Libération, les anticapitalistes et la présidentielle...

« Mais où est passée l'extrême-gauche ? »titrait à la Une Libération du vendredi 25 novembre« LO et le NPA sont crédités de moins de 1 % des intentions de vote. Loin des 10 % que Laguiller et Besancenot totalisaient au premier tour de la présidentielle de 2002 ». Certes, la question ne part probablement pas d'une bonne intention mais elle est en elle-même incontournable. Libération fait le constat d'un fait politique incontestable, que toutes et tous les militantEs du mouvement anticapitaliste sont contraints d'analyser pour tenter d’en dégager les leçons. Et dès maintenant car les jeux ne sont pas faits, la bataille est devant nous.
 
L'article de Libération se contente d'enregistrer un fait politique, glane quelques éléments d'analyse et de compréhension d'un point de vue journalistique mais sans chercher à donner une explication cohérente à la situation qu'il décrit. Rien d’étonnant, cela revient aux militantEs. De notre capacité à dégager ces explications, à en tirer des enseignements dépend pour beaucoup ce que nous réussirons à faire dans les semaines et quelques mois qui viennent pour construire pratiquement une nouvelle perspective face à la longue période d'austérité et de régression sociale ouverte par les choix politiques des classes dominantes et de leurs États, bien au-delà de l'Europe. A travers l'urgence des tâches, ces discussions assaillent les cerveaux. Cet article se propose d’y apporter des éléments de réponse.
 
La crise, une dégradation du rapport de force
 
 « Le NPA et LO ne profitent pas de la crise », écrit Libé.En fait, il n'y a aucun automatisme entre l'accentuation de la crise et le développement du mouvement anticapitaliste. Bien au contraire même, dans un premier temps, la crise a agi de façon négative et au moins de deux points de vue : d'abord elle est l'expression d'une dégradation du rapport de force entre la classe ouvrière et les classes dominantes, ensuite, les transformations brutales qu'elle opère provoquent une crise politique y compris dans les consciences de ceux qui l'ont intellectuellement le mieux anticipée. Les vieux réflexes de pensée, d'action, hérités de la période antérieure se trouvent déstabilisés par les bouleversements sociaux en cours y compris parmi ceux qui ont la plus claire compréhension de ces phénomènes.
 
Le mouvement révolutionnaire n'y a pas échappé. L'effondrement du stalinisme combiné à l'adhésion de la social-démocratie au crédo libéral a autant ouvert de nouvelles perspectives qu'il nous a déstabilisés dans un contexte global de dégradation du rapport de force entre les classes. Il a certes créé le terrain pour qu'émerge une nouvelle force anticapitaliste mais dans un contexte de recul des consciences, au prix d'une telle pression des idées libérales et réactionnaires que le mouvement révolutionnaire n'a pas eu la force nécessaire pour franchir une étape, faire un saut qualitatif vers l'ébauche d'un parti révolutionnaire de masse.
 
Ce constat s'impose mais il ne signifie pas que d’autres choix n’étaient pas possibles, qu’une autre politique des anticapitalistes n’aurait pas permis une autre issue. De ce point de vue, il y a des enseignements à tirer des échecs des différentes tentatives qui ont été réalisées. Il ne s'agit pas de vanter a posteriori une recette, il n'y en a pas, mais de préparer la suite. Dans cette discussion se combinent des éléments qui renvoient à des facteurs pour une large part indépendants de nos propres choix ou capacités politiques. La discussion, tout en saisissant ce cadre global et son évolution, doit s'attacher à définir les erreurs ou faiblesses qui renvoient aux décisions et choix politiques des différents courants.
 
De la conquête d'une audience à la réalité des prix
 
Les quelques vingt années qui vont des suites de l'effondrement du stalinisme au début de la crise globale actuelle, conséquence de la mondialisation capitaliste et libérale, ont vu, en France, le mouvement anticapitaliste et révolutionnaire conquérir une réelle audience de masse sur le terrain électoral mais aussi à travers les mobilisations et les luttes.
 
