Des « pères fondateurs » à la crise, l’échec de l’Europe capitaliste, terrain pour l’émergence d’une Europe des travailleurs et des peuples
La
crise financière partie des Etats-Unis en septembre 2008
s’est propagée et développée en crise économique et sociale
dans l’ensemble du monde à une vitesse foudroyante. La
récession frappe aujourd’hui l’Union européenne avec plus de
violence que les Etats-Unis.
Bien
conscients de cette expression de leur faillite politique,
les partis qui alternent ou cohabitent au pouvoir depuis 25
ans cherchent par tous les moyens à masquer leur bilan et à
se dédouaner de leurs responsabilités. L’UMP en campagne
veut « une Europe qui protège », mais c’est pour
l’avenir, et Sarkozy à Nîmes, le 5 mai dernier, a écarté
toute discussion sur son bilan et celui du gouvernement.
Harlem
Désir, pour le Parti socialiste, dénonce « une Europe
qui manque, une Europe défaillante » et désigne les « responsables »,
« ceux qui sont majoritaires dans les institutions
européennes », oubliant que le PSE est la plupart du
temps main dans la main avec le PPE au Parlement européen et
qu’en Allemagne, CDU et SPD ont formé un gouvernement de
coalition.
Or
cette crise, c’est bien la politique des classes dirigeantes
dont ils sont les représentants qui en est responsable et
c’est peu dire que la construction européenne n’a en rien
protégé nos économies. Elle est au contraire au cœur de la
crise, en tant qu’instrument de l’offensive contre les
droits des travailleurs et des peuples qui a exacerbé les
contradictions du système capitaliste : surabondance de
capitaux dégagés par l’augmentation des profits tirés de la
surexploitation d’un côté, réduction des capacités de
consommation à cause des licenciements et de la baisse du
coût du travail de l’autre.
Dans
son discours à Nîmes, Sarkozy a fustigé « L'Europe
de l’impuissance […]
qui n'exprime aucune volonté, qui ne fait pas de
politique et qui, par conséquent, sert de variable
d'ajustement à toutes les politiques du monde ». On
connaît l’argument, il nous a été servi suffisamment
souvent par les tenants du Oui au TCE en 2005, par la
droite comme par le PS : la constitution, loin d’être
l’expression juridique de la mondialisation libérale,
devait ouvrir au contraire, en renforçant les institutions
européennes, des possibilités de maîtriser celle-ci et de
lui faire contre-poids. Avec quelle hypocrisie ceux qui
ont mis en œuvre, consciemment, systématiquement, toutes
les mesures de déréglementation financière, fiscale et
sociale depuis 25 ans, peuvent-ils prétendre aujourd’hui
que la situation créée par ces politiques ne serait que le
résultat d’une mondialisation qui leur échappe totalement,
d’un processus quasi-inconscient qui se serait imposé
contre leur volonté !
Mensonge
aussi que cette fable de l’Europe des Pères fondateurs, à
laquelle Sarkozy oppose l’Europe de l’impuissance : « C'était
l'Europe qui avait décidé de ne plus se faire la guerre à
elle-même, de ne plus s'autodétruire, c'était l'Europe qui
avait décidé de ne plus assassiner sa jeunesse dans la
boue répugnante des tranchées, l'Europe qui avait tiré les
leçons d'une histoire tragique. […] L’Europe des pères
fondateurs c’est l'Europe qui a cherché son salut dans
l'action, l'Europe qui a fait le pari insensé, et qui l'a
gagné, qu'après les deux guerres les plus meurtrières de
l'Histoire, en travaillant ensemble les peuples qui se
haïssaient apprendraient à mieux se comprendre, à mieux se
respecter et, peut-être, à s'aimer. »
A
entendre Sarkozy, ce serait les peuples européens qui
seraient responsables des deux guerres mondiales tandis que
leurs classes dirigeantes, elles, auraient œuvré, dans une
volonté de paix, après la deuxième guerre mondiale, à la
construction européenne.
La
réalité est toute autre. Les prétendus choix idéologiques ou
volontés politiques des classes dirigeantes ne servent qu’à
habiller les véritables mobiles de leur politique, leurs
intérêts de classe, en fonction, à chaque époque, du rapport
de force avec les classes exploitées et avec leurs rivales à
l’échelle internationale.
