A l'heure des tentatives de reprise en main, faire vivre les acquis du mouvement
Alors que Sarkozy, de nuit, à la hâte, comme un
petit voleur, vient de promulguer sa loi contre les
retraites, le communiqué de l’intersyndicale qui s’est tenue
la veille ne fait malheureusement que confirmer sa dérobade.
Alors que la révolte s’est amplifiée ces dernières semaines
face au passage en force d'un Sarkozy profondément
discrédité par les affaires et ses mille liens avec les plus
riches, l’intersyndicale appelle à une « suite » le 23
novembre de façon… « multiforme », sans même d'appel
à la grève ni même à manifestation.
Bien que la légitimité du parlement et du
gouvernement ait été profondément contestée,
l’intersyndicale ne réclame même pas l’abrogation de la loi
sur les retraites. Tournant la page, les organisations
syndicales déclarent vouloir « approfondir leurs analyses
et propositions sur ces questions (emploi, salaires,
conditions de travail,…) afin d’interpeller le
gouvernement et le patronat » ! Comme s’il s’agissait
de repartir comme si de rien n’était dans un nième
épisode du « dialogue social » avec ce gouvernement… ou le
prochain.
Refusant l'affrontement, l’intersyndicale intègre
le vote de la loi et se borne à déclarer son « attachement
au maintien de l’âge légal de départ en retraite à 60 ans
et de l’âge du taux plein à 65 ans »… Même pas
l’affirmation de la retraite à taux plein à 60 ans !
De toute évidence, au moment où le mouvement
reflue, les directions des confédérations cherchent à
reprendre les choses en main. La politique de
l'intersyndicale laisse ainsi toute latitude à la CFDT, qui
combat depuis plusieurs semaines tout soutien aux grèves
reconductibles ou aux blocages, pour faire ses offres de
service à Parisot et au gouvernement.
Quant à la CGT, si elle a répété qu'elle voulait se
battre jusqu’au bout… elle a combattu l'exigence du retrait
de la loi, au nom de la nécessité de « négocier une autre
réforme ». La loi votée, elle en prend acte et tourne
la page, se préparant à un nouvel épisode de « dialogue
social », c'est-à-dire à la négociation de nouveaux reculs.
Thibault résumait le fond de sa politique le 6 novembre : « toutes
[les lois] sont révisables en permanence. (…) Il y a
aujourd'hui unanimité syndicale, non pas pour remettre en
cause la légitimité institutionnelle des représentants du
peuple, mais pour considérer qu'ils ne peuvent pas
légiférer en ignorant ce que dit justement le peuple ».
Il n'y a certes pas eu « unanimité syndicale ».
Solidaires en particulier a, durant tout le mouvement,
milité pour le « retrait » et la grève générale
reconductible. Essayant de peser sur l'intersyndicale,
refusant de signer un certain nombre de communiqués, en
particulier celui qui en appelait au « respect des biens
et des personnes » alors que les équipes militantes
les plus déterminées bloquaient les raffineries, les dépôts
de pétroles, un certain nombre de plateformes de la grande
distribution. Mais face à la dérobade de l'intersyndicale,
au reflux du mouvement qui n'a pas eu la force de lever ces
obstacles, Solidaires s'est retrouvé pris au piège de cette
« unité ».
Pourtant, ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est
toujours de ne rien lâcher : l’abrogation de la loi, le
retour aux 37,5 ans et la retraite à 60 ans à taux plein...
Si le gouvernement a réussi à imposer sa réforme,
ce n’est pas une défaite sans combat. Des millions de
travailleurs, de jeunes, se sont dégagés du chantage de
Sarkozy sur les « sacrifices » face à la crise. Le
mouvement marque une rupture, un renouveau. Des milliers
d'équipes militantes dans le pays ont repris confiance en
elles, dans la lutte collective pour défendre leurs
intérêts, dans les méthodes de la lutte de classe, dans la
démocratie pour se donner les moyens d'agir. L'expérience et
le souvenir de 2009, de l'impuissance des journées
« saute-mouton », a aidé à la construction d'une nouvelle
conscience qui a permis au mouvement d'aller bien au-delà de
ce que voulaient les centrales syndicales. L'affrontement
avec le pouvoir, c'est le mouvement lui-même, à la base, qui
y a fait face et l'a assumé avec les militants les plus
déterminés et les mieux armés non seulement face au
gouvernement mais face à tous ceux qui ont tenté tout au
long de maintenir la contestation dans le respect de la
prétendue légitimité institutionnelle.
