Pour que le 11 octobre contribue à organiser la riposte contre l’austérité
La manifestation du 27
septembre de l’Éducation nationale contre les suppressions
de postes a été un succès : 165 000 manifestants dans le
pays, du public et du privé, avec des taux de grévistes de
54 % dans le primaire et de 46 % dans les collèges et
lycées. Les salariés de l'éducation nationale, excédés par
la profonde dégradation de leurs conditions de travail, sont
descendus nombreux dans la rue pour dénoncer les 16 000
suppressions de postes de cette année et les 14 000 prévues
pour l'année prochaine.
Face aux manifestants, Châtel
a répondu que la dette de l’État impose de poursuivre la
politique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux
partants à la retraite. Sarkozy lui a emboité le pas, sur le
terrain de la démagogie anti-fonctionnaires, en déclarant
que les emplois importants, « ce ne sont pas les emplois
de la fonction publique, c'est les emplois de l'industrie,
de l'entreprise, ceux exposés à la concurrence »...
Oubliant bien vite les nombreux précaires de l'Éducation
nationale que le gouvernement vient de mettre à la rue !
Tous les moyens de chantage
sont bons pour tenter d’intimider et de culpabiliser les
enseignants, comme l’ensemble des salariés. Les déclarations
démagogiques sur la fin de « l’État Providence »
tournent en boucle, comme si la dette était creusée par « trop »
de services publics.
Cela fait des années que
l’État supprime des postes en masse : près de 80 000 depuis
2005 rien que dans l’Éducation nationale ! Quant à la dette,
loin de se réduire, elle s’est littéralement envolée lors de
la crise financière de 2008, lorsque l’État est venu au
secours des banques. Aujourd’hui, ce sont les mêmes
financiers qui réclament des intérêts de 40 milliards
d’euros, soit l’équivalent justement du budget de
l’Éducation nationale !
Mais la démagogie et le
chantage que tentent d’exercer Sarkozy et ses ministres ne
font pas recette, tellement ils sont déconsidérés, noyés
dans les affaires de fric, de valises et de corruption.
Beaucoup de salariés se sentaient profondément solidaires
des enseignants, conscients de la dégradation de l’école,
des fermetures de classe, mais aussi du fait que les
salariés de l’Éducation nationale se battent contre la même
politique menée actuellement dans les entreprises.
Si les travailleurs, les
équipes militantes discutent de la crise du capitalisme, de
la dette et de la politique du gouvernement pour nous la
faire payer, il y a une vraie difficulté à envisager une
continuité de cette journée du 27 septembre avec celle du 11
octobre, en grande partie à cause de la timidité politique
de l’intersyndicale.
Des directions syndicales
en rupture avec Sarkozy… mais toujours disponible au
dialogue social
Au mois d’aout,
l’intersyndicale réclamait « une véritable concertation
sociale avec le gouvernement et le patronat pour examiner
les mesures à prendre pour soutenir la croissance,
soutenir l’emploi et réduire la dette tout en garantissant
la cohésion sociale »… pendant que le gouvernement
annonçait sa politique d’austérité ! Devant la fin de
non-recevoir de celui-ci, la « concertation sociale »
a disparu du communiqué du 1er septembre, mais le
fond de leur politique reste sur ce même terrain du dialogue
social et pas sur celui de la lutte et du rapport de force
pour imposer notre refus de payer la facture des
capitalistes. Sans objectif clair, la rencontre du 15
septembre n’a même pas abouti à un appel commun, la CFDT se
refusant à toute référence à la grève ou à un arrêt de
travail.
Au-delà de la question des
modalités de l’appel, l’intersyndicale reste surtout
totalement silencieuse sur la question de la dette de
l’État, reprenant la plateforme de… 2009 comme si rien ne
s’était passé depuis. Comment faire l’impasse sur une telle
question, alors que toute la politique du pouvoir, et de
ceux qui y postulent pour 2012, est dictée par le paiement
d’une dette complètement illégitime ?