L’Europe de l’offensive
libérale dans la continuité de l’Europe des Pères
fondateurs
1)
Une coopération économique imposée aux bourgeoisies
européennes par l’hégémonie de l’impérialisme
américain
C’est
seulement parce qu’elles ont été comme pacifiées par
l’hégémonie de l’impérialisme américain, à la fin de la
deuxième guerre mondiale, que les bourgeoisies européennes
se sont engagées dans la construction européenne.
Toute
leur histoire, qui a été en même temps l’histoire du monde
moderne, avait été marquée par leurs rivalités, une lutte
féroce pour se partager le monde qui déboucha par deux fois
sur une guerre généralisée.
C’est
seulement à la fin de la deuxième guerre mondiale,
lorsqu’une nouvelle guerre les opposant fut devenue
impossible, que les puissances européennes établirent entre
elles une certaine forme de coopération économique.
Dans
un premier temps sous l’impulsion directe des Etats-Unis,
dont l’économie ne pouvait fonctionner à plein que si
l’économie européenne, ruinée et dévastée par la guerre,
redémarrait. Ce fut, en 1947, le plan Marshall. Les
Etats-Unis qui déversèrent en Europe des millions de dollars
refusèrent de négocier Etat par Etat. Ils exigèrent que
tous les pays européens se concertent pour définir leurs
besoins, établir un « programme commun de relèvement »
et assurer la stabilité de leurs monnaies. Dans le même
temps, ils enrôlèrent ces Etats dans l’OTAN pour
contrebalancer l’influence de l’URSS qui contrôlait alors
toute l’Europe de l’Est.
Les
Etats-Unis avaient tout intérêt à cette coopération entre
pays européens. Il était indispensable que les pays
européens ne soient pas fermés les uns aux autres pour que
leurs capitaux et marchandises puissent y évoluer librement.
Ils
pratiquèrent d’ailleurs cette politique à l’échelle du monde
entier, créant à la même époque l’ONU, le FMI, la Banque
Mondiale et le GATT, l’ancêtre de l’OMC. Ils souhaitaient
imposer, sur la base du nouveau rapport de forces issu de la
guerre, un retour au libre-échange qui leur permettrait de
s’ouvrir les marchés des puissances européennes et de mettre
fin aux chasses gardées constituées par les Empires
coloniaux.
Dix
ans plus tard, en 1957, les Etats de six pays européens
établirent par le Traité de Rome, l’union douanière qu’était
le Marché Commun. Cette coopération était d’autant plus
nécessaire que la révolte des peuples était en train de
mettre fin à cette manne que représentaient pour les
bourgeoisies les marchés protégés de leurs colonies. Il
fallait assurer à leurs économies, bien incapables de
concurrencer la puissante économie américaine, un marché
privilégié.
Or
celui-ci était encore hérissé de barrières douanières,
chaque pays taxant lourdement les importations (45 % sur les
matières premières et 20 % sur les produits finis, en
France, 15 % sur les produits finis et 60 % sur les matières
premières, en Allemagne, par exemple).
Le
Traité de Rome, signé par la France, l’Allemagne, la
Belgique, le Luxembourg, les Pays Bas et l’Italie, qui
instituait la CEE, Communauté Economique Européenne,
prévoyait la disparition progressive, sur 12 ans, des tarifs
douaniers entre membres de la CEE et la mise en place d’un
tarif douanier commun vis-à-vis de l’extérieur.
Pendant
cette période, la croissance des profits avait été assurée
essentiellement par la croissance de la production due aux
immenses besoins et marchés créés par les destructions de la
seconde guerre mondiale.
C’est
avec l’aide de leurs Etats que les bourgeoisies européennes
avaient d’abord reconstruit puis modernisé leurs
infrastructures et leur industrie pour les rendre plus
compétitives. Dans tous les pays, les Etats leur offrirent
subventions et marchés protégés. Ils favorisèrent une
concentration poussée du capital qui donna naissance dans
les grands secteurs de l’industrie à deux ou trois grands
trusts nationaux.
De
1961 à 1971 la productivité progressa en Europe de deux
tiers dans l’industrie et de 100 % dans l’agriculture. La
production et le marché des biens de consommation tels que
machines à laver, voitures, téléviseurs connurent un
véritable boom.
