La
théorie de l'évolution des êtres vivants à laquelle Charles
Darwin a donné une base scientifique est aujourd’hui reconnue
comme le cadre fondamental pour comprendre le monde vivant.
Depuis 150 ans, tous les progrès de la science dans le domaine
des sciences de la vie et de la Terre, sont venus enrichir,
compléter et donc confirmer cette théorie de l'évolution. Dans
sa forme modernisée, la théorie de l’évolution intègre
l’ensemble des données de la géologie et des mouvements du
globe, les découvertes de nombreux fossiles, le développement
de la biologie cellulaire et des mécanismes de l'hérédité,
l'étude du développement embryonnaire, de l’anatomie comparée…
et de bien d’autres données qui n’existaient pas encore à
l’époque de Darwin. C’est une théorie qui rend compte de
l’état présent du monde vivant, qui explique sa très grande
diversité et sa profonde unité en les enracinant dans
l’histoire même de la vie.
Bien sûr, bien des points dans cette
extraordinaire histoire de l'apparition, du développement, de
l'évolution des êtres vivants sur notre Terre depuis 4,6
milliards d'années restent à éclaircir. Les scientifiques
travaillent encore à étudier les étapes qui ont conduit à
l'émergence de la vie à partir du monde minéral. De grandes
étapes de l’évolution des animaux, ses mécanismes, restent à
préciser ou à élucider comme celle de ces mammifères qui ont
donné la lignée des primates, des singes, et parmi eux les
différentes espèces humaines jusqu’à notre espèce actuelle.
Ce n'est finalement
que tout récemment que l'on prend vraiment conscience des
implications écologiques de cette longue histoire des êtres
vivants qui nous obligent à penser la Terre en incluant tous
les être vivants, humains compris, en relation étroite avec
leur environnement, comme un tout reposant sur des équilibres
dynamiques en perpétuelle évolution.
Il y a donc encore bien de nouvelles
découvertes à faire, mais elles se feront dans le cadre même
du développement de la théorie de l’évolution car comme le
résumait en une formule un biologiste américain : « Rien en
biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de
l’évolution » [1].
Une théorie scientifique, toujours
remise en cause par les églises
Malgré cette reconnaissance du monde
scientifique, Darwin et sa théorie sont encore l'objet de
nombreuses attaques ouvertes ou plus masquées.
Depuis plusieurs années on assiste à une
offensive régulière des créationnistes et autres courants
intégristes de toutes les religions qui voudraient ramener
toute connaissance à la seule lecture fidèle du Coran, de la
Bible, ou de la Torah. Aux États-Unis les fondamentalistes
veulent que le récit de la création soit enseigné comme une
théorie scientifique. Mais en Europe aussi les intégristes
sont à l’offensive. Ainsi, en 2007, un livre financé par un
intégriste, millionnaire Turc, l’Atlas de la création, érigeant
la théorie de l’évolution comme le mal absolu, a été envoyé
gratuitement dans un grand nombre d’établissements scolaires.
De son côté ce n’est qu’en 1996 que
l'Église catholique « officielle », par l’intermédiaire
de Jean-Paul II, a déclaré que l’évolution ne devait plus être
considérée comme « une simple hypothèse », tout en
mettant en garde contre « les théories de l’évolution qui,
en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent
l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ».
Tout récemment en mars 2009, elle a organisé à Rome un
colloque: « L’évolution biologique : faits et théorie. Une
évaluation critique, 150 ans l'origine des espèces », à
l’occasion duquel un certain Mgr Gianfranco Ravasi a déclaré :
« Il n'existe aucune incompatibilité entre la théorie de
l'évolution et le message de la Bible ou la théologie ».
Ses compétences scientifiques doivent être du même ordre que
celle de l’évêque d’Orléans qui, emboîtant le pas au Pape,
déclarait que le virus du SIDA peut traverser un préservatif !
Même si elle ne peut pas s'empêcher de
faire étalage de son caractère profondément réactionnaire,
l'Église est bien obligée de s'adapter au progrès de la
connaissance scientifique du monde. Depuis longtemps déjà,
elle a dû régulièrement mettre de l'eau dans son vin de messe.
Ainsi elle a déjà du finir par reconnaître que, aux XVIème
et XVIIème siècles, Copernic puis Galilée
(officiellement réhabilité en… 1992 !) avaient bien eu raison
de dire que la Terre tourne autour du Soleil alors que
l'Église imposait le dogme, fidèle à la Bible, que la Terre
est le centre de l'Univers.
