Face au bluff et aux attaques de Sarkozy, retour sur la crise financière et la dette, leurs origines, quelle issue ?
Ceux
qui comptaient sur le discours que Sarkozy a prononcé jeudi
1er décembre à Toulon devant un parterre de
membres choisis de l’UMP pour avoir des éclaircissements sur
la situation économique et financière et les perspectives
pour sortir de la crise en auront été pour leurs frais.
Entre l’autosatisfaction et le bluff volontariste contre la
crise de la dette, ce que l’on peut retenir surtout, c’est
que la politique menée jusqu’à maintenant avec les résultats
que l’on connait sera poursuivie avec « détermination »...
Son programme, en résumé :« répondre à la crise par le
travail, par l'effort et par la maîtrise de nos dépenses ».
Alors
que la crise de la dette qui frappe l’Europe semble échapper
de plus en plus au contrôle des Etats et des instances
financières, le maître mot de leur politique est : « combattre
les déficits publics, maîtriser nos dépenses ». A
l’origine de la crise, au fait que les marchés auraient
perdu leur confiance dans la capacité des États à assumer
leurs dettes, il y aurait donc le fait que l’« on vivrait
au dessus de nos moyens » et que la seule façon d’en
sortir serait que les peuples vivent encore un peu plus...
en dessous de leurs besoins les plus élémentaires !
Sarkozy
a le culot de demander à chacun « du travail, des efforts »
pour que la France ne perde pas « la maîtrise de son
destin ». Cadeaux fiscaux aux plus riches, aides
financières et exonérations sans fin aux entreprises sous
prétexte de soutien à l’emploi alors que le chômage et la
précarité s’accompagnent, pour le monde du travail, de plans
de rigueur à répétition, il est pourtant bien clair que ni
les responsabilités, ni les aides, ni la rigueur ne sont
également partagés. La politique que mènent les
gouvernements alors que la crise ne cesse de s’aggraver est
ouvertement une politique au service des plus riches, des
sommets financiers de la bourgeoisie.
Les
mesures qui sont prises s’avèrent pourtant non seulement
incapables de faire reculer la crise de la dette mais
contribuent, au contraire à son aggravation, à sa
globalisation, comme l’illustre un rapport de l’OCDE publié
lundi 28, dans lequel les prévisions de croissance du PIB
pour 2012 dans la zone euro sont revues en nette baisse :
0,2 % contre 2 % en mai dernier. Lescauses en sont « la
spirale sur les marchés des dettes souveraines, la
confiance en berne des entreprises et des ménages qui pèse
sur la consommation et l'investissement et l'aggravation
du taux de chômage qui touche 45 millions de personnes
dans la zone euro. » L’Allemagne ne sera pas épargnée
avec un PIB qui ne progressera que de 0,6 % (0,3 % pour la
France). Pour l’OCDE, faute d'action rapide, ce
scénario pourrait basculer dans le rouge vif, jusqu'à 2 % de
récession et ni la faillite d'un État ni même la sortie de
la zone euro ne sont à exclure... Mais, dans ce même
rapport, l’OCDE ne voit pas d’autre solution que « l’assainissement
budgétaire », qui se traduirait, pour la France, par
un troisième plan de rigueur visant à « économiser » 8
milliards d’euros supplémentaires ! Autrement dit, à
accentuer les facteurs de cette récession que ce même
rapport annonce...
Mercredi
30, les six principales banques centrales, dont la BCE et la
FED, ont passé un accord permettant de mettre à la
disposition des banques européennes les capitaux en dollar
nécessaires à leur activité. Cela permettrait de surmonter
les difficultés qu’ont ces banques, du fait de leur
« exposition » aux risques de la dette publique, de se
financer directement en dollars auprès de la BCE sans passer
par le marché des changes. Mais si cette mesure a suscité
une remontée des actions des banques dans les Bourses, elle
donne aussi la mesure de la forte inquiétude qui règne dans
les milieux financiers. Cette intervention vise à éviter,
sur le marché interbancaire, une crise du crédit qui aurait
des conséquences importantes sur le financement de
l’économie, mais elle ne s’attaque en aucune façon à ce qui
constitue le foyer principal de la crise, la dette publique.
Tout
cela donne la mesure de l’impasse dans laquelle se trouvent
enfermés les dirigeants économiques et politiques au service
de la bourgeoisie : une crise qui n’est pas comme les
autres, une crise dans laquelle les mesures qui, dans les
crises précédentes, avaient permis de relancer une remontée
du cycle, une nouvelle période de croissance, agissent en
sens contraire, aggravant la crise de la dette et préparant
une nouvelle phase de récession. Cette impuissance n’est pas
le fait d’une incompétence, mais le fait de la soumission
des gouvernements aux lois du capitalisme, de leur fidélité
aux intérêts de la classe dominante, et plus précisément à
la poignée de grands patrons de la finance internationale
qui règnent sur l’économie mondiale.
Sarkozy
prétend dire la « vérité aux Français » sur la crise.
Sa vérité, celle des financiers qu’il représente n’est pas
la nôtre. Alors que l’actualité de la crise s’accélère, que
les faits et les données économiques s’accumulent,
constituant une véritable jungle, il est important d’essayer
de démêler, de mettre en évidence les mécanismes
fondamentaux qui sont à l’origine de la situation actuelle,
et définissent en même temps les possibilités de
transformations sociales, économiques, politiques permettant
de sortir de la crise.
Les
lois de l’économie, un rapport entre les classes...