Le
marché commun, en ouvrant les pays d’Europe les uns aux
autres s’ouvrait également aux marchandises et aux capitaux
américains. Les investissements en provenance des Etats-Unis
furent multipliés par 4 entre 1958 et 1966 et le nombre des
filiales américaines passa de 1 200 en 1957 à 4 000 en 1966.
Les
échanges à l’intérieur de la communauté, furent multipliés
par 6 entre 1958 et 1972 alors que ceux avec les pays
extérieurs ne l’étaient que par 2,5. Les Six réalisaient
entre eux le tiers de leur commerce extérieur en 1958, et
plus de la moitié en 1970.
Au
point que les droits de douanes furent complètement
supprimés au premier juillet 1968.
2)
L’acte unique dans le cadre des accords du Gatt : les
débuts de l’offensive de la mondialisation capitaliste
et libérale
Cependant,
la construction européenne, bien que s’élargissant à six
nouveaux Etats (Royaume-Uni, Irlande et Danemark en 1973,
Grèce en 1981, Espagne et Portugal en 1986), ne dépassa pas
le stade d’une union douanière jusqu’au milieu des années
80.
Contraintes
à la coopération économique, les bourgeoisies européennes
n’en restaient pas moins rivales. Cette contradiction entre
les besoins liés à l’internationalisation de l’économie et
le maintien des frontières et des Etats nationaux en tant
qu’instruments des différentes bourgeoisies pour assurer
leurs privilèges, a marqué toute l’histoire de la
construction européenne.
Mais
celle-ci connut une nouvelle impulsion sous la pression du
mouvement global de la mondialisation capitaliste.
Depuis
la fin des années 1960, l’économie capitaliste était entrée
dans une phase de déclin, provoquée par la saturation
progressive des marchés et la baisse du taux de profit.
A
partir des années 1980, dans tous les pays impérialistes,
les groupes capitalistes, aidés par leurs gouvernements, se
lancèrent dans une offensive ouverte contre la classe
ouvrière. Reagan et Thatcher donnèrent le coup d’envoi de
cette politique, bientôt suivis de Mitterrand.
La
rentabilisation des grosses entreprises par l’injection de
subventions et par les restructurations, après l’élimination
de celles qui étaient incapables de faire face à la
concurrence, permit la relance des profits. Mais ces profits
ne furent pas réinvestis dans la production, ou seulement
dans une faible mesure. Ils s’investirent en priorité sur
les marchés financiers, alimentant la flambée des Bourses.
Ces spéculations rendaient d’autant plus vitale la nécessité
d’un accroissement incessant des profits tirés de la
production par l’aggravation de l’exploitation et la
rentabilisation forcenée de toutes les capacités productives
par leur restructuration et leur concentration à l’échelle
mondiale.
C’est
pour répondre à ces besoins des trusts que l’ouverture des
frontières, qui avait piétiné dans les années 70, s’accéléra
à partir de 1986. Les 12 membres de la Communauté Européenne
signèrent cette année-là l’Acte Unique par lequel ils
s’engageaient à établir à la date du 31 décembre 1992 un « grand
marché unique, un espace, sans frontières intérieures,
dans lequel doit être assurée la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux».
Cet
accord s’inscrivait, bien que formellement indépendant, dans
le nouveau cycle de négociations du GATT, baptisé Uruguay
Round, engagé à cette date sous la houlette des Etats-unis,
et qui se conclut 7 ans plus tard, en 1993, par la signature
d’accords décrétant la libéralisation complète de tous les
marchés de matières premières et de biens manufacturés, des
capitaux, ainsi que la disparition des monopoles publics et
l’ouverture des marchés publics à la concurrence étrangère.
En
1990, fut mise en application la libéralisation complète des
marchés financiers et du mouvement des capitaux, permettant
à n’importe quel capitaliste ou société d’investir sur
n’importe quelle place financière du monde, 24 heures sur
24, sans aucune limitation. Cette liberté complète donnée à
tous les détenteurs de
capitaux
conduisit à une accélération faramineuse de leurs
déplacements sur les marchés financiers en vue de
spéculations boursières et monétaires. Elle permit également
que s’opèrent à l’échelle de la planète entière les
restructurations des trusts, leur concentration par achats,
fusions et OPA. 90 % des investissements directs extérieurs
y furent consacrés de 1986 à 1991.
