"Bien creusé, vieille taupe !"

Kadhafi, tout à sa folie meurtrière, vient de lancer ses bombardiers et ses chars contre les insurgés libyens qui veulent le chasser du pouvoir. Il est impossible de dire si ces attaques, qui ont été jusqu'au moment où nous écrivons repoussées, seront en mesure de retarder la chute du dictateur, après celle de Ben Ali et de Moubarak. Mais une chose est sûre : la vitalité, la force de la vague révolutionnaire qui submerge le monde arabe, son obstination à poursuivre son combat malgré la répression sanglante, constituent un immense espoir, une gigantesque bouffée d'air frais pour les opprimés du monde entier.
 
La contestation des dictatures du monde arabe bouscule la politique des pays impérialistes. Le G20, cette grande parade des dirigeants des pays les plus riches qui prétend constituer le centre politique du monde, est éclipsé par la révolution. Au grand dam de Sarkozy, qui comptait bien profiter de sa présidence du G20 pour tenter de jouer dans la cour des grands... Contraint par la situation, il en est réduit à se débarrasser d'Alliot-Marie qui avait eu le tort de poursuivre quelques jours de trop « l'amitié » de rigueur jusqu'à ces dernières semaines entre l'État français et Ben Ali et son clan. Lors de l'intervention télévisée au cours de laquelle il était censé expliquer son remaniement ministériel, il a prétendu que « nous ne devons avoir qu'un seul but : accompagner, soutenir, aider les peuples qui ont choisi d'être libres »... Une hypocrisie qu'il a accompagnée d'une nouvelle bassesse : « Mon devoir de président de la République est d'expliquer les enjeux pour l'avenir mais tout autant de protéger le présent des Français », a-t-il dit. Et s'il a réorganisé « les ministères qui concernent notre diplomatie et notre sécurité »... c'est pour faire face à « ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur des flux migratoires incontrôlables et sur le terrorisme »... Ce nouveau coup bas contre l'immigration masque mal l'impuissance du petit président, confronté à une situation qui le dépasse.
 
Car si l'épicentre du soulèvement révolutionnaire se trouve actuellement dans les pays du Maghreb et du Proche Orient, il a des répliques un peu partout dans le monde, aussi bien dans les pays émergents qu'en Europe ou même aux États-Unis. Comme nous l'écrivions une semaine avant la chute de Moubarak [1], la vague révolutionnaire qui déferle dans le monde arabe ouvre une nouvelle ère, une ère d'espoir pour les travailleurs et les opprimés du monde entier. 
 
Dans son délire, Kadhafi, qui bénéficie encore du soutien de Chavez, n'avait rien trouvé de mieux, au début du mouvement en Libye, que d'accuser Ben Laden de droguer les jeunes Libyens pour les pousser à la révolte... Mais Ben Laden et les stupéfiants n'y sont pour rien ! Ce sont bien les peuples qui se soulèvent au point que l’impérialisme américain déploie ses forces et menace d’intervenir en Libye, sous couvert de démocratie, par crainte de perdre le contrôle de la situation.
 
La révolution, cette "vieille taupe" qui sort aujourd'hui de terre avec toute la vigueur, l'enthousiasme, la dignité de la jeunesse, des travailleurs, trouve son origine, sa force, dans les bouleversements économiques, sociaux et politiques produits par la mondialisation libérale etimpérialiste, ses ravages. Elle est la seule perspective, bien vivante, qui s’ouvre à l’humanité pour sortir de la crise dans laquelle le capitalisme a plongé le monde dans sa course aveugle au profit.
 
