L’avenir de l’Europe, une question cruciale pour le mouvement ouvrier
« L'apôtre de la
rigueur allemande invité de l'Élysée », titrait Le
Figaro mardi dernier en évoquant la participation du
ministre allemand des Finances, Wolfgang Schaüble, au
conseil des ministres qui devait avoir lieu le lendemain.
Celui qui, toujours selon le même journal « aura placé
la zone euro sous le signe de l'austérité », était
venu discuter avec la ministre française de l'Économie,
Lagarde, des mesures que les deux gouvernements, français
et allemand, voudraient dicter à tous les États de l'UE
pour les obliger à respecter le Pacte de stabilité sous
peine de sanctions comme le retrait de leur droit de vote,
voire l'interdiction d'accéder aux fonds européens. Comme
le Pacte de stabilité, qui prévoit de limiter les déficits
à 3% du PIB et la dette à 60%, n'est respecté par aucun
des États, à commencer d'ailleurs par les leurs, la France
et l'Allemagne indiquent par là très clairement qu'ils
uniront leurs efforts pour se faire les champions de la
rigueur contre les populations de toute l'Europe.
Tous les
gouvernements ont déjà mis en œuvre ou annoncé des plans
d'austérité, la diminution du salaire des fonctionnaires
en Grèce où elle équivaut à 10%, en Espagne de 5%, en
Roumanie de 25%, en République tchèque de 10%,
l'augmentation de la TVA comme en Roumanie de 5%, en
Grèce, en Grande Bretagne, en Espagne. Les budgets sociaux
sont amputés, l'âge de départ à la retraite augmenté, les
fonctionnaires licenciés... En Grande Bretagne, le budget
d'austérité devrait se traduire par la disparition de 500
à 600 000 emplois dans le secteur public d'ici à 2015. Et
de 600 000 à 700 000 emplois dans le secteur privé, car
bien évidemment, l'État donnant l'exemple, les dirigeants
des multinationales s'empressent de lui emboiter le pas,
anticipant la récession que toutes ces mesures ne peuvent
manquer d'entraîner. Mais pour Schaüble et Lagarde, cela
ne suffit pas !
La réactivation du
couple franco-allemand sur ces promesses de régression
sociale qu'implique leur programme commun illustre à quel
point l'avenir de l'Europe entraînée dans la crise
provoquée par la rapacité de ses classes dirigeantes va
devenir une question cruciale pour le mouvement ouvrier.
De la rigueur à la
récession, un nouvel épisode aigu de la crise financière
se prépare
Schaüble, interviewé dans Les Échos soutient qu'une « réduction modérée des déficits stimule la croissance ». Il n'y croit pas lui-même, sauf à la croissance... des profits. Le plan envisagé par le couple franco-allemand aurait comme objectif, à en entendre les initiateurs, d'éviter une nouvelle « crise grecque ». Mais la fuite en avant des classes dirigeantes européennes, leur offensive pour faire payer la crise aux travailleurs et aux populations, ne peut conduire qu'à l'aggravation de la récession. Elle approfondit les causes mêmes qui sont à l'origine de la crise, le gonflement des profits sur la base d'une stagnation voire d'un recul de la production, l'augmentation de la masse déjà énorme de capitaux qui cherchent à fructifier par la spéculation. Elle ne fait que préparer un épisode encore plus aigu de la crise financière que la « crise grecque ».
« Point
d'inflexion », titraient Les Échos le 15 juillet
dernier à propos de l'évolution de la situation sur les
marchés de la dette des États. « Après des semaines de
fortes poussées, précisait François Vidal, l'auteur de
l'article, la fièvre est enfin retombée sur la dette
souveraine européenne. [...] L'Espagne, la Grèce et
enfin le Portugal sont parvenus à placer leurs obligations
dans des conditions acceptables. Ce n'était plus arrivé
depuis des mois.
Parler d'un retour à la normale est sans doute prématuré. [...]Mais, une chose est sûre, l'heure n'est plus à la panique. Le fait que le Portugal ait pu boucler hier son adjudication avec succès au lendemain de la dégradation de sa note de crédit par Moody's en est la preuve. Tout comme la réussite de l'émission grecque. L'intérêt rencontré montre que les investisseurs valident les premiers résultats du sévère régime imposé à l'homme malade de l'Europe. »
La prudence des formules en dit long sur le peu de conviction du journaliste lui-même... Mais qu'importe puisqu'il s'agit avant tout de justifier le « sévère régime », les plans d'austérité !
En réalité, les
États qu'il cite ont du mal à emprunter l'argent qui leur
est nécessaire pour... rembourser les prêts dont les
échéances arrivent à terme, et ils ne le font qu'à des
taux d'intérêt bien plus élevés que ceux dont ils ont dû
s'acquitter au cours des années précédentes. Aux
travailleurs, à la population, maintenant, de payer le
tribut que réclament les « marchés financiers », les
banques et autres sociétés financières.
Ce n'est pas non
plus le résultat des « stress tests », les tests de
résistances sur 91 banques européennes qu'ont commandités
les autorités de l'UE et dont les conclusions sont connues
ce vendredi, qui apporte des informations fiables sur la
situation des banques européennes, contrairement à ce que
laissaient entendre les titres de la presse. « Opération
vérité sur la santé des banques européennes » pour Le
Monde, « L'Europe contrôle la solidité de ses
banques » pour Le Figaro... Les autorités
européennes se sont résolues à cette comédie pour tenter
de ranimer la confiance dans les banques dont tout le
monde sait qu'elles détiennent de grosses quantités
d'actifs douteux ou carrément pourris au point que les
États ou la BCE seraient bien incapables de les renflouer
une nouvelle fois si elles étaient menacées de faillite.
Pour donner un exemple, selon la Banque des règlements
internationaux, les banques françaises sont engagées pour
493 milliards d'euros au Portugal, en Irlande, en Grèce ou
en Espagne, l'Allemagne pour 465 milliards d'euros. Et la
plus grosse partie de ces sommes sont constitués par des
prêts au secteur privé. Celui-ci représente en Espagne,
par exemple, 248 milliards d'euros pour les banques
françaises.
Mais qu'à cela ne
tienne, Lagarde se déclare, dans une interview au Figaro,
« totalement confiante sur le résultat des banques
françaises à l'issue de ces tests de résistances ». Strauss-Kahn
se veut résolument optimiste : « On va s'apercevoir
que toutes les grandes banques européennes sont en fait
suffisamment solides pour résister à quelque tremblement
de terre que ce soit ». « Il n'exclut pas,
toutefois, précisait Le Figaro qui
rapportait ses propos, que les tests ne révèlent "par
ci, par là, de petites institutions financières en
difficultés". Des points noirs sont attendus dans
les Landesbanken allemandes, les cajas espagnoles ou les
banques grecques. »
L'un comme l'autre
n'ignorent pas que toutes les banques européennes ont été
maintenues à flots par la seule générosité de la Banque
centrale européenne qui leur a prêté des centaines de
milliards d'euros au taux de 1% lors de la crise
financière qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. Le
1er juillet dernier, 1121 banques ont dû rembourser le
premier prêt à un an que leur avait accordé la BCE -la BCE
en a accordé trois à un an, à côté de bien d'autres sur
des échéances plus courtes. Le montant de ce prêt arrivé à
échéance, 442 milliards d'euros ! Cela donne un aperçu des
sommes faramineuses mises à disposition, quasiment
gratuitement, des banques qui font payer le prix fort,
elles, lorsqu'il s'agit de prêter aux États. Aujourd'hui,
ces banques, quoique dans une moindre mesure, sont
toujours dépendantes des liquidités de la BCE, en
particulier les banques espagnoles.
Il est probable que
les tests de résistance, comme l'a déclaré Strauss-Kahn,
seront presque tous positifs, d'autant plus qu'au sein de
l'Union européenne, à la différence des États-Unis,
coexistent plusieurs États dont chacun aura à cœure faire
état de la solidité de « ses » banques, « faisant
davantage penser à une dispute sur les quotas de pêche à
la morue qu’à la recapitalisation du plus grand système
bancaire du monde », souligne The Economist
dans un article publié sur le site Presseurop. Et
la précipitation de certains États à clamer les bons
résultats de ses banques avant même que les résultats
officiels n'en soient publiés, quels qu'ils soient au
final, ne fait qu'aggraver la méfiance en confortant
l'idée que ce sont des tests de complaisance.
Au même moment,
c'est désormais sur l'Europe de l'est que risquent de se
concentrer les attaques des spéculateurs. Le 17 juillet
dernier, le gouvernement hongrois, d'un côté, le FMI et
l'UE de l'autre, ont rompu les négociations sur la
prolongation d'un prêt de 20 milliards d'euros qui doit
arriver bientôt à échéance. Le FMI et l'UE ont refusé deux
des mesures prises par le gouvernement hongrois, une taxe
sur les banques et un impôt sur le revenu à taux unique.
« Les projets de loi préconisés seraient une distorsion
des marchés et sont contraires au droit européen », a
fait savoir la commission européenne. Ils jugent
également insuffisantes les mesures d'austérité
annoncées par l'État hongrois.
Comme cela a été le
cas pour la Grèce, le FMI et l'UE n'hésitent pas à se
servir des pressions que ne manqueront pas d'exercer les
spéculateurs pour imposer aux gouvernements qu'ils
appliquent les plans d'austérité les plus draconiens
possibles.
Après l'épisode aigu
qu'a connu la crise financière sous la forme de la dette
de l'État grec en mai et la décision des dirigeants de
l'UE et de la BCE de créer un fonds de sauvegarde de 750
milliards d'euros afin de prévenir d'autres menaces de
faillites, le pire avait été évité, nous a-t-on prétendu.
Le fait que les États du sud de l'Europe aient pu placer
les titres de leurs dettes sur les marchés financiers,
comme la publication ce vendredi des stress tests opérés
sur les banques européennes seraient l'illustration de
cette accalmie. L'Union européenne aurait franchi un pas
en avant vers la mise en place d'un gouvernement
économique, la crise aurait finalement permis de surmonter
ses contradictions.
Ces fables ne font
guère illusion. Comment les classes dirigeantes
pourraient-elles trouver une issue à la crise alors que
les réponses qu'elles y apportent, l'austérité et la
rigueur pour les populations, ne font que renforcer les
causes mêmes de la crise. L'augmentation des profits
obtenue par la baisse des coûts salariaux à coups de
licenciements, de gel des salaires et de réduction de la
protection sociale réduit les capacités de consommation
dans le même temps qu'elle gonfle la masse des capitaux
que leurs possesseurs cherchent à rentabiliser par la
spéculation. D'autres épisodes aigus de la crise
financière sont devant nous, préparant une nouvelle
aggravation de la récession, une véritable dépression. Et
l'Europe sera au cœur de la tourmente.
De la crise économique
et sociale à la crise politique
La construction européenne, loin de protéger le continent de la crise, n'a fait qu'aviver celle-ci du fait de ses contradictions dont l'existence de l'euro, cette monnaie commune sans État ni budget, est l'expression la plus aiguë. Les bourgeoisies européennes, en effet, si elles se sont résolues à se départir de leur pouvoir monétaire sous la pression de la concurrence de leurs rivaux américain et asiatiques exacerbée par la mondialisation, ont été incapables de renoncer à leurs privilèges nationaux, à leur État.
C'est l'existence de
ces contradictions qui a facilité les attaques des
spéculateurs contre les titres des dettes des États grec,
espagnol, irlandais ou portugais. Tant parce que leur
économie plus pauvre doit supporter le coût de cette
monnaie forte qu'est l'euro que parce que les dirigeants
de l'Union européenne ont été frappés d'impuissance du
fait de leurs dissensions. La seule réponse commune que
ces derniers ont été capables d'apporter, c'est celle
qu'affichent clairement aujourd'hui par la voix de
Schaüble et Lagarde, l'Allemagne et la France, faire payer
la population, imposer la rigueur pour sauvegarder les
intérêts des banques.
Mais que le tandem
franco-allemand qui prétend imposer cette régression
sociale à l'ensemble des peuples européens soit représenté
par des Sarkozy ou Merkel qui sont au plus bas dans les
sondages dans leur pays respectif, en dit long sur la
profondeur de la crise politique. Se révèle en pleine
lumière, en effet, le mensonge de prétendues démocraties
qui ne font que masquer, de plus en plus mal, la dictature
des intérêts de l'oligarchie parasitaire que servent leurs
gouvernements. De même l'Union européenne, loin du mythe
de la paix et de la coopération entre les peuples invoqué
par ses fondateurs, apparaît de plus en plus clairement
comme un instrument de la domination des classes
dirigeantes sur les populations et de la mise sous tutelle
des pays les plus pauvres par les anciennes grandes
puissances du continent, Allemagne, France et
Grande-Bretagne. Les classes dirigeantes européennes sont
de ce fait doublement discréditées et fragilisées. A peu
près partout cette perte de confiance s'exprime dans
l'usure des forces politiques traditionnelles, une forte
abstention aux élections et la montée de forces populistes
et réactionnaires.
Le fait même que la
présidence de l'Union européenne soit assurée aujourd'hui
et pour les six mois à venir par une Belgique sans
gouvernement, du fait d'une crise politique provoquée par
la montée des séparatismes flamand, et dans une moindre
mesure wallon, en est une des illustrations.
« Crise
financière, crise économique, crise budgétaire, crise
politique : en trois ans, l'onde s'est propagée
jusqu'au cœur de nos systèmes démocratiques,
désorientant les partis traditionnels. La forte
poussée populiste que l'on observe aux Pays-Bas
rappelle que la politique, tout comme la nature, a
horreur du vide, dans des sociétés fatiguées et
inquiètes de l'Europe d'aujourd'hui. », écrivait
un éditorialiste de La Tribune au
lendemain du succès aux élections du Parti de la Liberté
(PVV) de Geert Wilders. Ce parti populiste, d'extrême
droite, arrivé en troisième position aux élections
législatives de juin 2010 où il a raflé 24 sièges de
députés sur 150, s'appuie sur les préjugés racistes et
xénophobes en menant campagne contre l'islam, tout en
défendant la rigueur budgétaire.
Sur
le modèle de ce qu'avait obtenu le FPÖ en Autriche dans
deux régions, la droite populiste en Suisse a obtenu
l'interdiction des minarets à l'issue d'un referendum
qu'elle a remporté à 57% des voix. Et en Autriche même,
la candidate du FPÖ à l'élection présidentielle a
remporté plus de 16% des voix.
En
Italie, La Ligue du Nord d'Umberto Bossi, qui fait
partie du gouvernement de Berlusconi, et a rajouté au
racisme contre les Italiens du sud la xénophobie
anti-immigrés, a remporté, aux dernières élections
régionales, la Vénétie et manqué de peu une victoire
dans le Piémont.
Ouvrir une issue
progressiste et démocratique
Pour l'instant, ces forces populistes et réactionnaires ne se disent pas antiparlementaires, elles flattent les préjugés racistes et xénophobes pour négocier leur place dans le cadre de combinaisons politiciennes, comme l'ont fait certaines d'entre elles en rentrant dans des gouvernements de coalition. Les bourgeoisies de leur côté n'ont pas fait non plus le choix de s'appuyer sur elles pour étouffer toute vie démocratique, ce n’est pas leur politique, elles les utilisent contre les mouvements ouvriers, comme forces de pression ou d'appoint, contraintes et forcées qu'elles y sont aujourd'hui par l'usure des partis traditionnels, d'autant qu'elles ont contribué elles-mêmes au renforcement de ces partis par leur politique xénophobe et raciste et les atteintes aux droits démocratiques dont elles accompagnent leur offensive sociale.
Vers
quoi peut évoluer une telle situation ? Cela est bien
difficile à dire. L’hypothèse d’un éclatement de
l’Europe, évoqué le plus souvent, est peu probable tant
les bourgeoisies ont besoin d’elle. Ces forces
populistes nouvelles agissent, de fait, dans le sens de
la désagrégation de l'Europe en flattant tous les
préjugés nationalistes ou régionalistes et racistes,
mais ce n’est pas leur propre politique. Elles agissent
plutôt dans le sens d’une Europe des régions, une Europe
morcelée terrain d’une remise en cause des droits des
travailleurs et de la population.
Ces
forces populistes ne semblent avoir d’autre choix que de
s’intégrer dans l’évolution économique et sociale voulue
par les bourgeoisies pour se mettre à leur service afin
de dévoyer, canaliser, utiliser le mécontentement
populaire contre la population elle-même.
La
seule issue démocratique et progressiste réside dans
l'intervention du monde du travail et de la jeunesse
pour imposer leurs propres solutions.
Nous
n'en sommes pour l'instant qu'au début des mouvements de
révolte que va susciter l'offensive des
gouvernements pour imposer leurs plans d'austérité.
Mais, comme l'indiquent les mesures préconisées par le
couple franco-allemand, déjà en vigueur, d'une certaine
manière, sous la forme de la mise sous tutelle des
finances grecques par les autorités européennes et le
FMI, le combat pour mettre un coup d'arrêt à la
régression sociale posera comme une question cruciale
l'attitude du mouvement ouvrier par rapport à l'Europe.
Une
rupture avec l'Europe de la finance et de la BCE sous la
seule forme d'une sortie de l'euro et de l'Union
européenne serait une impasse, sans avenir.
La
rupture avec l’Europe de la finance c’est la perspective
d’une Europe débarrassée de la dictature de l'oligarchie
financière et du carcan des frontières nationales, une
Europe des travailleurs et de la libre coopération entre
les peuples. Seul le mouvement ouvrier, reconstruit sur
des bases politiques d'indépendance de classe, est
capable de construire cet avenir progressiste.
Galia Trépère