4 Lutte pour l’émancipation et conception matérialiste de l’évolution
« Après
cinq jours très intenses, avec 35 exposés faits par autant
de spécialistes, on peut dire que l'objectif a été atteint.
La paix entre la création et l’évolution apparaît plus
solide aujourd’hui », ont ainsi résumé ses organisateurs
le colloque du Vatican qui s’est tenu en mars dernier à
l’occasion de l’anniversaire de la sortie de l’origine des
espèces de Darwin.
Depuis
que l’Eglise a été obligée d’accepter la théorie de
l’évolution, les jésuites de toutes obédiences déploient des
trésors d’énergie pour tenter de concilier le diable et le bon
dieu, le ciel et la terre ou, au moins, trouver un compromis
honorable entre création et évolution.
Contraints
d’intégrer les résultats de la science, leur combat n’a de
cesse de démontrer que l’évolution n’est pas incompatible avec
la création, la création n’est-elle pas elle-même
évolution... ? Pour tous les curés, l’essentiel est de
sauvegarder ce qui permet de dominer les âmes, le mythe des
origines et le mystère tout puissant de la création, clé de la
perfection divine devant laquelle les humbles pêcheurs n’ont
de cesse que de trouver la rédemption, de racheter leurs
fautes pour oublier leur culpabilité… Alors Dieu vaut bien un
compromis avec l’évolution…
Nos
bons curés ont l’esprit large, ils sont prêts à tout entendre,
l’évolution, la sélection naturelle, les mutations… tout sauf
l’explication matérialiste de l’évolution formulée par Darwin,
qui renvoie en enfer l’intervention divine ! Lorsque Jean-Paul
II, 137 ans après la publication de l’origine des espèces,
en 1996 (!), reconnaît au nom de l’Eglise que tout n’est pas
faux dans le darwinisme, il se paie le ridicule d’ajouter « à
condition que cela ne mène pas au matérialisme ! ». Le
matérialisme, c’est bien cela l’inacceptable aux yeux des
curés de toutes obédiences, le péché mortel du darwinisme !
Les Eglises n’ont pas excommunié le darwinisme parce qu’il
pêchait avec l’évolution, mais parce qu’il en écartait tout
plan divin, qu’il soumettait l’évolution aux hasards des
mutations et des variations aléatoires du vivant.
Bien
des intellectuels déploient des efforts inconsidérés pour
tenter de maintenir dieu en vie alors que sa mort scientifique
a été enregistrée depuis Darwin et sans cesse confirmée par
les progrès de la science.
La
théorie de l’évolution de Darwin a porté le coup de grâce au
récit biblique. C’est tout l’édifice religieux, base
idéologique de l’ordre social, de la domination des classes
possédantes, qui se trouvait déstabilisé par cette idée d’un
monde qui ne trouvait qu’en lui-même et en ses propres
ressources le moteur de son évolution. De nombreux épisodes de
la réaction de l’Eglise, à la suite de la parution de l’ « Origine
des espèces » montrent à quel point elle fut
déstabilisée, caricaturant Darwin pour mieux le combattre,
réduisant l’homme à sa prétendue ascendance simiesque. « Pourvu
que nos gens n’en sachent rien ! », s’était exclamé
alors une aristocrate !
Encore
aujourd’hui, les Eglises, quelles qu’elles soient, fondements
idéologiques de la domination des classes possédantes,
continuent de combattre avec acharnement le matérialisme de la
théorie de l’évolution de Darwin. Le créationnisme, la
croyance en un dieu créateur ou en toute autre forme de force
supérieure qui donnerait un sens prédéterminé à l’évolution,
ont pris et continuent toujours de prendre de multiples
aspects.
Les croisades créationnistes aux
Etats-Unis, une lutte politique
Malgré
la confirmation au XXème siècle de la validité de
la théorie de Darwin par la génétique, la génétique des
populations, l’embryologie…, l’évolution est restée la cible
privilégiée des attaques des créationnistes. Aux Etats-Unis,
bastion mondial du créationnisme, leur combat n’a jamais
cessé, témoignant de cette lutte toujours vivante des milieux
réactionnaires contre l’idée d’une évolution sans plan
préétabli, guidée par rien d’autre que par les propriétés
mêmes de la matière. La bataille des sectes créationnistes que
l’on ne peut qualifier de bataille d’idées tant elle relève
d’arguments n’ayant aucune crédibilité, est avant tout une
lutte politique qui combat le progrès et les classes
travailleuses qui le portent. Les pouvoirs réactionnaires ont
toujours su s’appuyer sur ce fond de préjugés rétrogrades et
obscurantistes.
Dans
les années 20, dans plusieurs Etats réactionnaires du Sud,
sous la pression de groupuscules protestants fondamentalistes,
des lois furent votées, interdisant l’enseignement de
l’évolution dans les écoles publiques, comme contraire au
récit de la Genèse et aux valeurs religieuses de la société
américaine. Elles écartèrent des générations d’enfants de
l’enseignement de l’évolution, jusque dans les années 60 où le
gouvernement, dans le contexte social d’explosion des luttes
des minorités pour leurs droits, relança un programme
scientifique ambitieux pour concurrencer l’URSS dans la
bataille spatiale, et abolit les lois antiévolutionnistes.