La question ne peut être
réduite à une prétendue « unité » par le bas, qui imposerait
de s’aligner sur la politique de la CFDT. Les positions
actuelles de la CGT s’inscrivent totalement dans cette
politique. Dans
un tract confédéral contre le pacte « Euro plus », celle-ci
explique : « pour la CGT, il n’est pas question d’ignorer
la question de la dette publique, sa charge pesant
lourdement sur le budget de l’Etat et sa capacité à
financer les dépenses utiles. Cependant, la réduction de
la dette et du déficit doit s’appuyer sur une politique
(notamment industrielle) de croissance créant des emplois
qualifiés, bien rémunérés et stables. De meilleurs
services de santé, de la recherche-développement de bon
niveau, des investissements dans les infrastructures
contribueraient à cette politique ambitieuse ». La
légitimité de la dette n’est même pas remise en cause et les
« propositions » de la CGT, sur la « croissance », les
salaires ou un « plan industriel » sont ainsi présentées
comme la meilleure méthode pour la rembourser. Comme si
l’Etat était neutre dans la guerre de classe qui se mène
aujourd’hui pour rétablir le taux de profit à tout prix.
Comme s’il n’était pas au service des intérêts des
capitalistes, quand il démantèle les services publics, quand
il s’attaque aux retraites, à la santé, etc. De même, la question des salaires ne se
pose pas comme une « proposition » qui pourrait résoudre la
crise par en haut, en favorisant le retour de la
« croissance » et en mettant un peu d’huile dans les rouages
du capitalisme. Au contraire, elle se pose exclusivement en
termes de rapport de force global, entre les travailleurs et
les classes dominantes. Il s’agit aujourd’hui d’affirmer
toute la légitimité de la lutte pour les augmentations de
salaires, pour l’échelle mobile, en formulant une politique
pour la convergence des différentes grèves qui éclatent sur
ces revendications.
Dans la même veine, Nasser
Mansouri-Guilani, économiste de la CGT, déclare à propos de
la dette : « L’approche libérale conçoit par définition
l’endettement public comme mauvais. Mais la dette peut
aussi être liée aux investissements qui permettent de
créer des richesses bien supérieures au coût de
l’endettement sur le long terme. Tout dépend donc de la
nature de l’endettement. Il ne faut pas oublier que plus
l’endettement est élevé, plus les charges d’intérêt le
sont aussi. Il faut donc bien distinguer le bon et le
mauvais endettement ».
Certes, mais cela ne répond
pas du tout à la question de à qui on emprunte et pour payer
qui ? Les récents déboires de municipalités grévées par des
prêts « toxiques » en sont l’illustration. Même s’ils ont pu
servir à financer des infrastructures utiles à la
population, les fameux prêts à taux variables « vendus » aux
communes par Dexia, avec bien souvent la bénédiction de
l’Etat, n’en demeurent pas moins illégitimes. Par le jeu des
spéculations, les taux d’intérêts de ces prêts s’envolent
depuis 2008, atteignant parfois plus de 24 % ! Exiger
l’annulation de la dette, c’est refuser que la population,
l’Etat avec de l’argent public, ne payent pour ce vol.
Le refus des directions
syndicales de dénoncer l’illégitimité de la dette et de
réclamer son annulation traduit bien leur volonté de rester
sur le terrain du « dialogue social ». Avec Sarkozy, la
chose est devenue plus compliquée depuis les retraites, mais
avec son successeur en 2012, tout peut recommencer…
Chérèque l’exprime
clairement : « Il y a eu deux périodes dans ce
quinquennat. Une première, au cours de laquelle Nicolas
Sarkozy a respecté les règles de la démocratie sociale en
tenant compte des négociations entre syndicats et patronat
avant de soumettre les projets de réformes au législateur
(représentativité, réforme du marché du travail, la
formation professionnelle ou encore l'assurance chômage).
Puis est arrivée la réforme des 35 heures, qu'il a voulu
imposer de force. A partir de cet instant, la confiance
s'est rompue. S'en est suivie celle des retraites, « trop
importante pour que les syndicats s'en occupent », puis
des projets de loi qui partaient dans tous les sens ».
Pas étonnant que la CFDT répète sur tous les tons, à propos
de la journée du 11 octobre, que la grève ne sert à rien.
Pour la CGT, l’enjeu du 11
octobre est quelque peu différent. Thibault fait même le
tour de France pour mobiliser, en même temps qu’il fait
campagne pour les élections professionnelles de la Fonction
publique du 20 octobre… Ne craignant pas d’être débordé,
contrairement à l’année dernière lors de la lutte pour les
retraites, l’appareil appelle à faire grève pour que la
journée soit un succès.
Mais l’objectif relève
davantage de calculs pour savoir quel syndicat sera
l’interlocuteur privilégié d’un probable gouvernement
d’alternance après 2012. D’autant que la CGT est en
concurrence avec la CFDT sur ce terrain. Cette dernière a
déjà posé des jalons, en participant par exemple au projet
du PS sur les retraites (lequel a voté le passage aux 42,5
annuités avec la droite l’an dernier). Hollande, s’est ainsi
flanqué d’un conseiller, Bontems, ex numéro deux de la CFDT.
Celui-ci a mis en place une « cellule sociale » de 70
membres, dont une bonne moitié de syndicalistes
essentiellement de la CFDT, de l’UNSA, mais avec également
une participation de la CGT. De même, Aubry cultive ses
bonnes relations avec la CGT où elle a toujours eu de « solides
contacts » ainsi qu’avec FO et Mailly, qui vante sa «
franchise » et son « opiniâtreté ».
Mais si les directions
syndicales sont dans l’attente des futures combinaisons au
pouvoir, l’offensive du gouvernement et des capitalistes
pousse les travailleurs à riposter sans attendre, malgré les
pressions qu’exerce la dégradation globale de la situation.
Sans illusions sur 2012,
lutter contre l’austérité
Côté gouvernement, le plan
d’austérité est en marche. Le budget 2012 de l’Etat prévoit
ainsi 30 400 suppressions d'emplois, soit près de 150 000
depuis 2007. Pécresse vient également de présenter le budget
de la Sécurité sociale, qui prévoit surtout des économies
sur le dos des assurés. Outre la contre-réforme des
retraites (138 000 départs en moins prévus, soit une
économie de 1,3 milliard), elle annonce une taxe de 1,1
milliard d'euros sur les complémentaires santé et des coupes
supplémentaires de 2,2 milliards dans les dépenses
d'assurance maladie : 450 millions au titre de « l'amélioration
de la performance à l'hôpital », 220 millions par la
baisse des indemnités journalières en cas d’arrêt-maladie
grâce au tour de passe-passe du changement de la méthode de
calcul (60 % du salaire net au lieu de 50 % du brut), etc.
Les déclarations du
gouvernement sur la « taxation » des riches sont bien une
mascarade… ils en restent à 200 millions d’euros après avoir
bénéficié de milliards de cadeaux divers !
Par contre, Fillon vient de
plaider pour la convergence avec l’Allemagne sur les
retraites en déclarant « il faudra aller vers un temps
de travail commun… vers un âge de retraite commun »…
sous-entendu 67 ans en 2030, comme cela vient d’être voté en
Allemagne. Une fois encore, cette provocation démontre bien
qu’il n’y a pas d’autre choix, pour défendre nos droits, que
l’affrontement avec ce pouvoir au service des banques et des
riches.
Dans les entreprises, les
capitalistes mènent eux aussi leur offensive. Ils
« anticipent » la baisse des ventes et de leurs profits
comme à PSA, qui vient d’annoncer 500 suppressions d’emplois
de CDI dans les 3 mois, ainsi que des centaines de
licenciements d’intérimaires, accélérant au passage sa
politique de fermeture du site d’Aulnay. Et pourtant, côté
bénéfices, tout va bien ! « Les carnets de commandes sont
plein » déclarent cyniquement le PDG Varin, PSA a 11
milliards d’euros de réserve et vient même de racheter ses
propres actions pour la bagatelle de 200 millions d’euros.
