Face au bluff et aux attaques de Sarkozy, retour sur la crise financière et la dette, leurs origines, quelle issue ?

Ceux qui comptaient sur le discours que Sarkozy a prononcé jeudi 1er décembre à Toulon devant un parterre de membres choisis de l’UMP pour avoir des éclaircissements sur la situation économique et financière et les perspectives pour sortir de la crise en auront été pour leurs frais. Entre l’autosatisfaction et le bluff volontariste contre la crise de la dette, ce que l’on peut retenir surtout, c’est que la politique menée jusqu’à maintenant avec les résultats que l’on connait sera poursuivie avec « détermination »... Son programme, en résumé :« répondre à la crise par le travail, par l'effort et par la maîtrise de nos dépenses ».
 
Alors que la crise de la dette qui frappe l’Europe semble échapper de plus en plus au contrôle des Etats et des instances financières, le maître mot de leur politique est : « combattre les déficits publics, maîtriser nos dépenses ». A l’origine de la crise, au fait que les marchés auraient perdu leur confiance dans la capacité des États à assumer leurs dettes, il y aurait donc le fait que l’« on vivrait au dessus de nos moyens » et que la seule façon d’en sortir serait que les peuples vivent encore un peu plus... en dessous de leurs besoins les plus élémentaires !
 
Sarkozy a le culot de demander à chacun « du travail, des efforts » pour que la France ne perde pas « la maîtrise de son destin ». Cadeaux fiscaux aux plus riches, aides financières et exonérations sans fin aux entreprises sous prétexte de soutien à l’emploi alors que le chômage et la précarité s’accompagnent, pour le monde du travail, de plans de rigueur à répétition, il est pourtant bien clair que ni les responsabilités, ni les aides, ni la rigueur ne sont également partagés. La politique que mènent les gouvernements alors que la crise ne cesse de s’aggraver est ouvertement une politique au service des plus riches, des sommets financiers de la bourgeoisie.
 
Les mesures qui sont prises s’avèrent pourtant non seulement incapables de faire reculer la crise de la dette mais contribuent, au contraire à son aggravation, à sa globalisation, comme l’illustre un rapport de l’OCDE publié lundi 28, dans lequel les prévisions de croissance du PIB pour 2012 dans la zone euro sont revues en nette baisse : 0,2 % contre 2 % en mai dernier. Lescauses en sont « la spirale sur les marchés des dettes souveraines, la confiance en berne des entreprises et des ménages qui pèse sur la consommation et l'investissement et l'aggravation du taux de chômage qui touche 45 millions de personnes dans la zone euro. » L’Allemagne ne sera pas épargnée avec un PIB qui ne progressera que de 0,6 % (0,3 % pour la France). Pour l’OCDE, faute d'action rapide, ce scénario pourrait basculer dans le rouge vif, jusqu'à 2 % de récession et ni la faillite d'un État ni même la sortie de la zone euro ne sont à exclure... Mais, dans ce même rapport, l’OCDE ne voit pas d’autre solution que « l’assainissement budgétaire », qui se traduirait, pour la France, par un troisième plan de rigueur visant à « économiser » 8 milliards d’euros supplémentaires ! Autrement dit, à accentuer les facteurs de cette récession que ce même rapport annonce...
 
Mercredi 30, les six principales banques centrales, dont la BCE et la FED, ont passé un accord permettant de mettre à la disposition des banques européennes les capitaux en dollar nécessaires à leur activité. Cela permettrait de surmonter les difficultés qu’ont ces banques, du fait de leur « exposition » aux risques de la dette publique, de se financer directement en dollars auprès de la BCE sans passer par le marché des changes. Mais si cette mesure a suscité une remontée des actions des banques dans les Bourses, elle donne aussi la mesure de la forte inquiétude qui règne dans les milieux financiers. Cette intervention vise à éviter, sur le marché interbancaire, une crise du crédit qui aurait des conséquences importantes sur le financement de l’économie, mais elle ne s’attaque en aucune façon à ce qui constitue le foyer principal de la crise, la dette publique.
 
Tout cela donne la mesure de l’impasse dans laquelle se trouvent enfermés les dirigeants économiques et politiques au service de la bourgeoisie : une crise qui n’est pas comme les autres, une crise dans laquelle les mesures qui, dans les crises précédentes, avaient permis de relancer une remontée du cycle, une nouvelle période de croissance, agissent en sens contraire, aggravant la crise de la dette et préparant une nouvelle phase de récession. Cette impuissance n’est pas le fait d’une incompétence, mais le fait de la soumission des gouvernements aux lois du capitalisme, de leur fidélité aux intérêts de la classe dominante, et plus précisément à la poignée de grands patrons de la finance internationale qui règnent sur l’économie mondiale.
 
Sarkozy prétend dire la « vérité aux Français » sur la crise. Sa vérité, celle des financiers qu’il représente n’est pas la nôtre. Alors que l’actualité de la crise s’accélère, que les faits et les données économiques s’accumulent, constituant une véritable jungle, il est important d’essayer de démêler, de mettre en évidence les mécanismes fondamentaux qui sont à l’origine de la situation actuelle, et définissent en même temps les possibilités de transformations sociales, économiques, politiques permettant de sortir de la crise.
 
Les lois de l’économie, un rapport entre les classes...
 