Ces
groupuscules fondamentalistes, au début des années 80,
refirent une tentative dans 26 des Etats les plus marqués par
la ségrégation raciale, pour contourner la laïcité inscrite
dans la Constitution et obtenir des lois pour l’enseignement
de la Bible dans les écoles publiques. Ils revendiquaient
l’enseignement du créationnisme au même titre que l’évolution,
comme deux hypothèses à considérer à égalité, et furent
soutenus par le candidat Reagan qui, en 1980, à la veille de
devenir président, n’hésitait pas à déclarer que « L’évolutionnisme
est seulement une théorie scientifique, que la communauté
scientifique ne croit plus aussi infaillible qu’on l’a cru
autrefois. En tout cas, si l’on se décide à l’enseigner dans
les écoles, je pense qu’on devrait aussi enseigner le récit
biblique de la Création. ». Malgré leurs tentatives
délirantes pour donner une base scientifique aux écrits
Bibliques, en créant des universités délivrant des doctorats,
une multitude de publications, de conférences… et malgré
l’appui du pouvoir, ils ne parvinrent pas à faire rentrer dans
la loi l’enseignement du créationnisme dans les écoles
publiques. Mais leur capacité de nuisance reste importante et
l’activisme fondamentaliste créationniste est resté très
actif. En 2005, Bush déclarait que « … les deux parties
(créationnisme et évolution) doivent être enseignées
correctement… Une partie de la mission de l’éducation est de
présenter aux personnes les différentes écoles de pensée »…
Le « dessein intelligent » ou les
prétendus arguments « scientifiques » du créationnisme…
Avec
le recul qu’impose à la société la faillite du capitalisme,
créationnistes et intégristes de tous ordres, chrétiens, juifs
ou islamistes, regagnent du terrain. Mais beaucoup ont dû
intégrer les résultats de la science et l’évolution, et dû
revoir leur argumentation.
Ainsi,
une nouvelle idéologie néo-créationniste a vu le jour dans les
années 90, celle du « dessein intelligent ». Le dessein
intelligent (Intelligent Design en anglais) affirme que « certaines
observation de l'univers et du monde du vivant seraient
mieux expliquées par une cause intelligente que par des
processus aléatoires tels que la sélection naturelle ».
Cette théorie a été développée par un cercle de réflexion
conservateur chrétien américain, le Discovery Institute. Ses
objectifs sont on ne peut plus clairs, « vaincre le
matérialisme scientifique et ses héritages moraux, culturels
et scientifiques ; remplacer les explications matérialistes
par la compréhension théistique que la nature et l’être
humain sont créés par Dieu. ».
Le
dessein intelligent prétend que le monde vivant a atteint un
tel degré de complexité jusqu’à l’homme qu’il ne peut que
relever d’une intention, de l’intervention d’une force
extérieure supérieure qui a orienté l’évolution jusqu’à
l’homme….
Le
dessein intelligent essaie de donner un habillage scientifique
au créationnisme, pour faire illusion. Ses partisans évitent
de citer dieu et les saintes écritures pour réintroduire le
plan divin sous une autre forme, plus pernicieuse. L’évolution
oui, puisqu’il le faut, mais pas le matérialisme darwinien…
Leurs
arguments reprennent les conceptions finalistes de la nature
qui ont fleuri au XVIIIème siècle sous le nom de
« théologie naturelle », c’est à dire la croyance en un
« grand horloger » nécessaire à la mise en œuvre d’une
mécanique aussi parfaite et harmonieuse que notre univers.
Mais si cette conception représenta au XVIIIème
siècle un progrès, en s’émancipant des dogmes religieux
enseignés à cette époque, sa défense aujourd’hui relève d’un
combat réactionnaire. Darwin, formé à la « théologie
naturelle » s’en émancipa lui-même en rassemblant et en
mettant en relation tout au long de sa vie les éléments qui
lui permirent de formuler sa théorie matérialiste de la
sélection naturelle.
Ce
type de conception finaliste joue de la recherche du
sensationnel, du mystère pour diffuser ses inventions. Ainsi,
la chaîne Arte, en 2005, s’est fait piéger en diffusant un
documentaire de la paléontologue française Anne
Dambricourt-Malassé, qui par ailleurs ne fait pas mystère de
ses préoccupations religieuses. Elle y développait sa théorie
selon laquelle il existerait une pression interne qui pousse
l’homme à évoluer toujours dans le même sens, depuis des
millions d’années. Elle aurait même localisé cette force,
cette « propriété interne du vivant », dans l’os
sphénoïde du crâne, dont elle aurait étudié l’évolution chez
les primates jusqu’à l’homme ! Jusqu’où n’irait pas se cacher
la main du créateur ?
