DSK, FMI, G8, de la crise de la dette à la crise politique…

New York, Athènes, Pékin... Scandale à la « une » ", le 14 mai dernier, DSK, alors chouchou des sondages en tant que probable candidat socialiste à la présidentielle et directeur général du FMI, est débarqué par la police de New York de l'avion qui devait le ramener à Paris, conduit au bloc devant les caméras de télévision, et inculpé pour tentative de viol sur une femme de chambre de l'hôtel de luxe où il avait passé la nuit. Le déchaînement médiatique qui s’en est suivi, cette nouvelle série américaine dont l’acteur principal  était bel et bien, en chair et en os, un des serviteurs les plus en vue de la finance internationale, a quelque chose d’écœurant, de révoltant, dans l’étalage des faits eux-mêmes, qui semblent de toute évidence vrais, univers des puissants de ce monde qui croient que tout leur est dû, univers de l’argent roi, du mépris des faibles et des femmes, dans l'insolence provocatrice de Strauss-Kahn qui dépense des millions pour se payer une prison dorée, mais aussi dans les pratiques de cette justice qui se prétend démocratique parce qu’elle est capable de lyncher médiatiquement un homme puissant, ou encore dans les déclarations et réactions qui l’ont accompagné. Scandale mondialisé qui participe aussi de la crise politique que connaît, à l’échelle internationale, la classe dominante.
 
Solidarité sexiste, solidarité de classe...
 
Le "coup de tonnerre" a déclenché une série de réactions de solidarité. On a pu voir Jack Lang déclarer qu'il n'y avait pas eu "mort d'homme"... Ou encore Badinter venir à la télévision plaider pour "son ami", sans un mot pour la femme de chambre... Les préjugés sexistes et de classe se sont exprimés sans retenue. Quelle que soit l'issue judiciaire du scandale, et là n’est pas notre propos, l’inculpation de DSK, en plus de mettre un terme à ses atermoiements sur la présidentielle de 2012, l'a contraint à démissionner de son poste de directeur du FMI. Au grand dam de ses multiples soutiens qui soulignent à quel point le FMI, et avec lui l'humanité entière, seraient redevables de ses "compétences" et de son "travail". Non seulement il aurait donné une seconde vie à un FMI moribond, mais il l'aurait également mis sur la voie d'une adaptation radicale aux nouvelles exigences de la mondialisation, en passe de devenir cet organe de régulation financière et monétaire que les grands de ce monde nous promettent de G20 en G20, tout en lui donnant un caractère plus "social" (?)...
 
Et tous de se poser la question de qui sera capable de reprendre le flambeau, de porter le projet jusqu'à son aboutissement... Christine Lagarde, malgré les quelques casseroles -dont les 285 millions d'euro d'argent public offerts à Tapie- qu'elle traîne derrière elle ? Pour Martine Aubry, en tout cas, ça peut coller, "ce serait bien pour la France". Les dirigeants de l'UMP, Sarkozy en tête, se sont abstenus du moindre commentaire sur l'affaire Strauss-Kahn. La patronne du PS renvoie l'ascenseur et se garde bien de toute polémique quand il s'agit du poste de patron du FMI. Une solidarité de classe qui se veut responsable, au moment où il s'agit, alors que la crise de la dette en Europe n'en finit pas de rebondir, de mettre un nouvelle fois en scène, avec le G8 qui se tient cette semaine en France et avec la discussion sur la nomination d'un nouveau directeur du FMI, les prétentions de l'oligarchie financière à maîtriser la crise que sa politique à engendré.
 
Car si le fait divers qui est devenu la nouvelle série américaine agit comme un révélateur, la crise politique à laquelle il participe est la conséquence de phénomènes et d’évolutions autrement plus profonds, conséquence des  choix et des politiques de cette oligarchie financière, des mensonges de ses dirigeants et serviteurs politiques qui prétendent réguler la finance et les marchés alors qu’ils ne font qu’accentuer les inégalités, imposer l’austérité aux peuples pour alimenter les profits et les spéculations.
 
Le FMI, instrument du libéralisme impérialiste
 
Le FMI que dirigeait Strauss-Kahn est un des instruments centraux de cette politique. Toute son histoire est là pour le rappeler. Sous couvert d'éviter le blocage des échanges commerciaux et monétaires internationaux, le FMI "intervient" lorsqu'un pays ne trouve plus, faute de garanties sur sa solvabilité auprès des investisseurs privés, des "marchés", les moyens de couvrir ses nouveaux emprunts. Les sommes qui sont attribuées par le FMI au titre de cette "aide" s'accompagnent immanquablement de tout un train de mesures soi-disant destinées à assainir les finances publiques : privatisation massives des services publics, au profit de multinationales, plans d'austérité drastiques...
 
Le FMI impose ainsi une libération contrainte des économies des pays qui font appel à son "aide". Mais si "aide" il y a, ça n'est certainement pas à destination des peuples, mais bien des grands groupes financier internationaux, des banques des pays riches. Car les fonds dont dispose le FMI et qui lui sont fournis par les cotisations des États membres au prorata de leur PIB, viennent pour l'essentiel d'emprunts réalisés par ces États auprès de leurs banques. Et ce sont ces dernières qui touchent, en dernier ressort, l'essentiel des intérêts, des richesses extorquées aux populations ainsi "aidées".
 
Ainsi, le FMI évite bien un blocage : celui du mécanisme de la dette, qui aspire les richesses des poches des populations du monde entier dans les coffres des banques. Mais en ajoutant une nouvelle dette à la dette tout en dégradant les conditions de vie des populations, il ne fait qu'enfoncer un peu plus le pays dans la crise, avec des conséquences destructrices, comme ce fut le cas avec la crise de l'Argentine dans les années 1998-2002.
 
C'est cette machine à siphonner les maigres ressources des peuples du monde entier au profit d'une poignée de parasites financiers que dirigeait le socialiste Strauss-Kahn depuis 2007, à la grande satisfaction de ses mandataires.
 
Au moment où il prend cette direction, le FMI vient de connaître une baisse d'activité importante. Avec la flambée financière des années 2003-2007, les "marchés" financiers se montraient bien moins regardants sur la solvabilité des emprunteurs et le FMI y avait perdu bien des clients. Une partie des ses ressources se tarissait, le contraignant à réduire son train de vie, à licencier une partie de ses employés. Mais cette situation prendra fin avec l'arrivée de la crise mondiale qui démarre avec la crise des subprimes en aout 2007. Pour faire face à l'effondrement financier qui menace, les États des grandes puissances ont lancé de vastes plans de soutiens aux banques et aux grandes multinationales, plans qu’ils financent par la dette publique, se préparant à faire payer la facture aux populations. Pour s'opposer aux conséquences de l'explosion de la bulle spéculative du crédit privé, ils vont accentuer la pression de la dette publique et les mesures d'austérité sur les populations.
 
Une politique dans laquelle le FMI est spécialisé... Rien d'étonnant donc qu'il trouve toute sa place au sein du G20 qui se met en place à l'initiative des grandes puissances pour tenter de coordonner cette politique. Le FMI se fait le porteur des prétentions des grands de ce monde à se doter de mécanismes de régulation, voire d'un nouveau système monétaire. Et il reprend, cette fois au détriment des populations des pays européens frappés par la crise de la dette et sous la direction de Strauss-Kahn, sa politique de vautour au service de la finance.
 
Sur ce terrain, il fera même des émules, avec la création, en mai 2010, du FSE, le fonds de sauvegarde européen, qui inaugure la politique que met en place la bourgeoisie financière européenne avec l'aide du FMI et de la BCE pour contrer les effets de la crise de la dette qui touche alors la Grèce, l'Espagne, l'Irlande et le Portugal.
 
Les pays européens empêtrés dans la crise de la dette
 
Mais comme on pouvait s'y attendre, les soi-disant aides apportées depuis un an, sous diverses formes, par la troïka BCE-FSE-FMI à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal, n'ont rien réglé. Bien au contraire, la course à l'endettement se poursuit, les emprunts destinés à couvrir les charges des précédents s'enchaînent et déclenchent, régulièrement, de nouvelles attaques spéculatives des "marchés" que pourtant, les plans d'austérité devaient "rassurer"... Quand aux plans d'austérité à répétition, ils ne peuvent qu'entretenir la récession.
 
Nous l'avons déjà écrit à de nombreuses reprises, cette façon dont on nous présente les "marchés" comme des entités en quelque sorte surnaturelles et auxquels on ne pourrait que se soumettre est une mystification. Ces marchés, en ce qui concerne les pays européens touchés par les attaques spéculatives, sont pour l'essentiel constitués des grandes banques françaises, allemandes et anglaises. Ce sont elles qui sont "exposées" aux risques de faillite. Et ce sont elles qui, malgré cela, poussent à ces faillites en portant les taux qu'elles imposent à la Grèce, au Portugal, etc., à des hauteurs prohibitives.
 
Ces dettes, plus que largement remboursées, sont totalement illégitimes et devraient être purement et simplement annulées. Ce n'est bien évidemment pas ce choix qui est fait par l'Union européenne et ses comparses. Les soi-disant aides du FSE, du FMI et de la BCE sont avant tout destinées à garantir aux banques européennes qu'elles ne perdront rien dans l'affaire, ou le moins possible, et que ce sont les populations qui paieront bien la facture.
 
Les résultats de cette politique sont parlants : les banques ont démultiplié leurs profits, les populations continuent de payer le prix fort... et la crise de la dette de faire ses ravages. La Grèce est à nouveau au cœur de la tourmente, l'Italie et la Belgique sont à leur tour menacées, les Bourses s'affolent...
 
Les promesses de sortie de crise dont tous ceux qui veulent imposer l'austérité émaillent leurs discours se transforment en leur contraire. Elles révèlent non seulement l'impuissance des dirigeants de ce monde à sortir de la crise, mais encore leur complicité active avec ceux qui en sont responsables et qui apparaissent comme les profiteurs exclusifs des mesures sensées permettre d'en sortir.
 
... et dans une crise politique généralisée
 
La situation actuelle en Espagne est caractéristique de cette crise politique qui frappe, à des degrés divers, le pouvoir politique de la bourgeoisie. Elle est caractérisée par un désaveu de plus en plus profond du personnel politique de la bourgeoisie. En Espagne, le Parti socialiste au pouvoir mène depuis des mois la politique d'austérité. Il s'est avéré incapable de mettre un terme à un chômage qui dépasse les 20 %, et qui touche particulièrement les jeunes, dont un sur deux est sans emploi. Il vient de payer cette politique par une défaite cuisante aux élections municipales et régionales. Mais la victoire dont se vante la droite n'est en pas vraiment une, du fait d'une abstention massive. En Espagne comme ailleurs, pour bien des travailleurs, des chômeurs, des jeunes, il n'y a rien à attendre de partis qui montrent dans leur politique quotidienne leur asservissement aux intérêts de ces mêmes financiers qui ont plongé l'économie dans la ruine.
 
Pour les plus déterminés d'entre eux, les plus jeunes, la solution est dans le prolongement des mouvements révolutionnaires des pays arabes, dans la rue, en occupant la place de la Puerta del Sol à Madrid, pour exiger une autre politique. La crise politique du pouvoir de la bourgeoisie, c'est aussi l'apparition des bases pour la constitution d'une nouvelle conscience de classe, indispensable à ce véritable changement qu'exigent les jeunes espagnols, à l'unisson avec les mouvements révolutionnaires du monde arabe.
 
Et cette crise suscite une crainte bien réelle parmi les dirigeants des pays les plus riches qui se retrouvent cette semaine pour un nouveau G8. Tous se disent solidaires de la soif de démocratie des manifestants des pays du Maghreb et du Proche Orient. Et une discussion est prévue concernant la politique à mener vis-à-vis du "printemps arabe". Il s'agira certainement, entre autres, de répondre à la demande des gouvernements tunisiens et égyptiens, dont les représentants sont invités au G8. Le 1er ministre tunisien espère "un appui marqué du G8" à son plan de 25 milliards d'investissements sur 5 ans pour faire face au "problème de l'emploi". Tout cela pour "assurer la transition démocratique"... En clair, le "gouvernement de transition démocratique" de Tunisie, tout comme celui d'Égypte, espèrent que "l'appui marqué" du G8 leur permettra de calmer un temps la contestation populaire qui continue et exige la satisfaction de ses besoins, à commencer par mettre fin au chômage. Pas sûr que cela suffise... 
 
Quant au président actuel du G8/G20, Sarkozy, il a décidé de se placer sous le signe de la "dimension sociale de la mondialisation". Lundi 23, il a ouvert par un discours de 25 minutes une conférence des ministres du travail et de l'emploi du G20 en présence de représentants des "partenaires sociaux", patrons et directeur de l'OIT (Organisation internationale du travail). On a pu le voir, avec son cynisme le plus tranquille, "encourager le développement de socles des protections sociale", lui qui s'est fait une spécialité de leur destruction. Ou encore inviter les autres pays à un "respect accru des droits du travail"... Ce serait, selon Sarkozy, la seule solution pour sortir d'une "situation qui risque de devenir rapidement incontrôlable".
 
Ce "virage à gauche" de Sarkozy, qui en d'autres temps n'hésitait pas à invoquer Jaurès, ne trompe bien évidemment personne. Mais le ridicule du propos, assumé sans rire, est bien à l'image de l'impasse politique et de la crainte qui frappe le pouvoir des classes dominantes.
 
Prendre la mesure de leurs craintes et de notre force
 
Avec le déclenchement de la vague révolutionnaire du monde arabe, le renversement de Ben Ali et de Moubarak, un nouvel espoir est né, et la conscience qu'une nouvelle ère est en train de s'ouvrir. Une ère qui mettra fin à des années de reculs du monde du travail devant l'offensive sans trêve de l'oligarchie financière, qui fera que la crainte change de camp, que se constitueront de nouveaux rapports de force entre les classes à l'échelle internationale... Nous en sommes encore au début de cette ère, mais elle est bien réelle, bien vivante.
 
En prendre toute la mesure, c'est défendre résolument un programme de classe, pour nos luttes sociales et politiques. Un programme qui cherche à associer l'ensemble des travailleurs autour des exigences sociales élémentaires, pour exiger des revenus décents, un emploi pour tous, une protection sociale suffisante, la fin de la casse des services publics. Un programme qui mette un terme à la dictature de l'oligarchie financière sur l'ensemble de la société, non seulement en annulant la dette publique, mais en expropriant les grands actionnaires des institutions financières et en constituant un pôle bancaire unique, placé sous le contrôle de la population.
 
De telles mesures ne pourraient bien évidemment être le fait que d'un gouvernement totalement indépendant de cette oligarchie financière. Autrement dit ayant rompu radicalement avec l'appareil d'État, les institutions qui constituent l'ossature du pouvoir de classe de la bourgeoisie et à travers lesquelles elle s'en assure la fidélité quelle que soit la "couleur" politique du parti aux affaires. Un tel gouvernement ne pourrait être qu'un gouvernement démocratique des travailleurs et de la population, l'émanation des multiples structures nées des luttes, pour l'organiser et la diriger. La défense d'une telle perspective, celle d'un autre pouvoir, d'un pouvoir émanant des opprimés organisés et remplaçant celui des oppresseurs et de leurs serviteurs est indissociable de la défense des exigences sociales et des mesures à prendre contre le pouvoir de la finance. 
 
Daniel Minvielle