Quelle politique pour les organisations syndicales ? Une indispensable discussion
Le
1er juillet, Sarkozy a reçu les « partenaires
sociaux » pour définir son nième calendrier
de concertations sur les priorités de son emprunt national
jusqu’en octobre. Le jeu de dupes du « dialogue social »,
où Sarkozy décide de toute façon, se poursuit après les
mobilisations de ces derniers mois, pour la plus grande joie
de Parisot qui se félicite d’une « très bonne réunion de
travail ».
Mais
en même temps que les directions des grandes confédérations
se prêtent complaisamment à son jeu, le gouvernement prépare
une série de mauvais coups. Entre le 7 et le 11 juillet,
Sarkozy veut faire passer sa loi sur le travail du dimanche
qui représente une dégradation des conditions de vie pour
les salariés du commerce et aussi des autres secteurs qui
devront suivre. Le gouvernement orchestre une campagne
contre les arrêts maladie « abusifs » et Lefebvre
vient de déclarer que permettre aux salariés en arrêt
maladie ou en congé maternité de travailler de chez eux va
« dans le sens de la modernité », « on y reviendra » !
La loi sur le prêt de main d’œuvre, qui rend encore plus
flexibles les salariés, vient de passer en première lecture
en juin. Sans parler du service minimum dans les écoles, où
des maires sont convoqués devant le tribunal administratif
pour leur refus de l’appliquer.
Face
à cette offensive, les « partenaires sociaux » se
plaignent du fait que le gouvernement n’a pas « concerté »,
à l’image de Chérèque : « Nous assistons à un
contournement dangereux de la part du gouvernement et du
Parlement des engagements pris »… Façon d’accréditer
ces soi-disant « engagements » !
Cette
situation nous renvoie au bilan des luttes des derniers
mois. Alors que la révolte est toujours présente, comme en
témoigne la lutte des Molex qui viennent de partir en grève
illimité le 7 juillet, les directions des grandes
confédérations restent sur leur stratégie de « dialogue »
alors que la crise s’aggrave pour les classes populaires qui
en font les frais.
Au
nom de « l’unité du front syndical », les directions
syndicales n’ont jamais voulu aller au-delà de cette
politique, en proposant des journées très éloignées et en
refusant de prendre des initiatives pour regrouper les
salariés en lutte, en particulier contre les licenciements.
L’unité est indispensable pour la lutte et les travailleurs
n’ont rien à gagner des sectarismes qui servent des intérêts
d’appareil. Tant mieux que la CGT se revendique de l’unité.
Mais celle-ci ne doit pas servir à verrouiller, au
contraire, elle doit servir à passer par-delà les clivages,
y compris entre organisations syndicales et politiques qui
veulent lutter et porter les exigences du monde du travail
face aux classes dominantes et au gouvernement qui les sert.
Au
lieu de cela, l’unité s’est faite sur un terrain compatible
avec la politique du « dialogue social » de Sarkozy,
comme l’a témoigné la plate-forme revendicative du 5 janvier
adoptée par les 8 organisations syndicales. Alors que la
révolte se renforçait face aux milliards donnés aux banques
par l’Etat, les revendications restaient sur le terrain
compatible avec la politique du « dialogue social » menée
par le gouvernement.
Face
à la vague de licenciements qui commençait à s’étendre, la
plate-forme réclamait la « négociation » du chômage
partiel ou des recours aux RTT, avec quelques généralités
sur la formation qui pouvait sauver les emplois ! Comme si
les plans de licenciements n’obéissaient pas à la pure soif
de profits d’actionnaires qui veulent récupérer leur mise en
mettant à la rue des salariés.
Sur
les salaires, rien n’était chiffré en termes de
revendications et de pertes de pouvoir d’achat qui
s’accumulent depuis des années. L’argument invoqué était :
« orienter la relance économique vers l’emploi et le
pouvoir d’achat ». La revendication du SMIC à 1500 €
net aurait permis au contraire d’en faire une question
unifiante pour l’ensemble des salariés et de porter
l’exigence face au gouvernement comme cela s’est fait dans
les Antilles. Au lieu de cela, les confédérations se sont
contentées de réclamer timidement un « coup de pouce »
du SMIC avant les manifs du 13 juin que Sarkozy s’est bien
empressé de refuser.