De la mondialisation naît la révolution
 
La mondialisation est avant tout une offensive généralisée des classes dominantes contre les travailleurs du monde entier pour restaurer leurs taux de profit. Elle est aussi, et c'est bien évidemment lié, une évolution des rapports de domination impérialistes. Les pouvoirs qui s'étaient mis en place au moment de l'accession à l'indépendance des anciennes colonies, dans les années 50, ont eu des trajectoires diverses. Certains ont poursuivi, sous une autre forme, les relations de dépendance avec l'ancienne puissance coloniale, devenue « amie ». D'autres, profitant du contexte de guerre froide, s'étaient décrétés « socialistes » ou « non alignés »... Mais, à défaut d’une intervention directe de la classe ouvrière, aucun n'avait eu la possibilité de se soustraire réellement à la domination impérialiste, qui avait poursuivi le pillage des richesses minières et agricoles des anciennes colonies en y ajoutant le mécanisme dévastateur de la dette. Tout cela en s’appuyant sur des dirigeants politiques soudoyés par la ristourne d’une partie des richesses ainsi extorquées.
 
Avec la mondialisation, de nouveaux rapports se sont construits. Les gouvernements des pays pauvres dans lesquels les multinationales ont implanté leurs filiales sont devenus leurs auxiliaires dans l’exploitation de la main d'œuvre, en échange de la possibilité d'accéder aux profits ainsi dégagés.
 
Profits d'autant plus juteux que cette main d'œuvre, constituée d'une masse de jeunes issus de la paysannerie, est inorganisée et dépourvue du moindre droit social. De telles perspectives de profit alimentent une surchauffe des investissements, générant des taux de croissance qui dépassent, et de loin, ceux des anciens pays impérialistes. Les classes populaires, elles, sont maintenues dans un état de dénuement extrême, paysans pauvres, salariés vivant en dessous du seuil de pauvreté, multitude de "jeunes diplômés" au chômage, puissante armée de réserve du capitalisme international... Cette situation sociale dramatique est la conséquence de la politique des classes dominantes : l'essentiel des richesses que produisent ces travailleurs alimente cette croissance dont se vantaient les dictateurs de pays comme l'Égypte ou la Tunisie, laquelle était encore il y a quelques semaines considérée comme un des pays les plus compétitifs du monde. Une croissance qui est celle des profits des multinationales mais aussi des richesses et du pouvoir des castes dirigeantes.
 
Les dictatures qui se sont imposées aux peuples au fil des années n'ont pu le faire que parce qu’elles avaient le soutien des classes impérialistes qui permettaient l'intégration de leurs pays au marché, à la concurrence mondiale. En empêchant toute contestation sociale et politique, en maintenant la classe ouvrière dans l'incapacité de se battre pour ses droits, elles garantissaient aux « investisseurs étrangers » les taux de profit qu'ils souhaitaient.
 
Les dictateurs et leurs clans y ont gagné la possibilité d'accéder à la mangeoire que ménagent les multinationales à leurs serviteurs. Ben Ali était devenu le principal capitaliste de son pays, Mahomet VI celui du Maroc... Et l'on a aujourd'hui, alors que les « démocraties » cherchent à bloquer les avoirs de Kadhafi, une petite idée de la constitution de sa fortune : argent dans les coffres de multiples banques et quelques biens immobiliers à l'étranger, bien sûr, mais aussi stock-options, ces petits cadeaux libéralement distribués par les multinationales, ainsi qu'une multitude de participations au capital de groupes internationaux par le biais de liens inextricables avec des institutions financières "libyennes" contrôlées par le clan Kadhafi...
 
La mondialisation, la guerre de classe menée par l'oligarchie financière internationale, a accumulé les causes de l'explosion révolutionnaire qui touche aujourd'hui le monde arabe comme elle a accumulé les éléments de la crise globale qui touche le capitalisme mondialisé. Cette crise est la conséquence de cette accumulation de profits que la mondialisation a générés en étendant le rapport d'exploitation salariale à des millions de travailleurs des pays pauvres et en imposant une régression sociale généralisée aux travailleurs des pays impérialistes. 
 
Aujourd'hui, l'acharnement que met l'oligarchie financière à maintenir ses profits malgré la crise exacerbe la pression sur les travailleurs du monde entier. Elle produit une situation permanente de crise politique et sociale qui trouve sa plus forte expression dans la vague révolutionnaire du monde arabe, mais touche bien d'autres pays.
 
