« Des idées à débattre ensemble », eh bien débattons !
A la fête de l’Humanité de septembre
dernier, le Front de gauche lançait son « programme
partagé ». Depuis, un Cahier citoyen - Ce que la
gauche devra faire (disponible sur le site www.pcf.fr)
a été publié pour appeler à « débattre ensemble ».
Alors débattons, mais pas seulement en « prenant le stylo »
pour commenter les mesures, comme le FdG y invite « les
citoyens » mais débattons du fond : un programme pour
quoi faire ? au service de quels intérêts ?
L’urgence aujourd’hui est bien de discuter des
réponses pour résister à l’offensive des possédants et des
gouvernements qui font payer la crise du capitalisme aux
travailleurs et aux peuples, débattre pour aider le monde du
travail à affirmer ses exigences comme priorité absolue, en
assumant de construire une opposition frontale avec ceux qui
défendent les intérêts du capital : patrons de la finance et
de l’industrie, partis gouvernementaux et Etats,
institutions internationales comme l’UE ou le FMI.
S’il veut être utile pour inverser les rapports de
forces, un programme doit donc partir des besoins des
classes populaires, tant sociaux qu’écologiques et
démocratiques. Il n’y a pas de magie du verbe, mais les
affirmer, les mettre en discussion parmi ceux qui veulent
lutter pour les rendre réels, c’est déjà les légitimer.
C’est aussi ouvrir la discussion sur les moyens pour les
imposer aux classes dominantes, débattre du pouvoir qui
pourrait les mettre en œuvre, des voies et des moyens pour
changer le rapport de forces.
Quelles
mesures ? Pour servir quels intérêts ?
Le point de départ, ce sont les besoins urgents et
immédiats du monde du travail. Impossible ici de les évoquer
tous (logement, santé, éducation, culture, transports…),
alors discutons de l’emploi et des salaires, les questions
clé pour mettre un coup d’arrêt au recul social et à
l’appauvrissement. L’urgence est de partager le travail
entre tous en travaillant moins, d’interdire les
licenciements, d’embaucher dans la fonction publique, d’en
finir avec la précarité, d’augmenter les salaires et
pensions d’au moins 300 € nets avec un SMIC et des minima
sociaux à 1600 € net.
On se retrouve ainsi d’accord avec le Cahier
citoyen, dans sa partie « droits sociaux », qui
propose « la revalorisation des retraites et des salaires
avec un SMIC à 1600 euros » (net, on suppose).
Ensuite, il propose « l’interdiction des licenciements
boursiers » : la restriction parait bien inutile, vu
que rien ne différencie des licenciements boursiers – on
entend d’une entreprise qui veut faire remonter ses actions
– des autres licenciements économiques (dans une société non
cotée qui se restructure, ou endettée auprès des banques, ou
tout simplement dont le propriétaire veut augmenter ses
profits), ou même pour fautes, le plus souvent provoquées
pour se débarrasser de salariés à moindre frais (les
licenciements individuels sont les plus nombreux).
Contre le chômage, le FdG envisage une « sécurisation
sociale de l’emploi et de la formation », reprenant
une revendication de la CGT, c’est-à-dire, si on comprend
bien, la mise en place d’une caisse alimentée par des
cotisations sociales pour faire face aux suppressions
d’emplois. Cela revient à chercher des solutions pour les
accompagner, alors que nous pouvons envisager de mettre
réellement fin au chômage en partageant le travail entre
tous. Nous avons tout à gagner à affirmer clairement les
besoins des classes populaires, « un emploi c’est un
droit, un revenu c’est un dû » ose à juste titre le
slogan des mouvements de chômeurs.
Alors bien sûr, de telles mesures exigent d’imposer
une autre répartition des richesses, et impliquent un
contrôle de l’économie par les travailleurs et la
population, un gouvernement des travailleurs qui oserait
prendre des mesures autoritaires contre la propriété privée
de la finance et de l’industrie. Mais est-ce moins réaliste
que d’envisager une nouvelle branche de la sécurité sociale
pour l’emploi… au moment où le pouvoir est en train de
casser celles qui existent pour essayer de les remplacer par
des assurances privées (voir le nouvel épisode de dialogue
social qui se met en place sur la dépendance) ?
