Après le 13 et le 15 décembre, l’urgence d’une politique pour construire la riposte à l’austérité

"Mobilisation moyenne" pour Thibault, simple "journée d'information" pour Chérèque, la mobilisation du 13 décembre a été, sans surprise, à la hauteur de l’audace des directions syndicales. Alors que le gouvernement annonce son plan d’austérité, cette journée ne prévoyait même pas un appel à la grève, pour se caler sur les positions de la CFDT et de Chérèque qui déclare : « Il n'est pas question de dire qu'il ne faut pas maîtriser les dépenses de l’État, mais le plan de rigueur du gouvernement est injuste, il y a d'autres choses à faire, les syndicats sont là pour trouver d'autres solutions » !
 
Sans volonté de mener la bataille, les arguments n’ont pas manqué pour mettre cette dérobade sur le dos des salariés. Attribuant au passage sa propre politique à tous les travailleurs, Chérèque a doctement expliqué : « Les salariés attendent plus de changement par le politique que par les mouvements sociaux ». Quant à la CGT, Nadine Prigent a expliqué la faible mobilisation du 13 décembre en déclarant : « Ce gouvernement nous a imposé des réformes, n’a pas écouté le mouvement majoritaire sur les retraites, n’a pas tenu compte de l’avis des salariés qui pensent désormais que sur ces grands enjeux de société, on ne le fera pas bouger » et Thibault de résumer : « les salariés sont fatigués de protester et de ne pas être entendus »… Comme si les salariés étaient dupes du « dialogue social » et pensaient pouvoir « être entendus » par des journées d’actions même nombreuses, contrairement aux directions syndicales qui n’ont pas d’autres perspectives à proposer !
 
En fait, dans bien des entreprises, beaucoup de salariés ressentent le décalage entre la brutalité des attaques du gouvernement et l’appel timide lancé par les directions syndicales, incapables de s’appuyer sur la révolte et la colère au sein du monde du travail pour changer la situation et le rapport de force.
 
Dans un tel contexte, la journée de grève et de manifestation des enseignants du 15 décembre a été en demi-teinte, traduisant à la fois le profond mécontentement des enseignants et l’absence totale de crédibilité des organisations syndicales pour partir à la bataille. La colère est bien réelle contre ce pouvoir au service des riches, qui prétend maintenant noter les enseignants comme le font les patrons dans les entreprises. Il s’agit en fait pour lui de tenter de masquer une politique qui diminue sans cesse les moyens mis au service de l’éducation et de retourner les inquiétudes des parents contre les enseignants. Mais pour que cette colère qui s’accumule dans le monde du travail puisse s’exprimer, devenir une force, encore faut-il une perspective sérieuse, une politique pour la convergence des luttes, pour répondre efficacement à la politique du gouvernement qui s’en prend frontalement aux salariés de la fonction publique : mise en place d’un jour de carence, gel des salaires depuis deux ans, suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux que veut maintenir Sarkozy, etc.
 
Le choix d’orientation qui est posé est le même qu’au moment de la lutte contre la réforme des retraites, acte I du plan d’austérité du gouvernement. Ces journées d’action doivent-elles servir à être « entendu » dans le cadre d’un « dialogue social » de dupe avec le pouvoir, ou au contraire doivent-elles servir à construire une vraie riposte d’ensemble du monde du travail, en donnant confiance dans ses capacités à s’opposer à la politique du gouvernement et des patrons, par les méthodes de la grève, du blocage de toute l’économie, de la lutte de classe ?
 
Cela pose bien évidemment le problème de quelle position face à la crise, la dette ? Comment lutter efficacement, faire le lien entre la situation des salariés de la fonction publique et du privé ? Comment défendre les services publics sans dénoncer l’illégitimité de la dette et en exiger son annulation ?
 
Oui, il nous faut mener ce débat à nouveau au sein des équipes syndicales, avec la différence que la situation a évolué depuis la lutte des retraites. Devant l’aggravation de la crise de leur propre système, la politique du pouvoir et des classes dominantes est à un tournant, celui de l’austérité durable, une régression sociale allant encore plus loin dans la remise  en cause des acquis du monde du travail, comme vient encore de le confirmer Sarkozy lors de son discours de Toulon le 1er décembre.
 
Des sales coups contre le monde du travail et… un « sommet social » pour tenter d’étouffer la colère
 
En 2008, dans la même ville, Sarkozy dissertait sur la « moralisation du capitalisme ». Aujourd’hui, il déclare que « la peur est revenue » et la main sur le cœur promet de « dire la vérité »… pour mieux taire le bilan de sa propre politique qui n’a fait que renforcer la spéculation financière et aggraver la dette au profit des plus riches.
 
Mais c’est au monde du travail qu’il présente la facture, annonçant sa campagne sur le thème de l’austérité incontournable : « Depuis des décennies, nous dépensons trop et souvent mal. Cela ne peut plus durer (…) Répondre à la crise par le travail, par l'effort et par la maîtrise de nos dépenses. C'est un ajustement par le haut ». Et il le fait d’autant plus que Hollande se positionne sur le même terrain d’une politique pour rembourser cette dette illégitime.
 
Sarkozy annonce donc le maintien de la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux partant à la retraite, mais aussi une série d’attaques contre la protection sociale : « On ne peut pas financer notre protection sociale comme hier en prélevant uniquement sur les salaires quand les frontières sont plus ouvertes et qu'il faut faire face à la concurrence de pays à bas salaires ». Il reprend ainsi à son compte la campagne lancée par les patrons sur la « TVA sociale », considérable recul qui revient à financer les cotisations sociales patronales par une hausse de TVA, et donc à augmenter les profits des entreprises sur le dos de toute la population.
 
Pour mener cette politique, Sarkozy compte utiliser toujours la même méthode : « En janvier prochain, j'inviterai tous les partenaires sociaux à participer à un sommet sur l'emploi pour que chacun puisse apporter des solutions, faire des propositions. Il faudra avoir le courage d'affronter les grandes questions et de lever les tabous sur les freins à la compétitivité française »… après avoir attaqué les 35h et la retraite à 60 ans ! Le ton est donné, il propose aux « partenaires sociaux » d’accompagner les mauvais coups, de donner du crédit à son discours sur les sacrifices inévitables, alors que la dette est creusée par sa propre politique de sauvetage des banques et des spéculateurs financiers !
 
La réponse ne s’est pas fait attendre. « On ira à ce sommet social s'il est convoqué, mais il faut aussi écouter les propositions » annonce la CFDT. « Je pense qu'on ira car on est républicain, mais ce n'est pas en une demi-journée qu'on va régler la problématique du chômage dans ce pays » déclare un secrétaire confédéral de FO. Quant à la CGT, après avoir dit qu’elle réservait sa réponse, elle vient de décider d’y aller en proposant à l’intersyndicale d’en faire un moment « d’action », sans avancer d’ailleurs la moindre modalité !
 
Les directions syndicales restent sur le terrain du dialogue social, intégrées à l’Etat, incapables de contester le fond de la politique menée par le pouvoir. Une telle politique est incapable d’enrayer les mauvais coups que nous préparent le gouvernement, bien au contraire, il redouble ses attaques.
 
En guise de dialogue,… une campagne antisyndicale
 
Ainsi, en même temps que Sarkozy invite les « partenaires sociaux » à son sommet social de janvier, une campagne antisyndicale est orchestrée largement dans la presse. Partie d’un rapport de la cour des comptes sur le CE de la RATP ainsi que du rapport Perruchot, que l’UMP a finalement décidé de laisser sous le boisseau en s’abstenant lors du vote de la commission, cette campagne vise à discréditer les organisations ouvrières en prenant argument des compromissions d’une partie de la bureaucratie, compromissions inacceptables certes, mais qui sont sans commune mesure avec les dépenses de l’Etat sans parler de celles du patronat et des parasites de la finance.
 
L’article du Figaro « l’argent caché des syndicats », qui reprend des passages du fameux rapport Perruchot, annonce le chiffre de 4 milliards pour le financement des syndicats… en y intégrant les heures de détachement syndical et même les heures de délégations des élus du personnel ! Il ne fait que reprendre le discours de bien des patrons aujourd’hui qui considèrent qu’il y a trop de temps donné aux syndicalistes. Tous ces articles ne trouvent par contre rien à redire sur le coût des services DRH, des cabinets d’audits patronaux, des services de communication, des cabinets d’avocats et toutes les armes qu’utilisent les patrons pour mener leur politique face aux salariés.
 
Ceci dit, il n’y a pas de fumée sans feu. De fait, les appareils sont pris au piège que l’Etat et les patrons leur ont préparé avec leur propre complicité. La gestion de budgets de CE importants, avec des salariés, des cantines, etc., alors que ce sont les capitalistes qui fixent les règles, est un piège qui se retourne contre les militants syndicaux. C’est grâce à toutes ces pratiques que les patrons entretiennent la collaboration de classe, le « dialogue social », tout en ne se privant pas aujourd’hui de lancer leur campagne pourrie pour tenter de discréditer l’ensemble des syndicats et des militants.
 
Ces illusions entretenues par les bureaucraties syndicales sur la « gestion ouvrière » au sein des CE sont bien un piège, par lequel les patrons se garantissaient une certaine paix sociale tout en continuant de faire leurs affaires comme bon leur semble. Aujourd’hui, ils ne veulent même plus payer pour cette paix sociale, ils sont à l’offensive. Défendre les intérêts collectifs du monde du travail ne peut se faire qu’en faisant vivre, en développant un syndicalisme démocratique, de lutte de classe, rompant avec ces pratiques de « dialogue social » que les patrons continuent de maintenir pour tenter de contenir la colère du monde du travail.
 
