« Trois ans après la faillite de Lehman Brothers... »
« Trois
ans après la faillite de la banque d'affaires new-yorkaise
Lehman Brothers, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts,
bien des ministres se sont réunis et reréunis, des
milliers de pages de nouvelles réglementations ont été
pondues par des crânes d'œuf. Et pourtant, comme il y a
trois ans, une atmosphère crépusculaire règne sur les
marchés financiers, les banques rechignent à se prêter les
unes aux autres, et tout le monde redoute un effondrement
soudain sans savoir vraiment d'où il viendra. Sauf que le
spectacle de la crise s'est indéniablement déplacé de
l'Amérique à l'Europe. Et que les États, emportés à leur
tour par un torrent de dettes, ne semblent plus en mesure
de pouvoir apporter des garanties crédibles... »
pouvait-on lire le 15 septembre dans l’éditorial du journal
Les Echos, bref aperçu de la situation elle-même et
de l’inquiétude qu’elle provoque dans les milieux
économiques et politiques.Et le même journal titrait ce
matin, « Bourses : la débâcle »...
A
l’origine de la déprime qui frappe les Bourses depuis un
mois et qui a fait chuter les indices de la moitié de leur
valeur se trouve effectivement la crise de la dette
européenne, la crainte qu’ont en particulier les porteurs
d’actions des banques « exposées » à un risque de faillite
de perdre leur mise, voire que ces banques fassent à leur
tour faillite. Les banques elles-mêmes rechignent à se
prêter de l’argent, une nouvelle crise du crédit
interbancaire menace...
Ces
craintes sont renforcées par le fait que la croissance est
en panne en Europe comme aux États-Unis : selon des
prévisions publiées mardi 20 par le FMI : « la prévision
de croissance mondiale est ramenée de 4,3 à 4 % pour cette
année, et de 4,5 à 4,3 % pour 2012. Le Fonds n'attend plus
que +1,5 % aux États-Unis cette année, et +1,6 % dans la
zone euro ». Pas question de compter donc sur la
croissance pour combler les déficits publics aux États-Unis
et en Europe et contribuer ainsi à diminuer le poids de la
dette. Au contraire, les plans d’austérité s’ajoutent aux
effets de la crise, frappent les populations et les
appauvrissent - selon une enquête récente, aux États-Unis,
le taux de pauvreté ne cesse de s’aggraver et a atteint en
2010 15,1%, le plus haut depuis 1993. Tout cela alimente la
marche vers la récession... que certains industriels
anticipent, tel PSA, qui vient d’annoncer des « adaptations »
à la conjoncture dont les intérimaires et les salariés des
sous-traitants seront les premiers à faire les frais.
A
l’opposé, les profits des multinationales ne cessent de
croître. Bien que freinés par la crise, les résultats
globaux des entreprises du CAC40 ont progressé de 11% au
premier semestre 2011. Quant aux dividendes qui seront
versés, leur total devraient être du même niveau que l’an
dernier, 40 milliards d’euros : pas question de pénaliser
les actionnaires sous prétexte que la valeur de leurs
actions dégringole, il faut au contraire les retenir, éviter
qu’ils vendent... Aux États-Unis, les entreprises du groupe
S&P 500, (indice défini par l’agence Standard &
Poor’s qui regroupe 500 des principales entreprises US),
viennent d’annoncer des résultats records de 200 milliards
de dollars pour le seul deuxième trimestre 2011. 59
milliards sont allés aux dividendes, tandis que 109
milliards ont été consacrés par ces entreprises au rachat de
leurs propres actions pour en maintenir les cours.