Injustice sociale criante, conditions de vie de plus en plus insupportables, arbitraire d'un pouvoir sans limite, tels sont les ingrédients de la révolte qui se sont accumulés au fil des années et sortent aujourd'hui au grand jour, portés par une jeunesse cultivée, « branchée Internet », et une classe ouvrière qui prennent conscience de la légitimité de leurs droits.
 
Pour disposer d'une main d'œuvre compétente, capable de s'adapter aux technologies de production modernes, la bourgeoisie a formé des millions de jeunes à la maîtrise de ces technologies. En mettant en place les réseaux de communication indispensables au fonctionnement de son appareil de production et d'échange, elle a fourni aux révolutionnaires les moyens de se mobiliser, de s'organiser, de passer outre le quadrillage policier de la dictature. Les progrès accomplis malgré le capitalisme et sous la férule des classes exploiteuses ont créé les conditions objectives de la nouvelle montée révolutionnaire.
 
Partout, la classe ouvrière relève la tête, pour la question sociale, pour la démocratie
 
En Égypte, en Tunisie, les dictateurs déchus, le combat se poursuit contre les pouvoirs qui les ont remplacés. En Égypte, malgré la pression de l'armée au pouvoir, de multiples grèves pour les salaires se poursuivent. En Tunisie, après deux jours de manifestations qui ont fait cinq morts le week-end dernier, le premier ministre a dû donner sa démission, avant que le président intérimaire n’annonce, hier jeudi, l’élection d’une assemblée constituante dont la date est fixée le 24 juillet. Il répond ainsi à une exigence de la partie la plus radicale des travailleurs et des jeunes tunisiens… Quant à savoir si cela suffira à faire mettre fin aux manifestations comme le déclare le secrétaire général du syndicat UGTT, « place au travail et à l’arrêt des sit-in, y compris à la Kasbah… », l’avenir nous le dira…
 
Au Yémen, au Koweït, à Bahreïn, Oman, Djibouti, en Algérie, en Iran, en Irak... à des degrés divers, les manifestations continuent, malgré une répression parfois sanglante et meurtrière. En Libye, les affrontements ont tourné à une véritable guerre civile. Le pouvoir de Kadhafi, contraint de reculer de toute part sous la pression de la population à laquelle s'est jointe une partie de l'armée, tente de reprendre la main en utilisant l'aviation de guerre et les chars contre les insurgés, regarnissant les rang de ses troupes défaillantes avec des mercenaires recrutés en Europe et en Afrique.
 
En même temps, en Chine, qui compte, elle aussi, d'innombrables « jeunes chômeurs diplômés », un mouvement se met en marche, appelant à manifester dans plusieurs villes pour une « révolution du jasmin », une démocratisation du pouvoir. Ces manifestations ont été interdites, certains journalistes étrangers qui ont tenté de les suivre ont été tabassés. Le gouvernement a imposé un black-out sur les informations retransmises en Chine par CNN et TV5 monde.
 
En Inde des dizaines de milliers de manifestants ont défilé contre l'augmentation du coût de la vie. L'augmentation des produits alimentaires oscille entre 10 et 20 % par an, alors que la surchauffe économique continue, avec une croissance de plus de 9 %.
 
Les pays impérialistes eux-mêmes, Europe, États-Unis, ne sont pas épargnés. En Grèce, les plans d'austérité du gouvernement socialiste de Papandréou ne passent toujours pas : mercredi 23 février, une nouvelle grève générale a bloqué le pays. Aux États-Unis, dans le Wisconsin, une réforme antisyndicale du gouverneur de l'État, Scott Walker, membre du réactionnaire Tea Party de Sarah Palin, a mis le feu aux poudres. Il cherchait à désarmer les fonctionnaires afin de pouvoir mener à bien une privatisation générale des services publics, éducation, services généraux et hospitaliers. En soutien aux enseignants privés du droit de grève, lycéens et étudiants, suivis de toute une partie de la classe ouvrière, sont descendus dans la rue, aux cris de "Walker, dégage !". Et ils ont occupé la place devant le Capitole, centre du pouvoir de l'Etat à Madison, à l'image de la place Tarhir du Caire.
 
Partout, dans les revendications, la question sociale, l'emploi, les salaires, est indissociable de la question démocratique…
 
La déstabilisation de la domination impérialiste...
 
Le soulèvement soudain des peuples arabes, entraînant en quelques semaines la chute de deux dictateurs, bouscule les rapports de domination établis au fil des ans entre les grandes puissances et les États du Maghreb et du Proche-Orient. Ce « désordre » dans la marche des affaires des multinationales s'ajoute aux difficultés créées par la crise de la mondialisation, crise de la dette, guerre monétaire, exacerbation de la concurrence. Pour l'impérialisme européen, le projet de constitution d'une zone de libre échange entre les pays du pourtour de la Méditerranée, l'Euromed dont Sarkozy est un fervent promoteur, a du plomb dans l'aile... Les États-Unis sont en bien meilleure position pour tenter de garder l'initiative. Le soulèvement des peuples du monde arabe pourrait leur offrir l'occasion de se débarrasser de régimes usés jusqu'à la corde. Mais il leur faut en même temps tenter de maîtriser cette révolte, la canaliser.
 
Les dirigeants des principales puissances de la planète, Obama en tête, sont bien déterminés à sauvegarder les intérêts de leurs multinationales dans les pays touchés par la vague révolutionnaire, à maintenir leur domination. Les travailleurs tunisiens et égyptiens en prennent la mesure actuellement en se heurtant aux pouvoirs qui se sont mis en place sous le label "démocratique" avec la participation active des puissances impérialistes. En Égypte, l'armée financée et formée par les États-Unis tente de faire reprendre le travail aux grévistes. Le week-end dernier, cinq manifestants sont morts sous les coups de la police du nouveau gouvernement tunisien, avant que le premier ministre ne décide de démissionner parce qu'il « ne veut pas être le ministre de la répression »... Cela quelques jours après qu'une délégation de ministres français, Lagarde en tête, se soit rendue en Tunisie pour affirmer son soutien à ce même gouvernement et lui proposer « l'aide de la France »...
 
Ce soutien que manifestent les puissances impérialistes aux gouvernements qui sont en place actuellement en Égypte et Tunisie n’est pas une simple formule diplomatique : elles comptent sur eux pour assurer une « transition démocratique » qui n’a pas d’autre fonction que d'assurer la stabilité politique propice à la reprise des affaires des multinationales.
 
Quant au soutien qu’affirme apporter Obama aux peuples qui luttent contre leur dictateur, il fait partie de la stratégie des États-Unis pour tenter de reprendre la main à l’échelle internationale. Ces encouragements donnés aux peuples du monde à se révolter contre leurs tyrans, à mettre fin à des situations politiques devenues insupportables, ne vient pas d'un réveil moral soudain de la première puissance impérialiste mondiale. C'est une façon de tenter de sortir de l'enfermement où l'avait conduite la politique d'affrontement de Bush... tout en gardant le même objectif, maintenir sa domination sur le reste du monde et redonner quelques couleurs au masque décrépit derrière lequel elle se cache, la "démocratie".
 
Le fait que les USA ne soient pas intervenus pour soutenir Moubarak alors que le pouvoir égyptien était devenu ces dernières années un élément clé de la politique américaine au Proche-Orient est, à ce titre, significatif. L'élection d'Obama constituait déjà en elle-même un encouragement donné à tous les opprimés du monde : c'est possible ! A peine élu, Obama était venu au Caire faire son premier discours à l'extérieur. Il y avait longuement prêché la tolérance entre religions, une façon de dire son soutien à un pays « laïc » comme l'Égypte face aux États islamiques, en premier lieu l'Iran. Mais aussi une critique de fait de la politique israélienne qui maintient la région dans un état de guerre permanente.
 
Au nom de la « démocratie », le gouvernement américain encourage maintenant le peuple iranien à renverser son gouvernement, comme il encourage les « jeunes chômeurs diplômés » chinois à contester le pouvoir de leur État, nouvelle manœuvre dans la guerre économique que se livrent les deux plus grandes puissances mondiales. En ce qui concerne Israël, si son statut de principale place forte de l'impérialisme au Proche-Orient et sa politique réactionnaire ne sont pas remis en cause, la situation actuelle donne à Obama un moyen de pression important.
 
Mais s'appuyer sur le soulèvement des peuples n'est pas sans risque... Et si en Tunisie et en Égypte le passage de la dictature aux gouvernements de transition s'est fait sans rupture étatique, sans rupture des liens de l'État avec l'impérialisme, il n'en est pas de même en Libye. La situation de guerre civile rend problématique une transmission sans rupture du pouvoir des mains de Kadhafi à celles d'un nouveau gouvernement. Et la question qui se pose aux USA est de savoir comment assurer la continuité de l'État dans de telles conditions, comment garder leur contrôle sur les évènements. C'est la raison pour laquelle ils massent des forces navales à proximité de la Libye. Pour la ministre des affaires étrangères, Hillary Clinton, « Kadhafi a perdu la légitimité pour gouverner ... il est temps pour lui de partir sans délai ni violences supplémentaires ». Et si elle affirme qu'aucune action militaire n'est pour l'instant prévue, il s'agit, en redéployant leurs forces navales et aériennes, d'« avoir la flexibilité nécessaire une fois que les décisions auront été prises ».
 
Autrement dit d'être en première ligne pour imposer, si nécessaire, au peuple libyen leur conception impérialiste, bien particulière, de la « démocratie », un moyen de pression aussi sur les peuples.
 
Combattre pour la démocratie, c'est combattre pour le pouvoir des travailleurs et des opprimés, le socialisme
 
Les révolutions dans le monde arabe se définissent elles-mêmes comme « démocratiques ». La jeunesse, les travailleurs voudraient que se mettent en place des conditions de vie et de démocratie élémentaires semblables à celles que connaissent les travailleurs et les jeunes dans les pays riches. En Tunisie, alors que l'ancienne opposition politique tente de trouver une solution à la question du gouvernement en bousculant le moins possible l'ordre établi, la contestation politique continue et s'organise. Un "Conseil national pour la sauvegarde de la révolution", qui regroupe de nombreuses organisations politiques et syndicales., s’est mis en place. Il milite pour le remplacement des institutions politiques héritées du régime de Ben Ali, la mise en place d’un pouvoir parlementaire. C'est lui qui a organisé les journées de manifestation qui ont poussé le premier ministre à la démission et qui ont contraint le président intérimaire à annoncer pour le 24 juillet les élections à une assemblée constituante, cédant ainsi à une des revendications centrales du conseil. 
 
Mais, dans les pays du monde arabe comme ailleurs, sous la dictature des banques et des multinationales, le maintien des taux de profit est incompatible avec la démocratie. C'est d'ailleurs parce qu'ils répondaient à cette contrainte que les régimes de Ben Ali et de Moubarak ont vécu si longtemps, avec la bénédiction et l'aide des grandes puissances. Partout dans le monde, les reculs sociaux qu'imposent les capitalistes pour sauvegarder leurs profits s'accompagnent d'un recul des droits démocratiques.
 
Le corollaire immédiat, dont les travailleurs en lutte font partout l'expérience, c'est qu’une véritable démocratie est incompatible avec le maintien de l'assujettissement au capitalisme...
 
La bourgeoisie est bien incapable de faire vivre la démocratie, même parlementaire. Les parlements sont depuis longtemps des lieux de joutes oratoires stériles… baptisées "combat parlementaire". Ils sont de simples chambres d'enregistrement de décisions prises par des exécutifs de plus en plus concentrés autour du chef de l'Etat, qu'il soit Président, comme en France ou aux États-Unis, ou Premier ministre, comme en Grande Bretagne ou en Allemagne. Chefs d'État qui sont eux-mêmes les mandataires directs des puissances économiques, grands actionnaires des banques et des multinationales.
 
En 1851, Marx écrivait dans le 18 brumaire de Louis Bonaparte : « ... la révolution [la lutte des classes] va jusqu'au fond des choses ... Elle mène son affaire avec méthode .... Elle perfectionne d'abord le pouvoir parlementaire, pour le renverser ensuite. Ce but une fois atteint, elle perfectionne le pouvoir exécutif, le réduit à sa plus simple expression, l'isole, dirige contre lui tous les reproches pour pouvoir concentrer sur lui toutes ses forces de destruction, et, quand elle aura accompli la seconde moitié de son travail de préparation, l'Europe sautera de sa place et jubilera : "Bien creusé, vieille taupe!" » . Plus d'un siècle et demi plus tard, ce qui se constatait déjà dans les pays les plus avancés s'est généralisé au monde entier. Les dictatures du monde arabe et d’ailleurs sont l’incarnation la plus pure de ce pouvoir exécutif « réduit à sa plus simple expression ». Mais les États dits démocratiques relèvent du même processus. Les progrès démocratiques, comme les progrès sociaux, ont toujours été l’œuvre des opprimés, des travailleurs, imposés par en bas aux classes dominantes qui s’y sont adaptées pour perpétuer leur domination grâce au pouvoir économique, au pouvoir de l’argent.
 
La "vieille taupe" de la révolution jaillit au grand air aujourd'hui, portée par une classe ouvrière rajeunie, démultipliée par la mondialisation, et qui prend conscience de l'immense force qu'elle représente. Cette classe ouvrière n'est certes pas encore en mesure de prendre la révolution en main. Il lui fautmaintenant, à travers le combat qu'elle va devoir mener pour « sauvegarder la révolution », imposer, garantir ses droits démocratiques, prendre conscience qu'elle seule est capable, en se battant pour ses propres exigences sociales et démocratiques, de faire naître un nouveau pouvoir, émanation de l'organisation démocratique qu'elle se donne pour diriger ses luttes, combattre la réaction, organiser la vie collective. Et qu'elle devra, pour cela, pousser l'affrontement avec le capitalisme jusqu'au bout, n'hésitant pas à contester ses fondements même en expropriant l'oligarchie financière qui contrôle l'ensemble des grands moyens de production et d'échange et en établissant son propre contrôle sur le fonctionnement de la société, le socialisme.
 
La mondialisation a rassemblé, malgré elle, les conditions objectives d'une montée révolutionnaire sans précédent, internationale. Les travailleurs, les jeunes du monde entier qui en sont les acteurs prennent conscience de la communauté d'intérêts qui les unit, par delà les frontières. C'est bien ce qui se manifeste lorsque des manifestants reproduisent à Madison comme à Pékin ou Tunis les mêmes slogans. Mais il leur faut aussi prendre conscience de la contradiction irréductible qui oppose notre classe de prolétaires à la classe des bourgeois.
 
Notre internationalisme est inséparable de cette conscience d'appartenir à une seule classe ouvrière, engagée quotidiennement dans une guerre permanente avec une poignée de patrons de multinationales et de banquiers qui règnent sur le monde, imposent leur dictature. Notre solidarité avec les travailleurs tunisiens, égyptiens…, passe par notre propre combat contre nos ennemis communs, notre propre impérialisme. Par notre détermination aussi à poursuivre la construction d'un parti qui soit porteur des idées de la révolution, la conscience de classe, l'internationalisme. Le parti des travailleurs du monde entier.
 
Daniel Minvielle
 
[1] Débat révolutionnaire n°45 du 4 février 2011
http://www.npa-debatrevolutionnaire.org/lettre/dr45a1