Face à cela la gauche libérale, tant syndicale que
politique, a tout fait pour essayer de maintenir la
contestation sous son contrôle, d'en borner les objectifs,
de canaliser le mouvement tant sur le terrain social que
politique. Et aujourd'hui, face à cette volonté de reprise
en main, au « retrait » pour le moins brusque de tous ceux
qui n’ont qu’une envie, reprendre la routine de la
« négociation » avec le pouvoir, et alors même que
l'approfondissement de la crise annonce de nouveaux bras de
fer, l'heure est au contraire à faire vivre tous les acquis
du mouvement !
Ce qui s'y est passé est profond. Et s'il est bien
difficile aujourd'hui de prévoir les rythmes, d'anticiper
sur la capacité des équipes qui se sont construites dans les
interpros, à la base, toutes générations confondues, de
résister à la reprise en main, la tâche est bien d'y
travailler, de faire vivre la démocratie de la lutte, sa
légitimité, les leçons du mouvement pour renforcer la
confiance et la conscience nouvelle. Cela nécessite de
comprendre ensemble quelles ont été les forces mais aussi
les faiblesses du mouvement, sans se bluffer mais en prenant
la mesure du pas franchi, et de ce qui a manqué pour faire
basculer les choses, se dégager de la pression des appareils
tant syndicaux que politiques qui n'ont « accompagné » qu'en
espérant mieux contrôler et ramener le mouvement dans leur
giron, celui du dialogue social et institutionnel...
La lutte contre la
réforme des retraites dans la continuité de celles de 2009
contre la crise
Le mouvement pour les retraites s’inscrit dans la
continuité des luttes de 2009 pour refuser de payer leur
crise. La révolte, alimentée par le scandale des sommes
colossales mises sur la table par le gouvernement pour les
banques et la finance, s’était alors traduite dans la
participation massive aux manifestations du 29 janvier et du
19 mars. En même temps, une série de grèves se multipliaient
dans le public (EDF, Poste,..) comme dans le privé avec les
luttes dures contre les fermetures d’usines et les
licenciements. Les salariés de Caterpillar à Grenoble
séquestraient leur direction, suivis par ceux de Sony,
Molex, 3M… Les « Conti » exprimaient alors le plus
radicalement ce sentiment d’avoir été floués et la volonté
de se battre pour vendre le plus chèrement possible leur
peau.
Face à cela, la politique des directions syndicales
en est restée à la plate-forme de l’intersyndicale du 5
janvier, qui demeurait compatible avec le « dialogue
social ». Espaçant au maximum les journées nationales de
mobilisation, laissant volontairement les luttes qui se
déroulaient sans la moindre perspective d’ensemble, refusant
toute convergence, l’intersyndicale tournait le dos à la
généralisation.
Les débuts de coordination, les rencontres, l'ont
été à l’initiative des « Conti » avec les salariés de
Goodyear, des salariés de New Fabris, de Ford, etc… Ces
équipes militantes essayant de tisser des liens par-dessus
les appareils.
La contestation de la politique des directions
syndicales se fit entendre davantage, en particulier lors du
congrès de la CGT plusieurs mois après, à travers le refus
de ces journées « saute mouton » et la candidature de
Jean-Pierre Delannoy face à Thibault.
Sarkozy cherche
l'affrontement, et réhabilite la lutte de classe
Pensant le terrain suffisamment dégagé, Sarkozy
décide en début d'année de lancer l’offensive sur les
retraites dans la foulée des plans d'austérité des
gouvernements grecs, portugais, espagnol, anglais... avec
les encouragements des dirigeants du FMI. Dès le prétendu « sommet
social » du 15 février, où se rendent sans discuter
les dirigeants des confédérations syndicales, Sarkozy
annonce la couleur : « La réforme des retraites est trop
importante pour qu'elle ne soit pas conduite de manière
concertée, ouverte et sur la base d'un diagnostic partagé
», reprenant la formule de Raffarin en 2003. Les directions
syndicales sont invitées à se plier aux nécessaires mesures
de sauvetage des intérêts des multinationales. La campagne
du gouvernement et le chantage sur l’avenir des retraites
sont lancés.
Pour mener cette offensive, Sarkozy appelle à
l’ouverture et le PS s’y engouffre, réclamant un « consensus
national » sur la question. Mais la pression des
travailleurs s’exerce, refusant les discours sur la crise
alors que les profits du CAC 40 battent des records : la
baffe électorale des régionales remet en cause les plans de
Sarkozy.
