«Un programme partagé »… avec qui ?
C’est sans doute la question
que se posent de nombreux militants du Front de Gauche. En
effet, la direction du PCF vient de rencontrer celle du PS, ce
mercredi 15 septembre, pour préparer les alliances électorales
de 2011 et 2012. Le lancement du processus d’élaboration d’un
« programme partagé » annoncé à la Fête de l’Humanité
le week-end dernier, s’inscrit donc, malheureusement sans
surprise, dans une orientation électorale et
institutionnelle, puisqu’il s’agit au final de constituer une
majorité de gouvernement de toute la gauche… avec ceux là
mêmes qui, pour ne prendre qu’un exemple, ont participé à la
casse des retraites depuis Rocard.
Le débat que prétendait ouvrir
le Front de gauche à l’occasion de la fête de l’Huma est,
d’une certaine façon, déjà, conclu. On est bien loin du débat
indispensable sur le projet politique qui est ouvert au sein
du mouvement social, parmi tous ceux qui veulent contester la
politique de Sarkozy, et plus largement apporter des réponses
à la crise du capitalisme. Ce débat porte sur les buts et les
moyens d’une politique pour les luttes, d’un projet pour
satisfaire les revendications et les exigences des
travailleurs, des classes populaires. Et la discussion ouvre
forcément sur la question du pouvoir, qui décide et comment ?
Face à ces
questions posées par l’urgence sociale, la direction du Front
de Gauche confirme sa politique d’alliance avec le PS et
Europe Ecologie. Au mois de juillet, sa déclaration annonçant
son plan de travail pour le « programme partagé » [1]
expliquait clairement qu’il s’agit pour elle de « rassembler
dans le pays une nouvelle majorité à gauche ». Objectif
réaffirmé par P. Laurent, lors de son discours à la Fête de
l’Huma « Ce projet partagé … nous le porterons unis et
rassemblés quand viendront les échéances politiques de 2012. ».
J.-L. Mélenchon confirme, sans être gêné par ses propres
contradictions, « pour créer une vraie dynamique, il faut
montrer que nous sommes capables de gouverner » tout en
disant que « 2012 ne doit pas être la préoccupation
du moment.».
En attendant
cette échéance si lointaine… les directions du PC et du PS se
sont donc retrouvées mercredi. Leur déclaration est sans
ambiguïté : elles veulent « permettre avant 2012 que
s’installe une dynamique montrant le rassemblement à gauche
et la volonté de proposer d’autres choix à l’ensemble de nos
concitoyens » [2].
Il s’agit bien de porter une politique
commune de la gauche libérale et du PCF, toujours avec la même
justification imparable : « sans gommer les différences qui
existent au sein de la gauche et des écologistes …
contribuer au rassemblement le plus large pour battre la
droite » [3].
Passons sur le nerf de l’accord, les
ententes électorales pour les sénatoriales et les
cantonales de 2011, dans la continuité de l’accord PS-Front
de Gauche au second tour des Régionales, « la gauche dans
sa diversité se rassemble… Les Français ont besoin de
politiques de gauche dans les régions »[4],
prêts à poursuivre des années de gestion social-libérale
commune.
En réalité, ces choix
électoralistes répétés vident de tout contenu la discussion du
« programme partagé ». De quoi vont bien pouvoir
débattre les militants, s’il est déjà décidé que c’est pour
finir une fois de plus comme soutien au PS ? A quoi bon un
programme, si l’essentiel du débat est évacué : comment
imposer une politique, avec qui, en s’appuyant sur quelle
force ?
Pour
compenser, J.-L. Mélenchon prend un ton plus radical contre le
PS, déclarant par exemple : « Mon intention est de battre
les socialistes. Je pense qu'ils ne sont pas bons et qu'ils
ne savent pas ce qu'il faut faire » [5].
Mais il justifie lui-aussi et dans le même temps cette
politique d’unité avec le PS : « Je ne me fais pas duper,
mais je choisis l'unité pour ne pas leur donner les moyens
d'aller au bout de leur logique. » [6] Cela
rappellera à bien des militants du PCF la politique de leur
parti dans les années 70… quand leurs 20 % dans les urnes
avaient servis la victoire de Mitterrand, sans l’empêcher
nullement « d’aller au bout de sa logique » pour mettre
en œuvre des politiques libérales favorables au patronat.
Bien des militants du Front de
Gauche discutent de leurs inquiétudes par rapport à ces choix.
Certains désignent D. Strauss-Kahn comme ce qui pourrait
arriver de pire pour la gauche, semblant se résigner à un
ralliement à M. Aubry, alors que tout ce petit monde était
ministre sous Jospin, pour la même politique. La vraie
discussion porte sur le fait qu’il y a deux politiques
opposées et incompatibles. D’un côté, le choix de la direction
du Front de Gauche de partager son programme avec ses anciens
partenaires des gouvernements de gauche, PS et Europe
Ecologie, pour constituer des majorités de gestion, à
l’échelle locale comme nationale. De l’autre, une politique
pour rassembler ceux qui luttent contre la droite et le
patronat aujourd’hui, et sont prêt à poursuivre la lutte
contre un éventuel gouvernement de gauche, voulant gérer la
crise au service des riches, comme le fait Papandréou en
Grèce, ou DSK au FMI.
Bien sûr,
tant mieux si face à la crise du pouvoir et du capitalisme,
pour répondre à la révolte grandissante, les discours du FdG
prennent aujourd’hui une tonalité plus à gauche. Ainsi, on
peut lire que ce projet veut affirmer « un programme de
gouvernement en rupture avec la logique dominante d’un
système capitaliste » [7].
Et J.-L. Mélenchon n’hésite plus à en
appeler aux travailleurs « Qui va mettre les camions sur
des trains du nord au sud, sinon les cheminots? S’ils
nous menacent de mettre des taux d’intérêt excessifs sur nos
emprunts, qui va les tenir à la gorge, sinon les
travailleurs des banques ? » [8],
visiblement inspiré par la perspective du contrôle ouvrier sur
l’économie.
Après la « révolution par
les urnes », il évoque une « mobilisation populaire »
pour une « révolution citoyenne ». Quant à P. Laurent,
il appelle à « une révolution sociale contre le pouvoir des
marchés financiers », « une guerre citoyenne et
pacifique ». Un nouveau concept sans doute… qui
s’inscrit d’une certaine façon dans le débat : peut-on faire
l’économie d’un affrontement avec le pouvoir ? ou au contraire
faut-il dès maintenant engager cet affrontement ? La pression
énorme de la mobilisation du 7 septembre, imposant une
reconduction non prévue le 23, indique que nombreux sont ceux
qui souhaitent la confrontation, malgré le refus de la CGT et
de la CFDT de fixer comme objectif une défaite au
gouvernement, en lui imposant le retrait du projet de loi sur
les retraites.
La première discussion sur un
programme est bien là, elle est stratégique. Pour nous, le
débouché politique des luttes, c’est la légitimité de la rue,
de ceux qui se mobilisent pour leurs droits, du pouvoir
démocratique qui pourrait naître de là. En 2003, lors de la
précédente confrontation sur les retraites, Raffarin avait
défié le mouvement social : « le Parlement doit décider, la
rue doit défiler, mais ce n'est pas la rue qui gouverne ».
Après le premier démenti imposé en 2006 par les étudiants en
lutte contre le CPE, c’est toujours cette question qui reste
centrale.
La discussion sur les voies et
moyens de la révolution, puisque le mot est largement employé,
commence là, à partir des engagements concrets pour faire
avancer la lutte des classes maintenant, dans la perspective
du socialisme demain.
Seul le rapport de forces issu
d’un tel affrontement permettrait d’imposer un autre partage
des richesses, une remise en cause de la propriété privée des
capitalistes. J.-L. Mélenchon promet : « ça va être rude,
il y aura une sacrée confrontation avec ceux qui ne se
laisseront pas prendre ce qu'ils ont. Moi, je voudrais quand
même récupérer en une législature 10 points de richesses que
le capital a pris au travail ces dernières années. Ça
représente tout de même 195 milliards d'euros ! Il faudra
aller les chercher, et il est peu probable qu'ils se
laissent faire. » [9]
Certes, c’est bien un des objectifs d’urgence que devrait se
donner un pouvoir des travailleurs. Mais qui va aller les
chercher ? La gendarmerie et les préfets oubliant la défense
constitutionnelle de la propriété privée ? Ou bien la classe
ouvrière en imposant ses revendications par les luttes, en
faisant naître un nouveau pouvoir issu de ses mobilisations et
qui devra affronter l’Etat existant ?
Nous avons d’autant plus
besoin de débattre de ces questions que la situation impose de
construire un projet politique indissociablement lié aux
luttes. A l’inverse, J.-L. Mélenchon refuse explicitement ce
lien : « je pense que ce n'est pas raisonnable pour un
parti politique de vouloir se substituer aux syndicats pour
faire le cahier des revendications et dire les moyens à
mettre en oeuvre. … Ce sont les syndicats qui sont en
première ligne. Nos représentants mènent
la bataille à l'Assemblée » [10].
Sur son blog, il précise : « Pour la
forme de l’action chacun [syndicats et
partis] doit être à sa place pour faire au mieux
son travail spécifique. Nous sommes pour le retrait du
projet de réforme sur les retraites. Donc nous agissons en
soutien des consignes unitaires des syndicats » [11]…
et qu’importe si une partie des confédérations syndicales ne
se donne pas pour objectif le retrait ! J.-L. Mélenchon
n’a apparemment rien à y redire.
C’est pourtant là un des
enjeux centraux de la bataille sociale et politique,
inséparable, qui se mène aujourd’hui. Il n’y a pas d’un côté
une lutte syndicale ou économique, et de l’autre une
bataille politique, en réalité simplement parlementaire et
surtout impuissante, comme l’ont montré les députés de
gauche mercredi. Chaque lutte que nous menons, sociale,
démocratique, écologique, montre que la défense de nos
intérêts s’oppose au pouvoir. Il y a une lutte entre des
classes opposées, sur tous les terrains, dont l’issue ne
dépendra que des rapports de forces, que de la capacité des
travailleurs à imposer leur propre pouvoir, pour satisfaire
leurs besoins.
Sur toutes ces questions,
le débat est largement ouvert, indispensable pour construire
une force politique et un programme répondant à l’urgence de
la situation. Une des premières clés de ce débat est la
compréhension qu’il y a bien deux orientations opposées et
incompatibles, entre ceux qui gèrent ce système et ceux qui
veulent le renverser. Le NPA entend bien prendre toute sa
place dans ce débat pour avancer dans la construction d’un
parti du monde du travail, pour ses luttes, un parti qui
sera une opposition ouvrière et populaire à la gauche
libérale, si demain elle revient au pouvoir.
François
Minvielle
[1] Le Front
de gauche met en place son plan de travail, déclaration
du 13 juillet 2010
[2]
Rencontre du PCF et du PS : «contribuer au rassemblement le
plus large pour battre la droite», 15 sept. 2010
[3] idem
[5] Entretien dans L’Express,
16 septembre 2010
[6] « Il est temps
d'inventer une radicalité concrète », interview
sur Mediapart, 10 septembre 2010
[7] « Le front de
gauche ouvre un nouveau chantier », La courneuve,
12 septembre 2010
[8] « Mêlez-vous du
projet du Front de gauche », interview dans L’Humanité,
14 septembre 2010
[9] « Il est temps
d'inventer une radicalité concrète », interview sur Mediapart,
10 septembre 2010
[10]idem
[11]« A
la fête ! A la fête et c’est tout ! »blog
du 10 septembre 2010