De la fondation du PCF à sa longue fin, ou la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs

Les révélations, actes de candidatures et démentis se succèdent au PC, alimentant le feuilleton de la présidentielle de 2012 sur qui sera le candidat du Front de Gauche. Drôle de façon de commémorer le 90ème anniversaire de sa naissance, fin décembre 1920. Lors de ce congrès de Tours, la majorité du parti socialiste de l’époque avait décidé de rompre avec cette SFIO qui s’était soumise en 1914 à l’union sacrée pour la guerre, au lendemain de l’assassinat de Jaurès. Six ans plus tard, le parti communiste naissait en rupture avec l’ordre bourgeois, en se réclamant de la Révolution russe de 1917.
 
Le contraste, l’opposition, entre cet anniversaire et les contorsions actuelles du PC tentant de survivre, posent la question de comment en est-on arrivé à cette fin sans gloire et quelles leçons cette longue histoire transmet-elle au mouvement ouvrier ?
 
Le PC se débat dans son propre piège
 
Lançant le Front de Gauche pour tenter de pallier son effondrement électoral (1,93 % à la présidentielle 2007), le PC se retrouve dépassé par un méli-mélo étonnant. André Gérin, un des députés à l’origine de la campagne délirante contre la burqa, se présente pour une candidature PC hostile au FdG. André Chassaigne se présente lui pour le FdG, mais pour que le PC ne disparaisse pas en son sein. Quant à Mélenchon, il pose au candidat naturel du FdG, cherchant à s’imposer par les médias pour pallier la faiblesse de son parti. Leur point d’accord ? « Construire des majorités de gauche » dans les urnes pour arriver au pouvoir.
 
Sans programme différent, sans politique indépendante, le PC est incapable de trouver la force de sortir du piège qu’il a lui-même mis en place. Sa direction se laisse dominer par Mélenchon, qu’elle a elle-même promu à travers le FdG en espérant que cette nouvelle image contrebalancerait son recul.
 
On voit à l’œuvre la même logique politique déjà utilisée en leur temps par de Gaulle, puis par Mitterrand, qui avaient conduit le PC à se soumettre à eux en l’associant à leur politique de défense des intérêts de la bourgeoisie. Aujourd’hui, c’est Mélenchon qui prend le relais, avec pour seule force de croire à ses propres fantasmes de pouvoir… un hypothétique strapontin ministériel ?
 
De l’abandon de son propre programme à la soumission à l’ordre bourgeois, ou le début de la fin
 
Pourtant, lors du congrès de Tours, c’était un tout autre projet qui s’annonçait, en rupture avec le réformisme et l’électoralisme de la tendance socialiste. La vague révolutionnaire de l’après 1917 et la fondation de la IIIème internationale avaient attiré vers le PC nombre de jeunes et de travailleurs, gagnés à un programme audacieux, pour l’émancipation des travailleurs, la libération des colonies, l’expropriation de la grande bourgeoisie, qui impliquait un renversement de l’État par un processus révolutionnaire, et son remplacement par un pouvoir démocratique issu des mobilisations.
 
Mais au sein du PC était présente aussi une partie du vieil appareil socialiste, comme Marcel Cachin député qui avait soutenu la guerre… Les évolutions futures n’étaient pas écrites, mais Staline n’eut pas de mal à trouver des soutiens au sein du PC lorsqu’en 1934, il signa un pacte avec Laval, radical français, convenant pour la première fois d’une entente politique entre l’URSS et les puissances impérialistes, trahissant les actes et les idées de la Révolution d’octobre. Pour Staline, il n’était plus question de révolution mondiale, il fallait l’unité face au danger nazi, les PC étaient priés de rentrer dans le rang, plus question de renverser les États impérialistes rebaptisés « démocraties », et le socialisme resterait dans un seul pays, l’URSS. Bien des militants ouvriers se trouvaient déstabilisés, désarmés, eux qui avaient assumé une politique offensive contre l’Etat impérialiste pendant plus de dix ans.
 