Sauf qu'engluée dans le dialogue social malgré le
discrédit du pouvoir, l’intersyndicale reste paralysée dans
le calendrier du gouvernement et se garde bien d'appeler à
un 3ème tour social : les journées de
« mobilisation » du 23 mars et du 27 mai s'en ressentent.
Pendant ce temps, Woerth « consulte », discute avec
les « partenaires sociaux » tout en distillant dans
l’opinion sa campagne pour tenter de faire se résigner les
travailleurs. Il attend jusqu’au 16 juin pour annoncer ses
mauvais coups.
Mais la crise politique ne fait que s'approfondir,
illustrée par l'ampleur que prend immédiatement l'affaire
Woerth-Bettencourt et la multiplication des révélations
faites par quelques journalistes. Le succès de la
manifestation du 24 juin en est le reflet : le chantage ne
prend pas, au contraire, une révolte et une confiance
nouvelle dans le bon droit de la contestation se disent
clairement dans la rue. Mais alors que l'illégitimité de la
bande du Fouquet's prend de l'ampleur durant tout l'été, les
directions syndicales se dérobent, Chérèque et Thibault, se
défendant de vouloir instrumentaliser « l'affaire
Woerth » et la crise du pouvoir ! Ils en restent à la
demande d'une... « réécriture » du projet de loi.
Mais les scandales, la démagogie xénophobe,
l'accusation par le gouvernement des journalistes qui
révèlent les dessous du pouvoir (accusés par Bertrand
d'utiliser des « méthodes fascistes » !), renforcent
le sentiment d'intolérable et la légitimité de la rue. Le
succès des manifestations dès la rentrée, la détermination
qui s'y exprime, obligent l’intersyndicale à accélérer le
rythme. Sarkozy ne lui laisse d'autre choix, ayant décidé de
passer en force.
Les provocations du pouvoir (sur le nombre de
manifestants, les déclarations de Fillon se drapant de la « démocratie »
contre les manifestants, les coupes sombres du budget
annoncées par Baroin), renforcent le sentiment que face à un
pouvoir qui ne veut rien entendre, il faut bloquer le pays,
développer la grève.
Et alors que Sarkozy décide l’affrontement et de
faire voter sa loi à marche forcée, il est déjà dépassé par
le mouvement qui va trouver les moyens de se renforcer.
Comme l'écrit alors un journaliste de Mediapart : «
par la volonté de passer en force qui est la marque de sa
contre-réforme des retraites, Nicolas Sarkozy a réhabilité
à sa façon la lutte des classes ».
Un mouvement profond mais
auquel manquent des objectifs clairs, une politique
Le mouvement est profond, trouve les moyens de
s'étendre, prend confiance en lui, en particulier à partir
du 12 octobre où la grève reconductible s’étend dans
plusieurs secteurs, les raffineries, les ports et docks, la
SNCF, et de façon différentes suivant les villes et les
régions, dans les transports, chez les territoriaux, dans
l’Education... En même temps, la jeunesse des lycées et dans
une moindre mesure des universités rejoint la lutte,
exigeant comme tous les militants du mouvement qui se
radicalisent le retrait pur et simple de la loi. Comme le
commente inquiet un conseiller de l’Elysée : « On est
désormais dans une manifestation politique. (...) Avant il
y avait des revendications, sur les femmes, les carrières
longues. Maintenant, il n'y en a plus : c'est le retrait
du texte ou rien ».
La question de la grève reconductible et de la
grève générale est posée, en réponse à la stratégie des
directions syndicales des journées d'action sans lendemain.
L'idée de « bloquer le pays » s'impose largement, se
traduisant dans des blocages pour soutenir la lutte des
raffineries ou pour paralyser les aéroports, les centrales
de distribution, etc. Le mouvement affirme face au
gouvernement sa propre légitimité, celle de ceux qui font
tourner la société.
Mais pour mener un tel affrontement face au
pouvoir, pour donner confiance et entraîner dans la grève
générale un nombre suffisant de travailleurs, pour tout
faire basculer, le mouvement avait besoin d’une politique et
d’objectifs clairs. Or, tout au long du mouvement, deux
politiques se sont affrontées : la négociation avec le
pouvoir ou l'exigence du retrait de la loi. La première, sur
le terrain du gouvernement, ne conçoit la lutte qu'en appui
aux « négociateurs » des appareils syndicaux face à leurs
« partenaires ». La seconde assume l'affrontement et, pour
transformer le rapport de forces, étendre la grève, a besoin
de s'organiser démocratiquement, à la base, pour que les
acteurs de la lutte décident eux-mêmes, au fur et à mesure,
des moyens à mettre en œuvre.