Plans de rigueur d’un côté, soutien à la finance de l’autre, la politique des gouvernements s’inscrit dans une logique globale d’accaparement des richesses produites par le travail au profit des classes dominantes. Car c’est bien le travail qui produit les richesses nouvelles, et non, comme pourrait le laisser croire le développement monstrueux de la finance et des transactions financières, la simple circulation des capitaux. Et la politique actuelle des gouvernements s’inscrit bien dans cette logique : faire en sorte qu’une part la plus importante possible de ces richesses transite de ceux qui les produisent vers ceux qui dominent la société, le monde des patrons et de la finance.
 
 
Figure 1
 
Pour illustrer les divers chemins pris par ces richesses, en avoir une vision globale, on peut s’appuyer sur le diagramme de la figure 1 qui fait apparaître, de façon schématique, les flux de richesse qui circulent entre les principaux pôles de la société, à partir de leur origine : leur production par le monde du travail, composé de la grande masse des travailleurs salariés, mais aussi des travailleurs indépendants, du moins de leur couche inférieure constituée de petits paysans, artisans, commerçants qui ne tirent leurs moyens de vivre que de leur travail.
 
En haut, les banques, le système financier dans son ensemble. Entre les deux, les entreprises de production et d’échange de biens et de services, ainsi que l’État qui joue un rôle fondamental dans la « répartition » des richesses, plus précisément dans leur circulation du monde du travail vers les classes dominantes.
 
On peut distinguer différentes catégories de flux :
 
Ceux de l’Exploitation salariale qui partent de l’exploitation du travail salarié, la production par les salariés d’une valeur ajoutée qui reste la propriété de l’entreprise en échange d’un salaire qui est la valeur de la force de travail vendue par les salariés.
 
Pour fonctionner, l’entreprise a besoin de capitaux que lui fournit le système financier. Ce dernier attend bien évidemment un « retour », avec bénéfice, de ses investissements.
 
Ceux de la « Redistribution » et de la fiscalité, qui circulent vers l’État sous la forme d’impôts et de taxes, de l’État vers le monde du travail sous la forme de diverses prestations, services publics, santé, retraites, allocations diverses, et de l’État vers les entreprises et les banques sous la forme d’aides qui, comme on le sait, sont aussi multiples que diverses et variées.
 
Ceux de la Dette publique constitués des prêts des marchés financiers à l’État et du service de cette dette.
 
Enfin, ceux de la Dette privée. Cette dette concerne les travailleurs salariés pour l’achat de biens d’équipement, voire pour boucler les fins de mois difficiles. Elle concerne de la même façon les travailleurs indépendants, mais porte aussi, pour ces derniers, sur les équipements nécessaires à leur travail (achat de matériel agricole pour les paysans, de machines pour les artisans, etc.).
 
La figure 2 fait apparaître le bilan qualitatif de chacun de ces double flux.
 
 
Figure 2
 
Dans la zone Exploitation salariale apparaît la circulation de la valeur produite par le travail, sous forme de la plus-value, dont l’entreprise tire son profit. Une part de ce profit est transmise au système financier sous la forme des intérêts et des dividendes relatifs aux investissements.
 
Dans la zone « Redistribution » et fiscalité, il est difficile de faire un bilan quantitatif. Mais deux choses sont certaines, parce que vécues en direct par chacun au fil des réformes et des plans d’austérité :
 
- Dans la relation entre le monde du travail et l’État, la charge fiscale ne cesse de croître alors que les services publics sont détruits, que les prestations sociales ne cessent de diminuer.
 
- Dans la relation entre l’État et les entreprises et les banques, c’est l’inverse qui se produit.
 
Concernant la Dette publique, le bilan se traduit par les intérêts versés par l’État aux banques, une charge qui ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que la dette elle même s’accroît. Ces intérêts trouvent bien évidement leur source dans les recettes fiscales, qui évoluent sans cesse au détriment des classes populaires. C’est l’ampleur de cette dette qui est aujourd’hui le facteur central de la crise.
 
Le dernier flux, qui correspond à la Dette privée, complète le schéma dans le même sens. C’est une part des salaires qui repart vers les banques comme intérêt d’emprunts finalement destinés à compenser la faiblesse de ces mêmes salaires, trop maigres pour permettre de vivre décemment. Et c’est une grosse part des revenus du travail des couches inférieures des travailleurs indépendants qui file vers les banques et vers l’État, au point de laisser à beaucoup de ces travailleurs à peine de quoi vivre.
 
Toutes les mesures prises par les gouvernements (c’est une politique aussi vieille que le capitalisme) visent à réduire la part de la « redistribution » vers les plus pauvres alors que les aides aux entreprises et aux banques se multiplient. La législation du travail est sans arrêt soumise à des attaques qui imposent reculs sur reculs aux droits des travailleurs, les soumettant toujours plus au bon vouloir des patrons. L’injustice fiscale est un véritable scandale. La dette privée débouche sur le surendettement, une multitude de familles contraintes à emprunter pour compenser la faiblesse de leurs revenus sont submergées par leurs dettes. Et une part toujours plus importante des richesses file vers les banques sous la forme des intérêts de la dette publique, au point que les États se retrouvent aujourd’hui dans la situation de ne plus pouvoir rembourser leur dette, voire acculés à la faillite.
 
Les flux de richesses mis en évidence dans les diagrammes précédents sont l’illustration de la façon dont la société est organisée pour produire et échanger ce dont elle a besoin pour vivre, les « lois économiques » auxquelles elle est soumise, les rapports sociaux de classe sur lesquels elle repose. Ils permettent également de mettre en évidence le rôle et la nature des États.
 