Enfin,
les mesures sur la crise et sur les dépenses d’argent public
au profit des banques et des patrons restaient très…
mesurées : « Toute aide accordée à une entreprise doit
être ciblée et faire l’objet de contreparties (…) Dans
le cas spécifique du secteur bancaire, l’utilisation des
aides publiques doit donner lieu à un contrôle direct par
l’Etat »… d’autant que c’est lui qui les accorde
généreusement !
Cette
unité des grandes confédérations repose sur cette politique
de la négociation à froid et du compromis pour éviter à tout
prix l’affrontement avec l’Etat. Chérèque a été très clair
sur ses objectifs en déclarant la veille du 19 mars « les
journées, c’est pour canaliser le mécontentement, vous savez
autrement, ça pourrait exploser de manière incontrôlée » !
Tout comme Mohamed Oussedik, de la direction de la CGT, qui
expliquait à la veille du 13
juin que « Généraliser la grève affaiblirait l'action des
salariés ».
Face
au sentiment de gâchis d’une possibilité de généralisation
des luttes qui s’exprime dans les équipes militantes, il est
clair que le débat va s’intensifier. Après 3 millions de
salariés dans la rue, des luttes combatives dans toute une
série de secteurs, comment en est-on arrivé là ? Les bilans
vont se tirer, en particulier dans la CGT où la direction
veut faire signer sa politique du « dialogue social »
lors de son prochain congrès de décembre. En effet, une
nouvelle situation se met en place avec la loi sur la
représentativité qu’elle a défendue et où elle espère tenir
la première place. Comme le dit Maryse Dumas, en expliquant
que la CGT signe 80 % des accords d’entreprise aujourd’hui :
« Dans un grand nombre de cas (...) c'est
de la signature de la CGT que dépendra la validation, ou
l'invalidation, de tel ou tel accord collectif »… C’est
ce tournant que veut imposer aujourd’hui la direction de la
CGT.
Le 49ème congrès de
la CGT : plier le syndicat au cadre de la
« représentativité »
Fait
significatif de la préparation de ce congrès, alors qu’aucun
texte d’orientation n’est encore sorti, puisqu’il faudra
attendre septembre, une commission a déjà sorti un texte sur
les « structures » à changer dans le syndicat.
Le
texte parle de « construction de rapport de force »,
non pas par la convergence des luttes mais pour le
« développement d'un syndicalisme d'adhérents » dans
l’objectif d’être en meilleure posture pour la négociation.
Mais de quelles négociations peut-on parler sans réel rapport
de force par la grève, par la capacité des salariés à bloquer
la production et à peser en tant que classe sociale ?
Dans
le même ordre d’idées, le texte critique les « syndicats
d’entreprise » qui ne sont plus suffisamment adaptés,
voire trop « corporatistes », en préconisant des
syndicats « multiprofessionnels » qui ne seraient
plus basés sur l’entreprise pourtant nerf de la guerre. De
même, il critique les Unions Locales qui en font trop, les
fédérations qui devront se regrouper… surtout les plus
remuantes.
Mais
au-delà des manœuvres, c’est une vision qui n’a plus grand
rapport avec les idées de lutte de classe qui est défendue.
Des regroupements de branche obéissant à la nouvelle donne
de la « représentativité » et plus selon les conventions
collectives, des Unions Locales qui doivent maintenant « rendre
des services effectifs aux salariés » et surtout pas
des lieux de convergence entre équipes militantes !
Tout
cela est justifié au nom de « l’évolution du salariat »
qui ne serait plus rattaché à une entreprise. La fameuse
sécurité sociale professionnelle vient même renforcer cette
argumentation : « C’est pourquoi l’objectif d’une
Sécurité sociale professionnelle n’est pas seulement pour
nous une protection contre l’instabilité de l’emploi mais
aussi l’instrument de cette liberté individuelle ».