3) La création de l’euro,
une monnaie unique sans Etat, expression de la
contradiction insoluble de la construction européenne
Avec
la création de l’euro, décidée à Maastricht en 1992, les
bourgeoisies européennes essayèrent d’apporter une solution
à un problème devenu désormais crucial: la coexistence sur
un même marché de plusieurs monnaies nationales.
A
travers le problème de la monnaie, s’exprime cette
contradiction fondamentale du capitalisme, entre le
développement international de la division du travail, de la
production et des échanges, et les barrières nationales, les
frontières et les Etats nationaux. Le pouvoir d’émettre sa
propre monnaie est un des privilèges auquel les Etats
nationaux sont le plus attachés. Ils se servent de celle-ci
pour soutenir leur bourgeoisie dans la concurrence qui les
oppose aux autres et transférer sur leur population, par
exemple par l’inflation, les frais engendrés par leur
politique de subventions à leurs capitalistes.
Tant
que l’économie était en phase d’expansion, la coexistence de
plusieurs monnaies nationales sur le même marché de la CEE,
comme d’ailleurs sur le marché mondial, ne posait pas de
trop gros problèmes parce que leur valeur était relativement
stable. Le système monétaire international était basé sur le
dollar dont la stabilité était assurée par sa convertibilité
en or, et les capitaux étant essentiellement destinés aux
investissements productifs, il n’y avait pas, ou quasiment
pas de spéculation monétaire pouvant faire varier
brutalement la valeur des monnaies.
En
1971, la crise du dollar mit fin au système monétaire
international existant depuis 1945. Les Etats-Unis avaient
eu recours à grande échelle à la planche à billets pour
financer leurs dépenses de guerre en Corée et au Vietnam. Le
dollar déprécié cessant d’inspirer confiance, ils furent
contraints de mettre fin à sa convertibilité en or. Le
dollar se mit à flotter, de même que toutes les autres
monnaies du monde.
Au
début des années 90, la libéralisation des marchés de
capitaux aggrava tous les déséquilibres. Les marchés
nationaux, jusqu’alors réglementés, s’ouvrirent à la
concurrence des investisseurs mondiaux privés et publics,
fonds de retraites, assurances, trésors publics,
multinationales, qui prêtent, empruntent, spéculent sans
entraves sur toutes les places financières mondiales, 24
heures sur 24. Les mouvements de capitaux explosèrent,
atteignant des sommes colossales : 1 000 milliards de
dollars par jour, 50 fois plus que la valeur du commerce
international des biens et services.
De
fortes spéculations agitèrent les marchés monétaires. Les
risques qu’elles faisaient dès lors courir à l’économie
devinrent si graves que les Etats des pays européens ne
pouvaient pas ne pas tenter de les empêcher, en particulier
dans le domaine géographique qui constituait leur marché
essentiel (les deux tiers des échanges extérieurs des pays
de la future zone euro s’effectuent à l’intérieur de cette
zone).
C’est
pourquoi ils s’engagèrent dans la création de l’euro. En
1992 à Maastricht, les Douze Etats de l’Union Européenne,
fixèrent les conditions de la naissance d’une union
économique et monétaire.
Les
critères de Maastricht – entre autres, la limitation des
déficits publics à 3 % du revenu national, la limitation de
la dette des Etats à moins de 60 % du PIB, et du taux
d'inflation à 1,5 %- sont une tentative de résoudre le
problème essentiel posé par la création d’une monnaie unique
à plusieurs pays, ayant chacun leur Etat et leur économie,
qui forment un ensemble hétérogène, avec de profondes
inégalités, beaucoup plus importantes que celles existant au
sein de chaque pays entre plusieurs régions.
En
mettant en place l’euro, les gouvernements européens
voulaient faire en sorte que le marché européen devienne en
quelque sorte un marché intérieur, protégé des vicissitudes
des fluctuations monétaires, comme c’est le cas par exemple
aux Etats-Unis dont le marché intérieur constitue le marché
essentiel pour les trusts américains.
Mais
là s’arrête la comparaison. Il y a un problème de taille en
effet dans la création d’une monnaie unique en Europe. C’est
l’absence de l’Etat européen qui pourrait en assurer la
stabilité.