Des États de classe
 
Si l’on fait le bilan global des flux de richesse qui transitent par l’État, il est clair que si « redistribution » il y a par « l’État providence », c’est au profit essentiellement des classes dominantes et au détriment de ceux qui produisent ces richesses, qu’ils soient salariés, petits paysans ou artisans. L’État est ainsi un facteur actif de l’accaparement des richesses produites par le travail au profit des sommets de la finance. Et cela de deux façons :
 
- il est un des « tuyaux », par le biais de la fiscalité, de la dette publique et de la « redistribution », qui conduit ces richesses des poches des travailleurs dans les coffres des banques.
 
- il contribue activement à la guerre de classe que mène en permanence la bourgeoisie pour tenter d’augmenter par tous les moyens le débit de tous les flux de richesse qui montent du monde du travail vers le système financier. Cette guerre de classe s’accentue aujourd’hui avec la crise, sous prétexte de réduire les déficits et de sauver le système financier de la déroute.
 
Ces deux « missions » se superposent à celle de « maintenir l’ordre »... social. Autrement dit faire en sorte que les rapports sociaux qui régissent la société capitaliste soient maintenus. Si possible par soumission des populations à l’illusion d’une « démocratie » et d’une « liberté » qui masquent de plus en plus mal la véritable base de la domination de classe : la propriété privée de capitaux, qui donne à une poignée de grands actionnaires des banques et des holdings de multinationales le contrôle de toute la société. Et si les illusions viennent à tomber, les flics et la justice sont là pour prendre la relève.
 
Avec l’exacerbation de la crise, la véritable nature de l’État apparaît au grand jour. Il n’est en aucune façon une entité extérieure aux rapports sociaux, un arbitre au dessus des classes et dont le comportement, plus ou moins équitable, serait le fait des choix politiques et des « valeurs » des partis au pouvoir. Il apparaît pour ce qu’il est vraiment : une machine au service des classes dominantes, qui ne connaît pas d’autre règle que de servir fidèlement leurs intérêts.
 
Marx et Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste : « L'exécutif de l'État moderne n'est qu'un comité pour la gestion des affaires communes de l'ensemble de la bourgeoisie »... Au moment où les « marchés » imposent ouvertement leurs solutions politiques aux États, où le pouvoir est remis directement entre les mains des financiers, comme en Grèce et en Italie, cette phrase n’a jamais été aussi vraie...
 
Au cœur de la lutte des classes, la lutte pour le partage de la valeur ajoutée
 
La source principale de création de richesses nouvelles est l’exploitation salariale, qui s’étend à tous les secteurs de l’économie. C’est pourquoi le partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits est un des enjeux centraux de la lutte des classes entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Cette lutte des classes conditionne l’histoire, en est un des moteurs. C’est pourquoi il est utile, pour comprendre la crise actuelle, ses origines, de revenir sur l’histoire de ce combat qui oppose les classes dominantes aux classes exploitées pour l’accaparement de la plus grande part possible de la valeur ajoutée, au gré des rapports de force sociaux.
 
 
Figure 3
 
La figure 3 présente l’évolution de la part des salaires (courbe du haut) et des profits (courbe du bas) dans la valeur ajoutée sur la période 1949 – 2006, en France. On remarque tout d’abord sur ces courbes la complémentarité de la part des salaires et de celle des profits. Quand l’une augmente, l’autre diminue. Ensuite, on peut distinguer quatre phases.
 
La première, qui s’achève au début des années 1970 est marquée par des oscillations autour d’une valeur à peu près constante. Au cours de la seconde, qui correspond à la crise des années 1970, on constate une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée. La troisième phase commence en 1980 avec la politique de Thatcher en Angleterre, de Reagan aux USA, puis des gouvernements d’Union de la gauche en France. La part des salaires s’effondre au bénéfice de celle des profits. Après 1989, on retombe sur une oscillation autour d’une valeur constante, mais bien inférieure à celle des années 1960.
 
 
Figure 4
 
La figure 4 permet de compléter cette analyse en observant l’évolution des taux de profit (il s’agit des profits globaux intégrant les profits tirés de l’exploitation salariale et ceux tirés des transactions financières), des taux d’accumulation (investissements industriels) et des taux de croissance dans les pays de la Triade (Amérique du nord, pays industrialisés de l’Europe de l’ouest, pays industrialisés asiatiques autour du Japon).
 
En mettant en évidence, comme sur la figure précédente, les dates de 1970, de 1980 et de 1989 on voit apparaître quatre phases. La première correspond à la fin de la période de croissance d’après guerre. Les trois courbes évoluent de la même façon, jusqu’à un changement de tendance, en 1963-64, de la courbe du taux de croissance. Ce pic du taux de croissance précède de quelques années une chute de l’ensemble des taux qui va durer une dizaine d’années, pendant la crise des années 1970. Pendant cette période, la chute de croissance entraîne une diminution de la valeur ajoutée qui, combinée au fait que les salaires se maintiennent, se traduit par l’augmentation relative de la part des salaires observée sur la figure 3.
 
Ce maintien relatif des salaires alors que tout s’effondre n’est pas dû à une générosité particulière de la bourgeoisie et des gouvernements de l’époque, mais bien au fait que le rapport de force entre les travailleurs organisés et la bourgeoisie reste en faveur des premiers dans le prolongement de ce qu’il était depuis la fin de la guerre. Mais, avec la crise et l’augmentation du chômage qui en découle, comme le montre la figure 5, ce rapport des forces va s’inverser.
 