Les dirigeants des grandes
puissances et des institutions financières tentent de
retarder les échéances, de « diluer » en quelque sorte les
inquiétudes des spéculateurs pour juguler la panique sur les
places boursières et monétaires. Jeudi 15, cinq banques
centrales, dont la FED et la BCE, ont mis à disposition des
banques des liquidités en dollars, ce qui a eu pour effet
immédiat de faire repartir les bourses à la hausse, valeurs
bancaires en tête. Pour un résultat de courte durée :
l’incapacité des ministres des finances européens réunis en
Pologne vendredi et samedi à trouver un accord sur le plan
d’aide à la Grèce s’est traduite, dès lundi 19, par une
nouvelle baisse, au moment où l’agence de notation Standard
& Poors dégradait la note de l’Italie.... Après quelques
jours de répit, les Bourses replongeaient à nouveau jeudi,
suite à de mauvaises nouvelles sur la situation économique
US, et alors qu’une nouvelle affaire de titres toxiques
éclatait, concernant la banque Dexia, spécialisée dans le
prêt aux collectivités locales et aux organismes publics,
dont les hôpitaux... A chaque jour son pas de plus dans la
crise.
De la purge inévitable à
l’effondrement possible
Les Echos
commentaient ainsi l’intervention des banques centrales : « Les
pompiers sont de retour. Que la date ait été ou non
choisie exprès, c'est trois ans jour pour jour après le
début de la Grande Récession, symbolisée par la faillite
de Lehman Brothers, que les banques centrales ont décidé,
hier, de jeter un grand seau d'eau froide pour refroidir
les marchés.
[...] Par son ampleur, elle dit
en creux que la finance, européenne principalement,
n'était pas loin d'un véritable accident. Nous avons eu
chaud ! Elle montre ensuite où se trouve actuellement le
pouvoir efficace : la puissance aux banques centrales ;
l'impuissance aux gouvernements, qui n'arrivent plus à se
faire entendre depuis des mois...
[...] Cette intervention, même
concertée, change-t-elle pour autant durablement la
donne ? Non, et c'est d'ailleurs l'exacte réplique de ce
que les banques centrales ont déjà fait depuis 2008. La
fièvre baisse, les médecins achètent un peu de temps, mais
le malade n'est pas guéri. Le point de départ de la crise
de ces dernières semaines n'est pas bancaire, mais
politique. C'est encore et toujours la question des dettes
souveraines, du bon mix entre le redressement des comptes
publics et la croissance, et de l'incapacité des
gouvernements à appliquer les mesures prises en commun le
21 juillet dernier, entre autres pour la Grèce. Tant
qu'une sortie par le haut ne sera pas trouvée, les
opérations commandos, fussent-elles bienvenues,
n'arriveront pas à inverser le courant ».
Les
dirigeants politiques des grandes puissances savent tous
depuis longtemps que leur politique ne fait que repousser
les échéances sans supprimer le risque de faillite de
certains pays, à commencer par la Grèce. Tout comme les
dirigeants des grandes banques savent parfaitement qu’ils
perdront une grande partie de l’argent qu’ils ont misé au
casino des marchés obligataires. Et ils entendent bien faire
payer la facture par les populations. La pression se fait
toujours plus forte pour imposer en Grèce, en Italie, etc.,
au gré des caprices des marchés obligataires, privatisations
et plans de rigueur. L’Union européenne elle-même n’est pas
en reste, puisqu’elle se prépare à réduire des 4/5ème
l’aide alimentaire aux associations caritatives qui tentent
de faire face aux conséquences de l’appauvrissement
généralisé des populations. Tandis que sous couvert de
« sauver » la Grèce, l’Irlande, le Portugal, etc., tout est
fait pour permettre aux banques de se débarrasser de leurs
obligations les plus pourries...
Ils
voudraient bien éviter un enchaînement qu’ils craignent
comme la peste, une panique boursière consécutive à
l’annonce d’une faillite de la Grèce, par exemple. Les
sommes -relativement faibles au regard du total des valeurs
qu’elles traitent- que perdraient les banques dans cette
faillite ne les mettraient certainement pas en péril. Mais
le risque est que cette perspective n’incite les porteurs
des titres de ces banques à s’en débarrasser et que ce
phénomène, alimenté par ailleurs par les craintes d’une
nouvelle récession, ne se traduise par un effet domino,
aussi bien sur les marchés des actions, en particulier
bancaires (effondrement des capitalisations boursières,
risques de rachats, etc.) que sur celui des obligations, sur
lequel les taux d’intérêt concernant les emprunts d’autres
pays, Irlande, Portugal, Espagne, Italie... s’envoleraient à
leur tour, entraînant ces pays à la faillite... Les pertes
qui en résulteraient alors pour les banques concernées
seraient sans commune mesure avec celles qui résulteraient
d’une faillite de la Grèce, et entraineraient très
certainement ces banques, à leur tour, à la faillite...
