7 Le socialisme ou la continuité de l’évolution…
Le
150ème anniversaire de la publication de l’origine des
espèces est l’occasion de souligner l’actualité de la
conception matérialiste à la base de la théorie de l’évolution
de Darwin, qui est aussi à la base de toute démarche pour
comprendre le monde et agir sur lui. En tant que démarche
scientifique, le matérialisme est indispensable aux opprimés
pour saisir les enjeux et les conditions objectives du combat
pour changer la société. D’où cette modeste contribution à sa
défense, un combat d’autant plus fondamental aujourd’hui que
la crise globale du capitalisme et son cortège de désastres
renforcent les préjugés, le moralisme, les idées
réactionnaires de toutes sortes, entretenus et utilisés par
les classes dominantes contre les idées d’émancipation.
Darwin
a transformé la vision de la place de l’homme dans l’évolution
en l’intégrant pleinement à la nature, en commençant à établir
une continuité entre nature et culture, entre évolution du
monde vivant et histoire des sociétés humaines en dehors de
toute intervention divine ou surnaturelle.
Aussi
discuter de la théorie de l’évolution de Darwin, de son
fondement matérialiste, participe de l’indispensable travail
de réappropriation du marxisme auquel les révolutionnaires
sont confrontés. La théorie fondée par Marx prend en effet
appui sur les progrès de la pensée humaine, des connaissances
scientifiques de son temps, dont la théorie de l’évolution de
Darwin dont elle est le nécessaire prolongement pour
comprendre l’histoire des sociétés humaines. Le marxisme donne
ainsi aux luttes d’émancipation, à la perspective du
socialisme, une base matérialiste, scientifique, objective.
Elle leur donne aussi leur force au sens où elle enracine les
idées d’émancipation dans les faits sociaux eux-mêmes, dans
leur histoire, leur développement.
Une conception matérialiste de
l’évolution des sociétés humaines
En
montrant dans « La filiation de l’homme » la continuité de
l’évolution biologique jusqu’à l’apparition des civilisations
humaines, Darwin a ébauché des éléments d’explication du
passage de l’état de nature à l’état de culture. Mais c’est à
Marx et Engels que revient d’avoir réellement décrit les
mécanismes particuliers de l’histoire des hommes. Se situant
du point de vue de la critique révolutionnaire du capitalisme,
Marx est allé plus loin que Darwin, en portant non seulement
sur la nature, mais aussi sur la société de son temps, le
regard de l’analyse scientifique, pour dégager des lois
régissant l’Histoire. La conception de Marx permet ainsi de
replacer l’Histoire dans une vision globale du monde, incluant
la matière, le vivant et son évolution, l’histoire des
sociétés. Il a poussé l’analyse aussi loin que le permettait
l’état des connaissances de son époque, - dont la théorie de
Darwin -, pour comprendre les contradictions de la société de
son temps, en les analysant comme les produits d’une histoire,
produit de l’histoire du capitalisme s’inscrivant elle-même
dans toute l’histoire des sociétés. Il a inscrit ainsi la
perspective du socialisme dans la continuité de cette
histoire.
Parce
que son point de vue était celui des opprimés, Marx a su voir
à travers le capitalisme moderne naissant du XIXème siècle,
les contradictions et le développement des bases matérielles
permettant le socialisme. Les idéologues de la bourgeoisie
caricaturaient alors les découvertes de la science comme la
théorie de l’évolution de Darwin pour essayer de prouver le
caractère « naturel » de la société capitaliste de classe,
basée sur l’individualisme et la concurrence. Marx au
contraire, en s’appuyant sur ces données, a inscrit le mode de
production capitaliste dans le mouvement historique général,
révélant son caractère transitoire, temporaire. Il donnait
ainsi un fondement théorique scientifique à la lutte des
opprimés pour leur émancipation, aux idées du socialisme et du
communisme.
