« Trois ans après la faillite de Lehman Brothers... »

« Trois ans après la faillite de la banque d'affaires new-yorkaise Lehman Brothers, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, bien des ministres se sont réunis et reréunis, des milliers de pages de nouvelles réglementations ont été pondues par des crânes d'œuf. Et pourtant, comme il y a trois ans, une atmosphère crépusculaire règne sur les marchés financiers, les banques rechignent à se prêter les unes aux autres, et tout le monde redoute un effondrement soudain sans savoir vraiment d'où il viendra. Sauf que le spectacle de la crise s'est indéniablement déplacé de l'Amérique à l'Europe. Et que les États, emportés à leur tour par un torrent de dettes, ne semblent plus en mesure de pouvoir apporter des garanties crédibles... » pouvait-on lire le 15 septembre dans l’éditorial du journal Les Echos, bref aperçu de la situation elle-même et de l’inquiétude qu’elle provoque dans les milieux économiques et politiques.Et le même journal titrait ce matin, « Bourses : la débâcle »...
 
A l’origine de la déprime qui frappe les Bourses depuis un mois et qui a fait chuter les indices de la moitié de leur valeur se trouve effectivement la crise de la dette européenne, la crainte qu’ont en particulier les porteurs d’actions des banques « exposées » à un risque de faillite de perdre leur mise, voire que ces banques fassent à leur tour faillite. Les banques elles-mêmes rechignent à se prêter de l’argent, une nouvelle crise du crédit interbancaire menace...
 
Ces craintes sont renforcées par le fait que la croissance est en panne en Europe comme aux États-Unis : selon des prévisions publiées mardi 20 par le FMI : « la prévision de croissance mondiale est ramenée de 4,3 à 4 % pour cette année, et de 4,5 à 4,3 % pour 2012. Le Fonds n'attend plus que +1,5 % aux États-Unis cette année, et +1,6 % dans la zone euro ». Pas question de compter donc sur la croissance pour combler les déficits publics aux États-Unis et en Europe et contribuer ainsi à diminuer le poids de la dette. Au contraire, les plans d’austérité s’ajoutent aux effets de la crise, frappent les populations et les appauvrissent - selon une enquête récente, aux États-Unis, le taux de pauvreté ne cesse de s’aggraver et a atteint en 2010 15,1%, le plus haut depuis 1993. Tout cela alimente la marche vers la récession... que certains industriels anticipent, tel PSA, qui vient d’annoncer des « adaptations » à la conjoncture dont les intérimaires et les salariés des sous-traitants seront les premiers à faire les frais.
 
A l’opposé, les profits des multinationales ne cessent de croître. Bien que freinés par la crise, les résultats globaux des entreprises du CAC40 ont progressé de 11% au premier semestre 2011. Quant aux dividendes qui seront versés, leur total devraient être du même niveau que l’an dernier, 40 milliards d’euros : pas question de pénaliser les actionnaires sous prétexte que la valeur de leurs actions dégringole, il faut au contraire les retenir, éviter qu’ils vendent... Aux États-Unis, les entreprises du groupe S&P 500, (indice défini par l’agence Standard & Poor’s qui regroupe 500 des principales entreprises US), viennent d’annoncer des résultats records de 200 milliards de dollars pour le seul deuxième trimestre 2011. 59 milliards sont allés aux dividendes, tandis que 109 milliards ont été consacrés par ces entreprises au rachat de leurs propres actions pour en maintenir les cours. 
 
Les dirigeants des grandes puissances et des institutions financières tentent de retarder les échéances, de « diluer » en quelque sorte les inquiétudes des spéculateurs pour juguler la panique sur les places boursières et monétaires. Jeudi 15, cinq banques centrales, dont la FED et la BCE, ont mis à disposition des banques des liquidités en dollars, ce qui a eu pour effet immédiat de faire repartir les bourses à la hausse, valeurs bancaires en tête. Pour un résultat de courte durée : l’incapacité des ministres des finances européens réunis en Pologne vendredi et samedi à trouver un accord sur le plan d’aide à la Grèce s’est traduite, dès lundi 19, par une nouvelle baisse, au moment où l’agence de notation Standard & Poors dégradait la note de l’Italie.... Après quelques jours de répit, les Bourses replongeaient à nouveau jeudi, suite à de mauvaises nouvelles sur la situation économique US, et alors qu’une nouvelle affaire de titres toxiques éclatait, concernant la banque Dexia, spécialisée dans le prêt aux collectivités locales et aux organismes publics, dont les hôpitaux... A chaque jour son pas de plus dans la crise.
 