 
Figure 5
 
Début 1967 le chômage était faible, touchant en France 250 000 travailleurs, 1,5 % de la population active. Mais il ne va pas tarder à augmenter au fur et à mesure que l’économie s’enfonce dans la crise, déclenchant une série de mobilisations ouvrières qui se prolongeront pendant une bonne partie des années 1970 pour tenter de s’opposer à la casse de pans entiers de l’économie, en particulier les mines, la métallurgie et le textile frappés de plein fouet par la concurrence internationale. Au sortir de Mai 68, les gouvernements qui se succèdent craignent que la montée du chômage n’entraîne une nouvelle révolte d’ampleur. A tel point qu’en 1974, Chirac, alors premier ministre de Giscard, après avoir créé l’ANPE, porte l’indemnité de chômage de 50 % du salaire à 100 % pendant un an.
 
Mais l’aggravation du chômage finira par entraîner une démoralisation de la classe ouvrière qui reportera ses espoirs pour sortir de la crise sur l’Union de la Gauche et Mitterrand. Ce dernier est élu président en mai 1981 et son premier ministre Mauroy annonce alors que la priorité des priorités sera de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la destruction des emplois... Le résultat est clair : entre le début de 1981 et la fin de 1982, le nombre de chômeurs passe de 1 800 000 à 2 200 000. Et le chômage continuera d’augmenter pour osciller ensuite entre 8 et 11% de la population active.
 
Alors qu’à la fin des années 1970, les taux de profits de la bourgeoisie sont au plus bas, c’est l’installation durable de ce chômage de masse qui offrira aux gouvernements les conditions leur permettant de réaliser ce dont rêve la bourgeoisie depuis la fin de la guerre : inverser le rapport de force social à son propre avantage.
 
Reagan aux États-Unis, Thatcher en Grande Bretagne lancent une offensive d’une grande violence contre leur classe ouvrière, et lui imposent reculs sur reculs. En France, ce sont les gouvernements d’Union de la Gauche, puis d’alternance sous la présidence de Mitterrand qui feront le travail. Et si les promesses de Mauroy concernant l’emploi ne se réalisent pas, les profits de la bourgeoisie, eux, repartent à la hausse sur la base de « sacrifices » imposés aux travailleurs, à qui on explique que « les profits d’aujourd’hui seront les emplois de demain... »
 
Ainsi, comme on le voit sur la figure 4, à partir de 1980, les taux de profits et de croissance repartent à la hausse, tandis que les taux d’accumulation sont bien plus modestes : la croissance repose essentiellement sur l’aggravation de l’exploitation des salariés. A partir de 1989, le taux de croissance cesse d’augmenter, retombe et se met à osciller à la même hauteur que le taux d’accumulation, mais les taux de profit continuent par contre à croître de façon continue.
 
On est entré dans la mondialisation libérale. Sarkozy voit dans les raisons qui ont conduit à la crise actuelle « l'instauration, à partir de la fin des années 70, d'une mondialisation sans règle autre que celles qui garantissaient la liberté du commerce ». Nous les voyons, nous, dans l’histoire des trente dernières années, celle de reculs continus des droits et des conditions de travail, sous la pression d’un chômage de masse, et alors que les travailleurs des anciens pays industrialisés subissent la concurrence de la main d’œuvre surexploitée des pays émergents.
 
C’est une guerre de classe que le financier américain Warren Buffett caractérisait ainsi il y a quelques années : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la remporter »...
 
Depuis, cette guerre des classes menée par les riches a débouché sur une nouvelle crise, dont la crise de la dette actuelle n’est qu’un des développements.
 
De la crise des années 1970 à la financiarisation de l’économie mondiale
 
Car si la « résolution » de la crise des années 1970 par l’offensive libérale des années 1980 a permis à la bourgeoisie de restaurer ses profits d’une façon spectaculaire, elle n’a pas éliminé pour autant les contradictions internes au système capitaliste. Bien au contraire.
 
La baisse des salaires associée à un chômage important dans les anciens pays industrialisés limite la demande solvable sur les marchés des biens et des services. Cette limitation est un obstacle à la réalisation des profits, elle introduit un facteur de récession, un frein aux investissements industriels.
 
Car il ne suffit pas aux industriels d’extorquer à leurs salariés et au plus bas prix possible le maximum de valeur ajoutée pour que cette dernière se transforme en profit et que ces profits augmentent. Il faut aussi qu’ils puissent réaliser ces profits, en vendant les marchandises produites et à un prix suffisant. Alors, si la baisse des salaires et l’aggravation des conditions d’exploitation permettent d’augmenter la part de la plus-value dans la valeur ajoutée, elles limitent aussi le pouvoir d’achat des travailleurs, qui constituent, dans les sociétés industrielles, la grande masse des consommateurs.
 
En fin de compte, en diminuant la demande solvable, la baisse des salaires aggrave la concurrence entre les vendeurs, contribue à pousser les prix, et donc les profits à la baisse. Les capitaux ont tendance à chercher d’autres supports d’investissements, plus rentables, à délaisser les investissements industriels. C’est ce qui se traduit, sur la figure 4, par la stagnation relative des taux de croissance et d’accumulation à partir de 1989, oscillant autour des niveaux où les avait laissés la crise des années 1970.
 
Pourtant, les profits n’en continuent pas moins de croître... Dans cette croissance, il y a bien évidemment le résultat de la poursuite incessante de la guerre de classe que mènent patronat et gouvernement contre leurs propres salariés. Il y a aussi la part des profits tirés de l’exploitation de la main d’œuvre bon marché des pays où s’implantent les filiales des multinationales.
 
Mais il y a aussi, et pour une part de plus en plus importante, le résultat de la spéculation qui se développe sur des marchés financiers en expansion exponentielle. L’ouverture des frontières à la circulation des capitaux associée au développement des réseaux informatiques a permis aux transactions financières de se démultiplier, de tisser leurs liens sur l’ensemble de la planète. Ces transactions sont pour une part, bien évidemment, la contrepartie des échanges commerciaux de biens et de services. Mais l’essentiel, et de loin, est porté par des transactions sur des « titres » : titres de dette, ainsi qu’une multitude de « produits dérivés » de ces titres de dette, devises monétaires sur les marchés des changes, enfin titres de propriétés des entreprises, actions, qui s’échangent en Bourse.
 
La figure 6 donne une estimation des transactions internationales pour l’année 2002.
 
 
Figure 6
 
On y constate que les transactions financières correspondant aux échanges de biens et de services (le PIB mondial) ne représentent que 3 % du total. Cela veut dire qu’en 2002, 97 % des transactions financières on été le fait de la spéculation financière. Depuis, la situation n’a fait que s’accentuer.
 
En 2008, alors que le PIB mondial atteignait 55 000 milliards de $, le volume des transactions financières globales augmentait de 100 % par rapport à 2002 pour atteindre 2 200 000 milliards de $, 40 fois le PIB !
 
On peut noter aussi que les transactions boursières, dont on peut suivre en direct les aventures dans la presse et à la télévision ne représentent, elles aussi, qu’une faible partie de l’ensemble (4 %). Les transactions boursières ne sont que la partie émergée de l’iceberg des transactions financières, dont l’essentiel, et de loin, est constitué du trafic sur les titres de dette et les devises.
 
Cette prolifération des transactions financières s’accompagne d’une croissance de la masse monétaire circulante, qui serait de l’ordre de 10 à 15 % par an, bien au delà de l’augmentation des flux de biens et services. Cette création monétaire massive est le fait des banques qui, par un simple jeu d’écriture, peuvent créer l’équivalent monétaire des prêts qu’elles accordent sans qu’elles en aient nécessairement les contre-valeurs en dépôt dans leurs coffres.
 
De fait, il est convenu que, pour des raisons de « prudence », les banques devraient détenir, en fonds propres, au moins 5 % de leurs « engagements »... En langage clair et en remettant la proposition sur ses pieds, il faut comprendre que sur 100 euros qu’elles « engagent » (sous formes de prêts, assurances prises sur ces prêts, etc.), les banques n’ont besoin d’en posséder que 5... Les 95 autres peuvent donc être créés de toute pièce par un simple jeu d’écriture, la mention « 100 euros que doit X » dans la colonne des actifs équilibrant, d’un point de vue comptable et en toute légalité, la mention « 100 euros versés à X » dans celle des passifs...
 
Ce tour de passe-passe s’accompagne de la possibilité, pour les banques, de se financer par des emprunts très bon marché auprès des banques centrales. Emprunter à des taux très bas pour prêter de l’argent à des taux plus élevés et à plus court terme n’est qu’une des ficelles qu’utilise le monde de la finance, « l’effet de levier », pour démultiplier les capitaux spéculatifs...
 
Tout cela constitue une excroissance financière, totalement parasitaire, dans laquelle une « industrie financière » tente de démultiplier, par le trafic des titres de dette, de propriété et de leurs produits dérivés, les profits issus de l’exploitation.
 
Car qui se joue en fait, sur les marchés financiers, c’est la répartition d’une denrée raréfiée par les mesures de régression sociale : les richesses tirées de l’exploitation du travail. Cette répartition se fait à travers des jeux de casino où chacun spécule sur la perspective de profit que lui offrent les titres qu’il détient, titres qui sont des droits à empocher une quotepart du pactole... si pactole il y a, et en quantité suffisante.
 
Et c’est bien parce que le pactole constitué par les profits tirés de l’exploitation du travail salarié s’amenuise du fait des politiques menées contre les « consommateurs » que, d’une part, les attaques des gouvernements se multiplient pour reprendre, par le biais de la dette et de la fiscalité, une part des salaires versés et les donner en pâture aux spéculateurs. Et que, d’autre part, ces mêmes spéculateurs redoublent d’activité.
 
Les montants vertigineux atteints par les transactions sur les valeurs spéculatives alors que les richesses réellement produites sont considérablement inférieures montrent l’ampleur de la bulle spéculative qui s’est constituée dans les marchés financiers, l’ampleur de l’écart qui s’est constitué entre les espoirs de profits accumulés par les spéculateurs et les richesses réellement créées.
 
De la financiarisation à la crise de la dette...
 
Et il suffit que la confiance des spéculateurs dans la capacité des titres qu’ils détiennent à rapporter les profits qu’ils espèrent vienne à manquer pour que l’équilibre de tout l’édifice soit mis en cause. Chacun cherche alors à se débarrasser de ses titres en les vendant, l’offre se met à augmenter tandis que la demande baisse, une spirale baissière s’engage, et c’est la crise.
 
C’est ce qui s’est passé en 2007 avec l’effondrement du marché des « subprimes » aux USA. En quête perpétuelle de nouveaux clients pour placer leurs crédits, les banques s’étaient lancées dans des prêts immobiliers à des familles pauvres, les attirant par des taux variables, très bas au départ. Les reconnaissances de dette issues de ces prêts avaient été transformées en titres sur les marchés financiers, incorporés à divers produits dérivés. Les assurances contractées par les créanciers pour se protéger des risques liés à l’insolvabilité des emprunteurs avaient émis leurs propres titres... Tout cela s’était disséminé, au gré de la spéculation financière, dans l’ensemble du système financier mondial. Une crise du secteur immobilier américain associée à l’augmentation brutale des taux de leurs emprunts avait alors conduit des centaines de milliers de familles à la rue, leur maison saisie du fait de leur incapacité à payer leurs traites. Les titres associées à ces dettes avaient dans le même temps perdu toute valeur, déclenchant un véritable séisme financier international.
 
Les États étaient alors intervenus massivement pour voler au secours des banques ainsi qu’à celui des grandes entreprises industrielles, en particulier dans le secteur automobile, touchées par la récession.
 
Pour financer ces aides massives, les États, déjà lourdement endettés, ont contracté de nouveaux emprunts auprès de ces mêmes marchés, de ces mêmes banques, qu’il s’agissait de sauver. Les titres de dette publique se sont entassés de plus belle dans les coffres des banques et se sont disséminés dans tout le système financier par le biais de produits dérivées, d’autant plus gonflés par la spéculation que les placements en prêts aux États étaient réputés être sans risque...
 
Une illusion... C’est la solvabilité des États qui est aujourd’hui mise en cause. La crise de la dette privée est devenue la crise de la dette publique et une nouvelle spirale baissière se déclenche sur les titres de cette dette, et, par voie de conséquence, sur les actions des banques qui détiennent ces titres. Parallèlement, les taux auxquels les États peuvent emprunter ne cessent de grimper, au gré de la perte de confiance des marchés dans leur « solvabilité »...
 
 
Figure 7
 
Le diagramme figure 7 vise à rendre intelligibles les mécanismes, obscurs pour le commun des mortels, qui sont en jeu dans le comportement des marchés financiers (ici les marchés obligataires, qui traitent de dettes à long terme, dont celles des États). L’emprunteur est déjà endetté auprès du marché obligataire auquel il verse un remboursement dont les intérêts dépendent d’un taux d’intérêt, fixe ou variable, établi lors de l’émission de cet emprunt. Dans le marché obligataire, les titres de cette dette et tous les produits dérivés auxquels elle est associée sont l’objet d’une spéculation qui définit la valeur de ces titres à un moment donné. Cette valeur évolue en fonction de la loi de l’offre et de la demande pour ces titres sur ce marché.
 
Comme l’emprunteur a de nouveaux besoins de financement (du fait d’un déficit budgétaire chronique...), il va lancer un nouvel emprunt pour lequel il doit négocier un taux d’intérêt. C’est ici que la « confiance du marché » dans la « solvabilité » de l’emprunteur intervient. C’est ici qu’interviennent les agences de notation qui attribuent des notes (AAA, etc...) sensées donner aux marchés une évaluation de la solvabilité des emprunteurs. Quel que soit le jugement que l’on porte sur l’objectivité de ces évaluations et sur la légitimité des agences de notation, le fait est que la confiance des marchés est quelque chose de réel, à défaut d’être rationnel. Et que toute baisse de confiance va se traduire par deux phénomènes que l’on peut actuellement observer en direct :
 
- une hausse des taux exigés pour accorder le nouveau prêt, au nom du fait que plus le risque est important pour l’emprunteur, plus la rémunération de ce risque - les intérêts - doit être importante...
 
- une baisse de la valeur du titre des dettes anciennes sur les marchés obligataires. La crainte que l’emprunteur ne puisse rembourser sa dette pousse les détenteurs du titre à s’en débarrasser, ce qui pousse sa valeur à la baisse...
 
On voit à l’œuvre actuellement la perversion de ce système : l’augmentation des taux pour le nouvel emprunt ne peut qu’augmenter les difficultés financières de l’emprunteur, dont diminuer sa solvabilité... ce qui entraine une nouvelle chute de confiance des marchés... une hausse des taux pour le prochain emprunt, etc...
 
Le processus ne peut que s’emballer et déboucher :
 
- côté emprunteur, sur l’impossibilité de contracter de nouveaux prêts, donc de financer plus longtemps son propre fonctionnement, ce qui conduit à plus ou moins long terme à la faillite.
 
- côté marchés, c’est-à-dire banques, à se retrouver avec, dans ses coffres, un stock de titres qui ont perdu toute valeur par le simple fait qu’il est impossible de trouver un acheteur pour s’en débarrasser.
 
Ces titres, aussi spéculatifs soient-ils, sont considérés comme des « actifs » dans les comptes de la banque. Leur dépréciation constitue une perte qui, si elle ne conduit pas nécessairement la banque à la faillite, a pour conséquences :
 
- la baisse des actions de la banque, du fait des craintes des actionnaires sur la solidité de cette dernière qui les pousse à se débarrasser de leurs actions.
 