Comme
si la précarisation et l’éclatement des salariés n’étaient
pas un produit de la lutte de classe menée par le patronat
et les gouvernements successifs. Défendre l’unité des
travailleurs réclame au contraire de s’appuyer sur les
syndicats dans les entreprises qui se battent contre la
politique de division menée par les patrons avec le recours
à l’intérim ou à la sous-traitance.
Mener le débat pour un
syndicalisme de lutte de classe
Le
débat sur les revendications, les objectifs, la tactique,
doit se mener au sein des organisations syndicales. Des
équipes militantes s’opposent à cette politique
d’accompagnement, comme en témoigne la réunion de 350
métallos CGT du Nord le 1er juillet ou
l’initiative de créer une « coordination de lutte »
entre la CGT Goodyear et Philips face à « l’inexistant
des confédérations syndicales ».
Face
à la crise, quelle politique mener ? La convergence des
luttes est indispensable pour imposer au patronat et au
gouvernement les exigences du monde du travail. Cela
signifie formuler des revendications claires, qui partent
des besoins fondamentaux du monde du travail.
Il
nous faut discuter de la légitimité de l’interdiction des
licenciements, seule revendication capable d’unifier les
luttes actuelles. Ce n’est pas une question de
« proposition » abstraite, mais une question de rapport de
force. Le patronat, les actionnaires n’ont qu’à prendre sur
le capital accumulé, mais ce n’est pas aux salariés de
payer. Il nous faut renforcer et populariser cette exigence,
mettre en avant la légitimité du contrôle et de la remise en
cause du droit des patrons de faire ce qu’ils veulent.
De
même, il nous faut discuter du partage du travail entre
tous : quand la charge de travail diminue, il est
inadmissible que les salariés en fassent les frais, soient
les « variables d’ajustement » à travers les licenciements,
le prêt de main d’œuvre ou le chômage partiel.
Il
faut rediscuter des questions de salaires face aux
augmentations des prix à la consommation. Pour unifier les
luttes, il faut des revendications qui peuvent être claires
pour tout le monde, en les chiffrant de façon uniforme. Pas
de salaire inférieur à 1500 € net, 300 € pour tous
d’augmentation.
De
fait, cela signifie ne pas craindre l’affrontement avec le
pouvoir. De telles revendications portées dans tout le pays
deviennent des revendications politiques. Elles posent le
problème du contrôle, de qui dirige la société.
C’est ce que le LKP a commencé
en Guadeloupe en posant le problème social en termes de
rapport de force politique face au pouvoir et face aux
patrons. Il a refusé de se faire instrumentaliser par Sarkozy
en refusant de participer à la comédie des « Etats généraux
d’outre mer ». Si Sarkozy peut continuer la comédie du
dialogue social avec des directions de confédérations
syndicales qui jouent ce jeu de dupes, en Guadeloupe, il a dû
faire un passage éclair avec un renfort de 750 policiers… pour
déclarer : « Le droit de grève ne peut pas être utilisé
comme un instrument de propagande et de déstabilisation
politique. Je ne suis pas prêt à accepter l'inacceptable ».
Car c’est bien la grève politique, pour défendre les intérêts
de l’immense majorité face à une poignée de privilégiés,
qu’ils craignent le plus.
Pour cela, la méthode que les
militants des Antilles ont utilisée est riche d’enseignements.
Il nous faut militer pour l’unité de tous ceux et toutes
celles qui veulent lutter, en regroupant organisations
syndicales, associatives, politiques, en sortant des
cloisonnements qui paralysent. C’est en créant de tels cadres
militants que pourra se mener le débat démocratique sur la
lutte elle-même, sa politique, ses revendications, ses
objectifs. Cette démocratie est indispensable pour permettre
aux travailleurs, aux militants, de s’emparer de la
construction et de la direction de leur propre mouvement en
vue de l’inévitable confrontation avec le pouvoir.
Laurent
Delage