Ces
idées avaient déjà émergé, avant Marx, d’une période de
profonds bouleversements sociaux et de développement du
capitalisme moderne. La révolution française, en balayant
radicalement l’Ancien régime et en bouleversant au plus
profond les rapports de la vieille société féodale, avait
révélé les déterminismes sociaux de la lutte des classes, le
rôle des masses. Marx n’a pas seulement mis en évidence le
rôle de la lutte des classes, que certains historiens de la
bourgeoisie admettaient, mais en s’appuyant sur les nouvelles
données scientifiques de son époque, il a montré que
l’organisation sociale (esclavage dans l’Antiquité, servage au
Moyen-âge, salariat à l’époque capitaliste) avait une base
matérielle : les conditions matérielles d’existence des
hommes, déterminées par l’état de développement des
techniques, des forces productives. Il a montré que le
capitalisme, nouveau mode de production, développait de
nouveaux antagonismes de classes, simplifiant ces rapports en
scindant la société en deux classes aux intérêts
diamétralement opposés, la bourgeoisie et le prolétariat.
L’idée
du socialisme est née du développement du capitalisme sauvage
du XIXème siècle et de ses conséquences dramatiques sur les
conditions d’existence des prolétaires, comme un modèle
d’organisation sociale idéale, harmonieuse, mais qui demeurait
pour beaucoup de militants une utopie. Marx a donné sa
dimension historique à cette perspective socialiste, en
montrant qu’elle s’inscrivait dans le mouvement des sociétés
comme une étape vers un stade de développement supérieur,
inscrit dans les contradictions même du développement du
capitalisme.
La
division des premières sociétés en classes antagonistes avait
été une conséquence de la difficulté de produire suffisamment
de biens pour assurer aux hommes des conditions d’existence
sinon confortables du moins suffisantes. Le prodigieux
développement des forces productives à l’époque du capitalisme
créait les conditions d’une production organisée pour
satisfaire les besoins de tous, la possibilité de planifier
rationnellement la production en fonction des besoins des
populations, permettant pour la première fois de son histoire
à l’humanité de pouvoir envisager de sortir de la barbarie de
la société de classe. Le marxisme est la science globale de
cette transformation révolutionnaire pour œuvrer à la
réalisation de cette étape de l’évolution des sociétés
humaines.
Le marxisme aujourd’hui, une
conception globale de l’évolution pour construire l’avenir
Le
marxisme n’est donc pas une science à part. Mais bien plutôt
le cadre pour une synthèse de tous les progrès de la
connaissance visant à mieux comprendre le monde pour le
transformer consciemment. Ou plutôt, il n’est une science
particulière que dans son domaine propre, celui de la lutte
des opprimés pour leur émancipation.
C’est
justement le point de vue révolutionnaire du marxisme qui, en
lui donnant son caractère radical, sa capacité à pousser
jusqu’au bout les raisonnements, lui permet d’englober toutes
les sciences sans craindre les conséquences pratiques
sociales, la remise en cause des idées reçues, les ruptures
radicales, les contradictions soulignées...
Le
matérialisme de Marx repose sur la compréhension d’une réalité
évoluant par accumulation de contradictions qui finissent par
trouver leur propre dépassement à travers des situations de
crises, c’est un matérialisme dialectique. Il se distingue en
cela du matérialisme de Darwin qui, au contraire, insistait
sur une évolution graduelle, par lente accumulation de
transformations, par opposition aux dogmes religieux et à leur
traduction sur le plan des théories scientifiques. Les
scientifiques encore dominés par la religion expliquaient les
fossiles et la diversité des êtres vivants dans le cadre d’une
histoire courte, compatible avec la bible et donc parsemée de
catastrophes, de déluges suivis de nouvelles créations. Darwin
a combattu le catastrophisme des théories de son époque et
leur cortège de mystères. S’appuyant sur le développement des
découvertes géologiques, il a souligné l’immensité de la durée
de l’histoire de la terre et le caractère très progressif de
l’évolution.