L'année 1995 fut, de ce point de vue un tournant. Pour la première fois l'extrême-gauche rassemblait à l'élection présidentielle plus de 5% des voix sur la candidature d'Arlette Laguiller avant que le mouvement de novembre-décembre vienne rappeler avec force la vitalité de la classe ouvrière. Quatre ans plus tard, Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire faisaient, ensemble, élire cinq députés révolutionnaires au Parlement européen.
 
Cette première et vigoureuse poussée de l'extrême-gauche n'a pas su et pu déboucher sur un nouveau mouvement anticapitaliste unifié. Lutte ouvrière incapable d'offrir une perspective à l'ensemble du mouvement s'engageait dans un repli sectaire, prisonnière d'un fonctionnement antidémocratique alors que la Ligue communiste révolutionnaire était bien incapable de se dégager de ses errements passés, prisonnière des illusions d'une politique dite de recomposition à la gauche de la gauche. Les minorités qui militaient pour l'unité des révolutionnaires, en premier lieu les camarades qui animent maintenant Débat révolutionnaire, exercèrent une forte pression mais sans réussir à développer leur stratégie jusqu’à débloquer la situation.
 
En 2002, après 5 années de gouvernement de gauche, les années Jospin, une nouvelle fois, l'extrême-gauche sut exprimer les déceptions, le mécontentement, les aspirations d'une large fraction de l'électorat populaire en capitalisant plus de 10 % des voix sur les noms d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot. LO avait refusé la main tendue par la LCR, une nouvelle fois les divisions l'emportaient, divisions qui ruinaient la crédibilité de l'extrême-gauche incapable de dépasser ses rivalités, de s’unir pour défendre ensemble les large plages d’accord qui existent.
 
Dès le lendemain du deuxième tour, « le vote Chirac » face à la présence de Le Pen au second tour est venu entretenir les divisions, justifier le sectarisme de LO et entretenir au sein de la LCR les confusions.
 
Sectarisme d’un côté, confusion et manque d’indépendance vis-à-vis de la gauche de la gauche de l’autre, chacun servant à justifier l’autre, ont été les deux défauts qui expliquent l’incapacité de l’extrême-gauche à transformer la sympathie que ses idées avaient suscitée en une influence politique militante pour poser les premières pierres d’un parti des travailleurs. Là encore, notre courant n’a pas réussi à donner suffisamment de force à une politique visant à dépasser le sectarisme de Lutte ouvrière et les confusions résultant de la conception du parti large non délimité stratégiquement. En fait un tel dépassement ne pouvait et ne peut se réaliser que par un travail collectif impliquant, associant des militants venant des différentes composantes du mouvement animés de la même volonté, dans le même objectif.
 
L'extrême-gauche a su permettre au vote protestataire face aux reniements de la gauche de s'exprimer largement, elle n'a pas su aller au-delà. Elle a su jouer un rôle déterminant dans les mobilisations comme en 2003 ou au moment du CPE tout comme dans des luttes locales ou contre les licenciements, mais elle n'a pas réussi à devenir une force crédible porteuse d'un projet politique. Le poids des échecs passés y est pour beaucoup, celui des trahisons, du stalinisme, mais il ne suffit pas ou nous ne pouvons-nous en contenter.
 
Au cœur des difficultés de l'extrême-gauche, il y a le poids de son propre passé, celui d'un courant doublement marginalisé dans les pays riches à la fois par la relative paix sociale achetée par la bourgeoisie et, par son corollaire, la domination du réformisme social-démocrate ou stalinien. Un courant sans réelle influence de masse, voué aux divisions de chapelle, aux débats et exégèses des textes passés, détenteurs d’une orthodoxie au nom de laquelle il combattait les traîtres et les renégats. Le passé de la révolution russe et de la lutte contre le stalinisme a trop longtemps dominé les esprits, le marxisme devenant, souvent, la réplétion de formules plaquées sur des situations nouvelles et différentes. 
 
Malgré cela, la vitalité intellectuelle et militante du mouvement révolutionnaire lui a permis de conquérir une place importante. Aller plus loin exige de nous une nouvelle révolution culturelle. Le vote protestataire ou de méfiance vis-à-vis de la gauche est passé au second plan voire a été supplanté par le vote utile au sens où les travailleurs cherchent une réponse crédible, une perspective dont ils puissent s'emparer, un vote qui soit un acte politique le plus efficace possible.
 