Alors
oui, une situation « pire que 2008 »... Car si en
2008, les banques minées par une accumulation de titres
dérivés des valeurs « subprime » ayant perdu toute
valeur avaient pour la plupart évité la faillite, c’était
grâce à l’intervention massive des États qui avaient injecté
des milliers de milliards de dollars et d’euros dans les
circuits financiers... au prix d’une aggravation massive
d’un endettement public qui est la cause directe de la crise
actuelle et qui rend par là même difficile une nouvelle
intervention des États, une spirale de crise dont les
maitres du monde ont bien perdu la maitrise.
L’économie
de l’endettement généralisé
Aujourd’hui, la dette publique
atteint des proportions énormes. En Grèce, elle s’élève à
169 % du PIB, et le FMI prévoit qu’elle devrait atteindre
188 % en 2013... Les « aides » de l’UE, de la BCE et du FMI,
les plans d’austérité n’y changent rien : pour payer sa
dette présente, la Grèce n’a pas d’autre solution que
d’emprunter à nouveau en l'aggravant nécessairement... En
Italie, le gouvernement multiplie les attaques contre la
population au prétexte d’enrayer les attaques spéculatives
sur sa dette, qui atteint 1900 milliards d’euros, 120 % de
son PIB... Au premier trimestre 2011, la dette de la France
s’élevait, selon l’INSEE, à 1641 milliards d’euros, à 85% du
PIB. Elle avait augmenté de pratiquement 55 milliards en un
trimestre, ce qui donne une idée de l’emballement fou de
l’endettement public. Quant aux États-Unis, leur dette, qui
approche les 15 000 milliards de dollars, de loin la plus
élevée, a dépassé en aout les 100 % du PIB...
Le FMI estime à 200 milliards
d’euros les sommes nécessaires à renflouer les banques
européennes, françaises et allemandes en particulier,
principales détentrices de la dette grecque et italienne,
pour faire face à une faillite de la Grèce et à sa cascade
de conséquences. Cela permet de se faire une idée de la
gravité de la situation, telle que l’évaluent les dirigeants
de ce monde.
Mais cette situation n’est pas un
accident de parcours, le résultat d’erreurs de gestion et de
manque de prévoyance comme certains nous l’expliquent. Elle
est l’aboutissement logique de trente ans de mondialisation
libérale. Le crédit est un des rouages essentiels du
capitalisme. Il est au cœur du système de production : les
investissements nécessaires à celle-ci précédent
nécessairement la vente des marchandises, et c’est en les
empruntant à une banque ou en les « levant » sur des marchés
financiers qu’un industriel peut se procurer les capitaux
nécessaires, qu’il remboursera, avec intérêt, lorsqu’il aura
réalisé son profit, c’est-à-dire vendu sa production.
L’endettement est aussi au centre des réseaux d’échange et
de distribution : un État, une collectivité, une personne ne
peut acheter une marchandise dont le coût dépasse ses moyens
financiers immédiats qu’en étalant le paiement dans le
temps, par le biais d’un crédit, et moyennant intérêt...
Dans
la fable, la fourmi attend d’avoir remboursé son crédit en
cours pour en prendre, éventuellement, un autre, et tout se
passe bien... La réalité est toute autre, la crise est là
pour le prouver.
