Oui, il ne faut pas « mélanger les genres », le dialogue social et la défense des intérêts des travailleurs…
Confrontés à une radicalisation des luttes qui les inquiète le gouvernement et le patronat lancent une campagne contre l’extrême-gauche. «Besancenot est un exploiteur de la crise »s'insurge Xavier Bertrand, tout comme le Figaro qui titre : « Séquestrations : la main de l’extrême-gauche » ! Les articles sur le « noyautage » des mouvements sociaux par des « trotskistes infiltrés » se multiplient… rien ne manque, pas même le ridicule !
Que
les patrons et le gouvernement mènent une telle campagne, pour
masquer la révolte qui s’approfondit dans les entreprises,
cela n’a rien d’étonnant. Cela témoigne d’ailleurs du rôle
déterminant des révolutionnaires dans les conflits actuels
comme Continental, Toyota, Caterpillar, et surtout de la
profonde politisation qui s’opère face à la crise.
Mais
ce qui l’est davantage, c’est que les grandes centrales
syndicales mêlent aussi leur voix à ce petit concert, comme si
elles voulaient apporter des gages au gouvernement en
dirigeants syndicalistes « responsables ».
En mars, Chérèque qualifiait
le NPA de « rapace ». Juste avant le 1er
mai, Mailly déclarait : « Il y a des partis d'extrême
gauche, ils ont le droit d'exister. Ce que je n'apprécie
pas, c'est qu'un parti d'extrême gauche essaie en même temps
d'être un syndicat (…) L'indépendance syndicale, j'y tiens
(…) il y a toujours un danger quand on mélange les genres ».
Quant
à Thibault, il n’est pas en reste : « Parmi les partis de
gauche, il y a ceux qui reconnaissent le rôle spécifique des
syndicats et le respectent. Et ceux qui entretiennent cette
vision archaïque du parti-guide, et qui voudraient prétendre
par leur présence ou leurs déclarations dicter aux salariés
ce qu’ils devraient faire », qualifiant
l’extrême-gauche de « simili-syndicats ».
Cette volonté de dénoncer le
« mélange des genres » est d’ailleurs relayée par le
Front de gauche, qui applaudit la politique des directions
syndicales tellement il est préoccupé de dévoyer la question
sociale sur le terrain électoral et institutionnel.
Alors
effectivement, il y a un vrai débat à mener sur la question de
l’indépendance des syndicats et de leur rôle, mais sur un tout
autre terrain. Est-ce que la tâche des syndicats est
d’organiser la lutte de classe, de renforcer le rapport de
force en faveur des travailleurs, à un moment où le patronat
et le gouvernement n’ont d’autre politique que celle de faire
payer leur crise à l’ensemble de la population ? Ou bien
servent-ils à dévoyer les luttes sur le terrain du « dialogue
social » comme le veut le gouvernement ? La question de
l’indépendance vis-à-vis du pouvoir est au cœur même de la
situation.
Alors que le 1er
mai a été un succès, exprimant toute la colère du monde du
travail face au patronat et au gouvernement, les directions
syndicales n’osent même pas annoncer une journée de grève
nationale, public et privé. Hortefeux les a d’ailleurs
félicités, en déclarant « C’est une bonne chose. (…) Une
grève générale, ça pénalise les salariés et ça ne crée pas
un emploi, ce qui est l’objectif de l’action qui est engagée
face à la crise ».
Elles restent ainsi sur la
position du dialogue social avec le pouvoir, comme le dit la
déclaration commune qui a suivi : « les organisations
syndicales appellent solennellement le gouvernement et le
patronat à prendre en compte l’ampleur de ces rassemblements
qui expriment inquiétude, désarroi et profond sentiment
d’injustice. Sur la base de leur déclaration commune du 5
janvier, elles préciseront, dans les prochains jours, des
propositions sur lesquelles elles attendent des réponses
rapides du gouvernement et du patronat ».
Aucune revendication n’est
formulée, aucune exigence des travailleurs face à la gravité
de la crise, face aux licenciements, aux bas salaires !
La
déclaration accrédite l’idée que le gouvernement ne prendrait
pas suffisamment en compte les dégâts de la crise… Ce qui
laisse complètement l’initiative à Hortefeux qui répond qu’il
va recevoir les syndicats « fin juin » pour évaluer les
mesures du « sommet social » de février : « Les mesures
se déploient depuis le 1er avril. Il faut laisser du temps
».
On
fait semblant de croire que le gouvernement n'aurait pas de
politique face à la crise ! Mais il en a une, claire et
affirmée : profiter de l'absence de perspectives d'ensemble
des salariés pour multiplier les mauvais coups.
Depuis
le 29 janvier, ils n’ont pas cessé. D’abord par la politique
de multiplication des cadeaux fiscaux au patronat :
suppression de la taxe professionnelle pour 2010, « zéro
charges » pour l’embauche dans les petites entreprises,
5 milliards d’euros distribués aux PME sous forme de mesures
fiscales sur les 26 milliards prévus dans le cadre du fameux
« plan de relance ». Premières conséquences : les
suppressions d’emplois de la Fonction publique se multiplient,
puisque le gouvernement annonce un objectif de 35 000
suppressions pour 2010 !
D’autres
mauvais coups se préparent aussi contre les droits des
salariés, dans le but d’accroitre l’exploitation et
d’augmenter la flexibilité. Fillon relance son projet de
travail du dimanche qu’il veut faire passer avant l’été. Le
gouvernement prépare aussi un projet de loi sur la
généralisation du prêt de main-d’œuvre (sanctionné, jusqu'à
présent comme « délit de marchandage »), réclamée
depuis longtemps par les patrons pour flexibiliser davantage
les salariés.
Après ça, il ne faudrait pas
s’en prendre au gouvernement sous prétexte qu’il ne faut pas
faire de politique ? Il faudrait attendre, respecter le « dialogue
social » ? Renoncer à défendre publiquement un autre
cours, pour la lutte de classe, pour un mouvement d'ensemble ?
Nous en sommes au 11ème
mois successif d’augmentation du chômage et le gouvernement
continue de subventionner à fonds perdus la finance. Face à
cette situation, rien n’évitera l’affrontement avec le pouvoir
et les classes dominantes. Il y a urgence à le préparer, à le
construire, en discutant largement des mesures et des
exigences de la population et du monde du travail :
interdiction des licenciements, partage du travail entre tous,
augmentation des salaires, etc. qui ne s’obtiendront pas
entreprise par entreprise, mais dans le cadre d’un rapport de
force global.
Ces exigences ne sont pas
« syndicales », mais bien politiques au sens où elles
remettent fondamentalement en cause la politique de l’Etat au
service des patrons et de la finance. La lutte pour ne pas
payer les frais de la crise est une lutte politique qui se
mène sur tous les terrains, sur tous les fronts. Et les
militants syndicalistes ont toutes raisons de se réjouir que
des partis politiques s’engagent à leur côté dans ce combat,
le popularise auprès de toute la population.
C’est pourquoi les militants
du NPA entendent utiliser la campagne pour les élections
européennes pour agir dans ce sens : populariser les exigences
qui unifient les mobilisations et les luttes afin de
contribuer à créer les conditions politiques pour sortir des
journées d’action à répétition ou des luttes isolées dans
la perspective d’une grève générale.
Nous ne sommes pas d’accord
avec Jean-Luc Mélenchon quand il utilise les mêmes arguments
que les directions syndicales pour refuser l’initiative d’une
marche contre les licenciements lancée par O. Besancenot : « Cela
me trouble un peu. Le politique n'a pas à surgir, comme ça,
dans le mouvement social, en donnant des consignes. Les
syndicats, par leur unité, ont levé le couvercle de la
résignation sociale. Notre responsabilité est de lever la
résignation politique ». Bref, chacun à sa
place : les syndicats sur la question sociale et les partis
pour… gouverner dans le cadre des institutions !
En rester à ce cadre de
raisonnement, c’est ne pas tirer les leçons des reniements de
la gauche que Mélenchon connaît tout aussi bien que Marie
George Buffet pour y avoir participé en tant que ministre du
gouvernement Jospin !
La politique pour les
travailleurs, qu’ils soient syndicalistes ou non, c’est
défendre les intérêts de leur classe, sur tous les terrains.
L’urgence de la situation est
de construire une réelle unité de ceux qui veulent se battre
pour transformer le rapport de force. De fait, au sein des
syndicats, des associations avec les militants, les partis, un
débat est ouvert. Comment se regrouper, discuter à la base et
démocratiquement pour formuler nos exigences et les faire
entendre ?
Tous les arguments sur le « mélange
des genres » servent à entretenir la méfiance entre
militants syndicaux et politiques et au bout du compte à
paralyser.
Pour les dépasser, menons le
débat partout. Chacun se réclame de l’exemple de la Guadeloupe
qui vient justement de démontrer qu’il est possible de créer
une unité large pour la lutte. Cela veut dire regrouper à la
base, démocratiquement, les militants qui veulent en découdre,
qui veulent prendre des initiatives, qu’ils soient militants
syndicaux, associatifs, politiques. C’est avec une telle
politique que nous pouvons saisir toutes les initiatives,
comme celle du 26 mai ou des différents conflits locaux. Faire
entendre les exigences du monde du travail le plus clairement
et le plus fort possible, en affirmant notre indépendance
vis-à-vis du « dialogue social » où le pouvoir veut
enfermer les mobilisations.
Et en particulier, faisons en
sorte que partout, à chaque occasion, l’exigence de
l’interdiction des licenciements devienne celle des sections
syndicales, des travailleurs, qu’elle soit débattue, affirmée
partout, qu’elle s’impose dans les luttes, au cœur des
manifestations…
Laurent
Delage