Un « sommet social » contre le « coût du travail », un sommet de dupes, vive la lutte contre le « coût des profits »

La mobilisation pour la journée d’action  du 18 janvier, appelée par la CGT, FSU et Solidaires, a été sans surprise très faible. Sans appel à la grève, comme le 13 décembre, beaucoup de salariés et même d’équipes syndicales n’ont pas voulu participer à ce bluff laissant croire que cette journée servirait à mettre Sarkozy « sous la pression » des salariés, alors que l’ensemble des confédérations acceptaient de participer au jeu de dupes de son sommet social.

Les objectifs de Sarkozy sur ce sommet étaient pourtant clairs et annoncés par une campagne tout azimut pour la baisse du « coût du travail », au nom de l’urgence de la lutte contre le chômage. Alors que la part des salaires ne fait que baisser depuis des années au profit de celle des actionnaires et du capital, tout est bon pour tenter de culpabiliser les travailleurs. Mais c’est bien au contraire le « coût des profits » qui tire toute la société en arrière, à l’image des entreprises du CAC 40 qui prévoient 87 milliards d’euros de bénéfice sur 2011 et comptent verser 37 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires : 31 % d’augmentation en 5 ans !

Quant à la perte du triple A du week-end dernier, elle pousse le gouvernement à accélérer son offensive, à l’image du ministre du travail, Bertrand, qui a déclaré : «le sommet social est tout aussi indispensable qu'avant pour arrêter des mesures d'urgence de lutte contre le chômage, mais la nécessité de créer un choc de compétitivité s'est accrue ».

Le « choc de compétitivité » que tente d’imposer Sarkozy n’a qu’un seul objectif, celui d’augmenter toujours plus la part des profits et des dividendes. En allant participer à ce sommet, les directions des grandes confédérations syndicales donnaient ainsi du crédit à ce soi-disant « dialogue social », comme si ce « sommet de crise » avait pour but de faire diminuer le chômage !

Face au tournant de l’austérité que veulent nous imposer les classes possédantes et le pouvoir, les directions syndicales n’ont aucune politique, aucun plan de riposte pour imposer les revendications du monde du travail par le rapport de force, pour construire une lutte d’ensemble. Pourtant, la colère est réelle dans les entreprises, face aux mesures d’austérité ou face à la démagogie de ces ministres qui traitent les salariés de fainéants. Le 18 janvier aurait pu servir à exprimer cette colère, en refusant d’aller participer à cette manœuvre de Sarkozy et en appelant à une journée de grève interprofessionnelle. Face à l’ampleur des attaques qui se préparent, il n’y a pas le choix.

Cette situation pèse lourdement sur les salariés, qui sont bien moins dans l’attente des élections que les directions syndicales elles-mêmes. Ainsi, on voit aujourd’hui une série de conflits locaux combatifs sur les salaires ou contre les licenciements, comme la grève du personnel de sécurité des aéroports en pleine période de congés de fin d’année ou celle des ouvriers de la raffinerie de Petroplus contre la fermeture du site. La colère des ouvrières de Lejaby s’est également fait entendre, dès le lendemain de ce fameux « sommet social ». Alors que leur repreneur, un fond de pension italien, a décidé la fermeture du site d'Yssingeaux avec 255 licenciements à la clef, elles viennent de dénoncer dans une motion votée en AG : « Les pouvoirs publics ont fait semblant de nous soutenir, nous ont menti, ont préféré les déclarations d'intention à l'action pour garder l'emploi (…) Notre lutte est le symbole de ce que subissent aujourd'hui les salariés. Nous refusons de baisser les bras ».

Bien des travailleurs ne comptent que sur eux-mêmes, sur leurs propres luttes pour défendre leurs intérêts, sans  grande illusion sur le gouvernement qui sortira des élections en 2012. Mais encore faut-il formuler, populariser une politique pour les luttes, pour les regrouper, leur donner un objectif et une perspective face à la politique de régression sociale menée par le gouvernement et le patronat. C’est bien une de nos tâches essentielle aujourd’hui, d’autant que la pression politique est forte pour soumettre les travailleurs aux mauvais coups.

Une campagne et des mesures pour imposer l’austérité durable

Ainsi, en préparation du sommet social, une campagne s’est déchainée pour réclamer la baisse du « coût du travail », l’allègement des « charges patronales », « l’assouplissement » du CDI,... tout cela, au nom de la lutte contre le chômage bien entendu. Chantage, culpabilisation, tout est bon pour imposer les reculs dont le patronat rêve depuis longtemps.

Dans ce concert sur commande, L’Express  a ainsi expliqué : « la sécurité des uns fait la précarité des autres : en effet, pour adapter malgré tout leur masse salariale à leur activité, les entreprises abusent des emplois précaires. (…) CDD, intérim ou demandeurs d'emploi ! Ces derniers "paient" donc pour les autres, fonctionnaires ou quasi-fonctionnaires, puisque les CDI de grands groupes sont rarement congédiés contre leur volonté et toujours confortablement dédommagés »… La précarité, c’est la faute des salariés embauchés et pas des patrons qui mènent cette politique depuis des années pour diviser les travailleurs, les mettre en concurrence, contourner le code du travail et abaisser les salaires.

Dans la même veine, Le Point y est allé aussi de son couplet : « il faut travailler et produire plus pour travailler tous. La protection des 9 millions d’employés du secteur public a pour contrepartie la constitution d’un sous-prolétariat de 6 millions d’exclus »… Travailler plus pour rien, si ce n’est pour augmenter les bénéfices, alors que l’urgence, face aux dégâts du chômage, est bien de partager le travail entre tous.

S’appuyant sur une étude du cabinet COE-Rexode, proche du Medef, le Figaro titrait en gras : « Les Français travaillent six semaines de moins que les Allemands »… Qu’importe si les chiffres de ce cabinet sont plus que contestables, puisque le travail à temps partiel n’est même pas comptabilisé dans cette étude alors qu’il est bien plus important en Allemagne. Ce qui compte, c’est la culpabilisation pour délégitimer les droits des travailleurs et passer à l’offensive.

Du côté de la droite et des patrons, les « idées » ont fusé : certains ont proposé l'enterrement définitif des 35 heures, d'autres, comme Chatel, la suppression d'une des cinq semaines de congés payés. Morin et Villepin proposent de porter la durée légale du travail à 37 heures. Quant aux petits patrons de la CGPME, ils proposent la création d'un super CDD de 30 mois !

Cette campagne traduit le tournant politique de Sarkozy, qui a décidé d’axer sa campagne électorale sur le terrain même des mesures d’austérité, présentées comme incontournables, indépassables pour rembourser cette dette illégitime.

Lors de ses vœux, il a annoncé son intention d’imposer la TVA sociale, vieille revendication du Medef, en déclarant : « Le financement de notre protection sociale (...) ne peut plus reposer principalement sur le travail, si facilement délocalisable. Il faut alléger la pression sur le travail ».

C’est un véritable vol sur les salaires au bénéfice des patrons et des actionnaires. Les cotisations sociales ne sont pas une « charge patronale », mais une part socialisée des salaires, qui sert à assurer la santé, la retraite, les allocations familiales. Depuis les années 90, les gouvernements successifs l’ont attaquée par toute une politique d’exonérations, fusionnées avec la loi Fillon de 2003 pour tous les salaires allant jusqu’à 1,6 fois le SMIC. Aujourd’hui, les patrons récupèrent 26 % de leurs cotisations pour un salarié payé au SMIC. En 2010, le cadeau représentait 22 milliards.

Mais cela ne leur suffit pas, ils veulent aller encore plus loin en faisant payer de nouvelles exonérations par une augmentation de la TVA, impôt le plus injuste qui touche au même titre les classes populaires et les plus riches.

Lors de ce « sommet de crise », Sarkozy s’est même payé la tête des directions syndicales en ne discutant pas de l’essentiel, cette TVA sociale justement. Histoire de bien souligner qu’il prendra sa décision sans leur avis d’ici la fin janvier, il s’est borné à déclarer : « Est-il normal que les entreprises finances notre politiques familiales ? ». Supprimer cette partie des cotisations sociales qui finance les allocations familiales signifie un cadeau de près de 35 milliards d’euros dans les poches du patronat !

Sur cette question, la politique du « dialogue social » joue à plein, avec des directions syndicales se justifiant au lieu de se battre clairement contre cette politique de baisse du « coût du travail ». Chérèque apporte même de l’eau au moulin du gouvernement en déclarant : « On peut effectivement envisager une baisse des cotisations sur le travail, avec un transfert partiel sur la CSG, notamment pour le financement de la politique familiale ».