Nombreux
sont les travailleurs qui savent, par expérience, que le
surendettement qui les frappe n’est pas le résultat d’un
comportement irresponsable, mais bien du fait que les
salaires ne permettent pas de faire face aux besoins
élémentaires. D’après l’agence Reuter, aux États-Unis,
depuis 2007, « les crédits renouvelables (automobile, université...) ont progressé de 11,2% à 1.670
milliards de dollars : la plus forte hausse mensuelle
enregistrée depuis 2005 ! Conclusion : les ménages
américains peinent à se désendetter même si leur anxiété
est palpable lorsqu'ils font leurs courses. [...] Selon la Fed, la dette
totale des consommateurs - crédits immobiliers inclus - a
reculé de 0,4% au deuxième trimestre de 2011, à 11.400
milliards de dollars. Cela ne représente qu'un repli de
8,6% par rapport au sommet historique de 12.500 milliards
de dollars atteint au troisième trimestre de 2008. Cet
été, la dette fédérale, inscrite à 14.300 milliards de
dollars avant le relèvement de son plafond au début août,
a fait trembler les marchés. Mais aux États-Unis,
l'endettement des ménages fait aussi frémir les
entreprises. »
Si
les entreprises frémissent, c’est bien parce que pour vivre
décemment, normalement, les ménages n’ont pas d’autre choix
que de s’endetter. Pour
que les populations appauvries par la crise et les plans
d’austérité continuent à absorber les marchandises qui
inondent les marchés, et ainsi permettent aux industriels de
réaliser leurs profits, les banques leur accordent crédit
sur crédit, au risque de les rendre « insolvables ».
Ce mécanisme du crédit n’est pas
un simple échange de bons procédés dans lequel l’intérêt
serait, comme nous l’expliquent les économistes libéraux, le
« salaire » du service rendu par le prêteur à l’emprunteur.
Il est un formidable moyen de siphonner les richesses
produites par le travail humain vers les coffres de ceux qui
détiennent le quasi monopole du prêt : les banques, les
compagnies d’assurances, les fonds d’investissements. Part
des profits industriels, lorsqu’il s’agit d’investissements
productifs, sous forme de prêts aux entreprises ; part des
salaires, des revenus du travail, lorsqu’il s’agit de prêts
individuels ; et encore part des salaires et des revenus,
par le biais de l’impôt, lorsqu’il s’agit de dette
publique...
Le système financier est bien l'instrument de l’accaparement de
la plus-value par les classes dominantes.
Avoir sa part du gâteau, c’est
posséder des titres de dette, des obligations, ou des titres
de propriété, des actions... Mais pas besoin pour cela de
prêter directement de l’argent à un débiteur quelconque.
Grâce aux marchés financiers, il est possible d’acquérir des
titres, de les revendre pour récupérer de l’argent afin de
le placer ailleurs, sur des titres dont on espère un
meilleur rendement, de meilleurs taux d’intérêts. On peut
même emprunter à un taux faible pour acquérir des titres
rapportant plus. Les banques bénéficient d’ailleurs en
permanence d’un tel « effet de levier », puisqu’elles
peuvent emprunter aux banques centrales à des taux bien
inférieurs à ceux qu’elles pratiquent à leurs clients...
La valeur d’un titre est une
anticipation sur un profit futur, elle dépend de
l’estimation que font les acheteurs du profit qu’ils pensent
tirer de sa possession. Les acheteurs éventuels seront
d’autant plus nombreux que les perspectives de profit leurs
semblent bonnes, la valeur du titre va augmenter. Par
contre, que ces espoirs s’étiolent, il y a de plus en plus
de vendeurs, la valeur du titre dégringole... Une aubaine
pour les spéculateurs, qui vont acheter et vendre des
titres, non pas dans la perspective des intérêts qu’ils
pourraient en tirer à terme, mais en profitant de la
fluctuation de leur valeur pour gagner de l’argent en
achetant pour revendre plus cher, de façon quasiment
instantanée. Cette pratique est devenue sous le nom de
« trading » une activité particulièrement lucrative des
banques.
La
période de croissance qui commencé en 2003 et a conduit à
l’éclatement de la crise en 2007 est avant tout une période
de croissance de la dette et de ses transactions. La
croissance industrielle des pays émergents a produit un
accroissement des profits industriels, qui a suscité un
accroissement bien plus considérable des transactions
financières, autrement dit du trafic de la dette. Les
perspectives de profit ont semblé illimitées aux
spéculateurs. Tous les marchés financiers sont partis à la
hausse. La valeur d’échange des titres s’est envolée,
constituant des bulles spéculatives, au risque, comme cela
s’est produit en 2007 avec l’éclatement de la crise des « subprime »,
de mettre tout l’édifice en péril...