Plans
de rigueur d’un côté, soutien à la finance de l’autre, la
politique des gouvernements s’inscrit dans une logique
globale d’accaparement des richesses produites par le
travail au profit des classes dominantes. Car c’est bien le
travail qui produit les richesses nouvelles, et non, comme
pourrait le laisser croire le développement monstrueux de la
finance et des transactions financières, la simple
circulation des capitaux. Et la politique actuelle des
gouvernements s’inscrit bien dans cette logique : faire en
sorte qu’une part la plus importante possible de ces
richesses transite de ceux qui les produisent vers ceux qui
dominent la société, le monde des patrons et de la finance.
Figure 1
Pour
illustrer les divers chemins pris par ces richesses, en
avoir une vision globale, on peut s’appuyer sur le diagramme
de la figure 1 qui fait apparaître, de façon schématique,
les flux de richesse qui circulent entre les principaux
pôles de la société, à partir de leur origine : leur
production par le monde du travail, composé de la grande
masse des travailleurs salariés, mais aussi des travailleurs
indépendants, du moins de leur couche inférieure constituée
de petits paysans, artisans, commerçants qui ne tirent leurs
moyens de vivre que de leur travail.
En
haut, les banques, le système financier dans son ensemble.
Entre les deux, les entreprises de production et d’échange
de biens et de services, ainsi que l’État qui joue un rôle
fondamental dans la « répartition » des richesses, plus
précisément dans leur circulation du monde du travail vers
les classes dominantes.
On
peut distinguer différentes catégories de flux :
Ceux
de l’Exploitation salariale qui partent de
l’exploitation du travail salarié, la production par les
salariés d’une valeur ajoutée qui reste la propriété de
l’entreprise en échange d’un salaire qui est la valeur de la
force de travail vendue par les salariés.
Pour
fonctionner, l’entreprise a besoin de capitaux que lui
fournit le système financier. Ce dernier attend bien
évidemment un « retour », avec bénéfice, de ses
investissements.
Ceux
de la « Redistribution » et de la fiscalité, qui
circulent vers l’État sous la forme d’impôts et de taxes, de
l’État vers le monde du travail sous la forme de diverses
prestations, services publics, santé, retraites, allocations
diverses, et de l’État vers les entreprises et les banques
sous la forme d’aides qui, comme on le sait, sont aussi
multiples que diverses et variées.
Ceux
de la Dette publique constitués des prêts des
marchés financiers à l’État et du service de cette dette.
Enfin,
ceux de la Dette privée. Cette dette concerne les
travailleurs salariés pour l’achat de biens d’équipement,
voire pour boucler les fins de mois difficiles. Elle
concerne de la même façon les travailleurs indépendants,
mais porte aussi, pour ces derniers, sur les équipements
nécessaires à leur travail (achat de matériel agricole pour
les paysans, de machines pour les artisans, etc.).
La
figure 2 fait apparaître le bilan qualitatif de chacun de
ces double flux.
Figure 2
Dans la zone Exploitation
salariale apparaît la circulation de la valeur
produite par le travail, sous forme de la plus-value, dont
l’entreprise tire son profit. Une part de ce profit est
transmise au système financier sous la forme des intérêts et
des dividendes relatifs aux investissements.
Dans
la zone « Redistribution » et fiscalité, il est
difficile de faire un bilan quantitatif. Mais deux choses
sont certaines, parce que vécues en direct par chacun au fil
des réformes et des plans d’austérité :
-
Dans la relation entre le monde du travail et l’État, la
charge fiscale ne cesse de croître alors que les services
publics sont détruits, que les prestations sociales ne
cessent de diminuer.
- Dans la relation entre l’État et les
entreprises et les banques, c’est l’inverse qui se produit.
Concernant
la Dette publique, le bilan se traduit par les
intérêts versés par l’État aux banques, une charge qui ne
cesse d’augmenter au fur et à mesure que la dette elle même
s’accroît. Ces intérêts trouvent bien évidement leur source
dans les recettes fiscales, qui évoluent sans cesse au
détriment des classes populaires. C’est l’ampleur de cette
dette qui est aujourd’hui le facteur central de la crise.
Le
dernier flux, qui correspond à la Dette privée,
complète le schéma dans le même sens. C’est une part des
salaires qui repart vers les banques comme intérêt
d’emprunts finalement destinés à compenser la faiblesse de
ces mêmes salaires, trop maigres pour permettre de vivre
décemment. Et c’est une grosse part des revenus du travail
des couches inférieures des travailleurs indépendants qui
file vers les banques et vers l’État, au point de laisser à
beaucoup de ces travailleurs à peine de quoi vivre.
Toutes
les mesures prises par les gouvernements (c’est une
politique aussi vieille que le capitalisme) visent à réduire
la part de la « redistribution » vers les plus pauvres alors
que les aides aux entreprises et aux banques se multiplient.
La législation du travail est sans arrêt soumise à des
attaques qui imposent reculs sur reculs aux droits des
travailleurs, les soumettant toujours plus au bon vouloir
des patrons. L’injustice fiscale est un véritable scandale.
La dette privée débouche sur le surendettement, une
multitude de familles contraintes à emprunter pour compenser
la faiblesse de leurs revenus sont submergées par leurs
dettes. Et une part toujours plus importante des richesses
file vers les banques sous la forme des intérêts de la dette
publique, au point que les États se retrouvent aujourd’hui
dans la situation de ne plus pouvoir rembourser leur dette,
voire acculés à la faillite.
Les
flux de richesses mis en évidence dans les diagrammes
précédents sont l’illustration de la façon dont la société
est organisée pour produire et échanger ce dont elle a
besoin pour vivre, les « lois économiques » auxquelles elle
est soumise, les rapports sociaux de classe sur lesquels
elle repose. Ils permettent également de mettre en évidence
le rôle et la nature des États.
Des
États de classe
Si
l’on fait le bilan global des flux de richesse qui
transitent par l’État, il est clair que si
« redistribution » il y a par « l’État providence », c’est
au profit essentiellement des classes dominantes et au
détriment de ceux qui produisent ces richesses, qu’ils
soient salariés, petits paysans ou artisans. L’État est
ainsi un facteur actif de l’accaparement des richesses
produites par le travail au profit des sommets de la
finance. Et cela de deux façons :
-
il est un des « tuyaux », par le biais de la fiscalité, de
la dette publique et de la « redistribution », qui conduit
ces richesses des poches des travailleurs dans les coffres
des banques.
-
il contribue activement à la guerre de classe que mène en
permanence la bourgeoisie pour tenter d’augmenter par tous
les moyens le débit de tous les flux de richesse qui montent
du monde du travail vers le système financier. Cette guerre
de classe s’accentue aujourd’hui avec la crise, sous
prétexte de réduire les déficits et de sauver le système
financier de la déroute.
Ces
deux « missions » se superposent à celle de « maintenir
l’ordre »... social. Autrement dit faire en sorte que les
rapports sociaux qui régissent la société capitaliste soient
maintenus. Si possible par soumission des populations à
l’illusion d’une « démocratie » et d’une « liberté » qui
masquent de plus en plus mal la véritable base de la
domination de classe : la propriété privée de capitaux, qui
donne à une poignée de grands actionnaires des banques et
des holdings de multinationales le contrôle de toute la
société. Et si les illusions viennent à tomber, les flics et
la justice sont là pour prendre la relève.
Avec
l’exacerbation de la crise, la véritable nature de l’État
apparaît au grand jour. Il n’est en aucune façon une entité
extérieure aux rapports sociaux, un arbitre au dessus des
classes et dont le comportement, plus ou moins équitable,
serait le fait des choix politiques et des « valeurs » des
partis au pouvoir. Il apparaît pour ce qu’il est vraiment :
une machine au service des classes dominantes, qui ne
connaît pas d’autre règle que de servir fidèlement leurs
intérêts.
Marx
et Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste :
« L'exécutif de l'État moderne n'est qu'un comité pour la
gestion des affaires communes de l'ensemble de la
bourgeoisie »... Au moment où les « marchés » imposent
ouvertement leurs solutions politiques aux États, où le
pouvoir est remis directement entre les mains des
financiers, comme en Grèce et en Italie, cette phrase n’a
jamais été aussi vraie...
Au
cœur de la lutte des classes, la lutte pour le partage de
la valeur ajoutée
La
source principale de création de richesses nouvelles est
l’exploitation salariale, qui s’étend à tous les secteurs de
l’économie. C’est pourquoi le partage de la valeur ajoutée
entre les salaires et les profits est un des enjeux centraux
de la lutte des classes entre la classe ouvrière et la
bourgeoisie. Cette lutte des classes conditionne l’histoire,
en est un des moteurs. C’est pourquoi il est utile, pour
comprendre la crise actuelle, ses origines, de revenir sur
l’histoire de ce combat qui oppose les classes dominantes
aux classes exploitées pour l’accaparement de la plus grande
part possible de la valeur ajoutée, au gré des rapports de
force sociaux.
Figure 3
La
figure 3 présente l’évolution de la part des salaires
(courbe du haut) et des profits (courbe du bas) dans la
valeur ajoutée sur la période 1949 – 2006, en France. On
remarque tout d’abord sur ces courbes la complémentarité de
la part des salaires et de celle des profits. Quand l’une
augmente, l’autre diminue. Ensuite, on peut distinguer
quatre phases.
La
première, qui s’achève au début des années 1970 est marquée
par des oscillations autour d’une valeur à peu près
constante. Au cours de la seconde, qui correspond à la crise
des années 1970, on constate une augmentation de la part des
salaires dans la valeur ajoutée. La troisième phase commence
en 1980 avec la politique de Thatcher en Angleterre, de
Reagan aux USA, puis des gouvernements d’Union de la gauche
en France. La part des salaires s’effondre au bénéfice de
celle des profits. Après 1989, on retombe sur une
oscillation autour d’une valeur constante, mais bien
inférieure à celle des années 1960.
Figure 4
La
figure 4 permet de compléter cette analyse en observant
l’évolution des taux de profit (il s’agit des profits
globaux intégrant les profits tirés de l’exploitation
salariale et ceux tirés des transactions financières), des
taux d’accumulation (investissements industriels) et des
taux de croissance dans les pays de la Triade (Amérique du
nord, pays industrialisés de l’Europe de l’ouest, pays
industrialisés asiatiques autour du Japon).
En
mettant en évidence, comme sur la figure précédente, les
dates de 1970, de 1980 et de 1989 on voit apparaître quatre
phases. La première correspond à la fin de la période de
croissance d’après guerre. Les trois courbes évoluent de la
même façon, jusqu’à un changement de tendance, en 1963-64,
de la courbe du taux de croissance. Ce pic du taux de
croissance précède de quelques années une chute de
l’ensemble des taux qui va durer une dizaine d’années,
pendant la crise des années 1970. Pendant cette période, la
chute de croissance entraîne une diminution de la valeur
ajoutée qui, combinée au fait que les salaires se
maintiennent, se traduit par l’augmentation relative de la
part des salaires observée sur la figure 3.
Ce
maintien relatif des salaires alors que tout s’effondre
n’est pas dû à une générosité particulière de la bourgeoisie
et des gouvernements de l’époque, mais bien au fait que le
rapport de force entre les travailleurs organisés et la
bourgeoisie reste en faveur des premiers dans le
prolongement de ce qu’il était depuis la fin de la guerre.