Rompre avec les institutions, porter une politique de lutte de classe
 
Face à la crise actuelle, il ne peut y avoir de riposte sans oser affronter les institutions, l’Etat, qui sont exclusivement au service des classes dirigeantes. Et c’est là que les directions des grandes centrales syndicales sont paralysées, tant elles sont intégrées aux rouages de cet État ou même de l’Europe.
 
Ainsi, dans une récente déclaration commune de dirigeants syndicaux de la CES, intitulée « Pour un nouveau contrat social européen » et dont sont signataires Chérèque et Thibault, on peut lire : « Le syndicalisme européen, lui aussi, est vivement préoccupé par la stabilité des finances publiques »… qui est une façon de reconnaitre la légitimité de la dette. Et ils en concluent : « Le défi, relevable, est d'y parvenir dans des délais réalistes tout en prenant des mesures, européennes et nationales, pour promouvoir la croissance économique et la création d'emploi ». Ils se positionnent en conseilleurs des capitalistes ou des gouvernements, alors que ceux-ci mènent une guerre acharnée pour défendre les intérêts des spéculateurs, des financiers, en s’en prenant frontalement au monde du travail.
 
Quant aux institutions européennes, qui servent aujourd’hui d’instruments contre les peuples, ils déclarent : « Aujourd'hui, plus que jamais, nous avons besoin d'une nouvelle politique monétaire, économique et sociale, dans le cadre d'une gouvernance économique forte de la zone euro (…) En ces moments difficiles, il faut agir dans un cadre commun européen et ainsi renforcer le dialogue social ». Une gouvernance forte ? C’est bien ce qui est en train de se passer avec le dernier sommet européen, où Sarkozy et Merkel, unis pour faire payer la crise aux peuples, imposent maintenant la « règle d’or » des profits et de la régression sociale à tous les autres pays de la zone Euro.
 
Le problème est bien là, celui de l’intégration des syndicats à l’Etat et aux institutions, alors que celles-ci apparaissent au grand jour comme une machine au service exclusif des banquiers, des trusts, de la finance. Trotsky expliquait dans « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste » écrit en août 1940 : « les syndicats doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l'Etat. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes - c’est à dire sur des positions basées sur l'adaptation à la propriété privée - la nécessité de s'adapter à l'Etat capitaliste et de tenter de coopérer avec lui ».
 
Et ils n’ont d’autre politique aujourd’hui que de « tenter de coopérer », à l’image de la CES au niveau européen, qui demande à participer aux négociations sur le changement des traités de Lisbonne en expliquant aux classes possédantes : « N’étouffez pas la croissance et l’emploi. N’emprisonnez pas les pays de l’Union européenne dans un carcan économique. Ce n’est pas la bonne solution pour revenir à des budgets viables » !
 
Oui, comme le disait Trotsky au temps de la crise généralisée du capitalisme qui menait à la deuxième guerre mondiale, il faut se battre pour l’indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l'Etat capitaliste et pour la démocratie la plus large en leur sein.
 
Lutter contre le plan d’austérité du gouvernement commence par la dénonciation de la politique menée par les Etats depuis des années au service des riches et de la finance. C’est en cela que la dette est illégitime et que toute politique qui vise à la rembourser, à tenter de maintenir le système actuel, est vouée à l’échec. Elle ne pourra que renforcer davantage la spéculation financière, en le faisant payer à l’immense majorité. Il faut s’attaquer à la racine du problème, refuser de payer la dette, imposer un monopole public bancaire sous contrôle des salariés des banques et de la population.
 
Cela ne pourra s’imposer que par des mobilisations, des luttes d’ampleur. Face à la politique d’austérité durable qui se met en place, il faut s’appuyer sur les luttes qui ont lieu pour les agglomérer, les renforcer. Construire une vraie journée de grève, comme cela s’est fait dans d’autres pays d’Europe, en Grèce, et même en Angleterre récemment.
 
Il y a urgence à mettre cette politique en œuvre, car le tournant de la politique d’austérité se joue aujourd’hui. Les travailleurs n’ont rien à attendre de 2012. Le PS n’a pas d’autre politique que la droite. Hollande vient d’ailleurs de le rappeler en annonçant que la promesse de revenir aux 60 ans pour l’âge légal de départ à la retraite se réduirait aux seuls salariés qui ont travaillé depuis l’âge de 18 ans, avec 41 à 42 annuités de cotisation !
 
Nous voulons mener ces débats et cette politique à la base dans les équipes syndicales. La question de la lutte pour les salaires est de plus en plus critique, vu les politiques de gel des salaires et les augmentations de prix en cascade. Elle peut être relayée d’une entreprise à une autre, elle peut faire tâche d’huile pour peu qu’il y ait des équipes militantes qui veuillent en faire une politique. De même, la lutte contre les licenciements et les suppressions de postes, alors que le chômage explose, sont à l’ordre du jour et imposent des convergences du privé et du public. Ce n’est pas sur la « croissance » que l’on peut compter face à la crise mais sur le rapport de force que le monde du travail pourra construire.
 
Laurent Delage