Il s’agit bien de discuter d’une issue à la crise
du capitalisme. Le Cahier citoyen veut une politique
pour « permettre à l’économie de redémarrer ». La
formule pose problème, si on ne définit pas de quelle
économie on parle. On suppose que ce qui est souhaité, c’est
la création des emplois. Mais le redémarrage de l’économie
actuelle, celui auquel travaillent les capitalistes, se fait
sur la destruction des emplois et des usines, pour faire
redémarrer les profits, comme le montre Sanofi, supprimant
des centaines d’emplois alors qu’elle fait des bénéfices
record. Nous avons besoin d’affirmer une toute autre
logique : une économie au service de la population, sous son
contrôle, ce qui veut dire contre les intérêts de la classe
financière et industrielle, contre leur propriété privée.
Pour cela, il ne suffit pas de proposer « la suppression du bouclier
fiscal et la taxation des revenus financiers » et la création « d’un
pôle public bancaire qui utilise l’argent public et
celui des dépôts en faveur d’une politique du crédit
favorisant l’emploi, les salaires, l’investissement et
la recherche », comme le fait le Cahier citoyen.
La perspective d’une régulation du capitalisme et
de l’intervention de l’Etat pour atténuer la folie des
marchés est une impasse. Depuis 2008, jamais les Etats ne
sont autant intervenus pour réguler le capitalisme, limiter
les dégâts pour les financiers eux-mêmes, et les milliers de
milliards qu’ils ont dépensés pour sauver les banques n’ont
fait qu’alimenter la spéculation. Ce faisant, les Etats ont
aggravé leur endettement, qu’ils financent en durcissant les
plans d’austérité contre les peuples. Ils alimentent une
phase encore supérieure de la crise.
La question qui se pose est de mettre un coup
d’arrêt à cette machine infernale, de mettre hors d’état de
nuire le capital financier, et pas seulement le taxer pour
reprendre un peu de ce qu’il a volé.Avançons le refus de
payer pour les banques, de payer la crise, la nécessité
d’exproprier la finance, d’interdire la Bourse, d’annuler la
dette des Etats, de nationaliser sans rachat tout le secteur
bancaire et de l’unifier pour que le pouvoir des
travailleurs exerce un contrôle complet sur le crédit.
Contre le mythe de la finance internationale intouchable,
nous avons besoin d’armer politiquement les mobilisations de
mesures radicales qui démontrent qu’il n’y a pas de fatalité
économique.
Sur le plan des mesures écologiques, le Cahier
citoyen propose au débat « un plan de relance de
l’industrie et de l’emploi s’appuyant sur l’innovation et
le respect de l’environnement » et le « développement
de la recherche pour la production énergétique
renouvelable ». Mais pour y arriver, il est nécessaire
d’affirmer que cela passera par des mesures autoritaires
contre les multinationales des énergies fossiles (pétrole,
gaz, nucléaire) et du « capitalisme vert », de même qu’un « développement
humain et durable » ne peut s’envisager qu’en rupture
avec l’appropriation privée des profits, que sous un
contrôle démocratique le plus large.
Comment
appliquer un programme au service des travailleurs et de
la population ?
Toutes ces mesures posent le problème de qui décide
dans la société, en fonction de quels intérêts. Le Cahier
citoyen affirme que « l’intérêt général doit primer
sur la volonté des actionnaires ». Certes, mais
comment ? Il propose une « 6ème république,
sociale et participative ». L’expression est bien
vague et employée par beaucoup, jusqu’au PS et Europe
Ecologie.
La perspective envisagée par le Front de Gauche est
que ces « réformes
incontournables devraient impérativement être mises en
œuvre par une nouvelle majorité politique
de gauche ». Mais on sait bien qu’un tel programme,
pourtant bien timide, n’est même pas acceptable par le PS
et Europe Ecologie, seules forces capables de constituer
une majorité avec le FdG, si elles veulent de lui, et qui
en représenteraient d’ailleurs le poids principal. On
le voit bien encore aujourd’hui, dans les Conseils
régionaux, où les élus FdG votent les budgets préparés par
les présidents PS. Sur les
plateaux, J-L. Mélenchon esquive la difficulté en
prétendant que lui, ou le FdG, peuvent passer devant le
PS, ou peser suffisamment pour obliger le PS à se rallier
au FdG au lieu de l’inverse. Ces tours de passe-passe ne
résolvent rien.
Les expériences de la gauche au pouvoir sont encore
dans les têtes, et le Cahier citoyen évoque ces
échecs, sans les nommer, en espérant « construire les
changements qui permettront à la gauche de rompre
réellement avec les logiques libérales » et propose
comme garantie « un pacte, le serment que la gauche ne
trahira pas l’espoir de changement ».
Nous avons besoin en effet de discuter des
garanties pour le monde du travail qu’un programme défendant
ses intérêts soit réellement appliqué. Pour cela, un pacte
ne protège de rien… la gauche s'est si
souvent reniée. Il n’y a qu’une seule réponse : la garantie
que les travailleurs et la population seront capables
d’exercer eux-mêmes, par leur propre mobilisation et
organisation, en s’emparant de
ce programme. Ceux qui le portent aujourd’hui doivent
affirmer « ne comptez que sur vous-mêmes », sur les
organisations démocratiques créées en se mobilisant pour
prendre directement des décisions et contrôler leur
application.
C’est la seule force sociale pouvant faire face à
celles du patronat et de l’Etat. Un programme pour les
travailleurs ne pourra être mis en œuvre que par l’action
des travailleurs eux-mêmes sur leur propre terrain, celui
des mobilisations, des grèves mais aussi sur le terrain
politique, pour imposer par le rapport de forces des mesures
contraignantes pour les possédants. Pour
agir, l’Etat n’est pas un point d’appui. Il n’est pas
neutre, construit par les classes dominantes pour les
servir, y compris en intégrant le principe de l’alternance
au gouvernement. Seul un pouvoir issu des luttes pourrait
avoir le rapport de forces nécessaire pour briser la
dictature de la finance, en s’appuyant sur le contrôle
démocratique des travailleurs sur toute la marche de la
société, ce qui ouvrirait une réelle possibilité de changer
le monde.
Certes, compte tenu de la situation actuelle, un
tel pouvoir des travailleurs peut paraître une formule
abstraite. Mais une telle perspective est essentielle pour
indiquer nos propres objectifs, convaincre qu’il existe une
issue qui ne peut être qu’en rupture avec l’existant et ne
peut pas se mouler dans l’Etat actuel.
« Mais alors, c’est désespérant, on ne peut pas
gagner ? » répondent ceux qui espèrent le changement
en 2012… Mais qu’a-t-on déjà gagné en dehors des luttes ? Il
ne s’agit pas de se laisser dominer par le grand barnum
électoraliste, mais d’aider les travailleurs à intervenir
sur leur terrain, sans attendre 2012, que ce soit dans des
luttes locales ou générales, pour les salaires, contre les
licenciements, contre la casse des services publics et de la
sécu, pour la défense des sans-papiers… Il s’agit de faire
en sorte que chaque lutte aille au bout de ses possibilités,
qu’elle soit utile à l’expérience collective, de porter
aussi cette expérience dans les élections, d’en être les
porte-parole pour unir les forces du monde du travail.
Après l’expérience de la lutte sur les retraites,
il s’agit ainsi de préparer la prochaine étape des
mobilisations de masse, alors que les programmes pour des « majorités
de gauche » préparent les prochaines désillusions,
réellement désespérantes elles, et pouvant profiter à
l’extrême droite.
Bien sûr, nous militons pour infliger une défaite à
la politique de Sarkozy et du Medef, c’est-à-dire pour qu’au
cœur des mobilisations, une force politique et sociale
prenne suffisamment corps pour leur imposer de vrais reculs.
Le « vrai changement » politique dans ce pays serait
qu’émerge une force d’opposition ouvrière et populaire
indépendante des partis institutionnels et de leurs
combinaisons électorales et parlementaires.
Les travailleurs, la jeunesse ne peuvent compter
que sur eux-mêmes, leurs organisations quel que soit le
gouvernement, pour défendre leurs droits et leurs
revendications. Cela signifie une totale indépendance,
c’est-à-dire opposition, vis-à-vis de ceux qui comme le PS
et EE, veulent poursuivre à l’échelle gouvernementale les
politiques libérales qu’ils mènent déjà au niveau local.
Il n’y a pas d’autre issue que la mobilisation et
l’organisation. Il faut en construire un des instruments
indispensable un parti qui popularise, avance un programme
de classe, offensif, pour changer le monde, et qui milite
pour l’unité dans les luttes, un parti entièrement fidèle
aux travailleurs et qui ne marchandera pas cet engagement
pour une quelconque combinaison électorale ou parlementaire.
François Minvielle