La crise pose les problèmes à un tel niveau que soit les électeurs n'y croient plus et rallient le camp des abstentionnistes soit ils votent pour ceux qui leur apparaissent comme apporter une réponse. Sur ce terrain nous ne sommes pas encore crédibles parce que nous ne sommes pas crédibles comme parti.
 
Le NPA, une réponse à la recherche d'une stratégie
 
La fondation du NPA a, dans ce contexte, été un réel espoir, le début d'une nécessaire révolution et de ce fait elle a suscité une réelle mobilisation. Elle répondait enfin au besoin de créer un cadre militant ouvert tant à la nouvelle génération qu'aux militants rompant avec les vieux appareils et leur politique réformiste, un cadre d'éducation collective, de débat à travers lequel il s'agissait de dégager une conscience politique commune, une vision stratégique.
 
Malheureusement, il n'a pas suffi de créer le NPA pour combler le vide stratégique de l'extrême gauche, pour formuler une orientation dépassant le sectarisme révolutionnariste de LO et la confusion stratégiquement non délimitée de la LCR.
 
Le noyau moteur de la direction n'ayant pas la force, les compétences, de porter, de diriger ce débat, il s'est adapté aux fluctuations des rapports de force. Certains firent même un moment la théorie de cette absence de stratégie au nom d'une idée aussi nouvelle qu'étrange, celle du parti à l'image de la société.
 
Cette confusion a totalement désarmé le parti d'abord quand se sont formés le Parti de gauche et le Front de gauche puis avec la question de la candidate voilée. Nous n'avons su ni affirmer une orientation claire en réponse au Front de gauche ni gérer la question du voile pour affirmer le féminisme comme un élément essentiel de l'émancipation. La vision d'un parti à l'image de la société venait justifier les adaptations passives et privait le parti de sa colonne vertébrale, ce qui le structure, une stratégie.
 
La confrontation avec le Front de gauche
 
Le premier point sur lequel les anticapitalistes ont perdu par rapport aux antilibéraux, c'est leur incapacité à unifier, regrouper, créer une dynamique autour d'une orientation stratégique. Le Front de gauche a de fait été un rassemblement mettant en œuvre la dynamique que crée ce genre de démarche quand elle s’inscrit dans un cadre suffisamment large pour laisser à chacun l'espace nécessaire. Les réformistes avaient ce cadre, nous n’avons, nous, su créer le nôtre qu’un court instant pour rapidement abandonner le terrain.
 
Le NPA n’a ni pu ni su. Il n’a pas pu parce qu’il s’est heurté à l’étroite réalité du mouvement anticapitaliste, au sectarisme de LO brandissant le trotskisme comme une idéologie hors du temps abandonné selon elle par la LCR. Il s'est aussi heurté à ses propres limites, l’absence de stratégie et l’incapacité de la direction à assumer ce débat tant au sein du NPA que dans les confrontations publiques.
 
C’est ce manque qui l’a paralysé dans la confrontation avec Mélenchon en particulier au moment des régionales où le débat s'est focalisé sur un point, la participation ou non aux exécutifs des conseils régionaux mais posé de façon défensive, en se justifiant plutôt que d'oser porter le débat sur le fond, le programme. Et il ne pouvait en être qu’ainsi à partir du moment où face à la stratégie de Mélenchon nous n'opposions pas clairement une autre stratégie posant la question du pouvoir.
 
Les illusions sur la recomposition et les mythes gauchistes, une double impuissance
 
Le NPA a payé un lourd tribut aux faiblesses et erreurs du passé. Il s’est trouvé en permanence soumis à la pression de deux impuissances héritées de la période antérieure :
 
-les illusions sur la recomposition à la gauche de la gauche qui ont laissé les portes ouvertes à l'influence des antilibéraux et qui nous ont paralysés face à l'offensive du Front de gauche.
 
- les mythes gauchistes, le radicalisme de la phrases, l'orthodoxie des formules qui, en voulant se protéger de la tentation réformiste, empêchent la discussion, ferment les portes à celles et ceux qui s'interrogent, se posent des questions, évoluent vers les idées anticapitalistes.
 