Si la force du mouvement a fait pression sur
l'intersyndicale, amenant certaines fédérations à déposer
des préavis de grève reconductible, les confédérations se
sont dérobées. Inquiètes, jouant des ambiguïtés, elles ont
en permanence cherché à garder le contrôle des équipes
militantes qui commençaient à mettre en œuvre une autre
politique pour la lutte, ou à les isoler.
La force du mouvement :
la démocratie à la base pour l'élargissement
Des milliers d'initiatives locales se sont prises
avec le même souci, s'unir pour se renforcer, s'adresser aux
autres salariés, à la population, dans l'objectif de bloquer
l'économie. Un peu partout les équipes syndicales des
entreprises mobilisées ont cherché le contact avec les
autres secteurs en grève.
Des interprofessionnelles locales intersyndicales
se sont ainsi multipliées, s'appuyant parfois sur les acquis
de précédents mouvements (2003 contre les retraites, 2006
contre le CPE, voire dans certains endroits, 95) ou s'y
lançant pour la première fois. Ces interpros se sont aussi
élargies aux étudiants, aux militants du mouvement,
syndiqués ou non, malgré les pressions des appareils
rapidement inquiets de voir les initiatives leur échapper.
Au Havre, comme dans certaines villes, une AG
interprofessionnelle de grévistes s'est mise en place pour
organiser les actions, faire un journal de grève appelant à
« poursuivre la lutte jusqu’au retrait du projet ».
Une importante expérience collective a été vécue
par nombre de militants nouveaux, tous drapeaux syndicaux
déployés et mélangés avec fierté, toutes générations
confondues. Elle a permis de faire de la politique ensemble,
de décider ensemble des contenus des tracts pour s'adresser
aux autres travailleurs, à la population, pour faire
l'opinion. Et elle a imposé le débat dans les structures
syndicales pour essayer de dépasser les obstacles, les
réticences, quand ce n'est pas l'hostilité affichée des UD à
ces embryons d'organisation démocratique.
Des milliers de militants de la lutte, militants
syndicalistes, non syndiqués, étudiants ou lycéens ont vécu
au coude à coude pendant plusieurs semaines, parfois surtout
pris par l'organisation d'initiatives, dont les blocages que
certains, les plus impatients, parfois activistes, ont pu
croire être un pis-aller à la grève générale pour bloquer
l'économie. D'autant que c'étaient des lieux de grande
liberté, d'enthousiasme et de démocratie, les appareils
gardant le plus souvent leurs distances avec ces
initiatives.
Aujourd’hui où le mouvement marque le pas mais où
les volontés restent nombreuses de maintenir non seulement
« les braises chaudes » mais de faire vivre les liens
militants qui se sont créés, il est nécessaire de prendre le
temps de réfléchir ensemble aux acquis comme aux faiblesses
qui ont été celles de cette étape du mouvement, pour mieux
préparer les suites.
Le poids des reculs
accumulés et de la politique du dialogue social
Les reculs de ces dernières années ont pesé. Dans
bien des entreprises, les dégâts causés par la précarité,
les statuts différents, les bas salaires, la menace des
licenciements ont pesé sur la mobilisation. Mais plus encore
les reculs successifs, en particulier sur la question des
retraites depuis 1993, qui ont alimenté un sentiment
d’impuissance face à la nouvelle offensive du gouvernement,
en particulier chez les jeunes salariés.
La politique du « dialogue social » dans laquelle
les confédérations syndicales ont tenu prisonnier le
mouvement, intégrant par nature même ces reculs, se refusant
à construire le rapport de force dans la rue et par la
grève, a été un obstacle majeur.
Comme le décrivait un éditorial de Libération : « Officiellement,
nous sommes dans un bras de fer (…), mais, en fait, la
négociation continue. Etrange négociation, sans
discussions directes ni contacts à ciel ouvert. (…) Tout
se passe comme si Bernard Thibault et François Chérèque
jugeaient impossible une défaite du gouvernement en rase
campagne ».
De fait, c’est Sarkozy lui-même qui a cherché
l’affrontement, voulant mettre à genou les confédérations
syndicales qui n’osaient, elles, voir les choses en face. Il
les a poussé à aller plus loin aussi sous la pression des
travailleurs, des jeunes, qui en intervenant directement sur
le terrain de la lutte de classe, ont contesté la légitimité
de ce gouvernement des riches par les riches.
De ce point de vue, Sarkozy n’a pas gagné et la
crise politique de la droite est profonde. Jamais casting
pour le poste de 1er ministre n'aura été aussi
long avec autant de prétendants, d’appétits et de rivalités
affichés. L’épisode Borloo et la comédie d’un renouveau du
dialogue social n’a duré que le temps de tenter de semer
quelques illusions. On revient aux choses sérieuses. Pour
engager la suite de son plan d’austérité, si Sarkozy est
tout disposer à relancer le « dialogue social», il sait
que, quelque soit aujourd’hui l’attitude des directions
syndicales, les ruptures qui viennent de s’opérer laisseront
des traces. Les grèves reconductibles, le mouvement de la
jeunesse, les blocages, en contradiction avec ce « dialogue
social », ont changé la donne.
Quelle unité, quelle
politique pour préparer l’affrontement, la grève générale
?
Un autre problème a été celui de l'unité, ou plutôt
celui de la politique sur laquelle s'est réalisée l'unité
des directions syndicales. Bien évidemment, l'unité à la
base a été un facteur très dynamique du mouvement. Dans les
interpros qui se sont développées et même dans des
intersyndicales d'entreprises, des militants ont pu faire
l’expérience de cette unité à la base, se libérant des
calculs de boutique, des divisions syndicales qui pèsent
dans bien des secteurs. Les travailleurs aspirent à cette
unité pour la lutte, justement parce qu’elle bouscule le
poids des appareils.
Mais au niveau des directions syndicales,
« l’unité » de l’intersyndicale repose sur une toute autre
politique. S’appuyant sur le plus petit dénominateur commun,
elle est incapable d’affirmer les exigences du monde du
travail, des revendications claires sur les retraites comme
les 37,5 annuités pour tous ou la retraite à 60 ans à taux
plein. Quand le mouvement commence à se renforcer et à se
radicaliser, elle s’aligne sur les positions de Chérèque,
pour qui « ceux qui veulent radicaliser le mouvement,
appeler à la grève générale, souvent veulent rentrer dans
une démarche politique, d'opposition globale avec le
gouvernement. Or la force de ce mouvement, c'est qu'il
n'est pas politique mais social. On a une force
tranquille, utilisons cette force ».
Ainsi le 21 octobre, alors que la grève
reconductible cherche à se développer et que les blocages se
poursuivent dans le pays, l’intersyndicale sort un
communiqué qui tant par le calendrier des actions que par le
contenu, tourne le dos aux intérêts du mouvement : pas un
mot sur les grèves reconductibles, sur le mouvement dans la
jeunesse, sur les blocages… si ce n’est pour s’en
désolidariser en déclarant veiller au respect « des biens
et des personnes ». Pendant ce temps, l’Etat envoyait
ses CRS contre les lycéens et les grévistes et recourrait à
des réquisitions illégales dans les raffineries !
L’unité qui consiste à s’aligner sur la CGC qui
condamnait les blocages et « menaçait » de partir une
semaine avant ou sur Chérèque qui combat toute
radicalisation du mouvement a servi surtout de paravent à la
propre dérobade de l’intersyndicale, et en particulier de la
CGT, dont la base poussait à une intensification de la
lutte.
L’unité utile aux luttes du monde du travail n’est
pas ce plus petit dénominateur commun entre appareils, elle
est au contraire indissociable de la démocratie la plus
large, à la base. Elle permet ainsi aux plus conscients
d’entraîner les autres dans des relations démocratiques, en
donnant confiance dans les possibilités de la lutte.
Mais pour se faire, elle doit s’appuyer sur une
politique qui ose poser la question sociale en des termes
politiques, c’est-à-dire qui ne craint pas l’affrontement
avec le pouvoir ni ses conséquences en terme de crise
politique. En ce sens, l'unité est avant tout l'unité
démocratique à la base, celle qui se retrouve dans les
comités de grève, les comités de lutte, permettant aux
acteurs du mouvement de le décider et de le contrôler.
