La « ri-lance » ou la reprise... de la récession
Les
"Rencontres économiques d'Aix-en-Provence", qui
rassemblent tous les ans le gratin du patronat français et
de la finance, aux côtés de divers "spécialistes" se sont
déroulées du 2 au 4 juillet à l'initiative d'un certain "Cercle
des économistes". Le thème était : "A la recherche
d'une nouvelle croissance", un trait d'humour "alors
que nous sommes au bord du gouffre et qu'un piano est en
train de nous tomber sur la tête", selon
l'incontournable Attali...
Pas
en reste avec l'humour, la ministre Lagarde, invitée à
expliquer comment on pouvait concilier plans de rigueur et
discours sur la relance, s'est fendue d'un nouveau "concept"
: la "ri-lance", un "subtil dosage qui consiste en
réalité à réduire la dépense publique là où ce sera le
moins douloureux pour la perspective de relance de
l'activité économique"... Comprendre : on continue à
ponctionner les caisses de l'Etat pour soutenir les
multinationales et les banques, et on augmente la facture
présentée à la population...
La
plaisanterie cynique de Lagarde n'est qu'une façade.
Personne ne croit à "une nouvelle croissance"
au moment-même où les "mauvaises nouvelles"
s'accumulent, comme en témoigne cette série de titres
de la presse économique de ce début juillet : "La
croissance fléchit encore dans l'industrie
manufacturière", "Etats-Unis : hausse des
intentions de licenciements en juin", "L'économie
chinoise montre des signes de décélération",
etc...
En guise
de "nouvelle croissance", c'est dans une
nouvelle phase de récession que nous entrons. La
question, pour les patrons comme pour le gouvernement,
est de savoir comment y perdre le moins de plumes
possible, aussi bien du point de vue financier que
politique.
G20 entre division,
concurrence et impuissance
Mais
leur "humour" cynique est aussi un signe de leur
impuissance à maîtriser la crise. Impuissance dont le
dernier sommet du G20, qui s'est déroulé à Toronto
samedi 3 et dimanche 4 juillet, est une illustration
concrète, au niveau international. Ce sommet s'est
révélé être un véritable bide, au point que nous
n'avons même pas eu droit au grand guignol médiatique
des sommets précédents, où la photo de famille finale
était l'occasion pour chacun des participants de se
féliciter d'avoir « vécu un moment historique »,
voire d'avoir conduit le capitalisme sur la voie de la
« morale » et de « l'éthique ». Même
Sarkozy n’a rien trouvé à dire ! C'est dire si le
moral est bas en haut lieu...
Et
si ce sommet a fait quand même la une de l'actualité, c'est
parce qu'il va coûter plus d'un milliard de dollars aux
contribuables canadiens, quarante fois plus que le sommet
précédent de Londres. Et aussi parce qu'il a été le lieu
d’affrontements violents entre les manifestants contre le
sommet et les forces de l'ordre qui ont arrêté quelques 500
personnes. C'est que le gouvernement conservateur canadien
n'avait pas regardé à la dépense en matière de sécurité :
930 millions de dollars ont servi à financer un immense
regroupement de policiers, tandis que toute activité a été
suspendue pendant plusieurs jours dans des quartiers entiers
de Toronto.
Cet
étalage indécent de fric et de flics a déclenché la colère
de la population canadienne, outrée d'une telle débauche de
dépenses alors que, pour elle, les temps sont à l'austérité.
Et cela d'autant plus que l'événement que le gouvernement
canadien prétendait mettre en valeur s’est avéré au yeux de
tous comme une pantalonnade inutile.
Le
sommet lui-même a été dominé par les préoccupations
immédiates des gouvernements, confrontés à l'exacerbation de
la concurrence et à la nécessité de faire face à des
situations économiques, financières et politiques propres
qui s'imposent à chacun d’entre eux et rendent dérisoires
leurs prétentions à mettre en place la nouvelle « gouvernance »
mondiale que tous disent indispensable. Comme l'a constaté
Obama : « nos défis sont aussi divers que nos nations »…
De
fait, la politique d’austérité mise en place dans l’ensemble
de la zone euro pose un problème au capitalisme américain,
de même qu’aux pays « émergents ». Malgré la crise,
l’Europe, du moins pour ses pays les plus riches, constitue
une part importante du marché mondial pour les marchandises
produites aux USA, en Chine, etc. Réduire par des plans
d’austérité le pouvoir d’achat des populations européennes
entraînera obligatoirement un rétrécissement de ces marchés,
autrement dit une diminution des importations. C’est un
facteur qui joue sur la croissance des pays exportateurs, un
facteur de récession.