Les rapports de forces politiques, la logique du soutien sans critique à l’URSS au moment où Staline faisait éliminer les militants trotskystes, puis tous ceux qui sortaient de la ligne, conduisirent à l’abandon du programme révolutionnaire. Après avoir proclamé les « soviets partout » au début des années 30, le PC était brutalement ramené à une acceptation du système, et avec elle, aux mécanismes des alliances électorales avec des partis intégrés aux institutions. Lui ne l’avait jamais été. La bourgeoisie française, le Comité des Forges ancêtre du Medef, n’avait jamais digéré ses liens avec la classe ouvrière et avec l’URSS.
 
La première victoire électorale, la « grande référence » du PC encore aujourd’hui, fut celle du Front populaire en 1936, une alliance avec la SFIO (seize ans après la rupture) et le parti radical, parti bourgeois sans conteste. Le PC n’entra pas au gouvernement… mais Thorez rencontrait Blum tous les mercredis matins avant le Conseil des ministres. Et quand l’immense grève générale déferla, c’est Thorez qui monta au créneau pour dire qu’il « fallait savoir terminer une grève », et surtout pour laisser la vague s’étaler, avec le moins d’obstacles possibles, sans perspective de pouvoir politique. Une défaite qui ouvrait la voie vers tous les reculs, jusqu’au vote par la même assemblée de l’interdiction du PC, et des pleins pouvoirs à Pétain quatre ans plus tard.
 
De De Gaulle à Mélenchon en passant par Mitterrand
 
Pendant la 2nde guerre mondiale, engagé dans la résistance contre le nazisme et le régime de Pétain, le PC finit par mettre toutes ses forces au service de De Gaulle. Ce dernier associa pour la première fois des ministres communistes à son gouvernement provisoire dès 1944 pour se donner une caution sociale afin de maîtriser le mécontentement populaire. Le PC fait toujours aujourd’hui l’apologie du programme du CNR (Conseil national de la résistance), mais si les mesures sociales étaient bien réelles, l’intervention de l’État, notamment avec les nationalisations, avait pour objectif principal de relancer une économie détruite par la guerre, dirigée par un patronat largement discrédité par la collaboration. Cette coopération gouvernementale avec la droite et les socialistes conduisit le PC à mener « la bataille pour la production », à participer au maintien de l’ordre, à la répression des révoltes anticoloniales, à faire pression contre les grèves, devenues « l’arme des trusts », à encadrer la classe ouvrière. Pour accéder au pouvoir, le PC s’était rallié à De Gaulle, faisant croire qu’il pèserait sur lui. C'est l'inverse qui arriva jusqu’à ce que la guerre froide éclate en 1947, en même temps que la révolte ouvrière et que les ministres communistes soient chassés du gouvernement. Il entrait alors dans une longue période d’isolement, affaibli malgré des résultats électoraux encore élevés, tenu à l’écart du pouvoir, cantonné dans l’opposition.
 
Il n’en sortit que lorsque Mitterrand décida, après avoir réussi son OPA sur le PS, de l’utiliser comme marchepied pour arriver au pouvoir. Il signe le « programme commun » avec le PS et les radicaux en 1972 et se soumet au PS alors bien plus faible que lui. En 69, le PC obtenait 21,3 % à la présidentielle. Pourtant Mitterrand ne cache pas ses objectifs, s’appuyer sur lui pour l’affaiblir. Le PC apporta tout son crédit à l’ancien ministre de l’intérieur colonialiste, impitoyable avec les condamnés à mort politiques pendant la guerre d’Algérie. Une fois au pouvoir, les quatre ministres du PC ne pesèrent pas lourds et la victoire électorale de 1981 fut rapidement une défaite politique marquée par un effondrement des résultats électoraux du PC, prix de sa caution aux premières mesures des politiques sociales libérales, d’abord au gouvernement, puis après la rupture de 1984, par la solidarité majoritaire à l’Assemblée.
 