Mais, avec la crise et l’augmentation du chômage qui en
découle, comme le montre la figure 5, ce rapport des forces
va s’inverser.
Figure 5
Début
1967 le chômage était faible, touchant en France 250 000
travailleurs, 1,5 % de la population active. Mais il ne va
pas tarder à augmenter au fur et à mesure que l’économie
s’enfonce dans la crise, déclenchant une série de
mobilisations ouvrières qui se prolongeront pendant une
bonne partie des années 1970 pour tenter de s’opposer à la
casse de pans entiers de l’économie, en particulier les
mines, la métallurgie et le textile frappés de plein fouet
par la concurrence internationale. Au sortir de Mai 68, les
gouvernements qui se succèdent craignent que la montée du
chômage n’entraîne une nouvelle révolte d’ampleur. A tel
point qu’en 1974, Chirac, alors premier ministre de Giscard,
après avoir créé l’ANPE, porte l’indemnité de chômage de
50 % du salaire à 100 % pendant un an.
Mais
l’aggravation du chômage finira par entraîner une
démoralisation de la classe ouvrière qui reportera ses
espoirs pour sortir de la crise sur l’Union de la Gauche et
Mitterrand. Ce dernier est élu président en mai 1981 et son
premier ministre Mauroy annonce alors que la priorité des
priorités sera de mettre en place toutes les mesures
nécessaires pour mettre fin à la destruction des emplois...
Le résultat est clair : entre le début de 1981 et la fin de
1982, le nombre de chômeurs passe de 1 800 000 à 2 200 000.
Et le chômage continuera d’augmenter pour osciller ensuite
entre 8 et 11% de la population active.
Alors
qu’à la fin des années 1970, les taux de profits de la
bourgeoisie sont au plus bas, c’est l’installation durable
de ce chômage de masse qui offrira aux gouvernements les
conditions leur permettant de réaliser ce dont rêve la
bourgeoisie depuis la fin de la guerre : inverser le rapport
de force social à son propre avantage.
Reagan
aux États-Unis, Thatcher en Grande Bretagne lancent une
offensive d’une grande violence contre leur classe ouvrière,
et lui imposent reculs sur reculs. En France, ce sont les
gouvernements d’Union de la Gauche, puis d’alternance sous
la présidence de Mitterrand qui feront le travail. Et si les
promesses de Mauroy concernant l’emploi ne se réalisent pas,
les profits de la bourgeoisie, eux, repartent à la hausse
sur la base de « sacrifices » imposés aux
travailleurs, à qui on explique que « les profits
d’aujourd’hui seront les emplois de demain... »
Ainsi,
comme on le voit sur la figure 4, à partir de 1980, les taux
de profits et de croissance repartent à la hausse, tandis
que les taux d’accumulation sont bien plus modestes : la
croissance repose essentiellement sur l’aggravation de
l’exploitation des salariés. A partir de 1989, le taux de
croissance cesse d’augmenter, retombe et se met à osciller à
la même hauteur que le taux d’accumulation, mais les taux de
profit continuent par contre à croître de façon continue.
On
est entré dans la mondialisation libérale. Sarkozy voit dans
les raisons qui ont conduit à la crise actuelle « l'instauration,
à partir de la fin des années 70, d'une mondialisation
sans règle autre que celles qui garantissaient la liberté
du commerce ». Nous les voyons, nous, dans
l’histoire des trente dernières années, celle de reculs
continus des droits et des conditions de travail, sous la
pression d’un chômage de masse, et alors que les
travailleurs des anciens pays industrialisés subissent la
concurrence de la main d’œuvre surexploitée des pays
émergents.
C’est
une guerre de classe que le financier américain Warren
Buffett caractérisait ainsi il y a quelques années : « La
guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la
mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et
nous sommes en train de la remporter »...
Depuis,
cette guerre des classes menée par les riches a débouché sur
une nouvelle crise, dont la crise de la dette actuelle n’est
qu’un des développements.
De
la crise des années 1970 à la financiarisation de
l’économie mondiale
Car
si la « résolution » de la crise des années 1970 par
l’offensive libérale des années 1980 a permis à la
bourgeoisie de restaurer ses profits d’une façon
spectaculaire, elle n’a pas éliminé pour autant les
contradictions internes au système capitaliste. Bien au
contraire.
La
baisse des salaires associée à un chômage important dans les
anciens pays industrialisés limite la demande solvable sur
les marchés des biens et des services. Cette limitation est
un obstacle à la réalisation des profits, elle introduit un
facteur de récession, un frein aux investissements
industriels.
Car
il ne suffit pas aux industriels d’extorquer à leurs
salariés et au plus bas prix possible le maximum de valeur
ajoutée pour que cette dernière se transforme en profit et
que ces profits augmentent. Il faut aussi qu’ils puissent
réaliser ces profits, en vendant les marchandises produites
et à un prix suffisant. Alors, si la baisse des salaires et
l’aggravation des conditions d’exploitation permettent
d’augmenter la part de la plus-value dans la valeur ajoutée,
elles limitent aussi le pouvoir d’achat des travailleurs,
qui constituent, dans les sociétés industrielles, la grande
masse des consommateurs.
En
fin de compte, en diminuant la demande solvable, la baisse
des salaires aggrave la concurrence entre les vendeurs,
contribue à pousser les prix, et donc les profits à la
baisse. Les capitaux ont tendance à chercher d’autres
supports d’investissements, plus rentables, à délaisser les
investissements industriels. C’est ce qui se traduit, sur la
figure 4, par la stagnation relative des taux de croissance
et d’accumulation à partir de 1989, oscillant autour des
niveaux où les avait laissés la crise des années 1970.
