Le monde du travail regroupe ses forces

La journée du 23 appelée par l’intersyndicale a permis essentiellement aux militants de dire qu’ils ne se pliaient pas au vote de la loi, qu’ils en exigeaient l’abrogation. Le problème de cette journée n’était pas qu’elle ne permettait pas de « conduire à l'abrogation de la loi », comme le déclarait JC Mailly au Monde justifiant la non participation de FO en affichant une radicalité sans grand rapport avec sa politique. Le vrai problème est que, le 23, comme tout au long du mouvement, l’appel de l’intersyndicale restait dans le flou sans même oser revendiquer l’abrogation de la loi. « Même promulguée, la loi reste injuste et inefficace ».
 
Certes, mais on est loin des exigences portées par le mouvement. « La page retraites n’est pas tournée », certes mais qu’est-ce que cela veut dire ? Cette question restera « durablement une question d’actualité, avec le début de la négociation sur les retraites complémentaires dès le 25 novembre, la parution des décrets de la réforme ». Certes, mais ces négociations ont commencé comme si la routine du dialogue social reprenait son cours.
 
« Notre ligne d'action, c'est de permettre aux salariés de porter leurs exigences sociales. Et la seule manière de se faire entendre du gouvernement, c'est d'établir un rapport de force. Nous allons donc nous appuyer sur ce qui s'est exprimé dans le pays durant plusieurs mois sur les retraites, mais aussi sur l'emploi, le chômage, la pénibilité au travail, les inégalités... Nous allons donner plus de force aux négociations annuelles obligatoires dans les entreprises pour obtenir du concret pour les salariés. » Voilà la ligne de la CGT selon les déclarations de Bernard Thibault dans La Tribune, se faire entendre du gouvernement. La promulgation de la loi au mépris de l’opinion majoritaire du pays peut-elle laisser le moindre doute sur la possibilité de se faire entendre de ce gouvernement sans préparer l’affrontement avec lui, sans affirmer la perspective d’en finir avec une politique déterminée par les classes possédantes ?
 
« Si les ministres deviennent de vrais décideurs, cela devrait faciliter le dialogue. La vraie question demeure celle de la relation entre l'Etat et les partenaires sociaux. Depuis un an, les entorses se multiplient » déclarait, quant à lui, Chérèque dans l’Express. Depuis un an les entorses se multiplient ! « La relation entre l’État et les partenaires sociaux », comme si patrons et syndicats de salariés étaient sur le même terrain !
Ainsi, si les dirigeants des confédérations syndicales se félicitent du mouvement, ce dernier n’aurait servi qu’à faire pression sur le gouvernement dans le cadre du dialogue social. Pourtant, s’il est une chose que le mouvement a démontrée, c’est bien l’impasse de ce prétendu dialogue.
 
L’essentiel c’est que le mouvement a créé un nouveau rapport de force et c’est de ce nouveau rapport de force qu’il faut partir pour aller de l’avant dans la préparation du nécessaire affrontement entre l’État et la classe ouvrière, c'est-à-dire l’ensemble des salariés. Et c’est bien dans cette perspective qu’il nous faut débattre des faiblesses du mouvement, de ses limites, des moyens de les dépasser, de renforcer les acquis interpros, des éléments d’auto organisation qui sont apparus pour se dégager du piège du dialogue social au lieu de s’y prêter comme si rien ne s’était passé ou en attendant des changements institutionnels, par en haut, pour… 2012.
 
Il est clair que Sarkozy n’a pas réussi sa reprise en main, que le pouvoir sort fragilisé, affaibli de la confrontation. Chacune de ses initiatives révèle ses faiblesses, les accentue. Après la promulgation de la loi de nuit, la farce du remaniement ministériel, la comédie de Borloo premier ministrable trompé, l’expulsion sans remerciements des ministres d’ouverture, le retour de Juppé le vaincu de 95, la mise en scène au final d’un étrange ménage à trois entre Sarkozy, Fillon, Copé dont aucun ne cache ses ambitions ni ses rivalités, tout cela participe d’une profonde crise d’un pouvoir empêtré dans les affaires.
 