La
préoccupation et la démarche de gens comme
Dambricourt-Malassé, ne sont pas nouvelles : réconcilier
science et religion, comme avait essayé de le faire en son
temps le paléontologue jésuite Teilhard de Chardin qui inventa
la notion d’ « orthogénèse de fond », c'est-à-dire
d’évolution dirigée vers un but… le « point Oméga », identifié
à Dieu. Aujourd’hui encore l’Eglise, en mal de crédibilité,
cherche toujours à prouver que science et religion ne seraient
pas si éloignées, voire compatibles. Le Vatican est pour cela
grand promoteur de colloques dont le dernier en date, en
février 2009, cherchait à démontrer qu’un dialogue est
possible entre scientifiques et religieux, et que évolution et
création ne sont pas incompatibles.
« Une
évolution en quête de sens », disent les théoriciens
finalistes du dessein intelligent, qui nous ramènent à
l’existence d’une force supérieure qui domine l’homme… pour le
soumettre.
Etre matérialistes, pour
comprendre le monde et le changer
Le
combat contre toutes les oppressions passe par la conquête de
la liberté pour émanciper la pensée de l’obscurantisme en
s’appropriant les données et les progrès de la science, pour
s’affranchir des préjugés et des dogmes et devenir maître de
son propre destin. Cette bataille d’idée s’inscrit dans la
lutte des opprimés pour leur émancipation, en est partie
intégrante.
Oui,
mais la science n’explique pas tout, nous dit-on… Certes, et
elle n’a pas cette prétention, mais il est vrai que le dessein
intelligent et autres théories finalistes que nous combattons
se nourrissent de ce que la science n’explique pas encore, de
la part d’ignorance qui ouvre la porte aux explications
« surnaturelles », religieuses… Si on ne peut expliquer ce qui
a précédé l’instant du Big Bang, si de nombreux points d’ombre
demeurent dans la compréhension de l’évolution, etc., ce
serait parce qu’il existe une volonté supérieure, créatrice du
monde… Là où la connaissance trouve aujourd’hui ses limites,
les idéalismes s’engouffrent dans la brèche. Mais la science,
si elle n’explique pas tout, continue cependant de progresser
pour remplacer les charmes du mystère par ceux, bien plus
tentants de la connaissance du vivant et de la matière…
La
conception matérialiste heurte tous les préjugés et la morale
des classes dominantes qui visent à justifier leur domination.
Que deviennent leurs prétentions sans le dogme de Saint-Thomas
d’Aquin au XIIIème siècle, du « supérieur qui ne saurait
provenir de l’inférieur » ou si tout ce qui existe
mérite de périr !
L’animalité
de l’homme ne fait pas de doute ; mais l’homme a aussi cette
particularité unique parmi les espèces d’être un animal
conscient, produit de ce processus prodigieux qui a conduit en
quelque sorte la matière à devenir consciente d’elle-même. Un
animal conscient qui, à travers le processus naturel de
l’évolution, n’est plus seulement soumis à son environnement,
mais agit sur lui et le transforme.
Le
matérialisme biologique ne suffit pas à rendre compte de cette
aventure. Il nous faut alors entrer dans le domaine de
l’Histoire, de la conscience et de la morale. Mais là où
certains voient dans l’extraordinaire histoire de cette espèce
particulière qu’est l’homme, un élément mystérieux, une limite
à la connaissance, et dominés, inventent une force supérieure
dont nous serions la création, les sciences humaines
progressent, pour comprendre cette histoire comme partie
intégrante de l’histoire de la matière, des premières
molécules vivantes jusqu’à l’homme pensant, à travers une
démarche matérialiste.
La
science biologique et génétique confirme aujourd’hui ce que
disait Darwin : les différentes espèces vivantes, végétales et
animales sont le résultat d’une évolution de la nature dont
l’homme est le dernier maillon. Par la sélection naturelle, se
sont sélectionnés des instincts sociaux qui ont permis le
développement de la morale à la base de l’organisation
sociale. Même s’il est vrai que la science n’arrive pas encore
à expliquer tous les enchaînements qui y ont conduit, c’est
seulement en s’inscrivant dans cette dimension matérialiste
qu’elle progresse.
La
quête de sens dont se revendiquent les partisans du dessein
intelligent et les idéalistes répond à un besoin social mais
le sens de la vie humaine se construit lui-même à travers
l’histoire, par le travail, par la conscience collective, la
solidarité qu’il produit, les projets qu’il forge… Nul besoin
de mystère pour l’expliquer et surtout pour lui donner un
contenu nouveau, moderne, adapté aux évolutions de la société,
de la nature, de l’environnement…
Comprendre
le monde, c’est aussi travailler à le changer, à donner une
cohérence aux données modernes de la science pour permettre à
l’homme de continuer à se développer en harmonie avec la
nature, la matière dont il est une composante, le produit.
N’est-ce pas cela donner un sens à sa vie, à la vie de
l’humanité, à son incessant combat pour progresser ?
C’est cela l’objet même du marxisme en tant que science, permettre de participer pleinement à ce combat, à tous les niveaux de la vie sociale, en donnant à la lutte politique sa pleine dimension émancipatrice.