Depuis 150 ans, elle a aussi dû
reconnaître, même si c'est du bout des lèvres, qu'il y a bien
une évolution des êtres vivants, mais cela a toujours été en
cherchant à réintroduire Dieu comme chef d'orchestre. De leur
côté, une partie des fondamentalistes créationnistes, dans
leur offensive contre Darwin, ont fini par admettre eux aussi
l’évolution mais... en tant qu'œuvre de Dieu. L’évolution
serait pour eux orientée, guidée par une main invisible dont
le seul but aurait été d'arriver à l'Homme.... c’est ce qu’ils
appellent le « dessein intelligent » qui n’est qu’une
façon de cacher derrière un discours pseudo-scientifique le
mythe d’une création divine et de refaire des hommes l’œuvre
d’un Dieu auquel il faudrait se soumettre. Le dessein
intelligent prétend être une théorie scientifique mais ne fait
qu'utiliser un vocabulaire scientifique pour mieux faire
passer le même vieux fatras biblique.
L'Église est pour le moins ambigüe face
à cette nouvelle offensive des fondamentalistes, puisqu’en
2006 lors d’une rencontre de théologiens autour de Benoît XVI,
un cardinal autrichien a déclaré que le darwinisme et le « dessein
intelligent » n’étaient pas incompatibles. L'Église est
d’autant plus sensible à cette « pseudo-théorie » du dessein
intelligent que, si elle a bien dû reconnaître le fait même de
l’évolution, elle ne peut accepter le contenu le plus
révolutionnaire de la pensée de Darwin : le matérialisme.
Une théorie matérialistes aux
implications philosophiques profondes
La théorie scientifique de l'évolution
développée par Darwin reste indigeste pour les Églises et
leurs défenseurs parce qu'elle a de profondes conséquences sur
le plan philosophique et remet en cause les bases même des
religions.
La théorie de Darwin n'est pas la
première des théories de l'évolution, mais elle est la
première a proposer une explication scientifique, un mécanisme
objectif pour cette évolution. Cela a révolutionné les
sciences de la nature en faisant de la théorie de l'évolution
la base de la biologie scientifique moderne. C’est dans les
faits eux-mêmes, leur association, leur développement qu’il
faut chercher l’explication de l’évolution du monde vivant et
non dans une force qui lui serait extérieure.
Darwin a montré comment la vie se
développait, se diversifiait, en s'adaptant à un environnement
lui-même en perpétuelle évolution et que pour cela il n'y
avait pas besoin d'aller chercher une cause extérieure au
monde vivant lui-même. Pas de « dessein intelligent »,
aucune main de Dieu, aucune intervention divine ou extérieure
à la nature. L’évolution, pour Darwin, est régie par un
mécanisme « aveugle » au sens où il n'est pas la réalisation
d'un plan préétabli...
C'est une théorie matérialiste de
l'évolution du monde vivant, comme de l'émergence en son sein
des sociétés humaines.
Le matérialisme de la théorie de Darwin
sape les fondements de la croyance religieuse, comme il
bouscule plus largement toutes les idéologies qui voient dans
l'Homme un être à part, à côté voire au-dessus, du monde
naturel. Cela ouvre la possibilité pour l’Homme de mieux se
comprendre et, donc, d’agir consciemment sur son propre
destin.
Copernic et Galilée avaient montré que
l'Homme n'habitait pas le centre de l'univers, Darwin a
complété cette révolution des idées en montrant qu'il n'est
pas un être à part, mais une espèce partie intégrante d'un
monde vivant produit de toute une évolution, de toute une
histoire qui n’est écrite nulle part à l’avance mais s’écrit
en marchant ! Ni chef-d’œuvre d'une création divine, ni même
point d'orgue d'une évolution dont il serait l'aboutissement,
conscient de sa pleine intégration au monde naturel, il ne
reste plus à l'Homme qu’à se donner les moyens de prendre en
main sa propre histoire !
Et c’est bien sa portée émancipatrice
que combattent les religieux et idéalistes dans la théorie de
Darwin, ce matérialisme militant, au sens d’une philosophie,
d’une méthode permettant aux hommes d’agir pour prendre leur
destin en main.
C’est dans le cadre de cette montée des
idées réactionnaires, que le combat pour la défense de la
théorie de l’évolution de Darwin et de la méthode matérialiste
prend toute son importance. La lutte pour l’émancipation
nécessite de comprendre notre place dans la nature, la façon
dont le monde vivant a changé, la façon aussi dont les hommes
ont transformé la nature, construit des sociétés, fait
l’histoire, pour comprendre comment, aujourd’hui, ils peuvent
changer la société et changer leur vie.
La méthode matérialiste est
indispensable pour donner cette compréhension des enjeux et
des conditions objectives du combat pour l’émancipation, en
permettant d’agir consciemment et de conquérir sa liberté.
[1]-
Théodosius Dobzhansky, “Diversité génétique et égalité
humaine”, 1973.