l'Allemagne, tout comme Lagarde qui se réjouit de "la
montée en charge rapide " de la contre-réforme du
gouvernement.
Guéant est allé plus loin en
annonçant les prochains mauvais coups dans le Financial
Times, le quotidien le plus lu par les marchés, les
investisseurs et les agences de notation. Début juillet, "les
mesures d'économies seront annoncées (...) Nous avons
supprimé 100 000 fonctionnaires en trois ans. Nous
allons en supprimer 35 000 à nouveau l'année prochaine et
encore 35 000 en 2012. Les dépenses de santé sont aussi un
problème. Nous n'allons pas réduire les dépenses mais nous
allons changer le rythme de progression".
Dans
le même temps, Woerth et son secrétaire d'Etat Tron, préparent
le terrain de la réunion sur les salaires de la Fonction
publique pour les 3 ans à venir qui va se tenir le 25 juin. "On
ne peut pas demander aux fonctionnaires un effort, au même
titre qu'à tous les Français, et le rattraper
automatiquement dans la foulée" a déclaré Tron pour
justifier le gel des salaires sur 3 ans que le gouvernement
veut imposer. Il remet en cause les maigres 0,5 %
d'augmentation déjà prévu au 1er juillet !
Le
succès des manifestations du 24 juin vient de montrer la
révolte des salariés contre cette politique qui cherche à les
culpabiliser pour défendre les privilèges d'une infime
minorité de privilégiés. Ils ont répondu à l'arrogance de
Woerth, compromis avec sa femme dans l'affaire des fraudes
fiscales de la richissime Bettencourt dont il avait
connaissance alors qu'il était ministre du budget. Il avait
même accepté un chèque de... remerciement !
Les manifestants ont voulu
dénoncer cette politique de régression sociale au service
des classes dominantes qui ne s'arrêtera pas à la question
des retraites. Le gouvernement cherche à imposer un rapport
de force global pour faire passer son plan de rigueur. Face
à cela, c'est bien la lutte pour le retrait du projet de loi
sur les retraites et pour imposer un premier recul au
gouvernement qu'il s'agit de développer.
Cela signifie la rupture avec la
politique du "dialogue social" menée jusque-là par les
directions des grandes confédérations syndicales, mais aussi
le refus d'enfermer le mouvement dans l'attente de 2012 et
d'un retour éventuel du PS au pouvoir.
Les
leçons d'une bataille non menée
Jusqu'ici,
les directions syndicales se sont faites piéger dans le
calendrier que le gouvernement a maîtrisé de bout en bout. En
participant au jeu de dupes des "concertations", elles lui ont
laissé la main. Alors que Sarkozy et la droite étaient
affaiblis au sortir des régionales, ils ont pu remonter leur
mise en scène du "dialogue social", tout en distillant en même
temps dans l'opinion le contenu des mesures qu'ils voulaient
imposer.
En
rentrant dans ce jeu, sans dénoncer clairement que les
déficits étaient essentiellement dus à la politique de l'Etat
suite à la crise financière, les directions syndicales ont
entretenu le brouillage du gouvernement en accréditant l'idée
qu'il y a un vrai "problème" des retraites.
Après
les annonces de Woerth, les syndicats se sont scandalisés, ce
qui n'a pas empêché certains de participer encore à une nième
séance de "concertation". La CGT, qui a refusé cette
fois de participer à cette mascarade, a demandé au
gouvernement de "réécrire" le projet, n'osant même pas
appeler à la lutte pour son retrait pur et simple.
Cela
renvoie à la politique de l'intersyndicale, qui se fait sur le
plus petit dénominateur commun et sans volonté d'affrontement
avec le pouvoir. Dans le communiqué pour le 24 juin, si elles
dénoncent le projet du gouvernement, elles ne réclament même
pas le retrait pur et simple. Quant aux revendications, elles
restent dans le vague au moment où une bataille s'impose pour
légitimer la retraite à 60 ans à taux plein et les 37,5
annuités pour tous maximum.
A
force de refuser de mener ces batailles, la CFDT a pu imposer
à son congrès l'acceptation de l'augmentation des annuités
tout en affirmant que la question de la retraite à 60 ans
n'était pas négociable. Mais si les annuités augmentent, cela
signifie une régression encore plus grave du niveau des
pensions qui conduira de plus en plus de salariés à partir
au-delà de 60 ans ! En faisant voter cela à son congrès, face
à une opposition de plus de 40 %, Chérèque se positionne pour
négocier un mauvais coup avec le pouvoir.
Quant
à FO, la centrale poursuit son calcul en tablant sur le fait
que l'intersyndicale va se déconsidérer et que la CFDT va
trahir comme en 2003. Sans formuler de politique foncièrement
différente pour la lutte, ni même de revendications plus
claires si ce n'est sur le retrait du projet, elle poursuit sa
politique d'appareil. Mais la pression de militants qui
pensent qu'il faut riposter tous ensemble, commence à
bousculer ces calculs.
Par
contre, loin de ces calculs d'appareil, des discussions ont
lieu dans les équipes syndicales et parmi les salariés sur la
suite du mouvement où beaucoup aspirent à l'unité pour faire
céder le gouvernement, lui faire retirer son projet comme lors
du CPE, et pas pour suivre la politique de Chérèque.
La
question des objectifs de la lutte est essentielle pour la
suite, d'autant que la politique du "dialogue social" et de
négociation des mauvais coups se combine maintenant avec celle
du PS qui veut faire des retraites le premier round des
élections présidentielles.
