150° anniversaire de l’origine des espèces Le socialisme ou la continuité de l’évolution des sociétés humaines….
Nous avons voulu, tout au long de la série
d’articles sur Darwin à l’occasion du 150ème
anniversaire de la publication de « L’origine des
espèces », souligner l’actualité de la théorie de
l’évolution, qui repose sur une conception matérialiste à la
base de toute démarche pour comprendre le monde et agir sur
lui. Nous avons voulu souligner l’actualité du matérialisme
qui, en tant que démarche scientifique, est indispensable
aux opprimés pour saisir les enjeux et les conditions
objectives du combat pour changer la société. Et ainsi
apporter notre modeste contribution à sa défense, un combat
d’autant plus fondamental aujourd’hui que la crise globale
du capitalisme et son cortège de désastres renforcent les
préjugés, le moralisme, les idées réactionnaires de toutes
sortes, entretenus et utilisés par les classes dominantes
contre les idées d’émancipation.
Darwin a transformé la vision de la place de
l’homme dans l’évolution en l’intégrant pleinement à la
nature, en commençant à établir une continuité entre nature
et culture, entre évolution du monde vivant et histoire des
sociétés humaines en dehors de toute intervention divine ou
surnaturelle. Ainsi que Marx l’écrivait à Engels, la théorie
de l’évolution est « le fondement historico-naturel de
notre conception ».
Discuter de la théorie de l’évolution participe de
l’indispensable travail de réappropriation du marxisme
auquel les révolutionnaires sont confrontés. La théorie
fondée par Marx prend en effet appui sur les progrès de la
pensée humaine, des connaissances scientifiques ; elle est
le prolongement de la théorie de l’évolution de Darwin pour
comprendre l’Histoire et le développement des sociétés
humaines et donne ainsi aux luttes d’émancipation, à la
perspective du socialisme, une base matérialiste,
scientifique, objective. Elle leur donne aussi leur force au
sens où elle enracine les idées d’émancipation dans les
faits sociaux eux-mêmes, dans leur histoire, leur
développement.
La
conception matérialiste de l’évolution des sociétés
humaines
En montrant dans « La filiation de l’homme »
la continuité de l’évolution biologique jusqu’à l’apparition
des civilisations humaines, Darwin a ébauché des éléments
d’explication du passage de l’état de nature à l’état de
culture. Mais c’est à Marx et Engels que revient d’avoir
réellement décrit les mécanismes particuliers de l’histoire
des hommes. Se situant du point de vue de la critique
révolutionnaire du capitalisme, Marx est allé plus loin que
Darwin, en portant non seulement sur la nature, mais aussi
sur la société de son temps, le regard de l’analyse
scientifique, pour dégager des lois régissant l’Histoire. La
conception de Marx permet ainsi de replacer l’Histoire dans
une vision globale du monde, incluant la matière, le vivant
et son évolution, l’histoire des sociétés. Il a poussé
l’analyse aussi loin que le permettait l’état des
connaissances de son époque, - dont la théorie de Darwin -,
pour comprendre les contradictions de la société de son
temps, en les analysant comme les produits d’une histoire,
produit de l’histoire du capitalisme s’inscrivant elle-même
dans toute l’histoire des sociétés. Il a inscrit ainsi la
perspective du socialisme dans la continuité de cette
histoire.
Parce que son point de vue était celui des
opprimés, Marx a su voir à travers le capitalisme moderne
naissant du XIXème siècle, les contradictions et
le développement des bases matérielles permettant le
socialisme. Les idéologues de la bourgeoisie caricaturaient
alors les découvertes de la science comme la théorie de
l’évolution de Darwin pour essayer de prouver le caractère
« naturel » de la société capitaliste de classe, basée sur
l’individualisme et la concurrence. Marx au contraire, en
s’appuyant sur ces données, a inscrit le mode de production
capitaliste dans le mouvement historique général, révélant
son caractère transitoire, temporaire. Il donnait ainsi un
fondement théorique à la lutte des opprimés pour leur
émancipation, aux idées du socialisme et du communisme.