Pourtant,
les profits n’en continuent pas moins de croître... Dans
cette croissance, il y a bien évidemment le résultat de la
poursuite incessante de la guerre de classe que mènent
patronat et gouvernement contre leurs propres salariés. Il y
a aussi la part des profits tirés de l’exploitation de la
main d’œuvre bon marché des pays où s’implantent les
filiales des multinationales.
Mais
il y a aussi, et pour une part de plus en plus importante,
le résultat de la spéculation qui se développe sur des
marchés financiers en expansion exponentielle. L’ouverture
des frontières à la circulation des capitaux associée au
développement des réseaux informatiques a permis aux
transactions financières de se démultiplier, de tisser leurs
liens sur l’ensemble de la planète. Ces transactions sont
pour une part, bien évidemment, la contrepartie des échanges
commerciaux de biens et de services. Mais l’essentiel, et de
loin, est porté par des transactions sur des « titres » :
titres de dette, ainsi qu’une multitude de « produits
dérivés » de ces titres de dette, devises monétaires sur les
marchés des changes, enfin titres de propriétés des
entreprises, actions, qui s’échangent en Bourse.
La
figure 6 donne une estimation des transactions
internationales pour l’année 2002.
Figure 6
On
y constate que les transactions financières correspondant
aux échanges de biens et de services (le PIB mondial) ne
représentent que 3 % du total. Cela veut dire qu’en 2002,
97 % des transactions financières on été le fait de la
spéculation financière. Depuis,
la situation n’a fait que s’accentuer.
En
2008, alors que le PIB mondial atteignait 55 000 milliards
de $, le volume des transactions financières globales
augmentait de 100 % par rapport à 2002 pour atteindre
2 200 000 milliards de $, 40 fois le PIB !
On
peut noter aussi que les transactions boursières, dont on
peut suivre en direct les aventures dans la presse et à la
télévision ne représentent, elles aussi, qu’une faible
partie de l’ensemble (4 %). Les transactions boursières ne
sont que la partie émergée de l’iceberg des transactions
financières, dont l’essentiel, et de loin, est constitué du
trafic sur les titres de dette et les devises.
Cette
prolifération des transactions financières s’accompagne
d’une croissance de la masse monétaire circulante, qui
serait de l’ordre de 10 à 15 % par an, bien au delà de
l’augmentation des flux de biens et services. Cette création
monétaire massive est le fait des banques qui, par un simple
jeu d’écriture, peuvent créer l’équivalent monétaire des
prêts qu’elles accordent sans qu’elles en aient
nécessairement les contre-valeurs en dépôt dans leurs
coffres.
De
fait, il est convenu que, pour des raisons de « prudence »,
les banques devraient détenir, en fonds propres, au moins 5
% de leurs « engagements »... En langage clair et en
remettant la proposition sur ses pieds, il faut comprendre
que sur 100 euros qu’elles « engagent » (sous formes de
prêts, assurances prises sur ces prêts, etc.), les banques
n’ont besoin d’en posséder que 5... Les 95 autres peuvent
donc être créés de toute pièce par un simple jeu d’écriture,
la mention « 100 euros que doit X » dans la colonne des
actifs équilibrant, d’un point de vue comptable et en toute
légalité, la mention « 100 euros versés à X » dans celle des
passifs...
Ce
tour de passe-passe s’accompagne de la possibilité, pour les
banques, de se financer par des emprunts très bon marché
auprès des banques centrales. Emprunter à des taux très bas
pour prêter de l’argent à des taux plus élevés et à plus
court terme n’est qu’une des ficelles qu’utilise le monde de
la finance, « l’effet de levier », pour démultiplier les
capitaux spéculatifs...
Tout
cela constitue une excroissance financière, totalement
parasitaire, dans laquelle une « industrie financière »
tente de démultiplier, par le trafic des titres de dette, de
propriété et de leurs produits dérivés, les profits issus de
l’exploitation.
Car
qui se joue en fait, sur les marchés financiers, c’est la
répartition d’une denrée raréfiée par les mesures de
régression sociale : les richesses tirées de l’exploitation
du travail. Cette répartition se fait à travers des jeux de
casino où chacun spécule sur la perspective de profit que
lui offrent les titres qu’il détient, titres qui sont des
droits à empocher une quotepart du pactole... si pactole il
y a, et en quantité suffisante.
Et
c’est bien parce que le pactole constitué par les profits
tirés de l’exploitation du travail salarié s’amenuise du
fait des politiques menées contre les « consommateurs » que,
d’une part, les attaques des gouvernements se multiplient
pour reprendre, par le biais de la dette et de la fiscalité,
une part des salaires versés et les donner en pâture aux
spéculateurs. Et que, d’autre part, ces mêmes
spéculateurs redoublent d’activité.
Les
montants vertigineux atteints par les transactions sur les
valeurs spéculatives alors que les richesses réellement
produites sont considérablement inférieures montrent
l’ampleur de la bulle spéculative qui s’est constituée dans
les marchés financiers, l’ampleur de l’écart qui s’est
constitué entre les espoirs de profits accumulés par les
spéculateurs et les richesses réellement créées.
De
la financiarisation à la crise de la dette...
Et
il suffit que la confiance des spéculateurs dans la capacité
des titres qu’ils détiennent à rapporter les profits qu’ils
espèrent vienne à manquer pour que l’équilibre de tout
l’édifice soit mis en cause. Chacun cherche alors à se
débarrasser de ses titres en les vendant, l’offre se met à
augmenter tandis que la demande baisse, une spirale
baissière s’engage, et c’est la crise.