De la purge inévitable à l’effondrement possible
 
Les Echos commentaient ainsi l’intervention des banques centrales : « Les pompiers sont de retour. Que la date ait été ou non choisie exprès, c'est trois ans jour pour jour après le début de la Grande Récession, symbolisée par la faillite de Lehman Brothers, que les banques centrales ont décidé, hier, de jeter un grand seau d'eau froide pour refroidir les marchés.
 
[...] Par son ampleur, elle dit en creux que la finance, européenne principalement, n'était pas loin d'un véritable accident. Nous avons eu chaud ! Elle montre ensuite où se trouve actuellement le pouvoir efficace : la puissance aux banques centrales ; l'impuissance aux gouvernements, qui n'arrivent plus à se faire entendre depuis des mois...
 
[...] Cette intervention, même concertée, change-t-elle pour autant durablement la donne ? Non, et c'est d'ailleurs l'exacte réplique de ce que les banques centrales ont déjà fait depuis 2008. La fièvre baisse, les médecins achètent un peu de temps, mais le malade n'est pas guéri. Le point de départ de la crise de ces dernières semaines n'est pas bancaire, mais politique. C'est encore et toujours la question des dettes souveraines, du bon mix entre le redressement des comptes publics et la croissance, et de l'incapacité des gouvernements à appliquer les mesures prises en commun le 21 juillet dernier, entre autres pour la Grèce. Tant qu'une sortie par le haut ne sera pas trouvée, les opérations commandos, fussent-elles bienvenues, n'arriveront pas à inverser le courant ».
 
Les dirigeants politiques des grandes puissances savent tous depuis longtemps que leur politique ne fait que repousser les échéances sans supprimer le risque de faillite de certains pays, à commencer par la Grèce. Tout comme les dirigeants des grandes banques savent parfaitement qu’ils perdront une grande partie de l’argent qu’ils ont misé au casino des marchés obligataires. Et ils entendent bien faire payer la facture par les populations. La pression se fait toujours plus forte pour imposer en Grèce, en Italie, etc., au gré des caprices des marchés obligataires, privatisations et plans de rigueur. L’Union européenne elle-même n’est pas en reste, puisqu’elle se prépare à réduire des 4/5ème l’aide alimentaire aux associations caritatives qui tentent de faire face aux conséquences de l’appauvrissement généralisé des populations. Tandis que sous couvert de « sauver » la Grèce, l’Irlande, le Portugal, etc., tout est fait pour permettre aux banques de se débarrasser de leurs obligations les plus pourries...
 
Ils voudraient bien éviter un enchaînement qu’ils craignent comme la peste, une panique boursière consécutive à l’annonce d’une faillite de la Grèce, par exemple. Les sommes -relativement faibles au regard du total des valeurs qu’elles traitent- que perdraient les banques dans cette faillite ne les mettraient certainement pas en péril. Mais le risque est que cette perspective n’incite les porteurs des titres de ces banques à s’en débarrasser et que ce phénomène, alimenté par ailleurs par les craintes d’une nouvelle récession, ne se traduise par un effet domino, aussi bien sur les marchés des actions, en particulier bancaires (effondrement des capitalisations boursières, risques de rachats, etc.) que sur celui des obligations, sur lequel les taux d’intérêt concernant les emprunts d’autres pays, Irlande, Portugal, Espagne, Italie... s’envoleraient à leur tour, entraînant ces pays à la faillite... Les pertes qui en résulteraient alors pour les banques concernées seraient sans commune mesure avec celles qui résulteraient d’une faillite de la Grèce, et entraineraient très certainement ces banques, à leur tour, à la faillite...
 
Alors oui, une situation « pire que 2008 »... Car si en 2008, les banques minées par une accumulation de titres dérivés des valeurs « subprime » ayant perdu toute valeur avaient pour la plupart évité la faillite, c’était grâce à l’intervention massive des États qui avaient injecté des milliers de milliards de dollars et d’euros dans les circuits financiers... au prix d’une aggravation massive d’un endettement public qui est la cause directe de la crise actuelle et qui rend par là même difficile une nouvelle intervention des États, une spirale de crise dont les maitres du monde ont bien perdu la maitrise.
 