Mercredi, devant l’assemblée nationale, Fillon a tenté de donner le change. « Renoncer, douter, serait se parjurer devant l'Histoire. […] Contre vents et marées, dans le calme et la tempête, contre les conservatismes et pour vaincre les peurs, l'élan de la réforme est intact », a-t-il déclaré sans crainte du ridicule alors que partout l’on entend les sinistres craquements du monde qu’il défend. Et tout ça pour faire l’apologie de cette étrange forme de courage qui consiste à frapper les plus faibles, les plus démunis pour servir les forts, les riches ! Certains appellent cela, à juste titre, de la lâcheté.
 
Et pendant ce temps, Sarkozy se hisse sur ses talonnettes pour penser au niveau de la planète maintenant qu’il occupe la présidence du G20. Mais le naturel revient au galop, Clochemerle l’obsède, et quand il reçoit DSK à l’Elysée, directeur général du FMI avec lequel il va devoir collaborer, c’est bien à la présidentielle qu’il pense, tout content de jouer un mauvais tour au PS… sans même s’apercevoir qu’il intronise celui qui déjà dans les sondages le renvoie dans les cordes… Et Martine Aubry aussitôt de déclarer qu’elle, Ségolène Royal et DSK se mettront d’accord pour choisir entre eux qui postulera au nom du PS à la candidature à la présidentielle… Autant pour les analystes qui croyaient pouvoir voir une différence politique entre Aubry et DSK !
 
Tout ce petit jeu politicien des salons de l’Elysée, de Matignon ou de l’Assemblée méprise les millions de salariés qui ont participé au mouvement contre la loi sur les retraites, le monde du travail qui subit les effets dévastateurs d’une politique entièrement soumise aux financiers spéculateurs, tant en France qu’au niveau de l’Europe ou du monde.
 
Au même moment, les travailleurs portugais étaient en grève contre les attaques mises en œuvre par le gouvernement socialiste avec l’appui de la droite. Avec ceux de Grèce ou d’Irlande, la jeunesse britannique, ils prennent le relais de la mobilisation de cet automne, ils l’inscrivent dans une perspective plus globale, européenne, celle de l’unité des travailleurs pour faire respecter leurs droits. Ils affirment, par la grève, les exigences de notre classe face à la minorité de parasites qui dirigent le monde. Ce sont là les prémices des combats à venir, plus profonds, plus massifs encore, plus radicaux.
 
Le développement dramatique de la crise provoquée par la politique des classes dominantes et des États comme des partis de droite ou de la gauche libérale qui les servent entraîne de profondes maturations politiques. Il indique clairement qu’il n’y a pas d’issue dans le cadre du système, de cette Europe des banques et des multinationales. La seule issue, c’est l’union démocratique des travailleurs, par delà les frontières. Cette union se forge à travers chaque lutte, chaque grève et chacune participe de ce combat d’ensemble, le renforce, aide à une prise de conscience de plus en plus large, profonde, radicale, construit la solidarité du monde du travail.
 
Le NPA aspire à en être une des forces motrices, en solidarité avec tous les anticapitalistes dans ce pays comme au niveau de l’Europe. Il veut contribuer à leur regroupement, agir pour que de ce regroupement naisse un parti à même de représenter les intérêts généraux du monde du travail, sans sectarisme ni compromissions, porteur de la seule réponse à la crise provoquée par les classes capitalistes, le pouvoir et le contrôle de la population sur la marche de la société pour une autre Europe, celle des travailleurs et des peuples.
 
Cette perspective prend corps, gagne en crédibilité, en force. Elle est au cœur des discussions sur les enseignements et apports de la mobilisation de cet automne que le NPA veut initier partout, au cœur aussi de la préparation de son congrès.
 
Yvan Lemaitre