Ce
phénomène est accentué par la baisse de l’Euro par rapport
au dollar. Jusqu’à présent, la politique des instances
monétaires américaines avait été de maintenir un dollar bas
par rapport à l’euro pour favoriser les exportations. La
crise des déficits en Europe, en poussant l’euro à la
baisse, neutralise cette politique monétaire et modifie la
situation. Les prix des marchandises venues des USA sur la
zone euro augmentent tandis que, réciproquement, les prix
des produits européens sur le marché américain baissent.
Sur
ce même terrain monétaire, à quelques jours du G20, la Chine
avait annoncé une réévaluation de sa monnaie, le yuan. C'est
une monnaie qui, contrairement au dollar ou à l’euro, n’est
pas soumise aux caprices des marchés des changes. Elle est
fixée par l’Etat, indexée sur le dollar, et bénéficie ainsi
d’une parité fixe avec ce dernier. Le gouvernement chinois
était accusé par ses partenaires, Obama en tête, de
favoriser les produits chinois à l’exportation en maintenant
sa monnaie à un taux trop bas par rapport au dollar. Mais
Obama a une autre raison de demander une réévaluation du
yuan : la dette abyssale des caisses de l’Etat, dont une
partie importante est détenue par les fonds souverains
chinois. Réévaluer le yuan par rapport au dollar revient à
diminuer la valeur du dollar, et donc la dette…
La
position d’Obama au G20 s’explique d’autant plus que les
illusions sur la reprise aux USA prennent l’eau de toute
part. L’immobilier, par qui tout avait commencé en aout
2007, est de nouveau en crise. Le chômage continue
d'augmenter. Le « moral des ménages » est en baisse.
Les spéculateurs dépriment : « Wall Street plombée par
les craintes sur la reprise : Le Dow Jones est repassé
sous la barre des 10.000 points alors que les inquiétudes
sur la vigueur de la reprise économique restent de mise
sur les marchés. »pouvait-on lire dans les Echos du
29 juin, quelques jours avant le G20...
La
baisse des Bourses ne se limite pas aux USA. « Manquant
de confiance dans la solidité de la reprise », c’est
l’ensemble des Bourses qui, après avoir connu une hausse
quasi continue en 2009, se sont remises à baisser. 3 500 milliards de dollars de
capitalisation boursière seraient partis en fumée sur les
trois derniers mois. La baisse est telle que la
capitalisation boursière de certaines entreprises du CAC40
serait devenue inférieure à leur valeur réelle. Une occasion
rêvée pour les prédateurs en quête d’acquisitions bon
marché...
Crise de la dette, récession,
la guerre de classe à l’œuvre
Cette
déprime boursière s’ajoute, en Europe, à la crise de la « dette
publique » qui frappe depuis le début de l’année la
Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Plus que la
hauteur de la dette, qui n’est pas significativement
supérieure à celle des autres pays, cette crise est le
résultat des attaques spéculatives des détenteurs des titres
de cette dette, c’est-à-dire des banques. En jouant sur le
« manque de confiance », elles imposent des taux
d’intérêt exorbitants, accentuant les risques de faillite de
certains pays, affaiblissant l’euro, exacerbant la
concurrence entre les pays de l’Union européenne.
Prisonnière du diktat des banques, l’Union européenne a
choisi de protéger ces dernières des risques de faillite
dont elles sont responsables tout en faisant payer les frais
de l’opération aux populations à travers des plans
d’austérité draconiens.
Faisant
face au plus pressé, l’Europe de la BCE aggrave son
endettement : les 750 milliards d’euros qu’elle envisage
d’utiliser pour soutenir les banques, elle va les emprunter
à ces mêmes banques. En accentuant encore la régression
sociale, elle réunit les conditions d’une nouvelle
récession. Parmi tous les signes de cette tendance, les
chiffres du déficit commercial français communiqué par les
douanes : le déficit s’est creusé de 4,3 milliards d’euros
en avril à 5,5 milliards en mai. Et la baisse des
exportations est d’autant plus importante que les
importations elles-mêmes ont baissé…
Un
professeur d'économie new-yorkais, N. Roubini, résume ainsi
la situation : "Comment et quand arrêter les mesures de
relance budgétaires et monétaires qui ont permis d'éviter
que la récession de 2008-2009 devienne une nouvelle grande
dépression ? L'Allemagne et la BCE plaident pour une
austérité budgétaire, les Etats-Unis s'inquiètent en
revanche des risques d'une consolidation budgétaire trop
brutale. En fait, quelle que soit la réponse, les
dirigeants du monde sont dans l'impasse...". [1].