L’économie de l’endettement généralisé
 
Aujourd’hui, la dette publique atteint des proportions énormes. En Grèce, elle s’élève à 169 % du PIB, et le FMI prévoit qu’elle devrait atteindre 188 % en 2013... Les « aides » de l’UE, de la BCE et du FMI, les plans d’austérité n’y changent rien : pour payer sa dette présente, la Grèce n’a pas d’autre solution que d’emprunter à nouveau en l'aggravant nécessairement... En Italie, le gouvernement multiplie les attaques contre la population au prétexte d’enrayer les attaques spéculatives sur sa dette, qui atteint 1900 milliards d’euros, 120 % de son PIB... Au premier trimestre 2011, la dette de la France s’élevait, selon l’INSEE, à 1641 milliards d’euros, à 85% du PIB. Elle avait augmenté de pratiquement 55 milliards en un trimestre, ce qui donne une idée de l’emballement fou de l’endettement public. Quant aux États-Unis, leur dette, qui approche les 15 000 milliards de dollars, de loin la plus élevée, a dépassé en aout les 100 % du PIB...
 
Le FMI estime à 200 milliards d’euros les sommes nécessaires à renflouer les banques européennes, françaises et allemandes en particulier, principales détentrices de la dette grecque et italienne, pour faire face à une faillite de la Grèce et à sa cascade de conséquences. Cela permet de se faire une idée de la gravité de la situation, telle que l’évaluent les dirigeants de ce monde.
 
Mais cette situation n’est pas un accident de parcours, le résultat d’erreurs de gestion et de manque de prévoyance comme certains nous l’expliquent. Elle est l’aboutissement logique de trente ans de mondialisation libérale. Le crédit est un des rouages essentiels du capitalisme. Il est au cœur du système de production : les investissements nécessaires à celle-ci précédent nécessairement la vente des marchandises, et c’est en les empruntant à une banque ou en les « levant » sur des marchés financiers qu’un industriel peut se procurer les capitaux nécessaires, qu’il remboursera, avec intérêt, lorsqu’il aura réalisé son profit, c’est-à-dire vendu sa production. L’endettement est aussi au centre des réseaux d’échange et de distribution : un État, une collectivité, une personne ne peut acheter une marchandise dont le coût dépasse ses moyens financiers immédiats qu’en étalant le paiement dans le temps, par le biais d’un crédit, et moyennant intérêt...
 
Dans la fable, la fourmi attend d’avoir remboursé son crédit en cours pour en prendre, éventuellement, un autre, et tout se passe bien... La réalité est toute autre, la crise est là pour le prouver.
 
Nombreux sont les travailleurs qui savent, par expérience, que le surendettement qui les frappe n’est pas le résultat d’un comportement irresponsable, mais bien du fait que les salaires ne permettent pas de faire face aux besoins élémentaires. D’après l’agence Reuter, aux États-Unis, depuis 2007, « les crédits renouvelables (automobile, université...) ont progressé de 11,2% à 1.670 milliards de dollars : la plus forte hausse mensuelle enregistrée depuis 2005 ! Conclusion : les ménages américains peinent à se désendetter même si leur anxiété est palpable lorsqu'ils font leurs courses. [...] Selon la Fed, la dette totale des consommateurs - crédits immobiliers inclus - a reculé de 0,4% au deuxième trimestre de 2011, à 11.400 milliards de dollars. Cela ne représente qu'un repli de 8,6% par rapport au sommet historique de 12.500 milliards de dollars atteint au troisième trimestre de 2008. Cet été, la dette fédérale, inscrite à 14.300 milliards de dollars avant le relèvement de son plafond au début août, a fait trembler les marchés. Mais aux États-Unis, l'endettement des ménages fait aussi frémir les entreprises. » 
 
Si les entreprises frémissent, c’est bien parce que pour vivre décemment, normalement, les ménages n’ont pas d’autre choix que de s’endetter. Pour que les populations appauvries par la crise et les plans d’austérité continuent à absorber les marchandises qui inondent les marchés, et ainsi permettent aux industriels de réaliser leurs profits, les banques leur accordent crédit sur crédit, au risque de les rendre « insolvables ».
 
Ce mécanisme du crédit n’est pas un simple échange de bons procédés dans lequel l’intérêt serait, comme nous l’expliquent les économistes libéraux, le « salaire » du service rendu par le prêteur à l’emprunteur. Il est un formidable moyen de siphonner les richesses produites par le travail humain vers les coffres de ceux qui détiennent le quasi monopole du prêt : les banques, les compagnies d’assurances, les fonds d’investissements. Part des profits industriels, lorsqu’il s’agit d’investissements productifs, sous forme de prêts aux entreprises ; part des salaires, des revenus du travail, lorsqu’il s’agit de prêts individuels ; et encore part des salaires et des revenus, par le biais de l’impôt, lorsqu’il s’agit de dette publique...
 