- l’apparition d’une crise du crédit. La méfiance s’installe entre institutions financières et freine les échanges interbancaires, avec augmentation des taux sur les marchés de la dette à court terme. Par ailleurs, les pertes subies par les banques diminuent leur capacité à prêter de l’argent : la crise du crédit freine les investissements industriels, accentue les facteurs de récession économique.
 
Cette crise du crédit a un effet collatéral sur les dettes en cours, par le biais des taux variables. Certains de ces taux sont en effet indexés sur les taux des marchés interbancaires (marchés monétaires). Une hausse des taux sur ces marchés entraîne inévitablement une hausse des taux variables. C’est ce qui s’est passé pour de nombreuses collectivités territoriales et hôpitaux endettés auprès de Dexia. Les conséquences en ont été une hausse insupportable des intérêts pour les emprunteurs... et la faillite de Dexia. Autre option, tout aussi destructrice, certains taux variables sont indexés sur les taux de change monétaires (marché des changes), par exemple sur le taux franc suisse/euro. Avec le développement de la crise financière, le franc suisse est devenu une « valeur refuge » pour certains investisseurs fuyant la Bourse et les marchés obligataires. Poussé par l’augmentation de la demande, sa valeur s’est envolée, entrainant dans son sillage les taux variables qui lui étaient indexés...
 
La dette publique, au secours des profits
 
Cette dette publique sur le point aujourd’hui d’entraîner l’économie dans un nouvel effondrement n’est pas le fait d’une mauvaise gestion, d’une vie des sociétés « au dessus de leurs moyens ». Elle est une des composantes essentielles des mécanismes d’accaparement des richesses par les sommets de la bourgeoisie. Et c’est bien pourquoi, pour les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite qui se succèdent aux gouvernements, il n’est pas question d’en remettre le principe en cause.
 
L’existence de cette dette est la conséquence de choix politiques bien arrêtés. En France, par exemple, pendant toute une période, la Banque de France pouvait prêter de l’argent à l’État, et même lui faire des avances de trésorerie, autrement dit lui prêter de l’argent sans intérêt. En janvier 1973, Giscard d’Estain, ministre de finances du président Pompidou (lui-même ancien directeur de la banque Rothschild), fait voter une loi obligeant l’État à se financer auprès des banques privées. Cette mesure s’avèrera un somptueux cadeau fait par l’État à la grande bourgeoisie au moment où cette dernière subit les effets de la crise des années 1970, une façon de soutenir ses profits en reprenant dans les poches des contribuables une part des salaires versés. Une façon aussi de mettre en place un dispositif qui faisait alors ses preuves dans le pillage du tiers-monde par les banques, le FMI et la Banque mondiale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.
 
Pas plus qu’elle ne remet en cause aujourd’hui la nécessité d’assumer cette dette, d’en rembourser intérêts et capital, la gauche au pouvoir dans les années 1980 n’a pas remis cause cette loi qui donne aux banques le monopole du crédit. Au contraire, cette décision a été confortée lors du traité de Maastricht (1992), puis à l’occasion du sommet de Barcelone en 1998 (Chirac-Jospin) et étendue à la BCE et à l’ensemble des banques centrales européennes.
 
Conséquence de cette loi, la course à l’accumulation de la dette n’a pas cessé depuis cette période, des emprunts nouveaux s’ajoutant chaque année aux précédents pour combler des déficits... entretenus par l’endettement !
 
Ainsi, en 2010, en France, l’État a remboursé aux banques 131,7 milliards d’euros, dont 44,6 pour les intérêts et 87,1 comme amortissement, remboursement des capitaux des emprunts arrivés à échéance. Le déficit budgétaire pour l’année était de 149,7 milliards (dans lequel étaient comptés les intérêts payés cette année-là). Pour financer le remboursement des capitaux et le déficit budgétaire, l’État a emprunté 188 milliards d’euros. Résultat : l’endettement a augmenté de 100,9 milliards. Ne pas payer le service de la dette (intérêts + amortissement) pour l’année 2010 aurait donc permis à l’État d’économiser 131,7 milliards d’euros. Cela aurait permis d’éviter ce nouvel endettement de 100,9 milliards et de dégager 30,8 milliards d’excédents. De quoi combler le trou de la sécurité sociale qui était, en 2010, de 27 milliards...
 
Dans le budget 2012, l’État a annoncé que la charge de la dette (les intérêts remboursés) deviendra pour la première fois le premier poste de dépense, devant l’Éducation nationale. Elle devrait s’élever à 46,9 milliards. Mais ce qui n’apparait pas dans les annonces publiques de l’État, c’est la part des amortissements qui atteindront 97,3 milliards. Le service de la dette pour 2012 passe ainsi à 144,2 milliards (12,5 de plus qu’en 2010). Elle représente 37 %, plus d’un tiers du budget de l’État !
 
La dette ne cesse de s’accumuler, n’a pas arrêté de s’accumuler depuis les années 1970 comme le montre le graphe figure 8 (INSEE).
 
 
Figure 8
 
Elle s’accumule en valeur absolue, en milliards d’euros, comme elle s’accumule en pourcentage du PIB, en pourcentage des richesses produites. On constate bien évidemment une accélération de cette accumulation à partir de 2007, début de l’intervention massive des États au profit des banques et des grandes entreprises. Mais le niveau d’endettement était alors déjà très important : 1 200 milliards d’euros, 65 % du PIB.
 