C'est
bien le problème auquel est confronté le capitalisme. Cette
impasse est la conséquence de la guerre de classe menée par
les capitalistes et leurs Etats contre le monde du travail
depuis les années 1980. Cette guerre de classe a débouché
sur la crise. Sa poursuite en accentue les contradictions et
rend impossible la mise en œuvre des mesures coordonnées qui
s'imposeraient, du point de vue même des classes dominantes.
Et cela conduit inexorablement une nouvelle aggravation de
la crise.
"Faute
de mettre en place de telles mesures coordonnées, les pays
les plus industrialisés risquent de connaître une
dangereuse rechute dans la récession, avec des risques
systémiques sévères sur les marchés financiers, des
défauts de paiement de pays. Ce qui représenterait
une menace considérable pour les pays émergents, qui
jusqu'à présent connaissent une reprise économique plus
solide" écrit N. Roubini en conclusion de son article.
Pour
notre part, nous écrivions, il y a une quinzaine de jours
[2] : "L'offensive déclenchée par l'ensemble des Etats
européens pour rassurer les marchés, c'est-à-dire les
financiers et les spéculateurs, les plans d'austérité
ouvrent une période de régression généralisée qui conduit,
à plus ou moins court terme, à une récession et à un
nouvel épisode de la crise boursière et financière".
Il
est probable que le déroulement du G8 et du G20, la
situation économique et politique dans laquelle ils se sont
déroulés, l'actualité de la semaine, avec son lot de "mauvaises
nouvelles sur la reprise" soient les signes que nous
entrons dès maintenant dans cette nouvelle phase.
Il
n’y a pourtant aucune fatalité dans la situation. La crise que nous vivons est
l'aboutissement de 30 ans d'expansion capitaliste, 30 ans
d’une guerre de classe qui n’a eu pour objectif que de
concentrer toujours plus de richesses entre les mains d’une
minorité, au détriment de la majorité.
Sortir
de la crise est possible, mais cela impose de remettre en
cause ce qui fait le fondement même du capitalisme : la
course au profit, le contrôle de l’ensemble de l’économie
par une poignée d’aristocrates financiers. Cela ne peut-être
le fait que des exploités, de leurs luttes sociales et
politiques pour imposer leurs propres exigences.
Régression
continue pour les uns, milliards des Etats et "résultats"
insolents pour les autres, les inégalités sociales
deviennent d’autant plus insupportables que les mensonges
dont les dirigeants tentent de couvrir leurs exactions se
révèlent au grand jour. Une crise politique se développe qui
va bien au delà des individus et des partis qui sont "aux
affaires".
Tous
les partis de gouvernement sont touchés, et à travers eux
les institutions des Etats bourgeois eux-mêmes. La question
du pouvoir se pose directement à tous ceux qui refusent de
faire les frais de la crise. Nous vivons un tournant qui
accentue l’urgence et la nécessité, pour les travailleurs,
de se regrouper autour d’un plan contre la crise.
Ce
plan, c'est, pour commencer, l'exigence de mettre fin à la
régression sociale, en imposant des salaires décents,
l'interdiction des licenciements, la répartition du travail
entre tous, la fin des attaques contre les retraites, la
protection sociale, les droits à la santé...
C'est
également la nécessité de retirer aux financiers leurs
moyens de nuire, en les expropriant et en plaçant le système
financier sous le contrôle démocratique des travailleurs et
de la population.
Tout
cela ne peut se concevoir que si nous apportons nos propres
réponses à la crise du pouvoir, en mettant en place notre
pouvoir démocratique, un gouvernement des travailleurs et de
leurs organisations. C'est un plan vers le socialisme.
Daniel
Minvielle
[1]Comment éviter une rechute de la
récession, N.
Roubini, les Echos du 5/07
[2]
Une situation inédite riche de nouvelles possibilités,
Yvan Lemaitre, DR n°31