Le système financier est bien l'instrument de l’accaparement de la plus-value par les classes dominantes.
 
Avoir sa part du gâteau, c’est posséder des titres de dette, des obligations, ou des titres de propriété, des actions... Mais pas besoin pour cela de prêter directement de l’argent à un débiteur quelconque. Grâce aux marchés financiers, il est possible d’acquérir des titres, de les revendre pour récupérer de l’argent afin de le placer ailleurs, sur des titres dont on espère un meilleur rendement, de meilleurs taux d’intérêts. On peut même emprunter à un taux faible pour acquérir des titres rapportant plus. Les banques bénéficient d’ailleurs en permanence d’un tel « effet de levier », puisqu’elles peuvent emprunter aux banques centrales à des taux bien inférieurs à ceux qu’elles pratiquent à leurs clients...
 
La valeur d’un titre est une anticipation sur un profit futur, elle dépend de l’estimation que font les acheteurs du profit qu’ils pensent tirer de sa possession. Les acheteurs éventuels seront d’autant plus nombreux que les perspectives de profit leurs semblent bonnes, la valeur du titre va augmenter. Par contre, que ces espoirs s’étiolent, il y a de plus en plus de vendeurs, la valeur du titre dégringole... Une aubaine pour les spéculateurs, qui vont acheter et vendre des titres, non pas dans la perspective des intérêts qu’ils pourraient en tirer à terme, mais en profitant de la fluctuation de leur valeur pour gagner de l’argent en achetant pour revendre plus cher, de façon quasiment instantanée. Cette pratique est devenue sous le nom de « trading » une activité particulièrement lucrative des banques.
 
La période de croissance qui commencé en 2003 et a conduit à l’éclatement de la crise en 2007 est avant tout une période de croissance de la dette et de ses transactions. La croissance industrielle des pays émergents a produit un accroissement des profits industriels, qui a suscité un accroissement bien plus considérable des transactions financières, autrement dit du trafic de la dette. Les perspectives de profit ont semblé illimitées aux spéculateurs. Tous les marchés financiers sont partis à la hausse. La valeur d’échange des titres s’est envolée, constituant des bulles spéculatives, au risque, comme cela s’est produit en 2007 avec l’éclatement de la crise des « subprime », de mettre tout l’édifice en péril...
 
Car si cette cavalerie financière a permis aux banques et aux holdings financières qui sont à la tête des multinationales de réaliser des profits sans précédents, elle a aussi accumulé de nouvelles contradictions : les populations endettées s’appauvrissent toujours plus, les inégalités sociales se creusent, la surproduction devient chronique. Une masse de plus en plus considérable de capitaux se détourne des investissements industriels de moins en moins rentables pour se livrer en grand à la spéculation financière, au casino des « marchés »...
 
Trois ans après Lehman Brothers, rien n’a fondamentalement changé, cette logique destructrice s’est au contraire aggravée. L’économie repose sur un océan de dettes qui ne cessent de grossir. Le système financier est à nouveau au bord du précipice, aboutissement logique d’une économie de l’endettement généralisé.
 
La crise, seul régulateur de l’économie capitaliste
 
Aujourd’hui, à nouveau, des masses de titres disséminés dans les banques et les institutions financières sont menacés de perdre toute valeur du fait de l’insolvabilité de pays comme la Grèce, mais aussi des populations endettées. Les boursicoteurs craignent de perdre leur mise, cherchent à se débarrasser de titres qu’ils estiment à risque, et déclenchent du même coup une spirale à la baisse. La capitalisation boursière s’effondre. Les bulles spéculatives se dégonflent, des milliards partent en fumée...
 
Derrière cette purge, il y a le rappel brutal que les capitaux ne peuvent pas se démultiplier autrement que par la valeur ajoutée par le travail humain. Investi dans la production d’une marchandise, le capital augmente de la valeur ajoutée par le travail humain. Une part de cette valeur ajoutée sert à payer les salaires. L’autre, la plus-value, va au capitaliste, au profit. Mais ce profit ne peut être réalisé que si la marchandise peut être vendue. Et son montant dépend de l’état de l’offre et de la demande, autrement dit de la concurrence que se font les capitalistes. Cela les pousse à baisser sans arrêt leurs coûts de production pour pouvoir baisser les prix de vente, tout en maintenant leur profit. Pour cela, il n’ont de cesse de « baisser le coût du travail ». Ce faisant, ils diminuent le pouvoir d’achat des travailleurs, la « demande solvable »... Cette « logique » de l’économie de marché conduit à la crise, à un blocage dont les capitalistes ne peuvent sortir qu’en « ajustant » l’offre à la demande, autrement dit en fermant des usines, en licenciant des travailleurs, en détruisant une partie des moyens de production. Cette purge à pour effet de remettre le système en route. L’offre s’étant effondrée au delà de ce qui était nécessaire, les profits repartent à la hausse, le secteur auparavant touché par la crise attire à nouveau des capitaux, et ça repart pour un tour... jusqu’à la prochaine crise.
 
La crise n’est pas seulement le résultat du fonctionnement « normal » du capitalisme, elle en est l’élément régulateur. C’est à travers les crises que le capitalisme se « purge » des effets de ses contradictions, sans pour autant y échapper.
 
L’ampleur, la globalité, la force destructrice de la crise actuelle est à la mesure de l’extension prise par le capitalisme au cours de trente ans de mondialisation libérale, de concentration entre les mains d’une poignée d’oligarques financier de titres de propriété qui leur donnent le contrôle de l’économie mondiale. Alors que dans un pays riche et moderne comme les États-Unis 1 habitant sur 7 vit en dessous du seuil de pauvreté, que dans les pays les plus pauvres règnent la famine et les épidémies meurtrières, des usines ferment, des milliards sont engloutis dans les jeux des casinos boursiers...
 
Il y a un siècle et demi, Marx et Engels écrivaient, dans le Manifeste du parti communiste : « Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, - l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. - Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir... »
 
Les contradictions accumulées par le capitalisme au cours de ces dernières décennies de mondialisation libérale débouchent aujourd’hui sur une grande crise, la grande purge, seul moyen que le capitalisme connait pour « réguler » sa folle course au profit. Avec un coût humain, matériel, économique qui sera considérable...
 
A moins que les « forces productives sociales », les travailleurs, ne s’en mêlent, n’hésitant pas à mettre en cause « l'existence de la propriété bourgeoise
 
Nationaliser les banques, oui, mais pas pour les renflouer
 
Conscients que la purge est inévitable, les capitalistes, leurs représentants politiques, leurs économistes se préparent à sauver l’essentiel, c’est-à-dire les grandes institutions financières, banques, assurances, dans lesquelles se concentre l’essentiel des richesses mais aussi du pouvoir des classes dominantes. Alors que celui-ci est de plus en plus entre les mains des milieux financiers, la faillite d’une banque, bien plus qu’une perte financière, est l’expression la plus directe de la faillite politique d’une classe.
 
« Sauver les banques » est une mission politique centrale pour les États, et divers débats agitent les milieux économiques sur la façon d’y parvenir, certains économistes libéraux allant jusqu’à envisager des « nationalisations ». Pas question, bien entendu, d’exproprier les actionnaires. Il s’agirait, pour l’État d’apporter des capitaux frais (empruntés par ailleurs...) en échange d’une part plus ou moins importante d’actions. Pour d’autres, il s’agirait de « recapitaliser » les banques, autrement dit leur fournir, toujours aux frais du contribuable, les capitaux nécessaires. Les patrons des banques, pour leur part, jurent leurs grands dieux qu’ils ont les capitaux suffisants pour faire face à la situation, qu’ils n’ont besoin de rien... Il est vrai que l’annonce, il y a quelques jours, par Christine Lagarde, la nouvelle patronne du FMI, que 200 milliards d’euros seraient nécessaires pour « recapitaliser » les banques européennes, au lieu de rassurer les marchés, s’était traduite par un nouvel effondrement des Bourses...
 
Mais, quel que soit le mot, « nationalisation » ou « recapitalisation », il s’agit de renflouer, une nouvelle fois, le système bancaire, au prix d’un nouvel endettement, et cela alors même que c’est cet endettement qui est la cause de la crise. Le fait de refinancer les banques privées par le biais des banques centrales ne fait que déplacer le problème, c’est toujours, finalement, le contribuable qui paiera la facture.
 