Les
progrès de la science, tout en confirmant la théorie de
l’évolution, ont en quelque sorte réhabilité la vision
dialectique de l’histoire. Les faits montrent que l’évolution
n’est pas un long fleuve tranquille mais qu’elle se compose de
périodes relativement courtes - en millions d’années - de
grandes crises biologiques marquées par d’importantes
extinctions d’espèces, suivies de périodes d’explosions et de
diversification de nouvelles espèces qui se prolongent par des
phases d’évolution adaptative plus lentes.
La
conception matérialiste d’une histoire évoluant de façon
dialectique constitue aujourd’hui le cadre non seulement de la
compréhension des nouvelles connaissances scientifiques dans
tous les domaines, mais aussi celui qui rend le mieux compte
des lois propres de l’évolution économique, sociale, politique
des sociétés humaines. Elle s’est, de fait, imposée.
La
science a fait des progrès immenses, l’évolution des
techniques a bouleversé les conditions de production qui ont
transformé profondément la société et la planète. Le
capitalisme est entré dans une nouvelle période, celle de la
mondialisation qui, en étendant les lois du marché capitaliste
à l’échelle planétaire, porte les contradictions du
capitalisme à un niveau encore jamais connu et qui atteint ses
limites.
Les
nouvelles connaissances scientifiques nous donnent aujourd’hui
les moyens de comprendre le monde dans son histoire et sa
globalité, un monde dont nous sommes issus et qui nous a
façonnés, et d’envisager d’agir consciemment à sa
transformation. Cela nécessite, comme à l’époque de Marx et
des débuts du capitalisme moderne, d’intégrer l’ensemble de
nos connaissances sans craindre aucune des conséquences
théoriques et pratiques de cette synthèse, d’oser voir la
réalité telle qu’elle est, comme Darwin et Marx avaient su
voir la nature et le monde et opposé patiemment les faits à la
morale et aux préjugés bourgeois.
Mener
consciemment la lutte de classe dans ce monde nouveau, tirer
de son apparent chaos les bases d’une compréhension globale,
les liens qui unissent les phénomènes et les évènements,
nécessite de nous approprier et d’actualiser la méthode qui a
été celle de Darwin et Marx, le matérialisme.
Des
pas immenses sont réalisés par la science : la compréhension
de l’évolution progresse en intégrant de plus en plus de
données et d’observations, l’écologie tente une approche
globale de la biosphère, de l’écosystème-terre… A nous de nous
saisir de ces avancées qui vont dans le sens d’une vaste
synthèse pour pousser jusqu’au bout leurs conséquences,
c'est-à-dire en finir avec la propriété capitaliste pour
transformer le monde en créant les conditions de la
réappropriation par les hommes des fruits de leur activité,
par la maîtrise d’une production qui respecte la nature, la
planification socialiste, inscrite dans le processus même de
l’évolution des sociétés.
Laissons
le mot de conclusion à Engels qui écrivait : « (…) les
faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons
nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un
peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la
nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair,
notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et
que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage
que nous avons sur l'ensemble des autres créatures de
connaître ses lois et de pouvoir nous en servir
judicieusement. Et, en fait, nous apprenons chaque jour à
comprendre plus correctement ces lois et à connaître les
conséquences plus ou moins lointaines de nos interventions
dans le cours normal des choses de la nature. (…), nous
apprenons peu à peu, au prix d'une longue et souvent dure
expérience et grâce à la confrontation et à l'étude des
matériaux historiques, à élucider les conséquences sociales
indirectes et lointaines de notre activité productive et, de
ce fait, la possibilité nous est donnée de dominer et de
régler ces conséquences aussi.
Mais,
pour mener à bien cette réglementation, il faut plus que la
seule connaissance. Il faut un bouleversement complet de
tout notre mode de production passé et, avec lui, de tout
notre régime social actuel. » [1]
Notes chapitre 7
[1]- Friedrich Engels, Le rôle du
travail dans la transformation du singe en homme, dans la
dialectique de la nature, 1883 : http://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf