Le G20 face à la "guerre des monnaies"

Les ministres des finances du G20 se sont réunis en Corée les 22 et 23 octobre, pour préparer le sommet des chefs d'Etats qui se tiendra les 11 et 12 novembre à Séoul. Au menu, la question de la "guerre monétaire" et celui de la "gouvernance" mondiale. Le tout se terminant bien évidement par un "accord" dans lequel la ministre Lagarde, qui n'en est pas à un bluff près, n'hésite pas à voir que "la première pierre d'un nouveau système monétaire international est posée"...
 
Une formule pour le moins présomptueuse si l'on en croit le contenu de ces "accords". Contre la guerre monétaire : "engagement des pays du G20 à "s'abstenir de toute dévaluation compétitive" de leur monnaie et à mettre en œuvre des politiques visant à réduire les déséquilibres excessifs de leur balances extérieures".
 
Quant à "l'avancée" vers une nouvelle "gouvernance" mondiale, elle se limite à la modification de la composition du conseil d'administration du FMI, dans lequel l'Union européenne perd deux sièges au bénéfice des pays "émergents", tandis que les Etats-Unis gardent leur droit de véto sur toutes les décisions importantes...
 
Ces "engagements"... engagent d'autant moins qu'ils entrent en conflit immédiat avec les intérêts particuliers de chacune des bourgeoisies nationales représentées au G20. Ils n'apportent pas la moindre perspective de solution au problème, bien réel et lourd de conséquences, qui se traduit dans cette "guerre des monnaies".
 
Ce sommet du G20 souligne une fois de plus l'impuissance des Etats devant une des contradictions dans lesquelles se trouve empêtré l'impérialisme mondialisé.
 
Il précise en même temps les termes de cette contradiction : d'une part, la nécessité, pour chacun des Etats, de favoriser la position des grandes multinationales industrielles et financières "nationales" face à une concurrence exacerbée par la crise, et dont la "guerre monétaire" n'est finalement, qu'une expression ; d'autre part, de façon totalement contradictoire, la velléité de "s'entendre" entre grandes puissances pour tenter de faire face aux effets destructeurs de cette politique protectionniste qui accentue la crise, les tensions sociales et politiques, pousse certains pays vers la faillite, prépare de nouveaux effondrements financiers...
 
Cette impuissance politique des dirigeants de la grande bourgeoisie internationale à sortir "leur" économie de la crise est la meilleure expression de la faillite de leur politique. Politique qu'ils n'en poursuivent pas moins, en prétendant faire payer aux travailleurs et aux peuples la facture de l'exacerbation de leur concurrence, tout en prétendant qu'ils ont des solutions...
 
Face à l'exacerbation de la concurrence, la monnaie au secours du protectionnisme
 
Malgré les annonces régulières sur la sortie de crise, les économies des anciens pays impérialistes -USA, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Japon-, continuent de stagner et le chômage se maintient à des taux élevés. En Europe, aux effets sociaux de la crise économique s'ajoutent ceux des politiques d'austérité, alimentant une crise sociale et politique aiguë. Sortir de la crise impose de sortir de cette situation de récession-stagnation économique qui perdure. Autrement dit, du point de vue de la bourgeoisie, relancer la machine industrielle à fabriquer les profits, mais aussi, pour réaliser ces profits, disposer de marchés solvables en mesure d'acheter les marchandises produites.
 
Ces marchés ont rétréci avec la crise, accentuant la concurrence sur les marchés intérieurs ainsi que dans les échanges internationaux. Sur ce terrain, les Etats-Unis et l'Union européenne sont particulièrement défavorisés par rapport à des pays comme la Chine, comme en témoigne la balance des échanges des biens et des services entre ces trois zones pour l'année 2009 : le déficit commercial des Etats-Unis s'élève ainsi à 37 milliards d'euros avec l'Union européenne et à 162 avec la Chine ; celui de l'Europe avec la Chine à 138 milliards d'euros. Globalement, le déficit des Etats-Unis dans ces échanges trilatéraux s'élève à pratiquement 200 milliards d'euros, celui de l'Europe à 100 milliards, tandis que la Chine dégage un excédent de 300 milliards. (La Tribune).
 
C'est ce que le rapport du G20 qualifie de "déséquilibres excessifs des balances extérieures" et que les Etats-Unis prétendaient réduire, au G20, en limitant à 4% du PIB les excédents du commerce extérieur de chaque pays. Cette mesure -qui n'aurait d'ailleurs eu aucune chance d'être appliquée faute d'un pouvoir capable de l'imposer-, s'est heurtée au refus des principaux pays exportateurs, comme la Chine [1], mais aussi l'Allemagne, qui exporte surtout des machines, et les pays producteurs de pétrole. La "mesure" s'est donc réduite à une formule pieuse : l'engagement pris par chacun de" mettre en œuvre des politiques visant à réduire les déséquilibres excessifs de leurs balances extérieures ".
 
Si on prenait la formule au mot, ces politiques consisteraient, pour les pays exportateurs, à agir à la hausse sur le prix des marchandises produites en injectant dans l'économie intérieure une partie des richesses accumulées, entre-autres par une augmentation des salaires et des prestations sociales. Le résultat serait double pour les "équilibres" commerciaux internationaux : des produits plus chers à l'exportation sur le marché mondial, donc moins compétitifs par rapport à la concurrence, et des marchés intérieurs solvables plus importants, donc plus à même d'acheter des produits importés...
 
On nous sert un conte de fée dans lequel des capitalistes en position dominante dans la concurrence internationale y renonceraient en augmentant leurs prix de vente et les salaires de leurs employés !
 
Quant à l'autre volet des "mesures" contre la "guerre monétaire", l'"engagement à s'abstenir de toute dévaluation compétitive", il est du même tonneau.
 
Le contrôle monétaire par les Etats est une arme au service des multinationales industrielles et financières. Ces dernières, pour multinationales qu'elles soient, n'en gardent pas moins des liens "nationaux" étroits avec "leur" Etat, à qui elles demandent un appui d'autant plus important que la concurrence s'exacerbe à l'échelle internationale. Mais les politiques de protectionnisme se compliquent du fait que ces multinationales ont un champ d'action qui a fait exploser depuis longtemps le "pré-carré" des frontières nationales et de leurs extensions néocoloniales. Elles investissent leurs capitaux partout dans le monde, en particulier dans les pays qui assurent les meilleurs taux de profit. Et le marché pour leurs marchandises est le monde entier. Elles s'approprient ainsi les surprofits réalisés sur le dos des travailleurs chinois, indiens ou brésiliens, et c'est ce qui explique que, malgré la stagnation économique des pays industriels anciens, les résultats de ces multinationales explosent. Et il n'est bien évidemment pas question, pour elles, d'y renoncer.
 
Dans ce contexte, les mesures du protectionnisme "classique" (droits de douane pour freiner les importations, interdiction de certains produits à l'importation) sont devenues contradictoires avec les intérêts des multinationales et c'est pourquoi elles ne sont envisageables que de façon limitée.
 
Reste alors le terrain de la "guerre monétaire". Baisser sa monnaie par rapport à celle des concurrents a pour résultat de baisser le prix des marchandises à l'exportation et de les augmenter à l'importation. C'est à cela que servent les "dévaluations compétitives" dont le G20 prône l'abstention. Mais ce terme ne s'applique qu'aux monnaies dites à "parité fixe", dont la valeur relativement à une monnaie de référence ou un panier de monnaies est fixée par l'Etat. C'est le cas par exemple pour le yuan chinois, qui est indexé sur le dollar, et c'est la politique monétaire du gouvernement chinois, accusé de favoriser la compétitivité de son économie en sous-évaluant sa monnaie, qui est visée implicitement par la formule.
 
Une hypocrisie qui semble mettre hors de cause, dans la "guerre monétaire", les pays dont la monnaie est "flottante", comme le sont les principales monnaies de réserve, dollar et euro. Leur valeur est sensée dépendre de la loi de l'offre et de la demande sur le marché des changes, ce qui leur confèrerait la propriété d'être indépendantes de l'intervention étatique. Mieux encore, la "main invisible" de ce marché leur permettrait de trouver automatiquement leur "vrai valeur"(?)...
 
C'est un double mensonge. Le premier concerne leur indépendance de l'intervention des Etats, directement contredite par la politique de la banque centrale US, la FED, qui, en pratiquant des taux d'intérêts très bas et en faisant massivement marcher la planche à billets pour financer les plans à répétition d'aide à l'économie, pousse le dollar à la baisse relativement aux autres monnaies, en particulier l'euro. Cette intervention de la FED compense les actions des marchés des changes, quant elle ne les incite pas à aller dans le même sens. L'euro est, quant à lui, le contre-exemple qui confirme la règle :  s'il est chahuté par les marchés et poussé à la hausse par rapport au dollar, c'est bien parce qu'il est, contrairement à celui-ci, une monnaie sans Etat...
 
Le second concerne l'affirmation qui voudrait que la liberté sur le marché des changes permette un ajustement automatique et harmonieux des monnaies. Le meilleur exemple en est la situation actuelle du Brésil dont la monnaie, le real, ne cesse de grimper du fait de l'afflux de capitaux entrant dans le pays à la recherche de profits que l'économie des USA ou de l'Europe sont incapables de satisfaire. Cette surchauffe menace directement l'économie brésilienne d'effondrement. La hausse du real par rapport aux autres monnaies se traduit par une augmentation des prix à l'exportation et une baisse à l'importation. Autrement dit prépare une crise économique qui, en plus de jeter les travailleurs au chômage, se répercutera inéluctablement sur les investissements étrangers, déclenchant un retrait des capitaux qui laisseront derrière eux un champ de ruines.
 
Il est impossible de croire un seul instant qu'un Etat pourrait tenir son engagement à "s'abstenir de toute dévaluation compétitive" ou de toute autre mesure monétaire destinée à soutenir les couches supérieures de la bourgeoisie qu'ils sert dans une concurrence internationale exacerbée par la crise. Et cela même si ces mesures monétaires sont totalement dérisoires devant l'ampleur des déséquilibres commerciaux auxquels elles tentent de faire face et qui ne sont eux-mêmes que l'aboutissement de trente ans de la guerre qu'ont mené les classes dominantes pour étendre leur main mise sur l'ensemble des forces productives de la planète.
 
Le remède n'est pas monétaire...
 
Non seulement, quoi qu'en dise Lagarde, "la première pierre d'un nouveau système monétaire international " est loin d'être posée, mais la solution à la "guerre monétaire" n'est pas "monétaire". Elle est dans la remise en cause du contrôle qu'exercent sur le monde les aristocraties financières et les Etats qui les servent et qui s'avère incapable de résoudre la contradiction entre la nécessité, pour chacun des Etats, de favoriser la position de "ses" grandes multinationales industrielles et financière face à la concurrence, et celle de s'entendre entre grandes puissances face aux effets destructeurs et "incontrôlables" de cette politique protectionniste.
 
Derrière les déclarations des dirigeants des pays les plus riches, derrière les manœuvres dont le G20 est le siège, il y a la continuité d'une politique sur laquelle ils sont, sans conteste, tous d'accord : faire payer aux travailleurs et aux peuples le prix de cette concurrence effrénée sur laquelle ils ne peuvent avoir le moindre contrôle. Ce qui ne les empêche pas de prétendre le contraire, que les solutions qu'ils nous promettent sont en bonne voie de mise en place, qu'il suffit de patienter... en acceptant les coups.
 
C'est ainsi qu' à l'issue de chaque G20, on voit apparaître, tel un serpent de mer, l'affirmation qu'il est indispensable de mettre en place une "gouvernance internationale" qui aurait les moyens d'imposer un respect de règles du jeu élémentaires pour faire en sorte que l'intérêt général de la haute bourgeoisie internationale s'impose face aux intérêts particuliers qui s'affrontent et conduisent le capitalisme à la faillite, et que la mise en place d'une telle "gouvernance" est en bonne voie.
 
Mais il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir... Le rêve de coopération volontaire et harmonieuse entre Etats bourgeois ne tient pas face aux nécessités de la concurrence. La seule perspective de voir apparaître une "gouvernance" qui aurait les moyens d'imposer sa loi aux Etats ne pourrait venir que d'une évolution du rapport de forces entres grandes puissances au point d'arriver, comme à la sortie de la deuxième guerre mondiale, à l'hégémonie économique, financière, politique et militaire indiscutable, à la dictature d'une grande puissance sur l'ensemble des autres.
 
Il n’y a pas de retour en arrière possible. Le FMI, émanation de l'hégémonie US d'après-guerre, contraint de s'adapter tant bien que mal aux nouveaux rapports de force en redistribuant quelques sièges, est bien incapable de jouer le rôle d'arbitre suprême.
 
A ce jeu de la concurrence et des rapports de force, l'Union européenne, minée par les divisions internes, est en position de faiblesse. Maillon faible économique et financier du capitalisme internationale, elle l'est aussi du point de vue social et politique. La riposte des populations, la solidarité internationale qui se manifeste, sont porteurs de la seule véritable solution à la crise du capitalisme, et pourrait ouvrir la voie à son renversement révolutionnaire, au socialisme.
 
Daniel Minvielle
 
[1] les "accords" annoncés lundi du G20 des ministres des finances sont déjà remis en cause, puisque la presse annonçait mercredi que la Chine serait désormais d'accord sur la proposition US de limiter à 4% du PIB les excédents de la balance commerciale... Certainement le résultat d'une transaction de couloir, d'autant plus acceptable par la Chine que son excédent pour 2009 n'était que de 4,7 % du PIB, alors que celui de l'Allemagne est de 6,7 % et que celui de l'Arabie Saoudite dépasse les 20 %...