Même la CGT, qui dénonce « l’arnaque » de la TVA sociale, se met à prôner la modulation des cotisations patronales, où plus une société compterait de salariés par rapport à ses bénéfices, moins elle paierait de cotisations. Mais face au chômage, la solution n’est sûrement pas dans la baisse du « coût de travail » qui finira en fin de compte en dividendes pour les actionnaires, mais bien au contraire dans la lutte collective pour le partage du travail.

De même, face à la crise et aux fermetures d’entreprises, les syndicats présents à ce sommet ont comme seule politique de réclamer l’extension du chômage partiel. Un texte a même été signé en commun par les confédérations (sauf la CGT) et les syndicats patronaux, en fin de semaine dernière, pour réclamer la prolongation des accords de 2009. Même la CGT s’est mise à avancer des propositions sur ce terrain, en réclamant un financement par une augmentation de la part patronale, l’Etat et l’UNEDIC.

Sur cette question, le sommet s’est conclu par une réduction du délai pour obtenir l'accord de l'inspection du travail de 20 à 10 jours et des promesses sur la formation. Mailly s’est même félicité que l’Etat allait allouer 100 millions d'euros supplémentaires pour le chômage partiel. Mais ce système revient à introduire une flexibilité payée par l’argent public, comme le dénoncent par exemple des syndicalistes de l’automobile. A PSA Sochaux par exemple, la direction n’hésite pas à recourir, parfois en même temps, au chômage partiel et aux heures supplémentaires. Rien qu’en 2011, 240 000 heures de chômage partiel ont été totalisées sur cette usine, soit plus d’un million d'euros versés par l'Etat, sans tenir compte de celles versées par l'Unedic. Dans le même temps, les heures supplémentaires ont continué, avec les exonérations de cotisations patronales prévues par la loi TEPA !

Mais surtout, en discutant sur ce terrain, les directions syndicales ont ouvert une brèche que le Medef et le gouvernement comptent bien exploiter : les accords compétitivité-emploi. Revendication du Medef, il s’agit de permettre à l’employeur de se passer de l’autorisation individuelle de chaque salarié en cas d’accord prévoyant une baisse du salaire ou une augmentation du temps de travail non rémunérée. C’est une véritable arme pour la politique de chantage à l’emploi du patronat.

Pour justifier cette politique, le gouvernement s’appuie d’ailleurs sur la  « représentativité », tant vantée par la CGT et la CFDT en 2008, en mettant en avant que maintenant, il peut y avoir des accords dérogatoires à la loi ou au contenu des accords de branche. Fillon veut ainsi « donner les moyens aux partenaires sociaux d'adapter l'organisation du travail dans leurs entreprises aux évolutions extérieures » !

Face au désaccord exprimé par les syndicats sur les accords compétitivité-emploi, ceux-ci n’ont pas été abordés lors du sommet. Mais ce n’est que partie remise et Parisot compte bien avoir enfoncé un coin, en déclarant à la sortie qu’il est ressorti un « consensus sur l'activité partielle » et un autre « pour aborder la question de l'emploi en partant des besoins de l'entreprise ».

Enfin, cerise sur le gâteau si on peut dire, Mailly comme Chérèque ce sont même félicités de l’annonce de 1000 postes supplémentaires à Pôle emploi… postes en CDD alors que la direction a prévu cette année d’en supprimer 1 800 !

Faute d’une politique offensive face à la crise et à l’austérité, qui affirme le refus de payer leur crise, l’exigence de l’interdiction des licenciements, de l’arrêt des contrats précaires, ce sont le gouvernement et le patronat qui prennent l’offensive face à des directions syndicales toujours engluées dans le « dialogue social ».

Une politique pour les luttes, contre l’austérité de droite ou de gauche

Ainsi, les directions syndicales semblent attendre avant tout l’alternance de 2012, comme en ont témoigné les rencontres avec Hollande la semaine dernière. Celui-ci a reçu l’ensemble des syndicats à son QG de campagne, très préoccupés pour certains de se positionner comme interlocuteur privilégié en cas de victoire du PS.