Notre incapacité, y compris celle de ceux qui posaient clairement le problème dont nous étions, à construire un cadre stratégique dépassant cette opposition, capable de regrouper tout en laissant à chacun l'espace et la liberté nécessaire pour faire sa propre expérience, poursuivre la dynamique, a laissé le NPA tiraillé entre ces deux forces qui se pensaient comme antagonistes au point qu'aujourd'hui les tensions sont exacerbées, le projet extrêmement affaibli. Cette faiblesse de direction, mais aussi de l'ensemble du parti, a laissé le champ libre aux luttes fractionnelles où des minorités croient détenir l'avenir du mouvement contre la majorité du mouvement lui-même.
 
Les tensions aujourd'hui se cristallisent sur la campagne présidentielle. Une forte minorité ne se reconnaît pas dans la candidature de Philippe Poutou reprochant à la majorité de s'enfermer dans une politique d'auto-affirmation du NPA et faisant, du moins au niveau de sa direction, l'impasse sur la présidentielle. La logique des illusions sur les recompositions à la gauche de la gauche va jusqu'au bout, de l'affaiblissement à la paralysie. La direction de cette nouvelle fraction publique, la Gauche anticapitaliste, se refuse à influencer la campagne de son propre parti, d’y prendre sa place, pour la critiquer publiquement en préservant des possibilités d'alliance avec des tendances du Front de gauche ou avec ce dernier lors des législatives.
 
Une telle politique vide notre projet de tout contenu, de tout dynamisme en le faisant dépendre d’alliés déjà engagés avec le PC et le PG. Elle ne répond pas aux besoins du monde du travail et de la jeunesse. Tout est pensé par en haut, du point de vue des alliances.
 
Les illusions sur la recomposition à la gauche de la gauche conduisent à la paralysie. Elles vident le projet du NPA de son contenu dynamique. Dans le même temps, la campagne présidentielle oblige l'ensemble des camarades qui s’y engagent autour du candidat du NPA à définir ensemble la place que veut occuper notre parti dans la bataille politique, à se réapproprier notre projet pour lui donner un contenu vis-à-vis du monde du travail et des classes populaires. Les mythes gauchistes s'effondrent sous la pression des nécessités de la lutte. S'ouvre alors un vaste chantier, ensemble reconstruire le projet du NPA, lui donner un contenu d'indépendance de classe unitaire et démocratique, élaborer ensemble une orientation, une politique dans le cours de l'action, en engageant toutes nos forces pour que notre camarade ouvrier candidat le devienne réellement.
 
La campagne de la présidentielle, un révélateur mais surtout une opportunité
 
La campagne en révélant nos faiblesses, les difficultés mêmes que nous rencontrons, oblige à un effort collectif pour rassembler nos forces politiques et militantes, à trouver les ressources humaines et politiques pour surmonter les obstacles, sauvegarder l'unité de notre parti dans des rapports démocratiques tout en ayant l’énergie d'imposer la présence du NPA dans la campagne pour y défendre ses idées, ses perspectives. Pour dans les faits affirmer sa propre stratégie de parti pour la transformation révolutionnaire de la société.
 
Le débat politique qui dépasse largement les frontières nationales, y compris celles de l’Europe capitaliste, oblige tous les partis à se définir par rapport à la crise, à la politique des classes dominantes, des autres forces politiques. La nécessité que dans ce débat s'affirme une force politique nouvelle portant sans compromission les intérêts des 99 % contre les 1 % qui détiennent le véritable pouvoir, celui des banques et des groupes financiers, découle de toutes les contradictions à l’œuvre dans la crise globale du capitalisme.
 
Les besoins mêmes des classes populaires définissent les grandes lignes de notre stratégie, combiner une politique pour regrouper les forces des anticapitalistes et des révolutionnaires tout en agissant quotidiennement pour unir les forces du monde du travail pour préparer la riposte dont les éléments se manifestent en permanence.
 
Il n'y a pas d'autre voie. Sa mise en œuvre suscite la discussion, les confrontations mais ce cadre devrait nous unir pour qu'une voix indépendante de la gauche libérale et de ses alliés puisse se faire entendre. Cette voix, c'est celle du candidat du NPA, de notre campagne, celle de la lutte solidaire pour réussir, progresser, construire, apprendre ensemble.
 
Yvan Lemaitre