Restant
sur la seule question des 60 ans, le PS se positionne
pour 2012
Dès l'annonce de Woerth, Aubry a
dénoncé une réforme "irresponsable" et "inefficace",
lançant la bataille pour la présidentielle comme le titrait
un article du Monde. Quelques jours avant, elle
avait déclaré qu'elle abrogerait en cas de victoire en 2012
toute remise en cause de l'âge de départ à la retraite à 60
ans. "Je le dis avec solennité, le PS, au côté des
organisations syndicales, va combattre le projet et
proposer un projet".
Mais si le projet du PS dénonce le
recul de l'âge légal, c'est pour faire accepter
l'allongement de la durée de cotisation. Dans une tribune
parue dans Libération, Sapin, Le Guen et Filippetti
l'expliquent clairement : "L'âge légal de départ à la
retraite à 60 ans doit être maintenu. Il est un acquis non
négociable. Nous devons en revanche affirmer le principe
d'un allongement de la durée de cotisation(...)
Actuellement l'espérance de vie augmente d'environ deux ou
trois mois par an, il n'est donc pas déraisonnable de
consacrer une partie de cette augmentation à la période de
la retraite et une fraction à la poursuite de la vie
professionnelle"... Le même argument utilisé par
Woerth pour justifier le recul de l'âge légal !
Ainsi,
les déclarations du PS sur la "retraite choisie", celle
d'Aubry pendant la manifestation demandant à Sarkozy de
recevoir "les organisations syndicales et l'opposition",
témoigne de la volonté du PS de détourner les objectifs de la
lutte dans l'impasse du terrain institutionnel.
Quant
au PCF, Buffet se moule aussi dans la même politique en
déclarant suite à la manifestation : "il faut que le
gouvernement entende, il faut que maintenant tout s'arrête
et qu'il revoie sa copie. Donc pas de Conseil des ministres
mi-juillet, pas de loi à l'Assemblée nationale début
septembre, maintenant on reprend le temps de refaire une
véritable négociation sociale avec les syndicats et un
véritable débat citoyen".
Alors
que le problème se pose maintenant ouvertement en terme de
rapport de force, face à un gouvernement qui veut mener sa
politique jusqu'au bout, il n'y a rien à concerter, en
particulier avec l'entremise du PS qui voudrait faire la
preuve de sa capacité à mener les réformes que veulent les
classes dominantes.
C’est
un rapport de force global qui est en jeu
Le
succès des manifestations du 24 juin doit être une première
étape vers un vrai mouvement d'ensemble pour faire céder le
gouvernement. Dans l'affrontement qui se prépare, le monde du
travail doit marquer un premier point face à Sarkozy, en
exigeant le retrait du projet... et pas une autre mouture qui
y ressemblerait avec en arrière-fond la bataille électorale de
2012.
Il
nous faut affirmer la légitimité de la retraite à 60 ans à
taux plein et des 37,5 annuités pour tous maximum, car c'est
la seule manière de garantir le droit fondamental de partir à
la retraite avec une pension qui permette de vivre.
Les
déficits des caisses de retraites ne sont pas dus à une "catastrophe
démographique". Ils sont le résultat de la lutte de
classe menée depuis des années par le patronat et les
gouvernements qui les servent. C'est par les blocages de
salaires, l'explosion de la précarité, les licenciements que
la part des dividendes versés aux actionnaires est passée de
3,2 à 8,5 % du PIB entre 1982 et 2007 pendant que celle des
salaires passait de 70 % à 60 %. Cela représente un vol
d'environ 171 milliards d'euros par an, qui suffirait
largement à remplir les caisses de retraite et de sécurité
sociale.
Pour
réussir cette lutte et dépasser les intérêts de boutique qui
paralysent les militants et les travailleurs, il faut
construire une véritable unité sur la base de la défense des
intérêts du monde du travail et pour le retrait du projet du
gouvernement.
La
bataille à mener est à la fois sociale et politique, car
défendre notre droit à la retraite signifie contester
l’ensemble de la politique du gouvernement qui s’attaque à la
population pour continuer de soutenir les banques et la
finance. Cela signifie penser politiquement les grèves, les
initiatives, en menant la bataille d’influence politique face
au gouvernement, comme lors du CPE où la jeunesse avait
retourné l’opinion en sa faveur par sa détermination.
Oui,
pour le gouvernement, il s’agit de créer un rapport de force
pour aller plus loin dans les attaques. Pour le monde du
travail il s’agit d’inverser le rapport de force pour mettre
un coup d’arrêt aux attaques.
Cette
lutte qui se prépare est l'affaire de tous. Il n'y a pas d'un
côté les syndicats et de l'autre les partis politiques,
intervenant chacun dans leurs domaines réservés. Les
collectifs unitaires qui se sont mis en place ont un rôle
important à jouer dans la mobilisation. Ils peuvent s’ouvrir à
celles et ceux qui cherchent un cadre unitaire qui dépasse le
clivage syndicats-partis, offrir un cadre démocratique de
discussion sur les perspectives et les tâches pour construire
le mouvement. Ils peuvent se fédérer tant au niveau local que
national…
Pour
imposer le retrait du projet de loi, il faut créer une réelle
dynamique démocratique permettant aux acteurs même de la lutte
de s’en emparer, de la diriger…
Laurent Delage