Car
si cette cavalerie financière a permis aux banques et aux
holdings financières qui sont à la tête des multinationales
de réaliser des profits sans précédents, elle a aussi
accumulé de nouvelles contradictions : les populations
endettées s’appauvrissent toujours plus, les inégalités
sociales se creusent, la surproduction devient chronique.
Une masse de plus en plus considérable de capitaux se
détourne des investissements industriels de moins en moins
rentables pour se livrer en grand à la spéculation
financière, au casino des « marchés »...
Trois
ans après Lehman Brothers, rien n’a fondamentalement changé,
cette logique destructrice s’est au contraire aggravée.
L’économie repose sur un océan de dettes qui ne cessent de
grossir. Le
système financier est à nouveau au bord du précipice, aboutissement logique d’une économie de l’endettement généralisé.
La
crise, seul régulateur de l’économie capitaliste
Aujourd’hui,
à nouveau, des masses de titres disséminés dans les banques
et les institutions financières sont menacés de perdre toute
valeur du fait de l’insolvabilité de pays comme la Grèce,
mais aussi des populations endettées. Les boursicoteurs
craignent de perdre leur mise, cherchent à se débarrasser de
titres qu’ils estiment à risque, et déclenchent du même coup
une spirale à la baisse. La capitalisation boursière
s’effondre. Les bulles spéculatives se dégonflent, des
milliards partent en fumée...
Derrière
cette purge, il y a le rappel brutal que les capitaux ne
peuvent pas se démultiplier autrement que par la valeur
ajoutée par le travail humain. Investi dans la production
d’une marchandise, le capital augmente de la valeur ajoutée
par le travail humain. Une part de cette valeur ajoutée sert
à payer les salaires. L’autre, la plus-value, va au
capitaliste, au profit. Mais ce profit ne peut être réalisé
que si la marchandise peut être vendue. Et son montant
dépend de l’état de l’offre et de la demande, autrement dit
de la concurrence que se font les capitalistes. Cela les
pousse à baisser sans arrêt leurs coûts de production pour
pouvoir baisser les prix de vente, tout en maintenant leur
profit. Pour cela, il n’ont de cesse de « baisser le coût du
travail ». Ce faisant, ils diminuent le pouvoir d’achat des
travailleurs, la « demande solvable »... Cette « logique »
de l’économie de marché conduit à la crise, à un blocage
dont les capitalistes ne peuvent sortir qu’en « ajustant »
l’offre à la demande, autrement dit en fermant des usines,
en licenciant des travailleurs, en détruisant une partie des
moyens de production. Cette purge à pour effet de remettre
le système en route. L’offre s’étant effondrée au delà de ce
qui était nécessaire, les profits repartent à la hausse, le
secteur auparavant touché par la crise attire à nouveau des
capitaux, et ça repart pour un tour... jusqu’à la prochaine
crise.
La
crise n’est pas seulement le résultat du fonctionnement
« normal » du capitalisme, elle en est l’élément régulateur.
C’est à travers les crises que le capitalisme se « purge »
des effets de ses contradictions, sans pour autant y
échapper.
L’ampleur,
la globalité, la force destructrice de la crise actuelle est
à la mesure de l’extension prise par le capitalisme au cours
de trente ans de mondialisation libérale, de concentration
entre les mains d’une poignée d’oligarques financier de
titres de propriété qui leur donnent le contrôle de
l’économie mondiale. Alors que dans un pays riche et moderne
comme les États-Unis 1 habitant sur 7 vit en dessous du
seuil de pauvreté, que dans les pays les plus pauvres
règnent la famine et les épidémies meurtrières, des usines
ferment, des milliards sont engloutis dans les jeux des
casinos boursiers...