C’est
ce qui s’est passé en 2007 avec l’effondrement du marché des
« subprimes » aux USA. En quête perpétuelle de nouveaux
clients pour placer leurs crédits, les banques s’étaient
lancées dans des prêts immobiliers à des familles pauvres,
les attirant par des taux variables, très bas au départ. Les
reconnaissances de dette issues de ces prêts avaient été
transformées en titres sur les marchés financiers,
incorporés à divers produits dérivés. Les assurances
contractées par les créanciers pour se protéger des risques
liés à l’insolvabilité des emprunteurs avaient émis leurs
propres titres... Tout cela s’était disséminé, au gré de la
spéculation financière, dans l’ensemble du système financier
mondial. Une crise du secteur immobilier américain associée
à l’augmentation brutale des taux de leurs emprunts avait
alors conduit des centaines de milliers de familles à la
rue, leur maison saisie du fait de leur incapacité à payer
leurs traites. Les titres associées à ces dettes avaient
dans le même temps perdu toute valeur, déclenchant un
véritable séisme financier international.
Les
États étaient alors intervenus massivement pour voler au
secours des banques ainsi qu’à celui des grandes entreprises
industrielles, en particulier dans le secteur automobile,
touchées par la récession.
Pour
financer ces aides massives, les États, déjà lourdement
endettés, ont contracté de nouveaux emprunts auprès de ces
mêmes marchés, de ces mêmes banques, qu’il s’agissait de
sauver. Les titres de dette publique se sont entassés de
plus belle dans les coffres des banques et se sont
disséminés dans tout le système financier par le biais de
produits dérivées, d’autant plus gonflés par la spéculation
que les placements en prêts aux États étaient réputés être
sans risque...
Une
illusion... C’est la solvabilité des États qui est
aujourd’hui mise en cause. La crise de la dette privée est
devenue la crise de la dette publique et une nouvelle
spirale baissière se déclenche sur les titres de cette
dette, et, par voie de conséquence, sur les actions des
banques qui détiennent ces titres. Parallèlement, les taux
auxquels les États peuvent emprunter ne cessent de grimper,
au gré de la perte de confiance des marchés dans leur
« solvabilité »...
Figure 7
Le
diagramme figure 7 vise à rendre intelligibles les
mécanismes, obscurs pour le commun des mortels, qui sont en
jeu dans le comportement des marchés financiers (ici les
marchés obligataires, qui traitent de dettes à long terme,
dont celles des États). L’emprunteur est déjà endetté auprès
du marché obligataire auquel il verse un remboursement dont
les intérêts dépendent d’un taux d’intérêt, fixe ou
variable, établi lors de l’émission de cet emprunt. Dans le
marché obligataire, les titres de cette dette et tous les
produits dérivés auxquels elle est associée sont l’objet
d’une spéculation qui définit la valeur de ces titres à un
moment donné. Cette valeur évolue en fonction de la loi de
l’offre et de la demande pour ces titres sur ce marché.
Comme
l’emprunteur a de nouveaux besoins de financement (du fait
d’un déficit budgétaire chronique...), il va lancer un
nouvel emprunt pour lequel il doit négocier un taux
d’intérêt. C’est ici que la « confiance du marché » dans la
« solvabilité » de l’emprunteur intervient. C’est ici
qu’interviennent les agences de notation qui attribuent des
notes (AAA, etc...) sensées donner aux marchés une
évaluation de la solvabilité des emprunteurs. Quel que soit
le jugement que l’on porte sur l’objectivité de ces
évaluations et sur la légitimité des agences de notation, le
fait est que la confiance des marchés est quelque chose de
réel, à défaut d’être rationnel. Et que toute baisse de
confiance va se traduire par deux phénomènes que l’on peut
actuellement observer en direct :
-
une hausse des taux exigés pour accorder le nouveau prêt, au
nom du fait que plus le risque est important pour
l’emprunteur, plus la rémunération de ce risque - les
intérêts - doit être importante...
-
une baisse de la valeur du titre des dettes anciennes sur
les marchés obligataires. La crainte que l’emprunteur ne
puisse rembourser sa dette pousse les détenteurs du titre à
s’en débarrasser, ce qui pousse sa valeur à la baisse...
On
voit à l’œuvre actuellement la perversion de ce système :
l’augmentation des taux pour le nouvel emprunt ne peut
qu’augmenter les difficultés financières de l’emprunteur,
dont diminuer sa solvabilité... ce qui entraine une nouvelle
chute de confiance des marchés... une hausse des taux pour
le prochain emprunt, etc...
Le
processus ne peut que s’emballer et déboucher :
-
côté emprunteur, sur l’impossibilité de contracter de
nouveaux prêts, donc de financer plus longtemps son propre
fonctionnement, ce qui conduit à plus ou moins long terme à
la faillite.
-
côté marchés, c’est-à-dire banques, à se retrouver avec,
dans ses coffres, un stock de titres qui ont perdu toute
valeur par le simple fait qu’il est impossible de trouver un
acheteur pour s’en débarrasser.
Ces
titres, aussi spéculatifs soient-ils, sont considérés comme
des « actifs » dans les comptes de la banque. Leur
dépréciation constitue une perte qui, si elle ne conduit pas
nécessairement la banque à la faillite, a pour
conséquences :
-
la baisse des actions de la banque, du fait des craintes des
actionnaires sur la solidité de cette dernière qui les
pousse à se débarrasser de leurs actions.
-
l’apparition d’une crise du crédit. La méfiance s’installe
entre institutions financières et freine les échanges
interbancaires, avec augmentation des taux sur les marchés
de la dette à court terme. Par ailleurs, les pertes subies
par les banques diminuent leur capacité à prêter de
l’argent : la crise du crédit freine les investissements
industriels, accentue les facteurs de récession économique.
Cette
crise du crédit a un effet collatéral sur les dettes en
cours, par le biais des taux variables. Certains de ces taux
sont en effet indexés sur les taux des marchés
interbancaires (marchés monétaires). Une hausse des taux sur
ces marchés entraîne inévitablement une hausse des taux
variables. C’est ce qui s’est passé pour de nombreuses
collectivités territoriales et hôpitaux endettés auprès de
Dexia. Les conséquences en ont été une hausse insupportable
des intérêts pour les emprunteurs... et la faillite de
Dexia. Autre option, tout aussi destructrice, certains taux
variables sont indexés sur les taux de change monétaires
(marché des changes), par exemple sur le taux franc
suisse/euro. Avec le développement de la crise financière,
le franc suisse est devenu une « valeur refuge » pour
certains investisseurs fuyant la Bourse et les marchés
obligataires. Poussé par l’augmentation de la demande, sa
valeur s’est envolée, entrainant dans son sillage les taux
variables qui lui étaient indexés...
La
dette publique, au secours des profits
Cette
dette publique sur le point aujourd’hui d’entraîner
l’économie dans un nouvel effondrement n’est pas le fait
d’une mauvaise gestion, d’une vie des sociétés « au
dessus de leurs moyens ». Elle est une des composantes
essentielles des mécanismes d’accaparement des richesses par
les sommets de la bourgeoisie. Et c’est bien pourquoi, pour
les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite qui
se succèdent aux gouvernements, il n’est pas question d’en
remettre le principe en cause.
L’existence
de cette dette est la conséquence de choix politiques bien
arrêtés. En France, par exemple, pendant toute une période,
la Banque de France pouvait prêter de l’argent à l’État, et
même lui faire des avances de trésorerie, autrement dit lui
prêter de l’argent sans intérêt. En janvier 1973, Giscard
d’Estain, ministre de finances du président Pompidou
(lui-même ancien directeur de la banque Rothschild), fait
voter une loi obligeant l’État à se financer auprès des
banques privées. Cette mesure s’avèrera un somptueux cadeau
fait par l’État à la grande bourgeoisie au moment où cette
dernière subit les effets de la crise des années 1970, une
façon de soutenir ses profits en reprenant dans les poches
des contribuables une part des salaires versés. Une façon
aussi de mettre en place un dispositif qui faisait alors ses
preuves dans le pillage du tiers-monde par les banques, le
FMI et la Banque mondiale, avec les conséquences dramatiques
que l’on sait.
Pas
plus qu’elle ne remet en cause aujourd’hui la nécessité
d’assumer cette dette, d’en rembourser intérêts et capital,
la gauche au pouvoir dans les années 1980 n’a pas remis
cause cette loi qui donne aux banques le monopole du crédit.
Au contraire, cette décision a été confortée lors du traité
de Maastricht (1992), puis à l’occasion du sommet de
Barcelone en 1998 (Chirac-Jospin) et étendue à la BCE et à
l’ensemble des banques centrales européennes.
Conséquence
de cette loi, la course à l’accumulation de la dette n’a pas
cessé depuis cette période, des emprunts nouveaux s’ajoutant
chaque année aux précédents pour combler des déficits...
entretenus par l’endettement !
Ainsi,
en 2010, en France, l’État a remboursé aux banques 131,7
milliards d’euros, dont 44,6 pour les intérêts et 87,1 comme
amortissement, remboursement des capitaux des emprunts
arrivés à échéance. Le déficit budgétaire pour l’année était
de 149,7 milliards (dans lequel étaient comptés les intérêts
payés cette année-là). Pour financer le remboursement des
capitaux et le déficit budgétaire, l’État a emprunté 188
milliards d’euros. Résultat : l’endettement a augmenté de
100,9 milliards. Ne pas payer le service de la dette
(intérêts + amortissement) pour l’année 2010 aurait donc
permis à l’État d’économiser 131,7 milliards d’euros. Cela
aurait permis d’éviter ce nouvel endettement de 100,9
milliards et de dégager 30,8 milliards d’excédents. De quoi
combler le trou de la sécurité sociale qui était, en 2010,
de 27 milliards...
Dans
le budget 2012, l’État a annoncé que la charge de la dette
(les intérêts remboursés) deviendra pour la première fois le
premier poste de dépense, devant l’Éducation nationale. Elle
devrait s’élever à 46,9 milliards. Mais ce qui n’apparait
pas dans les annonces publiques de l’État, c’est la part des
amortissements qui atteindront 97,3 milliards. Le service de
la dette pour 2012 passe ainsi à 144,2 milliards (12,5 de
plus qu’en 2010). Elle représente 37 %, plus d’un tiers du
budget de l’État !
La
dette ne cesse de s’accumuler, n’a pas arrêté de s’accumuler
depuis les années 1970 comme le montre le graphe figure 8
(INSEE).
Figure 8
Elle
s’accumule en valeur absolue, en milliards d’euros, comme
elle s’accumule en pourcentage du PIB, en pourcentage des
richesses produites. On constate bien évidemment une
accélération de cette accumulation à partir de 2007, début
de l’intervention massive des États au profit des banques et
des grandes entreprises. Mais le niveau d’endettement était
alors déjà très important : 1 200 milliards d’euros, 65 % du
PIB.