Ces idées avaient déjà émergé, avant Marx, d’une
période de profonds bouleversements sociaux et de
développement du capitalisme moderne. La révolution
française, en balayant radicalement l’Ancien régime et en
bouleversant au plus profond les rapports de la vieille
société féodale, avait révélé les déterminismes sociaux de
la lutte des classes, le rôle des masses. Marx n’a pas
seulement mis en évidence le rôle de la lutte des classes,
que certains historiens de la bourgeoisie admettaient, mais
en s’appuyant sur toutes les nouvelles données scientifiques
de son époque, il a montré que l’organisation sociale
(esclavage dans l’Antiquité, servage au Moyen-âge, salariat
à l’époque capitaliste) avait une base matérielle : les
conditions matérielles d’existence des hommes, déterminées
par l’état de développement des techniques, des forces
productives. Il a montré que le capitalisme, nouveau mode de
production, développait de nouveaux antagonismes de classes,
simplifiant ces rapports en scindant la société en deux
classes aux intérêts diamétralement opposés, la bourgeoisie
et le prolétariat.
L’idée du socialisme est née du développement du
capitalisme sauvage du XIXème siècle et de ses
conséquences dramatiques sur les conditions d’existence des
prolétaires, comme un modèle d’organisation sociale idéale,
harmonieuse, mais qui demeurait pour beaucoup de militants
une utopie. Marx a donné toute sa dimension historique à
cette perspective socialiste, en montrant qu’elle
s’inscrivait dans le mouvement des sociétés comme une étape
vers un stade de développement supérieur, inscrit dans les
contradictions même du développement du capitalisme.
La division des premières sociétés en classes
antagonistes avait été une conséquence de la difficulté de
produire suffisamment de biens pour assurer aux hommes des
conditions d’existence sinon confortables du moins
suffisantes. Le prodigieux développement des forces
productives à l’époque du capitalisme créait les conditions
d’une production organisée pour satisfaire les besoins de
tous, la possibilité de planifier rationnellement la
production en fonction des besoins des populations,
permettant pour la première fois de son histoire à
l’humanité de pouvoir envisager de sortir de la barbarie de
la société de classe. Le marxisme est la science globale de
cette transformation révolutionnaire pour œuvrer à la
réalisation de cette étape de l’évolution des sociétés
humaines.
Le
marxisme aujourd’hui, une conception globale de
l’évolution pour construire l’avenir
Le marxisme n’est donc pas une science à part. Mais
bien plutôt le cadre pour une synthèse de tous les progrès
de la connaissance visant à mieux comprendre le monde pour
le transformer consciemment. Ou plutôt, il n’est une science
à part que dans son domaine propre, celui de la lutte des
opprimés pour leur émancipation.
C’est justement le point de vue révolutionnaire du
marxisme qui, en lui donnant son caractère radical, sa
capacité à pousser jusqu’au bout les raisonnements, lui
permet d’englober toutes les sciences sans craindre les
conséquences pratiques sociales, la remise en cause des
idées reçues, les ruptures radicales, les contradictions
soulignées...
Le matérialisme de Marx repose sur la compréhension
d’une réalité évoluant par accumulation de contradictions
qui finissent par trouver leur propre dépassement à travers
des situations de crises, c’est un matérialisme dialectique.
Il se distingue en cela du matérialisme de Darwin qui, au
contraire, insistait sur une évolution graduelle, par lente
accumulation de transformations, par opposition aux dogmes
religieux et à leur traduction sur le plan des théories
scientifiques. Les scientifiques encore dominés par la
religion expliquaient les fossiles et la diversité des êtres
vivants dans le cadre d’une histoire courte, compatible avec
la bible et donc parsemée de catastrophes, de déluges suivis
de nouvelles créations. Darwin a combattu le catastrophisme
des théories de son époque et leur cortège de mystères.
S’appuyant sur le développement des découvertes géologiques,
il a souligné l’immensité de la durée de l’histoire de la
terre et le caractère très progressif de l’évolution.