Les
représentants de la bourgeoisie en sont bien conscients,
c’est un des problèmes qu’ils se posent, depuis la naissance
du Marché Commun, au-delà de leur propagande de politiciens
soucieux d’essayer de faire croire à la population que ce
sont de grands et nobles objectifs qui déterminent leurs
choix politiques. Les Etats-Unis doivent leur puissance
avant tout au fait que leur économie s’est développée à
l’échelle d’un continent dans le cadre d’un seul Etat
national. Seule une unification politique de l’Europe, la
constitution d’un Etat, d’une fédération, d’Etats-Unis
d’Europe, pourrait faire pièce à cette puissance.
Or,
l’Union Européenne - combien de fois les politiciens ou la
presse l’ont-ils déploré - n’est même pas capable de parler
d’une seule voix sur la scène internationale car chaque Etat
continue à défendre avant tout les intérêts de sa
bourgeoisie nationale, de ses trusts.
La
seule politique réellement commune à tous les gouvernements
d’Europe, c’est cette volonté de s’en prendre aux classes
ouvrières, consignée par écrit dans les traités de
Maastricht, d’Amsterdam ou de Lisbonne.
La crise actuelle,
aboutissement de vingt ans d’offensive libérale contre
les droits des travailleurs et des peuples…
Depuis
les vingt dernières années, il ne s’est agi pour la
bourgeoisie, ou du moins, sa fraction la plus puissante et
la plus riche, l’oligarchie financière, celle des trusts,
des banques, des fonds d’investissements, que de faciliter
son pillage, de s’ouvrir un champ d’action plus vaste, de
soumettre à leur mainmise le moindre recoin de la vie
sociale pour y parasiter les richesses créées par le travail
collectif.
Les
trusts et leurs Etats n’ont cessé de reprendre aux
travailleurs et aux peuples toutes les concessions qu’ils
avaient dû leur faire sous la pression de leurs luttes et
dans le cadre des rapports internationaux tels qu’ils
avaient été configurés par les vagues révolutionnaires du
vingtième siècle.
D’une
certaine manière, s’est réalisé le souhait qu’exprimait, au
moment du lancement de l’euro, le journal économique
Business Week : « La monnaie unique va probablement
déclencher un processus de marché irréversible qui
balaiera les structures si chères à la vieille Europe :
banques et entreprises d’Etat, rigidité de la main
d’oeuvre, retraites généreuses. A leur place, pourrait
émerger une économie très compétitive ».
Ce
soi-disant processus, en réalité une violente offensive, a
été couronné de succès, comme partout ailleurs dans le
monde. C’est ce succès qui a précipité la crise.
Dans
cette situation, et à l’encontre de tous ceux qui laissent
entendre, comme l’ont fait les dirigeants de l’UMP mais
aussi du PS après le G20, qu’il pourrait y avoir une
communauté d’intérêts entre les populations et les
gouvernements et leurs commanditaires patronaux, la seule
question qui se pose est : qui va faire les frais de la
crise, des travailleurs, des populations ou de l’oligarchie
financière qui en est responsable ?
Le
combat pour un plan d’urgence sociale et démocratique à
l’échelle européenne est à l’ordre du jour. Il ne peut se
mener qu’en rupture avec cette Europe de la finance et des
trusts, dans la perspective d’une Europe des travailleurs et
des peuples, d’Etats-Unis socialistes d’Europe.
Car
c’est bien à l’échelle européenne que les peuples pourront
apporter une réponse à la crise.
Les
réponses que les autorités européennes prétendent apporter à
la crise sont l’illustration des contradictions dans
lesquelles elles sont empêtrées. Les Etats de l’UE sont
incapables d’adopter une politique réellement commune, le
budget européen dont ils disposent est d’ailleurs dérisoire,
mais c’est la même politique qui est mise en œuvre par tous
les Etats nationaux, renflouer à fonds perdus ceux-là mêmes
qui sont responsables de la crise et faire payer cette crise
à la population, aux travailleurs qui n’y ont aucune
responsabilité. Leur Europe est incapable d’être autre chose
qu’une entente contre les peuples de bourgeoisies soucieuses
de leurs intérêts nationaux et de leurs prérogatives.
La
crise à son tour ne peut qu’accentuer les contradictions de
la construction européenne. Elle a déjà provoqué la faillite
de quelques-uns des Etats les plus faibles et entraîné la
chute de plusieurs gouvernements. Elle ouvre une période de
crises sociales et politiques, de convulsions qui peuvent
tout aussi bien faire éclater la monnaie unique ou l’Union
européenne elle-même.
Vers les Etats-Unis socialistes
d’Europe
La
seule Europe possible, c’est celle des travailleurs. Seule,
la classe ouvrière, parce qu’elle n’a aucun privilège,
aucune propriété à défendre, a intérêt à l’abolition des
frontières. Il faut seulement qu’elle ait conscience de sa
force et de ses possibilités.
Dans
les années 30, le mot d’ordre des révolutionnaires par
rapport à l’Europe était les « Etats-Unis socialistes
d’Europe ». C’était une proclamation opposée à la
guerre impérialiste et condamnant les rivalités nationales,
la seule perspective pouvant empêcher la guerre, à une
époque où les impérialismes européens pouvaient encore jeter
leurs peuples les uns contre les autres.
Cette
époque est révolue.
Une
guerre entre la France et l’Allemagne est désormais
impossible, tant l’interpénétration de leurs relations
économiques a développé la conscience d’appartenir à une
même unité territoriale, tant, également, la barbarie des
deux guerres mondiales a suscité d’aversion. Dans cet
intervalle de cinquante années, ont mûri les conditions
économiques et sociales qui font de ce mot d’ordre des
Etats-unis socialistes d’Europe, un objectif réellement à la
portée des classes ouvrières.
Depuis
la fin des années 50, l’interdépendance des pays d’Europe et
enparticulier de la
France et de l’Allemagne a resserré les liens existant entre
leurs peuples. Les frontières déjà dépassées à l’échelle
mondiale le sont d’autant plus à l’échelle d’un continent.
Les progrès techniques dans le domaine des transports et des
communications ont réduit les obstacles géographiques qui
pourraient s’opposer à ce que des peuples fasse partie d’un
même territoire unifié politiquement. L’organisation de
l’économie, de la production, la division du travail qui
s’opère à l’échelle internationale, les moyens déjà utilisés
par des trusts qui planifient leur production à l’échelle de
continents entiers, constituent d’ores et déjà les bases sur
lesquelles pourrait se construire l’économie des Etats-Unis
socialistes d’Europe. C’est d’ailleurs déjà le cas pour
l’ensemble du monde.
Il
n’y a d’ores et déjà plus d’obstacles techniques à
l’organisation rationnelle de la production pour satisfaire
les besoins des hommes, au contrôle de l’ensemble de
l’économie par toute la population. Le seul obstacle tient à
l’organisation de la société, à sa division en classes, à la
domination bourgeoise, qui trouvent leur prolongement dans
l’existence d’Etats nationaux. Avec la mise en place de
l’euro et l’ouverture des frontières dans tous les secteurs
de l’économie, ce n’est plus seulement la fraction de la
classe ouvrière qui travaille dans les trusts qui a pu en
quelque sorte toucher du doigt cette réalité, c’est
l’ensemble du monde du travail et de la population, tant
l’ensemble de la vie sociale est marqué par la pénétration
croissante dans tous les pays d’Europe des mêmes banques,
assurances, compagnies de téléphones, d’électricité…
La
contradiction entre le progrès que constitue cette
interpénétration, etl’arriération
sociale qu’est l’exploitation capitaliste qui empêche une
libre coopération des peuples, apparaît clairement.
La
bourgeoisie a mis en place les éléments qui facilitent cette
prise de conscience. Avec l’euro, la Banque Centrale
Européenne, la convergence des politiques économiques dans
chaque pays, elle travaille elle-même, bien malgré elle, à
l’unification de la révolte contre son ordre social, qui ne
peut plus masquer sa nature réelle de dictature du capital
financier.
La
prochaine étape, qui est devant nous, et qui mènera à la
réalisation du mot d’ordre des Etats-Unis socialistes
d’Europe, c’est celle de la convergence des luttes
ouvrières, à l’échelle européenne, de l’émergence à travers
les combats qui se mèneront contre les conséquences sociales
désastreuses d’une politique concertée à cette échelle entre
les trusts, de la conscience non seulement d’appartenir à
une seule classe ouvrière, mais de représenter le seul
avenir pour l’ensemble des populations d’Europe. Cette étape
elle-même s’inscrit dans une évolution plus large, celle de
la transformation de la société à l’échelle de la planète.
Galia Trépère