Pour une politique
syndicale en rupture avec le dialogue social
Faire vivre les acquis du mouvement, c’est aussi
discuter de quelle politique nous défendons dans les
organisations syndicales. Face à la politique du
gouvernement et des patrons, qui cherchent à faire payer
cher la crise de leur système, le dialogue social ne sert
qu’à accompagner les reculs. Il est devenu une arme dans les
mains du gouvernement pour tenter de paralyser les réactions
du monde du travail, en pratiquant le bluff permanent de la
« concertation » avec les « partenaires sociaux ».
Il n’y a même pas de « négociations » avec le pouvoir. Comme
ailleurs en Europe, le gouvernement passe en force pour
imposer son plan d’austérité sur les retraites et
maintenant, il voudrait passer à la sécu, voire aux 35
heures. C’est à cette politique qu’il faut s’en prendre, en
commençant par contester la légitimité de ceux qui ont
financé à fonds perdus les banques et les riches, et
présentent maintenant la facture aux travailleurs.
Face à ces régressions sociales, il faut défendre
les exigences du monde du travail, ne pas se justifier. Dans
le mouvement, un des problèmes importants a été justement la
justification de la réforme, qui était même acceptée par une
série d’organisations syndicales. Cela accréditait l’idée
qu’il y a un vrai problème de financement, une question
« démographique », alors que le problème essentiel est celui
du vol sur la part des salaires dans les richesses produites
qui n’a cessé de régresser au profit des actionnaires ces
dernières années.
Sur les retraites comme sur les salaires ou les
emplois, il faut avancer des revendications offensives,
partant des besoins fondamentaux des travailleurs, de leurs
exigences, leur permettant de se libérer des chantages
permanents des patrons ou du gouvernement. Les 37,5 annuités
pour tous public et privé, les augmentations de salaires de
300 €, l'interdiction des licenciements sont justement de
telles réponses à la crise et à la politique des classes
dominantes, qui ne peuvent s'imposer que par l’inversion du
rapport de forces, par la lutte d'ensemble, par la grève
générale.
Faire vivre un syndicalisme de lutte de classe,
rompant avec le dialogue social, pratiquant la démocratie à
la base, est une tâche importante pour les étapes qui nous
attendent.
Luttes sociales et luttes
politiques, une seule lutte de classe
« Ce que nous avons à faire c'est que cette
colère qui n'a pas trouvé son résultat social trouve sa
traduction politique en 2012 »... Voilà comment
Hollande et le PS résument la question de la « perspective
politique ». Là aussi, il ne manque pas de volontés pour
faire rentrer le mouvement dans le rang des institutions et
des élections. Le PS qui a voté avec la droite l'allongement
à 41,5 annuités a beau jeu de se présenter en perspective,
surtout quand les plans d'austérité en Europe sont menés par
des gouvernements de gauche en Grèce, au Portugal ou en
Espagne. D'autant qu'un des candidats probable reste DSK,
patron du FMI qui vient d'applaudir à la contre-réforme des
retraites Sarkozy en déclarant « c'est une réforme qu'il
aurait fallu faire depuis 20 ans » !
Quant au Front de Gauche, il n'a pas de politique
propre face au social-libéralisme. Dans les manifestations,
il en appelle au « Front Populaire » en référence à Blum en
36, ce qui est déjà tout un programme... et un ralliement.
La « révolution citoyenne » de Mélenchon ce sont surtout les
urnes et les institutions, tout comme sa proposition de
referendum contre la réforme des retraites, destinée à
détourner le mouvement sur le terrain institutionnel.
Non, la perspective politique ne peut être une
nouvelle mouture d'union de la gauche, gérant ce système
capitaliste dans le cadre de l'Etat, de ses institutions et
de la protection de la propriété privée garantissant les
privilèges des plus riches.
La question des perspectives politiques se pose à
partir de la lutte que nous venons de connaître. Quelles
réponses à la crise sur le terrain de la lutte de classe ?
Qui dirige ? Pour nous, la question sociale et la question
politique sont bien une seule et même question. Le mouvement
que nous venons de connaître s'est heurté de front à ce
problème, en particulier par la politique de
l'intersyndicale refusant l'affrontement avec Sarkozy sous
le prétexte que cela devenait... politique.
La lutte pour défendre les intérêts quotidiens du
monde du travail impose aujourd'hui de préparer un tel
affrontement face au pouvoir et au patronat puisque le camp
d'en face compte bien le mener. Le mouvement que nous venons
de vivre vient d'en poser largement les premiers jalons.
C'est toute cette expérience qu'il s'agit aujourd'hui de
renforcer, de faire fructifier.
Laurent Delage, Isabelle Ufferte