La CFDT par exemple, a déjà participé à l’élaboration du programme du PS sur les retraites et l’équipe de campagne de Hollande compte même un ancien n° 2 de la CFDT dans ses rangs. Thibault ne veut pas être en reste non plus et la délégation de la CGT a été longuement reçue, mais est restée pour le moins silencieuse sur toute une série de positionnements du candidat du PS. Et pourtant, il y a de quoi dire sur ses promesses et ses revirements.

Sur les retraites, après que le PS ait clamé qu’il reviendrait sur la loi Sarkozy-Woerth l’année dernière, Hollande parle maintenant de rétablir le droit de partir à 60 ans pour ceux qui ont leurs trimestres seulement. Le reste, la pénibilité, la décote, «ce sera dans la négociation». De même, ses « contrats génération » prévus pour un jeune de moins de 30 ans et un senior de plus de 55 ans, sont encore une fois de plus des aides pour les patrons et autant de manque à gagner pour les services publics et les besoins de la population. Dans son projet initial, il évoque le chiffre de 2 000 euros par mois d’aides de l’Etat pour toute la durée du contrat ! Quant à sa promesse de 60 000 postes supplémentaires dans l’Education, Cahuzac, responsable des questions budgétaires dans l’équipe de Hollande, vient d’expliquer qu’ils proviendraient d’un redéploiement au sein de la fonction publique et non d’une création nette.

Malgré cela, Thibault est sorti satisfait, disant même qu’il n’était pas opposé au contrat de génération, « dès lors qu'on n'est pas dans les principes antérieurs qui consisteraient à offrir d'autres aides financières aux entreprises »… C’est  pourtant bien le but de la manœuvre.

En fait, toutes les directions syndicales sont surtout séduites par la chanson que leur chante Hollande sur l’air connu du « dialogue social » : « Aucun projet de loi, aucune proposition de loi, ne pourrait venir en débat au Parlement sans qu'il y ait eu au préalable une phase de concertation lorsque le sujet porte sur les questions sociales. (…) C'est une logique de coproduction qui s'écarte de la logique de convocation qui a été la règle depuis maintenant cinq ans ».

Fait révélateur d’ailleurs, Hollande n’est intervenu que sur la forme du « sommet de crise » de Sarkozy et pas sur sa politique d’austérité qu’il partage quant au fond, en déclarant : « Ce que je peux dire, c'est que leur sommet est improvisé, leur méthode chaotique. On ne met pas en place une telle réforme à quelques semaines d'une élection aussi importante ».

Il n’y a rien à attendre de l’alternance pour les couches populaires confrontées à la crise. « Coproduction » pour quelle politique ? Celle du remboursement de la dette illégitime ? Celle de l’austérité de gauche qui a été menée par la gauche social-libérale en Espagne, au Portugal, en Grèce ? C’est pourtant bien le fond du problème.

C’est sur un tout autre terrain que se joue le sort des travailleurs et cela sans attendre, car c’est aujourd’hui que l’offensive s’accélère. Mais cela signifie formuler une politique pour les luttes, qui cherche à modifier le rapport de force, qui fasse de la question sociale la question politique essentielle.

Face à l’ampleur de la crise, le refus des mesures d’austérité et la question de l’illégitimité de la dette sont profondément liés. Refuser le vol de la TVA antisociale, lutter pour les augmentations de salaires, contre la précarité qui se développe dans les entreprises, contre les licenciements, signifie aujourd’hui poser les revendications sociales à un niveau politique. Le monde du travail a besoin d’un programme pour ses luttes, qui parte des besoins immédiats, de l’urgence face au développement de la crise, mais qui pose également l’exigence de l’annulation de la dette et de la création d’un monopole bancaire sous le contrôle de la population et des salariés des banques, face au parasitisme de la finance. Oui, le mouvement social doit poser ouvertement la question de qui dirige, face à cette infime minorité de privilégiés, ces 1 % qui tirent les 99 % vers la régression sociale.

Face à une situation politique qui pèse lourd sur la conscience des travailleurs, il nous faut redonner confiance dans la lutte collective, dans les armes de la lutte de classe, en commençant par tisser des liens entre équipes militantes, par organiser la solidarité quand des conflits locaux éclatent, etc.

Mais il nous faut aussi nous battre sur le plan politique, affirmer un programme pour les luttes, répondant à la crise actuelle. C’est le sens même de notre campagne pour les élections présidentielles, formuler une politique pour la contre-offensive.

Laurent Delage