Les progrès de la science, tout en confirmant la
théorie de l’évolution, ont en quelque sorte réhabilité la
vision dialectique de l’histoire. Les faits montrent que
l’évolution n’est pas un long fleuve tranquille mais qu’elle
se compose de périodes relativement courtes - en millions
d’années - de grandes crises biologiques marquées par
d’importantes extinctions d’espèces, suivies de périodes
d’explosions et de diversification de nouvelles espèces qui
se prolongent par des phases d’évolution adaptative plus
lentes.
La conception matérialiste d’une histoire évoluant
de façon dialectique constitue aujourd’hui le cadre non
seulement de la compréhension de toutes les nouvelles
connaissances scientifiques dans tous les domaines, mais
aussi celui qui rend le mieux compte des lois propres de
l’évolution économique, sociale, politique des sociétés
humaines. Elle s’est, de fait, imposée.
La science a fait des progrès immenses, l’évolution
des techniques a bouleversé les conditions de production qui
ont transformé profondément la société et la planète. Le
capitalisme est entré dans une nouvelle période, celle de la
mondialisation qui, en étendant les lois du marché
capitaliste à l’échelle planétaire, porte les contradictions
du capitalisme à un niveau encore jamais connu et qui
atteint ses limites.
Les nouvelles connaissances scientifiques nous
donnent aujourd’hui les moyens de comprendre le monde dans
son histoire et sa globalité, un monde dont nous sommes
issus et qui nous a façonnés, et d’envisager d’agir
consciemment à sa transformation. Cela nécessite, comme à
l’époque de Marx et des débuts du capitalisme moderne,
d’intégrer l’ensemble de nos connaissances sans craindre
aucune des conséquences théoriques et pratiques de cette
synthèse, d’oser voir la réalité telle qu’elle est, comme
Darwin et Marx avaient su voir la nature et le monde et
opposé patiemment les faits à la morale et aux préjugés
bourgeois.
Mener consciemment la lutte de classe dans ce monde
nouveau, tirer de son apparent chaos les bases d’une
compréhension globale, les liens qui unissent les phénomènes
et les évènements, nécessite de nous approprier et
d’actualiser la méthode qui a été celle de Darwin et Marx,
le matérialisme.
Des pas immenses sont réalisés par la science : la
compréhension de l’évolution progresse en intégrant de plus
en plus de données et d’observations, l’écologie tente une
approche globale de la biosphère, de l’écosystème-terre… A
nous de nous saisir de ces avancées qui vont dans le sens
d’une vaste synthèse pour pousser jusqu’au bout leurs
conséquences, c'est-à-dire en finir avec la propriété
capitaliste pour transformer le monde en créant les
conditions de la réappropriation par les hommes des fruits
de leur activité, par la maîtrise d’une production qui
respecte la nature, la planification socialiste, inscrite
dans le processus même de l’évolution des sociétés.
Laissons le mot de conclusion à Engels qui
écrivait : « (…) les faits nous
rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur
la nature comme un conquérant règne sur un peuple
étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la
nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair,
notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein
et que toute notre domination sur elle réside dans
l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres
créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en
servir judicieusement. Et, en fait, nous apprenons chaque
jour à comprendre plus correctement ces lois et à
connaître les conséquences plus ou moins lointaines de nos
interventions dans le cours normal des choses de la
nature. (…), nous apprenons
peu à peu, au prix d'une longue et souvent dure expérience
et grâce à la confrontation et à l'étude des matériaux
historiques, à élucider les conséquences sociales
indirectes et lointaines de notre activité productive et,
de ce fait, la possibilité nous est donnée de dominer et
de régler ces conséquences aussi.
Mais, pour mener à bien cette réglementation, il
faut plus que la seule connaissance. Il faut un
bouleversement complet de tout notre mode de production
passé et, avec lui, de tout notre régime social actuel. » [1]
Bruno Bajou et
Christine Héraud
[1]-
Friedrich Engels, Le rôle du travail
dans la transformation du singe en homme, dans la
dialectique de la nature, 1883 : http://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf