La Grèce, le futur que nous prépare l’Europe de Merkel et Sarkozy
C’est
par une mobilisation massive que la population grecque est
venue crier, dimanche, autour du Parlement, son refus d’un
nouveau plan d’austérité. La violence des affrontements avec
la police montre la détermination des travailleurs, de la
jeunesse, à refuser une politique d’autant plus
insupportable qu’il est clair qu’elle constitue une impasse.
Impasse
financière, comme le montre l’imbroglio des discussions qui
durent depuis des semaines entre les créanciers privés de la
dette grecque, la troïka et le gouvernement grec pour mettre
en œuvre le « plan de sauvetage » concocté fin octobre...
Sarkozy prétendait alors, « avec Angela », avoir sauvé
l’Europe, et même le monde... La « mise en œuvre » n’en
finit pas, conséquence de conflits d’intérêt entre les
diverses parties, certainement, mais surtout parce que ce
plan, pas plus que les autres, ne peut mettre fin à la
spirale d’endettement et de récession dans laquelle est
enfermée la Grèce, et avec elle, l’ensemble de l’économie
européenne, et que tous le savent bien.
Impasse
politique aussi, du point de vue de l’Europe de la finance.
Le gouvernement d’union nationale, de « techniciens
au-dessus des partis » qui avait remplacé Papandréou sous la
pression des marchés, s’avère tout aussi incapable d’imposer
à la population la politique dictée par les dirigeants
européens, la BCE et le FMI. A quelle légitimité peut
prétendre un Parlement qui vote une loi honnie par la grande
majorité de la population ? Comment peut-il imaginer pouvoir
la mettre en place ? Et ce n’est certainement pas l’annonce
d’élections législatives anticipées au mois d’avril qui y
changera quelque chose !
Cela
n’empêchait pas la presse économique de titrer, lundi « L'annonce
d'une nouvelle cure d'austérité a eu un effet apaisant sur
le marché de la dette en zone euro »... « Ignorant
les violences à Athènes, les marchés et les capitales
européennes ont accueilli avec soulagement le vote du
Parlement grec valisant une cure d’austérité sans
précédent dans les pays. Non qu’ils se réjouissent de voir
les Grecs se serrer davantage la ceinture, mais parce
qu’ils pensent que ce vote évitera, au moins à court
terme, le scénario catastrophe d’une faillite désordonnée
d’un pays de la zone euro. »
Juppé
a fait le même rêve cynique que les marchés financiers. Se
félicitant du fait que « le gouvernement et le Parlement
(grecs) ont accepté ce plan de redressement », il
appelle « maintenant à sa mise en œuvre, afin de
stabiliser les marchés et juguler la crise financière »...
Hollande,
interrogé à la télévision dimanche soir, «... le
parlement grec doit-il voter pour ce plan qui prévoit une
réduction de 22% des minimums sociaux, la suppression de
15000 emplois et des coupes dans les retraites ? » a
répondu « il n’a pas le choix, le parlement », avant
de reprocher à Sarkozy et Merkel de ne pas avoir appliqué
leur remède plus directement, plus vigoureusement. « Il
aurait fallu un plan massif dès le départ », plan dans
lequel on trouve aussi bien la réduction de la dette que les
mesures de rigueur. Moscovici, directeur de campagne de
Hollande, explique quant à lui : « Il faut que les
Européens acceptent enfin la mutualisation de la dette et
dotent le Fonds de stabilisation financière des moyens
dont il a besoin. On ne peut pas contraindre la Grèce à de
tels sacrifices sans lui donner une perspective. » Pas
question donc de ne pas contraindre la Grèce aux sacrifices,
il faut simplement assortir la chose de « perspectives »...
Le socialiste Moscovici ne distingue pas entre la Grèce qui
paye la facture et s’enfonce dans une détresse sociale de
plus en plus insupportable, et la Grèce des armateurs, des
banquiers et de l’Église orthodoxe, premier propriétaire
foncier du pays, qui continuent leurs affaires comme si de
rien n’était sans contribuer le moins du monde à l’« effort
collectif »... Quant à la « perspective » qu’il offre, comme
son candidat, c’est ni plus ni moins celle d’une
« amélioration » de la politique de Merkel et Sarkozy...
avec la même « perspective » de succès.
Tout
comme le NPA et les autres organisations d’extrême gauche,
le Front de Gauche a affirmé sa solidarité avec le combat de
la population grecque contre la décision prise par le
parlement et la politique de destruction sociale imposée par
l’Union européenne, le FMI et la BCE. Pour Jean Luc
Mélenchon, la rafale de plans d’austérité imposés à la Grèce
n’est qu’un avant-goût de ce qui se prépare pour l’ensemble
de l’Europe, ajoutant qu’il voudrait « interpeller
François Hollande en l'appelant à voter contre le
mécanisme de stabilité que va mettre en place l'Union
européenne ». Il y a fort à parier que le message
restera lettre morte...
Olivier
Besancenot, quant à lui, a donné la seule véritable
perspective de solution, « réclamer, comme mesure
immédiate, l'annulation de la dette grecque et, au-delà de
la Grèce, car c'est une question qui touche tout le monde,
une grande enquête citoyenne, un audit, sur les dettes
européennes pour savoir qui spécule sur quoi ». C’est
effectivement la seule politique, s’appuyant sur les
mobilisations dont la population grecque donne encore une
fois l’exemple, qui puisse nous sortir de la logique dans
laquelle nous enferme la politique de l’Europe de Merkel et
Sarkozy, et dont la situation en Grèce constitue un bilan
particulièrement éclairant.
Le
bilan de deux années de « soutien »...
Ce
« soutien » s’est matérialisé sous la forme de trois
« plans ». Le premier, en mai 2010, a porté sur 110
milliards d’euros dont 80 fournis par les pays de la zone
euro - qui ont emprunté pour prêter à la Grèce à des taux
plus élevés...- et 30 par le FMI. La BCE, a qui ses statuts
interdisent de prêter directement aux États, commençait
alors à racheter aux banques européennes des titres de dette
publique -de Grèce, mais aussi d’Espagne, du Portugal, etc.-
qui n’arrivaient plus à trouver preneur sur les marchés du
fait des craintes de faillite des États. En échange de cette
aide - qui n’est rien d’autre qu’un nouveau prêt ne
diminuant en rien le poids de la dette -, la troïka ainsi
constituée imposait un premier plan d’austérité s’attaquant
aux fonctionnaires, aux retraites et se traduisant par une
augmentation de la TVA.
La
deuxième « aide », en juin 2011, portait sur 109 milliards
d’euros, dont 79 venant du FESF et du FMI, les 30 autres de
la privatisation d’une partie des services publics. En plus
de ces privatisations imposées par la troïka, le nouveau
plan d’austérité comportait des mesures portant sur
l’« amélioration de la compétitivité et de la souplesse du
marché du travail »…
Le
troisième plan, décidé fin octobre 2011 et en cours de mise
en œuvre actuellement, porte sur une somme de 230 milliards
d’euros, dont 100 viendraient de l’effacement « volontaire »
d’une partie de la dette (50%) par les créanciers privés
(banques et autres institutions financières) et 130 d’un
nouveau prêt du FMI et de l’Union européenne par le biais du
FESF.
Le
versement de ces 130 milliards est soumis par la troïka à
deux conditions. La première est qu’un accord soit trouvé
entre les représentants des créanciers privés et le
gouvernement pour la mise en œuvre pratique de la décote de
50 % sur la dette. La seconde était le vote par le Parlement
d’un nouveau plan d’austérité et l’engagement écrit par les
divers partis de gouvernement de le mettre en œuvre...
Ce
plan, qui prévoit de nouvelles augmentations de taxes, une
nouvelle purge de 15 000 emplois dans les rangs des
fonctionnaires, des coupes dans les retraites et une baisse
de 22 % du salaire minimum (réduit à 586 euro) vient encore
ajouter aux conséquences sociales dramatiques de la crise et
des plans précédents. En moins de deux années, 30 % de la
population a basculé en dessous du seuil de pauvreté, du
fait de l’explosion du chômage mais aussi de l’effondrement
des revenus, aussi bien dans la fonction publique que dans
le secteur privé. Dans les villes, de nombreux magasins ont
fermé leurs portes, faute de clients. Les services publics
les plus nécessaires, comme l’éducation ou la santé, sont en
train de se désintégrer.
