L’affaire
Woerth-Sarkozy-Bettencourtcontinue d’alimenter la chronique
politique. L’affaire de famille est devenue une affaire
d’Etat où se mêlent le scandale du bouclier fiscal, les
enveloppes de soutien à l’UMP, les intérêts propres du
couple Woerth, majordome et servante de haut rang de la
famille Bettencourt, les révélations sur les mœurs et les
pratiques de la grande bourgeoisie et de ses serviteurs
politiques ou sur la dépendance des sommets de l’appareil
judiciaire avec ceux de l’Etat, sans oublier les haines et
jalousies de pouvoir et d’argent… Pas un détail ne manque à
ce tableau de la corruption généralisée que constituent les
mœurs de la classe dominante et ses liens avec son personnel
politique.
L’effet
de contraste est saisissant entre cet étalage sans vergogne
et les nouvelles attaques contre les retraites de Woerth et
Sarkozy, leur mépris des travailleurs soumis aux travaux les
plus pénibles, des femmes, le cynisme avec lequel les mêmes
voudraient justifier leur offensive contre le monde du
travail au nom de la lutte contre les déficits et de la
rigueur. A l’heure où GM se livre à un odieux chantage à
l’égard des travailleurs de l’usine de Strasbourg, on
apprend au passage que l’ancien PDG de l’Oréal touche une
retraite de 3,3 millions euros tout en continuant à toucher
ses jetons de présence au conseil d’administration…
Tous
les ingrédients de la politique de ce gouvernement pour et
par les riches sont étalés au grand jour, sur la place
publique et c’est très bien. Tout cela est légal,
argumentent les amis de Woerth qui jouent une naïveté
feinte. Peut-être et sans doute sera-t-il bien difficile de
prouver la réalité des délits, mais c’est bien là le
véritable scandale. Tout cela, à quelques délits près, est
légal parce que la loi est faite pour les riches, leur
garantir leurs privilèges. Parce qu’en toute légalité l’Etat
les sert et se plie à leur volonté, parce que la loi est
injuste.
Et
Sarkozy n’a pas trouvé mieux pour tenter de reprendre la
main que d’attaquer sur le terrain sécuritaire et en
stigmatisant les Roms. Politique du bouc émissaire,
provocation en instrumentalisant des violences provoquées
par les exactions d’une police qui se sent de plus en plus
encouragée à agir en cow-boys à la gâchette facile au mépris
de la population et de la vie humaine. Paniqué, sentant le
sol se dérober sous ses pieds, Sarkozy en mal d’autorité a
limogé le préfet de l’Isère, accusé de faiblesse, pour le
remplacer par un préfet-flic à sa botte qu’il ira lui-même
mettre en place.
Impuissant
à masquer la corruption de sa politique, son imposture, lui
qui prétendait moraliser le capitalisme, Sarkozy pratique la
fuite en avant pour s’attaquer aux plus faibles, aux
catégories sociales les plus défavorisées, aux victimes de
sa politique, de celle de ses amis et commanditaires les
milliardaires. Manœuvres de diversion, provocation du petit
flic qui, en 2005, avait volontairement provoqué, par
l’insulte, la révolte des banlieues…
Déjà,
après la déroute de l’UMP aux élections régionales, il y
avait tout lieu de penser que Sarkozy aurait bien du mal à
reprendre l’initiative. Aujourd’hui, l’affaire
Woerth-Bettencourt conduit à la décomposition politique et
morale de ce gouvernement.
Elle
vient souligner et illustrer aux yeux du plus grand nombre
le scandale permanent que constitue la politique de l’Etat
entièrement dévoué aux intérêts des classes dominantes, elle
en indique les mécanismes, les pratiques et les mœurs. Elle
réunit tous les éléments qui convergeaient déjà pour créer
les conditions d’une crise politique et sociale. Nous y
sommes.
En
focalisant la crise sur celui qui était la pièce maîtresse
de Sarkozy, elle ouvre des perspectives politiques
inattendues.
Nommé
ministre du travail et de la solidarité au lendemain de la
déroute des élections régionales pour faire passer la
réforme des retraites, Woerth, cheville ouvrière du
dispositif mis en place par Sarkozy, en est devenu le
maillon faible. Il encourage et légitime le mécontentement
croissant de la population, concentre sur sa seule personne
tous les ressentiments, leur donne un contenu politique.
Derrière la bataille pour les retraites, c’est bien toute la
politique du pouvoir qui est remise en cause. Et c’est dans
la rue que la contestation est appelée à s'exprimer.
« Si péril il y a,
il vient moins de l'Hémicycle que de la rue, de cette
manifestation syndicale unitaire du 7 septembre dont les
responsables de la majorité craignent qu'elle n'agrège les
ressentiments.
Mais,
outre que la rentrée n'est plus depuis fort longtemps
propice aux explosions sociales, l'arme du populisme est à
double tranchant. Pour les artisans de la contestation,
elle peut bien sûr attiser la colère, mais elle peut tout
autant sinon plus sûrement détourner l'attention de
l'enjeu qu'est le report de l'âge légal de départ. Viser
le ministre plutôt que son projet n'est peut-être pas un
si bon calcul » écrit l’éditorialiste des Echos
qui, après avoir vu juste, se prend à espérer. L’essentiel
pourrait être sauvé, la réforme des retraites. En sacrifiant
Woerth demain après lui avoir accordé un soutien sans
faille, Sarkozy pourrait faire le choix d’offrir un exutoire
au mécontentement pour mieux faire passer sa réforme. Sauf
que les deux sont maintenant confondus dans un même rejet,
c’est bien les deux qu’il faut viser !
Les
directions syndicales qui ne cessent de dire leur gêne
devant l’affaire Woerth ont bien tort. « Le changement
d'homme ne changerait pas grand-chose ! »
explique-t-on à la CFDT. « On n'entre pas dans ce jeu
politique, on essaie de nous égarer » rajoute la CGT. Certes la
démission de Woerth ne changerait pas le fond du problème,
mais comment peut-on prétendre vouloir faire reculer le
gouvernement et se refuser de l’affaiblir, de rentrer dans
le jeu politique.
Qui peut croire
qu’une défaite du gouvernement sur la question des
retraites n’accélérerait pas la déroute de Sarkozy. Et
comment ne pas le souhaiter ?
Les mêmes
dirigeants syndicaux se plaignent de ce que le dialogue
social prenne le visage du mépris le plus ouvert. Mais
continuer de s’y prêter n’est-il pas non seulement
contraire aux intérêts des salariés mais indigne et
ridicule ? Comment continuer de faire semblant de ne pas
voir ? Comment ne pas intervenir sur le terrain politique
pour aider l’ensemble des travailleurs à s’emparer des
enjeux de la bataille de la rentrée.
Cela rejoint la
question des objectifs même de la mobilisation. S’il
s’agit simplement de négocier la réforme à la marge tout
en l’acceptant sur le fond, alors oui, qu’importe
l’interlocuteur. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Il s’agit bien d’imposer le retrait de la réforme, la
retraite à 60 ans à taux plein, le retour au 37,5 annuités
pour tous. Plus globalement, il s’agit d’infliger une
défaite politique au pouvoir pour changer le rapport de
force et mettre en échec la nouvelle offensive qu’il
engage.
Il s’agit bien
d’une bataille politique, une bataille politique que les
travailleurs ont à mener avec leurs propres armes de
classe, la grève, les manifestations.
L’enjeu
est d’imposer une défaite au gouvernement, de le faire plier
et ainsi de préparer sa chute.
L’on
ne peut prétendre vouloir gagner sur les retraites et éviter
cette question. Oui, nous voulons battre la droite, par la
grève et dans la rue, battre sa politique, changer le
rapport de force pour imposer les droits des travailleurs et
de la population contre la minorité de milliardaires
parasites qui tiennent les rênes du pouvoir.
C’est
bien dès aujourd’hui l’enjeu de la lutte tant il vrai
qu’aller jusqu’au bout dans la défense des intérêts des
travailleurs pose la question du pouvoir, de qui dirige, au
nom de quels intérêts.
La
tétanie de la gauche libérale dite solidaire qui a les yeux
fixés sur 2012, l’attentisme et les craintes en particulier
de la CGT et de la CFDT qui se contentent de demander la
réécriture du projet soucieuses de ne pas mettre de trop en
difficulté Sarkozy et... Aubry, sont bien la conséquence, en
négatif, de ce fait politique dominant : on ne peut mettre
un coup d’arrêt à la politique des classes dominantes, à la
régression sociale, si on craint de contester leur pouvoir
en affirmant la légitime perspective d’un gouvernement
démocratiques des travailleurs, de la population qui
garantisse un emploi, un salaire à toutes et tous en
interdisant les licenciements, en partageant le travail. Un
gouvernement qui développe les services publics, y embauche
massivement, un gouvernement qui ne craigne pas d’annuler la
dette et d’exproprier les banques et les grands groupes
industriels, commerciaux, financiers, de fermer les marchés
financiers, d’engager la lutte pour une autre Europe, celles
de la coopération des travailleurs et des peuples.
Oui,
les travailleurs peuvent imposer le retrait de la réforme
des retraites, à condition de ne pas craindre de contester
radicalement le pouvoir des Sarkozy, Fillon, Woerth et leurs
amis, d’engager la lutte contre le pouvoir des classes
dominantes, d’accentuer la crise sociale et politique qui
mûrit.
Cela
signifie poser et discuter dans nos organisations
syndicales, dans les comités et collectifs unitaires, avec
l’ensemble des travailleurs des enjeux de la lutte, imposer
une première défaite à ce gouvernement déconsidéré et
affaibli en lui imposant le retrait de son projet pour
engager une contre-offensive sociale et politique pour la
défense des droits des travailleurs contre la dictature de
la finance et des milliardaires.
Yvan
Lemaitre