Il
y a un siècle et demi, Marx et Engels écrivaient, dans le Manifeste
du parti communiste : « Chaque crise détruit
régulièrement non seulement une masse de produits déjà
créés, mais encore une grande partie des forces
productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui,
à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur
la société, - l'épidémie de la surproduction. La société
se trouve subitement ramenée à un état de barbarie
momentanée; on dirait qu'une famine, une guerre
d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de
subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis.
Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation,
trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de
commerce. Les forces productives dont elle dispose ne
favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise; au
contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce
régime qui alors leur fait obstacle; et toutes les fois
que les forces productives sociales triomphent de cet
obstacle, elles précipitent dans le désordre la société
bourgeoise tout entière et menacent. Le système bourgeois
est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées
dans son sein. - Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle
ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une
masse de forces productives; de l'autre, en conquérant de
nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens.
A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus
générales et plus formidables et à diminuer les moyens de
les prévenir... »
Les
contradictions accumulées par le capitalisme au cours de ces
dernières décennies de mondialisation libérale débouchent
aujourd’hui sur une grande crise, la grande purge, seul
moyen que le capitalisme connait pour « réguler » sa folle
course au profit. Avec un coût humain, matériel, économique
qui sera considérable...
A
moins que les « forces productives sociales », les
travailleurs, ne s’en mêlent, n’hésitant pas à mettre en
cause « l'existence de la propriété bourgeoise.»
Nationaliser
les banques, oui, mais pas pour les renflouer
Conscients que la purge est inévitable, les capitalistes, leurs
représentants politiques, leurs économistes se préparent à
sauver l’essentiel, c’est-à-dire les grandes institutions
financières, banques, assurances, dans lesquelles se
concentre l’essentiel des richesses mais aussi du pouvoir
des classes dominantes. Alors que celui-ci est de plus en
plus entre les mains des milieux financiers, la faillite
d’une banque, bien plus qu’une perte financière, est
l’expression la plus directe de la faillite politique d’une
classe.
« Sauver les banques » est une mission politique centrale
pour les États, et divers débats agitent les milieux
économiques sur la façon d’y parvenir, certains économistes
libéraux allant jusqu’à envisager des « nationalisations ».
Pas question, bien entendu, d’exproprier les actionnaires.
Il s’agirait, pour l’État d’apporter des capitaux frais
(empruntés par ailleurs...) en échange d’une part plus ou
moins importante d’actions. Pour d’autres, il s’agirait de
« recapitaliser » les banques, autrement dit leur
fournir, toujours aux frais du contribuable, les capitaux
nécessaires. Les patrons des banques, pour leur part, jurent
leurs grands dieux qu’ils ont les capitaux suffisants pour
faire face à la situation, qu’ils n’ont besoin de rien... Il
est vrai que l’annonce, il y a quelques jours, par Christine
Lagarde, la nouvelle patronne du FMI, que 200 milliards
d’euros seraient nécessaires pour « recapitaliser » les
banques européennes, au lieu de rassurer les marchés,
s’était traduite par un nouvel effondrement des Bourses...
Mais, quel que soit le mot, « nationalisation » ou « recapitalisation »,
il s’agit de renflouer, une nouvelle fois, le système
bancaire, au prix d’un nouvel endettement, et cela alors
même que c’est cet endettement qui est la cause de la crise.
Le fait de refinancer les banques privées par le biais des
banques centrales ne fait que déplacer le problème, c’est
toujours, finalement, le contribuable qui paiera la facture.
Les candidats à la primaire du PS n’ont pas de politique différente
à proposer. Aucun, même pas Montebourg, pourfendeur de la
mondialisation au nom de valeurs nationales aux relents
réactionnaires, ne remet en cause la nécessité de lutter
contre la dette et les déficits. Royal promet de faire
entrer l’État dans le capital des banques qu’il a renflouées
en 2008. Montebourg envisage d’aller « un tout petit peu
plus loin » dans la taxation des transactions
financières (0,1% au lieu de 0,05%) et d’affecter le produit
de cette taxe au paiement de la dette...