Le
vote par le parlement de ce nouveau plan a mis le feu aux
poudres. Au delà des reculs sociaux inacceptables qu’il
prétend imposer à la population, il est d’autant plus
révoltant que la preuve est faite que la politique menée
depuis le début de la crise de la dette est un échec patent
du point de vue des discours qui prétendaient y mettre fin.
Il suffit pour s’en convaincre de voir, dans le tableau
ci-après, l’évolution sur les dernières années de la
croissance, du chômage et de la dette...
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Croissance du PIB
|
4,3
%
|
1
%
|
-
2 %
|
- 4,5 %
|
- 6 %
|
Chômage (%
pop.active)
|
8,3
%
|
6,8
%
|
9
%
|
13,3
%
|
21 %
|
Dette (% du PIB)
|
113
%
|
116
%
|
131
%
|
147
%
|
152 %
|
Concernant
la croissance, on voit bien que les divers plans d’austérité
ont précipité l’économie dans la récession. Cette récession,
associée aux suppressions de postes de fonctionnaires, a
fait exploser le chômage, qui a triplé depuis 2008. Quant à
la dette que ces plans devaient réduire, elle n’a cessé
d’augmenter en pourcentage du PIB, même si son montant, 345
milliards d’euros, est resté stable.
Ce
résultat est l’illustration des véritables objectifs de la
politique de Merkel et Sarkozy et de leurs complices de la
BCE et du FMI : sauver les banques des conséquences de leur
politique de rapine et de spéculation quel qu’en soit le
coût pour les peuples. D’une part, les États européens et le
FMI ont pris le relais des banques privées pour prêter de
l’argent à la Grèce afin qu’elle puisse continuer à assurer
le paiement des échéances vis-à-vis des créanciers privés.
D’autre part la BCE a racheté sur le marché obligataire
secondaire tous les titres de dette dépréciés par la crainte
de faillite dont les banques voulaient se débarrasser.
Résultat de ces plans, sur les 345 milliards de dette
actuels, 205 concernent encore les créanciers privés. Sur
les 140 milliards restant, 110 se répartissent entre les
titres rachetés par la BCE et les prêts accordés directement
à la Grèce par l’Union européenne et le FMI.
Mais
ces transferts de dette, tout comme la politique d’austérité
qui les accompagne, s’avèrent aujourd’hui bien incapables de
mettre un terme à la purge de la bulle spéculative qui
s’était constituée sur la dette. Les plans d’austérité n’y
peuvent rien : le pillage aussi inhumain soit-il des
richesses produites par les travailleurs grecs ne sera
jamais capable de combler le gouffre sans fond créé par la
spéculation sur la dette du pays. Les créanciers privés
eux-mêmes sont obligés de le reconnaître et de l’accepter...
soi disant « volontairement ». C’est pourquoi ils se sont
engagés en octobre dernier à annuler 50 % de la dette dont
ils détiennent toujours les titres sous la forme du
remplacement progressifs de ces titres par des titres de
valeur moitié, remboursables sur trente ans. Les
négociations interminables actuelles entre le gouvernement
grec et les représentants des banquiers portent sur les taux
d’intérêts pour ces nouveaux titres, qui devraient s’élever
à 3,5 %, ainsi que sur la participation ou pas de la BCE à
l’opération de décote, sur les titres qu’elle a acquis.
Les
pertes « acceptées » par les banques pourraient en réalité
largement dépasser la décote prévue de 50 % pour atteindre
70 %. Une purge sévère à laquelle créanciers et spéculateurs
sont contraints de crainte que le débiteur ne sombre dans
une faillite qui non seulement leur ferait perdre la
totalité de leur mise sur la dette grecque, mais risquerait
surtout de déclencher un nouvel effondrement financier
généralisé.
Cette
purge était inévitable, elle est en cours, non seulement sur
la bulle spéculative de la dette grecque, mais aussi, plus
ou moins ouvertement, sur la dette de l’ensemble des pays
européens. A commencer par l’Espagne, qui entre de nouveau
en récession alors que 20 % des travailleurs est au chômage,
et le Portugal, soumis comme la Grèce à un plan d’austérité
drastique. Les dernières notations de l’agence Moody’s sont
comme un avertissement : elle vient de dégrader la note de 6
pays européens, dont l’Espagne, le Portugal et l’Italie, et
a mis le triple A de la France sous surveillance...