La
loi Giscard-Pompidou de 1973 était une mesure prise par le
gouvernement de l’époque pour assurer à la bourgeoisie un
investissement rentable pour ses capitaux au moment où
l’industrie s’enfonçait dans la crise. Elle n’est bien
évidemment pas la cause directe de la crise actuelle, mais
un élément parmi une multitude de mesures prises par des
gouvernements « navigant à vue », au gré des crises et des
rapports de force, pour maintenir les intérêts immédiats de
classes dominantes, mener la guerre des classes à leur
propre avantage.
Ces
politiques accumulées, cette guerre de classe, débouchent
aujourd’hui sur une situation inédite. Les recettes du
passé, les plans concoctés par l’Union européenne, le FMI et
la BCE pour tenter de sortir l’Europe de la crise dans
laquelle elle s’enfonce sont non seulement impuissants à
ouvrir la moindre perspective, mais en aggravent au
contraire les causes. Et le seul levier dont disposent les
États est bien de tenter de « rassurer » les marchés, pour
éviter une panique boursière et financière qui déclencherait
un effondrement brutal du château de cartes, tenter de faire
en sorte que le dégonflage de la bulle de la dette
européenne que tous savent inévitable reste un phénomène
progressif et ne se transforme pas en effondrement financier
brutal...
La
compréhension du fonctionnement des mécanismes à l’œuvre
suffit à expliquer pourquoi cette purge est inévitable, et
pourquoi aucun plan qui ne remet pas en cause le mécanisme
même de la dette, et au delà, celui de la société dans son
ensemble, ne peut qu’être impuissant à l’éviter.
Quelle
que soit la façon dont la purge se produira, les
conséquences seront terribles pour les populations. La
situation que connaît aujourd’hui le peuple grec ne peut en
donner qu’un avant goût...
Il
y a urgence à ce que les travailleurs interviennent
massivement, profitant de la crise politique profonde qui
accompagne la crise financière et économique pour inverser à
leur avantage le rapport de force social et imposer leurs
propres solutions, les seules possibles.
Construire
notre propre sortie de crise
La
mise en place de collectifs pour un audit de la dette
publique est une occasion de faire de l’agitation politique
sur le thème de la dette publique au moment même où cette
dernière, par les craintes qu’elle suscite, devient une des
préoccupations essentielles des travailleurs, la cause
essentielle des manifestations en Grèce, en Italie, en
Espagne, au Portugal, des mobilisations des indignés.
On
a pu voir comment le refus de payer le service de la dette
en 2010 aurait permis non seulement d’éviter un nouvel
endettement, mais aussi, par exemple, de combler le trou de
la sécurité sociale. Cela suffit largement a en justifier
l’idée et la légitimité politique. Un moratoire sur les
intérêts pour 2012 permettrait de dégager 46,9 milliards
d’euros, un milliard de plus que le budget de l’Éducation
nationale...
Mais
mettre en cause un tant soit peu les mécanismes de la dette,
c’est mettre en cause un des rouages essentiels de la
« pompe à finance » sur laquelle est bâtie l’économie
capitaliste, c’est mettre en cause le capitalisme lui-même.
Et
c’est pourquoi nous devons défendre, dans les collectifs
pour un audit de la dette publique, comme nous la défendons
dans nos interventions publiques, tout comme la défend
Philippe Poutou en tant que candidat du NPA à la
présidentielle, la totalité de notre politique telle que
nous l’avons définie dans « nos réponses à la crise » lors
de notre dernier congrès.
Faire
face à l’urgence sociale, c’est d’abord refuser les plans
d’austérité, exiger des salaires suffisants, permettant de
vivre décemment, indexés sur le coût de la vie, mettre fin
au chômage par la répartition du travail entre tous, mettre
fin à la casse des services publics...
Mais
se mobiliser contre les plans d’austérité, s’organiser pour
refuser de payer la crise, est aussi la seule façon, pour le
monde du travail, d’imposer ses propres réponses à la
question de la dette publique.
La
première des urgences est d’exiger, au minimum, un moratoire
sur la dette. Mais il est bien évident qu’il faut aller plus
loin : sortir de la spirale de la dette exige son annulation
pure et simple. Cela implique que l’on mette fin à la
spéculation financière et que l’on retire le contrôle du
système financier des mains de l’oligarchie financière en
l’expropriant sans indemnités ni rachat. Et que l’on
constitue à partir des banques ainsi socialisées un monopole
bancaire public placé sous le contrôle de ses propres
travailleurs et de la population. Sa fonction sera d’assurer
le financement des activités économiques utiles à la
satisfaction des besoins de la population. Ce sera aussi la
seule solution pour éviter que les économies placées dans
les banques par les travailleurs qui en ont ne fondent, du
jour au lendemain, dans un effondrement financier qui n’a
rien d’une hypothèse improbable.
Cette
lutte pour mettre un terme aux reculs sociaux et aux
exactions de la finance est indissociable de la lutte pour
la conquête de la démocratie. La mise en œuvre aussi bien
des mesures sociales que des mesures financières exige la
conquête du pouvoir politique par le monde du travail, la
mise en place de ses propres institutions politiques, de son
propre gouvernement, construit à travers ses luttes.
Un
tel plan d’urgence sociale, financière et démocratique
répond aux besoins des populations de tous les pays
européens, soumis aux mêmes plans d’austérité, à la
dictature de la même oligarchie financière, aux mêmes
menaces sociales. Au moment où l’Europe des banquiers est en
plein marasme, où certains de ses augures se demandent si
l’euro passera Noël, il représente le seul chemin vers un
véritable gouvernement européen, celui d’une Europe des
travailleurs et des peuples.
Daniel Minvielle