Mélenchon, qui pose aujourd’hui à l’héritier de 81 et se rêve en petit Mitterrand… Il essaie de refaire le coup d’utiliser le PC comme marchepied pour accéder aux marches du pouvoir. L’ancien ministre a gauchi un peu ses propos, mais ils ne sont pas plus radicaux que ceux de Mitterrand qui pouvaient dire sans rire : « Le but des socialistes est que cesse l'exploitation de l'homme par l'homme … il est vain de vouloir libérer l'homme si l'on ne brise pas d'abord les structures économiques qui ont fait du grand capital le maître absolu de notre société. ».
 
Alors, sans préjuger des débats et de la décision du PC, il semble bien qu’il n’ait le choix, une nouvelle fois, que d’offrir ses services à un homme politique bourgeois avec le vain espoir de peser le plus possible dans les tractations électorales au sein du Front de gauche et avec le PS. L’histoire se répèterait une fois de plus, mais probablement pour la dernière fois…
 
La longue fin du PCF ou la transition vers un nouveau parti
 
Pour la dernière fois parce que tous les acteurs ont changé et que la situation n’est plus la même. Le réformisme social du PS n’existe plus. Mélenchon n’incarne que son fantôme impuissant... à l’heure où la finance et les multinationales ne veulent ni peuvent concéder la moindre réforme. La crise du capitalisme, engagée depuis les années 70, a fini d’épuiser le réformisme. Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de grain à moudre.
 
Le PC n’existe plus non plus, en tant qu’incarnation d’un réformisme issu de la classe ouvrière, plus radical et rejeté par le patronat. Restent son appareil et des militants, mais sans les moyens de monnayer son influence dans la classe ouvrière contre quelques ministères… La période allant de la Révolution russe à l’effondrement de l’URSS, qui avait vu la classe ouvrière et les peuples imposer par leurs luttes et résistances un autre rapport de force plus favorable, est bien terminée. Le PC, produit de cette période, a vu sa contradiction de parti ouvrier voulant gérer le système le conduire à faillite, à la désagrégation de son influence. Sa dernière participation gouvernementale aux côtés de Jospin s’est achevée dans une déroute offrant un 2ème tour à Le Pen. Son espoir que dix ans d’opposition lui redonnent un peu d’air électoral ne changera rien sur le fond.
 
Une nouvelle période a commencé. La lutte de classes pour le partage des richesses se durcit sous les coups de la crise du capitalisme qui s’est globalisée au monde entier. Elle déchire les voiles qui masquaient, dans les pays riches, la brutalité des rapports d’exploitation et de domination.
 
La nécessité d’un programme qui porte les exigences des travailleurs et des peuples revient au premier plan : augmenter les salaires, partager le travail entre tous, interdire les licenciements, exproprier la finance, conquérir des droits démocratiques, en finir avec le saccage de l’environnement… tout cela ne relève pas d’une adaptation du capitalisme, mais de sa remise en cause. La lutte pour la défense des retraites montre que la seule défense des acquis exige un affrontement de classe avec l’État et la finance internationale.
 
Ces transformations profondes ruinent les illusions d’un changement par les urnes, des « révolutions citoyennes », à l’heure où les peuples redescendent dans les rues contre les puissants et renversent un dictateur.
 
Les leçons de l’histoire du PC, de l’abandon de son programme à sa fin, illustrent par la négative, la nécessité de faire vivre un programme indépendant pour le monde du travail, une perspective démocratique et révolutionnaire. La nouvelle période porte en elle la nécessité d’un nouveau parti, qui retrouve et réactualise un programme communiste. Il y a là des enseignements à en tirer, pour les militants du PC comme du mouvement anticapitaliste qui veulent construire un véritable parti des travailleurs, expression organisée de leur volonté de prendre leur destin et leur liberté en main, pas pour les encadrer, comme le faisaient les partis staliniens au mépris de toute démocratie. La soumission aux autres forces qui portent des programmes contraires au sien n’amène à rien, qu’à la défaite et la démoralisation. L’indépendance politique du monde du travail est son bien le plus précieux, la confiance dans ses propres forces. La classe ouvrière, la révolution portent l’avenir de l’humanité, le peuple tunisien vient nous le rappeler avec éclat.
 
François Minvielle