Les
dirigeants de l’Union européenne, comme ceux de la BCE et du
FMI savent parfaitement que la crise de la dette n’est pas
terminée. Leur politique n’a pas d’autre objectif que d’en
atténuer autant que faire se peut les conséquences pour
leurs donneurs d’ordres, grands actionnaires des holdings
financières qui dirigent le monde. Le résultat inévitable de
cette politique est une aggravation de la crise.
Au
cœur de cette crise se trouve la contradiction entre la
masse, qui ne cesse de croître, de capitaux à la recherche
de profit alors que cette même course au profit étouffe
l'économie, que les perspectives d’investissements
productifs sont, de ce fait, de plus en plus limités par la
récession. C’est la raison pour laquelle ces capitaux
cherchent d’autres sources de profit, dans la spéculation,
dans « l’industrie de la dette ». « Investir » dans la dette
publique est ainsi un moyen pour les capitalistes de
s’assurer une rente, nourrie par le pillage de plus en plus
systématique, organisé par les États, des richesses
produites par le travail humain. Mais cette politique
contribue à accentuer encore plus l’étouffement de
l’économie, la récession, comme le montre l’exemple de la
Grèce dont le PIB ne cesse de reculer.
Sachant
la purge de ces masses de capitaux inévitable, les classes
dominantes essayent de la contrôler, d’éviter qu’elle ne
s’accompagne d’un brutal effondrement du système. Mais la
seule autre perspective qu’offre cette politique, le futur
que nous prépare l’Europe de Merkel et Sarkozy, c’est la
mort à petit feu !
C’est
la vie que nous voulons, et pour cela, il nous faut prendre
en main, avec nos méthodes, la purge du système financier.
Prendre
en main la purge du système financier
La
population grecque, par ses mobilisations, par son
acharnement à s’opposer à la politique de son gouvernement,
montre la seule voie possible pour sortir de l’impasse
financière, économique, sociale et politique a laquelle nous
condamne l’Europe des banques et de ses représentants
politiques.
Seules
les mobilisations massives, déterminées, des travailleurs de
chaque pays d’Europe pourront non seulement empêcher leurs
dirigeants politiques de mettre en place leurs plans
d’austérité, mais aussi inverser la tendance, passer à
l’offensive pour imposer leurs propres exigences sociales
(salaires, emplois,...), imposer leurs propres solutions à
la crise.
Pour
cela, il faut aller jusqu’au bout, refuser de payer plus
longtemps pour une dette dont les travailleurs ne sont en
rien responsables et qui n’est qu’un des moyens, pour les
capitalistes, d’extorquer une part toujours plus importante
des richesses produites par la société. Il faut imposer
l’annulation pure et simple de la dette publique. Les sommes
consacrées au paiement des intérêts et au remboursement du
capital ainsi récupérées trouverait immédiatement une
véritable utilité sociale, pour financer les mesures
sociales les plus urgentes, remettre en état de marche les
services de santé, d’éducation, tous les services publics
mis à mal par des années de destruction.
Cette
annulation de la dette doit s’accompagner de la mise hors
d’état de nuire d’un système financier soumis aux seuls
intérêts d’une infime minorité de parasites sociaux.
Exproprier les grands actionnaires des institutions
financières sans indemnité ni rachat et constituer à partir
des banques existantes un service public bancaire placé sous
le contrôle de ses employés et de la population est la seule
façon de mettre fin à la gabegie destructrice de la
spéculation, et de mettre à la disposition de l’économie un
système de crédit assurant les investissements nécessaires à
la satisfaction des besoins de tous, tout en se donnant les
moyens de respecter l’environnement.
Cette
révolution sociale et économique est bien évidemment
inséparable d’une révolution démocratique, le remplacement
du pouvoir de plus en plus illégitime de parlements
croupions, de gouvernements ouvertement soumis aux ordres
des banquiers, par un authentique pouvoir démocratique,
celui de la population laborieuse organisée autour de la
gestion de ses intérêts collectifs.
Daniel
Minvielle