La loi Giscard-Pompidou de 1973 était une mesure prise par le gouvernement de l’époque pour assurer à la bourgeoisie un investissement rentable pour ses capitaux au moment où l’industrie s’enfonçait dans la crise. Elle n’est bien évidemment pas la cause directe de la crise actuelle, mais un élément parmi une multitude de mesures prises par des gouvernements « navigant à vue », au gré des crises et des rapports de force, pour maintenir les intérêts immédiats de classes dominantes, mener la guerre des classes à leur propre avantage.
 
Ces politiques accumulées, cette guerre de classe, débouchent aujourd’hui sur une situation inédite. Les recettes du passé, les plans concoctés par l’Union européenne, le FMI et la BCE pour tenter de sortir l’Europe de la crise dans laquelle elle s’enfonce sont non seulement impuissants à ouvrir la moindre perspective, mais en aggravent au contraire les causes. Et le seul levier dont disposent les États est bien de tenter de « rassurer » les marchés, pour éviter une panique boursière et financière qui déclencherait un effondrement brutal du château de cartes, tenter de faire en sorte que le dégonflage de la bulle de la dette européenne que tous savent inévitable reste un phénomène progressif et ne se transforme pas en effondrement financier brutal...
 
La compréhension du fonctionnement des mécanismes à l’œuvre suffit à expliquer pourquoi cette purge est inévitable, et pourquoi aucun plan qui ne remet pas en cause le mécanisme même de la dette, et au delà, celui de la société dans son ensemble, ne peut qu’être impuissant à l’éviter.
 
Quelle que soit la façon dont la purge se produira, les conséquences seront terribles pour les populations. La situation que connaît aujourd’hui le peuple grec ne peut en donner qu’un avant goût...
 
Il y a urgence à ce que les travailleurs interviennent massivement, profitant de la crise politique profonde qui accompagne la crise financière et économique pour inverser à leur avantage le rapport de force social et imposer leurs propres solutions, les seules possibles.
 
Construire notre propre sortie de crise
 
La mise en place de collectifs pour un audit de la dette publique est une occasion de faire de l’agitation politique sur le thème de la dette publique au moment même où cette dernière, par les craintes qu’elle suscite, devient une des préoccupations essentielles des travailleurs, la cause essentielle des manifestations en Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal, des mobilisations des indignés.
 
On a pu voir comment le refus de payer le service de la dette en 2010 aurait permis non seulement d’éviter un nouvel endettement, mais aussi, par exemple, de combler le trou de la sécurité sociale. Cela suffit largement a en justifier l’idée et la légitimité politique. Un moratoire sur les intérêts pour 2012 permettrait de dégager 46,9 milliards d’euros, un milliard de plus que le budget de l’Éducation nationale...
 
Mais mettre en cause un tant soit peu les mécanismes de la dette, c’est mettre en cause un des rouages essentiels de la « pompe à finance » sur laquelle est bâtie l’économie capitaliste, c’est mettre en cause le capitalisme lui-même.
 
Et c’est pourquoi nous devons défendre, dans les collectifs pour un audit de la dette publique, comme nous la défendons dans nos interventions publiques, tout comme la défend Philippe Poutou en tant que candidat du NPA à la présidentielle, la totalité de notre politique telle que nous l’avons définie dans « nos réponses à la crise » lors de notre dernier congrès.
 
Faire face à l’urgence sociale, c’est d’abord refuser les plans d’austérité, exiger des salaires suffisants, permettant de vivre décemment, indexés sur le coût de la vie, mettre fin au chômage par la répartition du travail entre tous, mettre fin à la casse des services publics...
 
Mais se mobiliser contre les plans d’austérité, s’organiser pour refuser de payer la crise, est aussi la seule façon, pour le monde du travail, d’imposer ses propres réponses à la question de la dette publique.
 
La première des urgences est d’exiger, au minimum, un moratoire sur la dette. Mais il est bien évident qu’il faut aller plus loin : sortir de la spirale de la dette exige son annulation pure et simple. Cela implique que l’on mette fin à la spéculation financière et que l’on retire le contrôle du système financier des mains de l’oligarchie financière en l’expropriant sans indemnités ni rachat. Et que l’on constitue à partir des banques ainsi socialisées un monopole bancaire public placé sous le contrôle de ses propres travailleurs et de la population. Sa fonction sera d’assurer le financement des activités économiques utiles à la satisfaction des besoins de la population. Ce sera aussi la seule solution pour éviter que les économies placées dans les banques par les travailleurs qui en ont ne fondent, du jour au lendemain, dans un effondrement financier qui n’a rien d’une hypothèse improbable.
 
Cette lutte pour mettre un terme aux reculs sociaux et aux exactions de la finance est indissociable de la lutte pour la conquête de la démocratie. La mise en œuvre aussi bien des mesures sociales que des mesures financières exige la conquête du pouvoir politique par le monde du travail, la mise en place de ses propres institutions politiques, de son propre gouvernement, construit à travers ses luttes.
 
Un tel plan d’urgence sociale, financière et démocratique répond aux besoins des populations de tous les pays européens, soumis aux mêmes plans d’austérité, à la dictature de la même oligarchie financière, aux mêmes menaces sociales. Au moment où l’Europe des banquiers est en plein marasme, où certains de ses augures se demandent si l’euro passera Noël, il représente le seul chemin vers un véritable gouvernement européen, celui d’une Europe des travailleurs et des peuples.
 

Daniel Minvielle