Les candidats à la primaire du PS n’ont pas de politique différente à proposer. Aucun, même pas Montebourg, pourfendeur de la mondialisation au nom de valeurs nationales aux relents réactionnaires, ne remet en cause la nécessité de lutter contre la dette et les déficits. Royal promet de faire entrer l’État dans le capital des banques qu’il a renflouées en 2008. Montebourg envisage d’aller « un tout petit peu plus loin » dans la taxation des transactions financières (0,1% au lieu de 0,05%) et d’affecter le produit de cette taxe au paiement de la dette...
 
Mélenchon, pour sa part, renvoie à juste titre dos à dos « recapitalisation » et « nationalisation » - « Soit on leur donne de l'argent ou des garanties gratuitement, soit on nationalise leur dette, ce qui revient au même : c'est le contribuable qui paye. C'est donc deux fois la même mauvaise solution. Il est piquant de voir que les banques veulent se soustraire à la loi du marché. Qu'elles se débrouillent ! C'est à l'État de mettre en place un pôle public bancaire qui se substitue à elles pour financer l'économie » -, mais il propose en fait de laisser cohabiter deux systèmes : un secteur bancaire privé, dans lequel les spéculateurs pourraient continuer leurs jeux, « se débrouiller », et un pôle public, pour « financer l’économie »... Ces nationalisations sont du même genre que celles réalisées par Mitterrand. Elles ne peuvent aboutir qu’au même résultat : renflouer les intérêts des actionnaires. Quand à la dette, Mélenchon n’envisage même pas un moratoire et un audit, il se contente de reprendre l’idée de la taxation du capital pour financer une partie de son remboursement.
 
 « Effacer la dette » pour répondre à l’urgence sociale et démocratique
 
Pour sauver l’essentiel, les capitalistes envisagent aussi un rééchelonnement de la dette, voire de l’effacer au moins en partie, comme cela a déjà été envisagé à hauteur de 37 milliards dans le cadre de l’accord européen du 21 juillet concernant la dette grecque. C’est une part de la solution, mais une part qui, si elle ne va pas jusqu’au bout, l’annulation pure et simple de la dette, ne fait que repousser le problème sans le résoudre.
 
La première des urgences, au moment où les États consacrent à nouveau des centaines de milliards à renflouer les banques, c’est bien sûr de dire stop aux plans d’austérité, d’exiger que ces milliards soient consacrés à satisfaire les besoins de toute la population, en augmentant les salaires, en embauchant massivement dans les hôpitaux, les écoles, les services publics utiles à la population. C’est exiger l’interdiction des licenciements, exiger le partage du travail entre tous.
 
Financer de telles mesures exigent l’arrêt immédiat du remboursement de la dette publique. C’est la seule façon de sortir de la spirale de l’endettement, et cela permettrait en même temps de dégager des sommes considérables qui pourraient être utilisées immédiatement pour, par exemple, remettre à flot le système de protection de la santé détruit par la politique du gouvernement, sous prétexte de déficit chronique. Pour les classes populaires, annuler la dette est une question vitale, un obstacle à lever sur le chemin de la satisfaction des besoins sociaux les plus élémentaires.
 
Avec le développent de la crise de la dette et de ses conséquences, la défense des intérêts des travailleurs et des classes populaires, de toute la société, implique d'intervenir dans un domaine « réservé », celui de la propriété privée financière. Annuler la dette publique, c’est bien évidemment contraindre les banques, les fonds d’investissement qui en détiennent les titres à faire leur deuil du capital et des intérêts correspondants. C’est contester le pouvoir que leur confèrent leurs titres de propriété sur le capital... Aller jusqu’au bout de cette incursion, c’est exproprier les banquiers et non pas les laisser « se débrouiller », fermer les Bourses et autres marchés financiers totalement parasitaires, et transformer le système bancaire privé en un pôle bancaire public placé sous le contrôle direct de leurs employés et de la population. Ce contrôle démocratique est la seule garantie pour que les économies de millions de travailleurs ne partent pas en fumée dans la débâcle qui s’annonce.
 
Poser la question de l’urgence sociale, de la prise de contrôle démocratique du système financier par la population, c’est aussi poser la question démocratique, de qui décide dans la société, de ceux qui créent toutes les richesses par leur travail, ou de la poignée de parasites financiers dont la rapacité conduit la société à la ruine. C’est poser la nécessité d’un gouvernement des travailleurs et de la population seul capable de mettre en œuvre une telle politique.
 
Daniel Minvielle