Face à cette offensive, des
ripostes ont lieu comme à Fralib contre la délocalisation du
site par Unilever, comme aux Fonderies du Poitou contre la
baisse de 23 % des salaires sous la menace d’un plan de
licenciements, comme à la raffinerie de LyondellBasell sur
l’étang de Berre, où les salariés sont en grève depuis
l’annonce de fermeture le 27 septembre. Là aussi, les
actionnaires en veulent toujours plus en voulant mettre des
salariés sur le carreau alors qu’ils ont dégagé 50 millions
de bénéfices nets rien que sur le 1er semestre !
Dans ces luttes, des équipes
militantes prennent des initiatives de convergence et de
manifestations, pour faire connaître leur lutte, mener la
bataille d’opinion ou pour appeler à la solidarité les
salariés d’un même groupe ou d’une même branche. Le 11
octobre pourrait être une journée permettant de faire
converger encore plus largement ces luttes, en mettant en
œuvre une politique dénonçant l’illégitimité des
licenciements, des baisses de salaires et de pouvoir
d’achat, etc.
Loin de la politique du
« dialogue social », incapable d’organiser le monde du
travail pour la riposte, il y a urgence à affirmer une
politique de classe, c’est-à-dire une politique qui cherche
à unifier et à redonner confiance dans la force collective
des travailleurs et dans la grève.
Rompre avec le dialogue
social quel qu’il soit sans craindre de remettre en cause
le capitalisme
Pour préparer le 11 octobre,
mais aussi pour la suite, il nous faut mener ces débats
largement dans les équipes syndicales, avec les
travailleurs. Dans le milieu CGT par exemple, bien des
militants ont envie que ça marche, refusant d’accepter la
crise comme une fatalité face à laquelle on ne peut que se
soumettre. C’est l’occasion de discuter quelle politique
face à l’offensive actuelle : attendre l’alternance de 2012,
ou ne compter que sur la lutte avec ses méthodes et ses
moyens ? Accepter de rembourser la dette en demandant
qu’elle soit un peu moins injuste ou affirmer son
illégitimité et réclamer son annulation, en osant appeler à
construire un vrai rapport de force par la grève et la rue ?
Dans nos organisations
syndicales, il nous faut débattre d’un plan d’urgence, des
mesures que le monde du travail doit imposer pour défendre
ses droits fondamentaux face à cette nouvelle étape de la
crise du capitalisme.
Interdire les licenciements,
pour ne pas laisser aux capitalistes le droit de décider de
nos vies comme à PSA, à la raffinerie de LyondellBasell ou à
Fralib. Une telle mesure est plus que légitime, quand les
patrons aggravent la crise générale du système en
« anticipant » les baisses de profits à venir. Augmenter les
salaires, imposer l’échelle mobile, car la crise vient
justement de ce trop-plein de profits qui se sont accumulés
au détriment de la part des salaires ces dernières
décennies.
De même, il ne faut pas
craindre de poser la question politique de la dette quand
l’Etat et les patrons l’utilisent largement pour imposer des
reculs importants dans les entreprises ou les services
publics. Ne pas affirmer l’illégitimité de cette dette,
creusée par le recours exclusif des Etats aux marchés
financiers pour se financer, conduit à être dominé par le
camp d’en face, par tous ceux qui répètent aujourd’hui que
« l’Etat Providence » est terminé et qu’on ne peut
que se soumettre à cette fatalité.
Mais la crise financière n’est
pas une fatalité, elle est la suite d’une politique menée
par les Etats, les institutions, la classe dominante pour
tenter en permanence de sauver le système et de maintenir
les taux de profits. C’est sur un terrain clairement
anticapitaliste, défendant les intérêts du monde du travail
face à ceux de cette aristocratie financière, que les
travailleurs pourront prendre l’offensive en osant leur
contester le droit à diriger toute la société.
Laurent
Delage