Mélenchon, pour sa
part, renvoie à juste titre dos à dos « recapitalisation »
et « nationalisation » - « Soit on leur donne de l'argent ou des garanties gratuitement, soit on
nationalise leur dette, ce qui revient au même : c'est le
contribuable qui paye. C'est donc deux fois la même
mauvaise solution. Il est piquant de voir que les banques
veulent se soustraire à la loi du marché. Qu'elles se
débrouillent ! C'est à l'État de mettre en place un pôle
public bancaire qui se substitue à elles pour financer
l'économie »
-, mais il propose en fait de laisser cohabiter deux
systèmes : un secteur bancaire privé, dans lequel les
spéculateurs pourraient continuer leurs jeux, « se
débrouiller », et un pôle public, pour « financer
l’économie »... Ces nationalisations sont du même
genre que celles réalisées par Mitterrand. Elles ne peuvent
aboutir qu’au même résultat : renflouer les intérêts des
actionnaires. Quand à la dette, Mélenchon n’envisage même
pas un moratoire et un audit, il se contente de reprendre
l’idée de la taxation du capital pour financer une partie de
son remboursement.
« Effacer
la dette » pour répondre à l’urgence sociale et
démocratique
Pour sauver
l’essentiel, les capitalistes envisagent aussi un
rééchelonnement de la dette, voire de l’effacer au moins en
partie, comme cela a déjà été envisagé à hauteur de 37
milliards dans le cadre de l’accord européen du 21 juillet
concernant la dette grecque. C’est une part de la solution,
mais une part qui, si elle ne va pas jusqu’au bout,
l’annulation pure et simple de la dette, ne fait que
repousser le problème sans le résoudre.
La première des urgences, au moment
où les États consacrent à nouveau des centaines de milliards
à renflouer les banques, c’est bien sûr de dire stop aux
plans d’austérité, d’exiger que ces milliards soient
consacrés à satisfaire les besoins de toute la population,
en augmentant les salaires, en embauchant massivement dans
les hôpitaux, les écoles, les services publics utiles à la
population. C’est exiger l’interdiction des licenciements,
exiger le partage du travail entre tous.
Financer de telles mesures exigent
l’arrêt immédiat du remboursement de la dette publique.
C’est la seule façon de sortir de la spirale de
l’endettement, et cela permettrait en même temps de dégager
des sommes considérables qui pourraient être utilisées
immédiatement pour, par exemple, remettre à flot le système
de protection de la santé détruit par la politique du
gouvernement, sous prétexte de déficit chronique. Pour
les classes populaires, annuler la dette est une question
vitale, un obstacle à lever sur le chemin de la
satisfaction des besoins sociaux les plus élémentaires.
Avec le développent de la crise de
la dette et de ses conséquences, la défense des intérêts des
travailleurs et des classes populaires, de toute la société,
implique d'intervenir dans un domaine « réservé », celui de
la propriété privée financière. Annuler la dette publique,
c’est bien évidemment contraindre les banques, les fonds
d’investissement qui en détiennent les titres à faire leur
deuil du capital et des intérêts correspondants. C’est
contester le pouvoir que leur confèrent leurs titres de
propriété sur le capital... Aller jusqu’au bout de cette
incursion, c’est exproprier les banquiers et non pas les
laisser « se débrouiller », fermer les Bourses et
autres marchés financiers totalement parasitaires, et
transformer le système bancaire privé en un pôle bancaire
public placé sous le contrôle direct de leurs employés et de
la population. Ce contrôle démocratique est la seule
garantie pour que les économies de millions de travailleurs
ne partent pas en fumée dans la débâcle qui s’annonce.
Poser la question de l’urgence
sociale, de la prise de contrôle démocratique du système
financier par la population, c’est aussi poser la question
démocratique, de qui décide dans la société, de ceux qui
créent toutes les richesses par leur travail, ou de la
poignée de parasites financiers dont la rapacité conduit la
société à la ruine. C’est poser la nécessité d’un
gouvernement des travailleurs et de la population seul
capable de mettre en œuvre une telle politique.
Daniel
Minvielle